Cet article a été originellement publié le 6 octobre 2019
Tékrour, Peuls, Fouta, Toucouleurs, Haal-Pulaar, Foutankoobe. Ces termes utilisés souvent de manière interchangeable pour parler de la vallée du fleuve Sénégal et de ses habitants, désignent des choses différentes et sont l’héritage de différentes perspectives pour parler de cette région.
Tékrour était le nom de la capitale de l’État, également connu sous le même nom, qui a prospéré sur le bas fleuve Sénégal pendant autour de l’an 1000. Il est important de noter que le terme “Tekrour” nous vient des lettrés arabes; on ne sait pas par quel nom les habitants de cette ville et de royaume s’appelaient eux-mêmes. C’est à partir du nom de cette capitale que les écrivains médiévaux ont désigné le nom du royaume. Ce procédé est par ailleurs récurrent chez ces auteurs; dans les écrits d’al-Bakri, de Mahmud Kati ou d’Abderrahmane es-Saadi, Ghana [Koumbi Saleh], Gao ou Mali servent autant à désigner les royaumes en question, que les capitales où résident leurs souverains.
À partir de « Tekrour » est établi le démonyme « Tekrouri » pour désigner les habitants de ce royaume. Ce terme serait encore utilisé par les Maures et les Arabes de la rive nord du Sénégal selon Umar al-Naqar, alors que les Wolofs désignent les habitants de cette région comme “Tukulor”. Ce terme « Tukulor » a été transcrit par Ca da Mosto, le navigateur portugais sous la graphie de « Tuchusor » alors que « Tucuroes » apparait chez d’autres de ses compatriotes qui ont visité ce qui forme aujourd’hui le Sénégal. Le terme “Toucouleur” adopté par l’administration coloniale française résulte également de ce processus.
La notion de Tekrour est cependant différente au Moyen-Orient où al-Takrur, c’est-à-dire ahl al-takrur ou le Takarir, a acquis un sens générique englobant tous les habitants musulmans de l’Afrique de l’Ouest.
Pour Umar al-Naqar, l’origine du nom doit être recherchée dans la patrie des Takarir (Toucouleur) dans le Fouta Toro, où des écrivains arabes du Moyen-âge avaient parlé d’un État musulman organisé dès le XIe siècle. .Al-Bakri, écrivant dans la seconde moitié de ce siècle, donne le récit suivant :
Après Sanghana, entre l’ouest et la Qibla [au sud] se trouve la ville de Takrur [qui] est habitée par des noirs [Sūdan]. Ils étaient, comme tous les autres Soudanais, des païens vénérant Dakakir; le Dukur était leur idole, jusqu’au règne de War Jabi ibn Rabis, devenu musulman, qui y a instauré les lois de l’islam, les forçant à lui obéir et à les orner de leurs yeux. Il est décédé en l’an 432 [qui correspond à l’an 1040 du calendrier grégorien]. Aujourd’hui, les habitants de Takrur sont musulmans. Vous allez de Takrur à la ville de Silla; elle [Sila] est constituée de deux villes sur la rive du Nil [fleuve Sénégal]. Ses habitants sont aussi des musulmans, islamisés par War Diabi – Que la Miséricorde de Dieu soit sur lui. Entre Silla et la ville du Ghana [Koumbi Saleh?] se déroule une marche de 20 jours dans un pays peuplé de tribus soudanaises. Le roi de Silla attaque les mécréants qui ne sont qu’à un jour de marche de lui; ce sont les habitants de la ville de Galanbu [Galam?]. Son pays est immense, bien peuplé et à peu près égal à celui du roi du Ghana.
Il y’a très peu d’informations sur l’idole Dakakir ou Dukur. Sanghana est hypothétiquement assimilé aux royaumes du Waalo et du Kajoor par Jean-Louis Triaud. Il faut noter aussi que les géographes médiévaux arabes assimilaient au Nil, le fleuve Sénégal qui dans leur compréhension, était aussi connecté au fleuve Niger. Au-delà de Ghana qui correspond à Koumbi-Saleh [en Mauritanie actuelle], il est très difficile de localiser les différents sites mentionnés par al-Bakri. Ce qui est clair dans ce récit est qu’au début du onzième siècle, le Takrur était devenu le premier royaume avec un souverain noir musulman dans cette région.
Si l’islamisation du Sahel est souvent associée au mouvement almoravide, Umar al-Naqar tout comme Michael Gomez spécifient que l’islamisation du Tékrour précédait les chevauchées d’Abdallah ibn Yasin, de Yahya ibn Ibrahim, et d’Abu Bakr ibn Umar.
L’inspirateur du mouvement almoravide Abdallah ibn Yasin (m.1059) n’a quitté son ribat que vers 1042 (selon al-Bakri, vers 440/1048). Cela aurait pu être le résultat de guerres précédentes, la tradition du jihad au Soudan n’ayant pas été initiée par les Almoravides. Cela aurait également pu être le résultat d’un contact pacifique, ce qui irait dans le sens où Ibn Yasin, consterné par la résistance des Berbères Sanhaja à ses réformes puritaines, se serait réfugié chez les Noirs « parmi qui l’Islam était déjà apparu ».
Al-Bakri mentionne en outre la conversion du roi de Silla suite aux campagnes du roi du Tekrour War Diabi. Ce roi serait également le premier souverain noir à mener une guerre sainte. Son fils Lebi aurait été assiégé avec Yahya ibn Umar (m.1048) durant la rébellion des tribus Godala, au cours de laquelle le chef almoravide a perdu la vie. Il a pu y avoir une alliance entre Takruri et Almoravides, ce qui peut aussi expliquer la présence de 4,000 soldats noirs avec Yusuf ibn Tashfin (1040-1094) lors de la bataille d’Al-Zallaqa en Espagne en 479 / 1087.
Takrur a survécu à War Diabi, à son fils Lebi et aux chevauchées vers le nord des Almoravides . Un autre géographe médiéval, Al-Idrisi (1100 – 1165), écrivant vers le milieu du XIIe siècle, nous donne une autre perspective sur le Tekrour. Il faut noter qu’al-Idrisi ne s’est sans doute jamais rendu dans ces pays et a pu se mélanger ou exagérer ses descriptions. Ses perspectives ont également pu lui être rapportées par des voyageurs qui ont visité ces contrées. Il nous dit:
Dans cette partie [le premier climat] se trouvent les villes d’Awlil, Sila, Takrur, Dao [Walata], Baris, Maura et toutes celles-ci sont originaires de Maghzarat al-Sudan … Il y’a une étape de l’île d’Awlil à la ville de Silla. La ville de Silla est située sur la rive gauche du Nil. C’est une ville peuplée dans laquelle les Noirs se réunissent. Son commerce est rentable et son peuple chevaleresque. Cela fait partie du domaine des Takruri qui est un puissant sultan qui a des esclaves et des armées; il est ferme, patient et réputé pour sa justice. Son pays est sûr et tranquille. Sa résidence, le pays dans lequel il réside, est la ville de Takrur. C’est au sud du Nil, à environ deux jours de marche de Silla, par terre et par eau. La ville de Takrur est plus grande que Silla. Il a plus de commerce et les marchands du Maghreb lointain voyagent avec de la laine, du cuivre et des perles. Ils en sortent avec de l’or et des esclaves. Des villes de Silla et Takrur à la ville de Sijilmasa, le voyage en caravane dure 40 jours … également de l’île d’Awlil à Sijilmasa, il y’a environ 40 jours de marche. La ville de Barisa est petite et n’a pas de murs; elle est comme un village peuplé. Il est habité par des commerçants itinérants qui sont des sujets des Takruri. Au sud de Barisa se trouve le pays de Lemlem.
Les récits des géographes arabes nous fournissent un aperçu de la situation politique et économique du Tékrour au 11e siècle mais relativement peu d’informations sur les us et coutumes de ses habitants. Il nous est impossible de savoir comment ceux que leurs voisins appellent « Takrouri » se percevaient et quels étaient leurs codes de référence.
Si l’appellation « Toucouleur » est circonscrite aux habitants de la vallée du fleuve Sénégal, le terme « takrūri » peut avoir un sens plus large selon les auteurs, englobant les entités musulmanes allant du fleuve Sénégal aux rives du lac Tchad, et même au-delà. C’est ce sens plus large qui apparait par exemple dans le Tarikh el-Fettach (ou Chronique du Chercheur pour server à l’histoire des villes, des armées et des principaux personnages du Tekrour) de Mahmoud Kati.
De nos jours les habitants du « Tekrour » d’al-Bakri et d’al-Idrissi, se définissent comme « Haalpulaar » qui veut dire « ceux qui parlent le pulaar » contraction du verbe « haalde » (parler) et du nom de la langue. Ce vocable reconnait implicitement les diverses origines de ses habitants même s’ils font partie d’un même groupe socioculturel. La société Haalpulaar ayant connu en son sein des populations d’origines diverses, résultat de siècles de cohabitations et de métissage, la distinction entre deux groupes d’ascendance s’est faite naturellement par les habitants. Les Haalpulaar/en sont issus de populations autochtones de la vallée du fleuve (Wolofs, Soninkés, Serrères…) assimilées au fil du temps à la population peule tandis qu’on nommera Pullo (pl.Fulɓe) une personne d’ascendance peule. A noter que dans le Fouta le terme Pullo désigne également un berger ou un pasteur. À cet égard, tous les habitants de cette société se désignent par Haalpulaar, expression similaire au terme « Foutanké » (« habitant du Fouta ») par lequel ils se définissent aussi.
L’origine du terme « Fouta » est intimement liée avec les débats sur les origines des Peuls, qui constituent la majorité de ses habitants. Il y’a ainsi plusieurs hypothèses selon Oumar Kane:
La première, qui tire son origine dans l’idéologie racialiste des premiers ethnologues coloniaux, fait dériver le « Fouta », ainsi que « Fulbe » du terme biblique Phut, Put et Pount, mentionné dans la table des Nations de la Genèse. Oumar Kane juge cette hypothèse vraisemblable à cause de l’alternance consonantique selon le nombre entre les lettres « p » et « f ». C’est le cas par exemple du terme « Pullo » (« Peul ») qui devient « Fulɓe » au pluriel.
Une autre hypothèse voudrait que « Fouta » soit un dérivé du terme maure « Aftout » dont le sens est inconnu. Étant donné que les Peuls ont précédé les Maures dans le Sahel, l’idée que le nom « Fouta » soit dérivé du maure parait incongrue.
Une dernière hypothèse avancée par Henri Gaden spécule que le terme « Fouta » désignerait à l’origine le pays situé au nord du Tagant et de l’Assaba, et qui est appelé par les Foutankoobe, « Jeeri Fouta ».
Entre toutes ces hypothèses, il est presqu’impossible de trancher. Mais toujours est-il que le terme « Fouta » désigne les pays où les Peuls constituent le groupe socioculturel dominant au niveau linguistique, culturel et politique. Ainsi Amadou Hampaté Bâ (1900-1990) fait la distinction entre trois « Fouta ».
Le Fouta Kiiɗndi qui correspond au Fouta-Toro et au Fouta du Sahel, encore appelé Fouta-Kingi (sans doute pendant une période donnée). Ce serait à partir du Fouta-Kingi, que les clans peuls se seraient disséminés dans la région. C’est au Fouta-Kingi où a régné pendant un temps le satigi des Peuls Yalalbe, Tengella Gedal Jaaye (m.1512) avant la destruction de son royaume par le Kouroumina-Fari, Omar Komjago.
Le Fouta-Keyri, ou le « nouveau Fouta », qui inclurait le Fouta-Jalon, le Maasina, le califat de Sokoto ainsi que les lamidats de l’Adamawa. Ce Fouta-Keyri est intimement lié aux mouvements musulmans menés par des clercs peuls à partir du 16e siècle et ayant abouti à la formation de théocraties musulmanes. Il est important de noter qu’à part le Fouta-Jalon, aucun de ces nouveaux états n’inclut le terme « Fouta » dans son nom. Le projet islamiste a ainsi pu dominer sur l’identité ethnique.
Enfin le Fouta-Jula qui correspond aux diasporas fulbe/haalpulaar dans tout le Sahel, et qui est consécutif à l’effondrement des États peuls face à la conquête coloniale. Pour Oumar Kane, il y’a une dimension économique et commerciale importante dans ces sites diasporiques.
Voilà pour les noms qui sont issus de processus et de perspectives historiques différentes pour désigner une même région et ses habitants. Si l’encre est sèche et que des pistes apparaissent, les mystères d’un monde passé demeurent entiers. L’un des objectifs de ce site sera d’appréhender ce qui peut l’être, et de faire remonter à la surface des perspectives qui peuvent nous enrichir. Ce site est donc un aluwal (une tablette) où des questions sont posées, et où le consensus des savants côtoiera la spéculation informée. C’est un lieu où la voix des gens d’un autre temps surgira de temps en temps à travers des documents écrits par leur main, mais aussi où chaque lecteur pourra apporter sa contribution pour une meilleure connaissance de notre monde. Ce site sera ce que vous voudriez bien en faire.
Sources bibliographiques:
Umar Al-Naqar. 1969. “Takrur the History of a Name”. The Journal of African History. 10 (3): 365–374
Bruno Chavanne. 1985. Villages de l’ancien Tekrour: recherches archéologiques dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal (Paris: Karthala).
Oumar Kane. 2004. La première hégémonie peule : Le Fuuta Tooro de Koli Teηella à Almaami Abdul (Paris : Karthala)
Michael A. Gomez. 2018. African Dominion:A New History of Empire in Early and Medieval West Africa (Princeton: Princeton University Press)
Cette élégie pour Tierno Bokar Salif Tall a été publiée dans le Journal des Africanistes 63 (2) 1993. L’auteur est Amadou Hampaté Ba (1900-1991), le fameux romancier, historien et traditionniste qui avait Tierno Bokar comme maitre spirituel. Hampaté Ba faisait partie du cercle des disciples de Tierno Bokar, en même temps que Maabal, auteur de Sorsorewel.
Le texte date de 1940, et a été rédigé tout juste après le décès du sujet de l’élégie à Bandiagara en 1940, alors que Bâ était hors de la ville.
Tierno Bokar est un sujet constant dans l’oeuvre de Amadou Hampaté Bâ, étant très présent dans ses Mémoires, et comme sujet de Vie et enseignement de Tierno Bokar: le sage de Bandiagara. Dans ce dernier texte, Bâ revient sur les tensions familiales et confrériques au centre desquelles Tierno Bokar et lui-même se trouvaient à partir de 1937, lorsque celui-ci prit comme maitre spirituel Cheikh Hamallah (v.1880-1943) de Nioro, qui était alors la cible de l’administration coloniale française. Le texte, écrit à vif, traduit bien ce chagrin et cette colère.
Hunorde
Ouverture
Allaahu juul e Nulaaɗo juulɗo e Joomii mum
mo maleyka’en kala juuli dow mum silmini
mo ɓe inndiroyi dow kammu Mahmuudu Ahmad
Dieu accorde Sa grâce à l’Envoyé qui, de son Seigneur, fut le fidèle, sur qui tous les Anges ont appelé la grâce et la paix et qu’au plus haut des cieux ils nommèrent le Glorifié : Ahmad.
Ngam juulde makko e juulde maɓɓe mi nyaagoyii Geno Mawɗo jaɓa jaafoa mo ngoy-mi mo njettu-mi
Jinnganɗo seedii ngoonga Bookari Saalihu !
Par la grâce de sa prière et de la leur, je prie humblement l’Éternel, le Très-Grand, d’accueillir l’homme de bien que je chante en cette élégie et qui fut un défenseur et un témoin de la Vérité : Bôkar Sâlif !
1. Mi habraama mawɗo kabaaru waylaali noone am
tuma ndeen ɓe mbii kam Cerno Bookari Saalihu
1. A l’annonce de la terrible nouvelle, je ne laissai rien paraître
dès l’instant qu’on m’apprit que Tierno Bôkar Sâlif,
2. nyawoyii yo tampuɗo sanne, ngoonɗin-miabis koddiral
haawnaaki maayde so lelnoyii ɓii-Saalihu !
2. tombé malade, se trouvait au plus mal, ma foi y reconnut l’arrêt divin
et ce ne fut guère une surprise que la mort soit venue faucher le fils de Sâlif !
3. Giye am tuƴii mbaylii mbusam hono timmidiib
sattic e am mi tiimaali Bookari Saalihu !
3. [Pourtant] mes os mollirent comme mués en moëlle et leur dernière heure venue !
Ce me fut dure épreuve que d’avoir été absent lors du décès de Bôkar Sâlif !
4. Beccamd ɗee ormi paali kine am naƴƴidiie
gonɗamd gomowɗi ngoyir-mi Bookari Saalihu
4. De ma poitrine monta un râle sourd, de mes sinus un craquement sec
et de lourdes larmes versai en pleurant Bôkar Sâlif !
5. Mi woya moodi am biiroyɗo kam bif Muhammadin
gori gorgol am giɗo neene am, ɓii-Saalihu !
5. Je pleure mon Maître, celui qui m’éduqua dans la voie de Mouhammad,
l’époux de ma tante paternelle et l’ami de ma mère, le fils de Sâlif !
6. Mi nyaagiima yaa Wahhaabug nyiimnu e yeeso am
tabe ngaari diina njakawndi, Bookari Saalihu !
6. Je t’en prie, ô Généreux, imprime devant moi pour toujours
les traces du diligent Taureau de la Foi, Bôkar Sâlif !
7. So taw wonki Cerno yo lekki wonnoo mi yarnoyan
fa ki wilita duumoya baalɗe, Bookari Saalihu !
7. Si la vie de Tierno avait été un arbre, je m’en irais l’arroser
afin qu’il bourgeonne et de longs jours perdure, Bôkar Sâlif !
8. Nul être demeurant en ce monde n’y jouit de l’immortalité
hormis le Créateur de la mort, Celui qui créa Bôkar Sâlif !
9. Won fiyɓe buse mum poɓɓi mbii: « Harrak! men kawiil!»
ɓe kawaali maayan no maayri Bookari Saalihu !
9. Il en est pour dire, se frappant les cuisses et battant des mains: « Enfin [nous avons gagné ! »
Mais il n’en est rien : ils mourront tout comme est mort Bôkar Sâlif!
10. Parce que Tierno est mort, ils croient leur affaire parvenue à son faîte,
mais il n’en est rien ; de venins ils sont pleins, contre le fils de Sâlif!
11. Mi yurmaama ɓee ɓe miilaali e nde doomi ɗu seyim
maa nde jawloroon ɓe no jawlorii ɓii-Saalihu !
11. J’ai pour ceux-là compassion, qui ne songent point que la mort les attend, et s’ébaudissent
alors qu’elle les va ravir comme elle a ravi le fils de Sâlif !
Notes a. jaafo : jaafɗo. a bis. ngoonɗin-mi : ngoongɗin-mi. b. B. timmidin ; dans la version A, les vers 3 et 4 sont intervertis. c. A. saqii : Ar. [saqi-] « malheureux, infortuné » (?) d. beccam, gonɗam : becce am, gonɗi am ; ɓerndam : ɓernde am (v. 17), etc. e. A. nde mo maayii beccam ormi kine am naƴƴidii. f. bi : Ar. « au moyen de, avec, par ». g. Wahhaabu. Ar. « généreux, donateur ». h. dunnya pour duniyaa : Ar. [dunya] « ce bas monde » et v. 76 dunnyaaru pour dunyaaru. i. A. Tagɗo. j. B. foɓɓi. k. Ar. racine signifiant « devenir libre » 1. A. prononcé qawii. m. A. njali. n. A. ma nde jawloroyoo.
L’article ci-dessous retrace les pas de Mansouka Koulibaly, un tirailleur sénégalais, enrôlé dans les troupes coloniales françaises durant la dernière phase de conquête des royaumes sénégalais au tournant du 19e siècle. Mansouka Koulibaly sera même déployé durant la “pacification” du Saloum, de la Casamance, du Dahomey et du royaume de Madagascar entre 1896 et 1899, sous le commandement de Galliéni, le second haut-commandant du Haut-Fleuve Sénégal-Niger (1886-1888).
L’histoire de Mansouka Koulibaly est fascinante à plusieurs égards. Elle se découvre à travers la recherche de Marie Rodet, qui se base sur les archives de ses déploiements militaires et via ses querelles avec un chef de canton du Kaarta, Gossi Koulibaly, pour lesquelles l’administration coloniale diligentera une enquête.
Mansouka Koulibaly, est capturé à 12 ans lors de la prise de Guémoukoura, place-forte des Massassi par les troupes d’Ahmad al-Madani Tall (1836-1897) en 1872. Séparé de sa mère et de ses frères et soeurs, il est probablement acheminé du Kaarta au Fuuta-Tooro avant d’être vendu comme esclave à l’escale de Dagana (à 870 kms de Guémoukoura), et de se retrouver à Saint-Louis du Sénégal. C’est 12 ans plus tard, qu’il s’engage au régiment des tirailleurs en 1884, alors que la phase de pacification finale s’annonçait. est particulièrement intéressante d’un point de vue sociologique et historique, sur les dynamiques et mutations alors en cours dans la région. L’histoire de Mansouka ne s’arrête pas là: affecté à Kaédi en 1898, il séjourne à Nioro, sa terre natale en 1898 durant un congé de convalescence où ses querelles avec le chef de canton massassi sur des biens et sur le statut de sa famille laissent des traces de son existence dans les archives coloniales et maliennes.
Dans son dossier militaire au moment de son premier recrutement il est indiqué qu’il est domicilié à Saint Louis. Le lieu de naissance indiqué sur plusieurs documents du même dossier militaire, dont son livret matricule, est Dagana, mais sur d’autres documents, Nioro, Soudan ou encore Kaarta sont mentionnés comme lieu de naissance. Lors des recrutements militaires, les officiers en charge ne se souciaient que peu de l’exactitude de l’état civil des engagés, ce qui explique souvent les changements d’état civil et plus tard certaines incohérences dans les dossiers de carrière. On peut supposer ici que Mansouka ait donné comme lieu de naissance, le lieu d’où il venait, en l’occurence Dagana, où même que quelqu’un d’autre qui connaissait moins ses origines ait donné ces informations à l’autorité militaire, le recrutant.
Mansouka, victime de traite interne: trajectoire potentielle suite à la prise de Guémoukoura
Ce billet se base sur le chapitre de Marie Rodet “Le sous-lieutenant Mansouka (c.1860-1920): un parcours d’esclave affranchi entre rébellion et allégeance au temps de la conquête coloniale française en Afrique” qui figure dans Résistances et mémoires des esclavages: espaces arabo-musulmans et transltlantiques, ouvrage édité par Olivier Leservoisier et Salah Trabelsi (Karthala: 2014). Pour Marie Rodet, les lettres de Mansouka Coulibaly et ses menaces envers Gossi Coulibaly, chef des Massassi de Farabougou, ” semble montrer les prémices des remises en cause plus massives d’après-guerre”. À l’heure où cette région du Mali est en prises avec un vaste mouvement anti-esclavagiste, et où Farabougou, la ville de Gossi, est sous le blocus de groupes armés, il est particulièrement intéressant de revoir l’histoire de Mansouka Coulibaly et de s’appesantir sur la portée de ses revendications.
Ci-dessus Marie Rodet:
J’ai pu retrouver ces documents dans le dossier 1 E 211 de la correspondance coloniale du cercle de Nioro car Gossi, suite à la
réception de ces lettres, alla se plaindre du sous-lieutenant Mansouka auprès du commandant de Nioro. S’en suit une série de correspondances qui nous permet de mieux comprendre la situation de Mansouka et de sa famille, de même que ses revendications. D’après l’enquête menée par l’administration du cercle de Nioro, la famille de Mansouka était « esclave de case » (wolosso en bamanakan) et appartenait à Moriba Couloubaly, Bambara massassi habitant Médina Coura12. Le dossier militaire de Mansouka que j’ai eu la chance de retrouver au Service historique de la Défense à Vincennes indique qu’il serait né vers 186013. L’enquête administrative révèle également que Mansouka aurait disparu pendant le siège de Guémoukoura (en 1872)14 par les troupes d’Ahmadou15, où il résidait avec sa famille16. Il ne serait revenu, dans le Kaarta, son pays d’origine, pour la première fois depuis sa disparition, qu’en juin 1898, pour un congés de convalescence suite à son affectation à Kaédi (Sénégal) en avril 1898 après son retour de Madagascar où il participa aux campagnes de 1897-1898.
Malheureusement, les sources ne nous permettent pas de comprendre les circonstances exactes qui ont amené Mansouka à s’engager chez les tirailleurs sénégalais. On peut cependant émettre quelques hypothèses: suite à l’attaque de Guémoukoura et la défaite des Bambaras massassis, Mansouka alors âgé d’une dizaine d’années fut sans doute pris en esclavage par les troupes d’Ahmadou et revendu au Sénégal à Dagana –Dagana était un lieu de transit important pour la traite interne en provenance du Haut-Sénégal et à destination de Saint-Louis et du Saloum (Moitt, 1989 : 33). Il est possible qu’il ait réussi quelques années plus tard à s’enfuir pour Saint Louis et à s’engager chez les tirailleurs vers 1884.
Comme le rappellent Hanson (1994 : 55) et Moitt (1989 : 41), les fuites d’esclave dans les régions proches de Saint-Louis et Dakar et sur le fleuve Sénégal augmentèrent particulièrement dans les années 188019. La migration des Haalpularen dans le Kaarta et vers Ségou dans la deuxième moitié du XIXème siècle initiée tout d’abord par El Hadj Omar puis réactivée par son fils Ahmadou à partir des années 1870 (mouvementégalement appelé « Fergo Nioro ») a pu encourager certains esclaves de
la vallée du fleuve Sénégal à s’échapper vers Saint-Louis plutôt que de suivre leurs maîtres dans le Jihad vers l’Est. Suite à son engagement en 1884 à Saint-Louis, Mansouka participe à la plupart des campagnes coloniales en Afrique.
D’après son livret militaire, il est au Soudan entre 1885 et 1889 où il participe sans doute aux campagnes de Gallieni (1886-1888)21. En 1889, Mansouka est en Côte d’Ivoire. En 1891-1892, il est de retour au Sénégal où il participe à la conquête de la Casamance (il est blessé à Nioro du Rip en 1891 toujours d’après son dossier militaire). En 1892-1893 il participe à la conquête du Dahomey. En 1894-1895, il est à nouveau au Sénégal avant de repartir pour Madagascar où il reste trois ans jusqu’en 1898.
Son dossier militaire indique qu’il rentre malade de Madagascar, son état de santé précipitant sans doute son rapatriement sur le Sénégal avec une réaffectation en avril 1898 à Kaédi. C’est suite à cette réaffectation qu’il prend un congé de convalescence dans le Kaarta où il reprend contact avec sa famille et tente de régler la libération de celle-ci en envoyant une lettre en juillet 1898 à l’administration de Nioro. Je n’ai malheureusement pas retrouvé l’original de cette lettre. Mais c’est probablement à cette demande que Mansouka fait allusion, dans sa lettre numérotée 1, lorsqu’il dit qu’il est libre et que sa famille n’a pas d’ordre à recevoir de Gossi. D’après le commandant de Nioro, dans le courrier que Mansouka lui a adressé, celui-ci déclare regrettable que la famille d’un officier indigène soit privée de liberté. Mansouka demandait dans cette lettre la libération de sa mère Fatimata Kanté et de ses six enfants, tous esclaves appartenant à Moriba Couloubaly, habitant de Médina Coura.
Sa mère alors qu’elle était chez Moriba Couloubaly aurait été prise par les troupes d’El Hadj Omar lors de la conquête haalpular du Kaarta massasi en 1854. Elle aurait par la suite réussi à rejoindre le frère de Mansouka à Guémoukoura. Elle fut cependant, après la prise de ce village par les troupes d’Ahmadou en 1872 (c’est également le moment
où Mansouka disparaît), ramenée chez son ancien maître bambara : Moriba Couloubaly [allié aux Oumariens].
On ne sait malheureusement pas dans quelles circonstances elle réussit à rejoindre Guémoukoura et comment elle fut ramenée par la suite chez son ancien maître. Mais comme beaucoup de captifs en période d’instabilité politique, on peut supposer qu’elle ait réussi à fuir et à rejoindre Guémoukoura après sa capture par les troupes d’El Hadj Omar qui pour beaucoup s’installèrent dans le Kaarta pour au moins trois décennies.
(….)
Promotion au grade de sous-lieutenant indigène du sergent Mansouka, du régiment des tirailleurs sénégalais. Mentionné dans le Journal officiel de la république française (28 juin 1894)
Voici les deux premières lettre rédigées en arabe, que Mansouka a envoyées à Gossi lui enjoignant de ne pas considérer ses parents comme ses dépendants et de cesser ses abus à leur égard. Ces lettres soulèvent plusieurs questions que les archives ne permettent pas d’élucider. Si Mansouka a pu savoir tous ces détails sur la situation de ses parents, c’est qu’il devait être en contact avec eux ou des personnes de la région, qui ont pu lui faire remonter ces informations. Ce qui est intéressant est qu’il s’appuie sur le discours émancipateur de l’administration coloniale pour dénoncer la condition de sa famille, maintenue telle quelle par un chef indigène, auxiliaire de l’administration coloniale dans le Kaarta. Et il est probable que Mansouka ait eu l’appui d’un lettré en arabe pour rédiger ces lettres adressées à Gossi.
Traduction. n°1
Lettre du Sous Lieutenant Indigène Mansouka à Gossi son père chef des Massassis salutations. C’est pour t’avertir. A mon voyage dans le Kaarta,tu as pris 2 vaches chez mes parents. Il faut les rendre. Je ne te dois rien.Le jour que tu recevras ma lettre tu les rendras ainsi que mon non-libre appelé Sara. Gossi, si tu ne cesses pas de faire du mal dans les villages, tu auras de mauvaises notes des français. Tu seras puni. Je te conseille de bien veiller. Il est inutile que tu te fasses tort à toi-même. Autrefois, mon père était ton non libre (sic), mais maintenant tu n’as aucun droit sur nous. Ce n’est pas ni tes ordres ni tes affaires qui nous feront quelque chose. Ma famille est libre, c’est Dieu qui me protège. Ce n’est pas la peine de donner des ordres à ma famille, pour qu’elle te serve. Tu as vendu des non libres, il faut casser le marché avant que je revienne en décembre. Je viendrai vers toi, j’avertirai le Gouverneur et le Commandant du Cercle du mal que tu fais. Je dirai tout le mal. Je ferai partir de chez toi mes parents et leurs parents. Nous formerons un village de notre coté. Tu seras obligé de t’adresser à eux comme un roi. Moi aussi je suis comme un roi. Voilà pourquoi je t’envoie ces mots. Tu as choisi 2 non libres comme chefs, avec lesquels tu t’entends pour prendre les bien des autres non libres. Voilà ma parole.
Signé Mansouka, sous-lieutenant
Traduction. N°2. Lettre de Mansouka Couloubaly à Gossi Couloubaly à Lambé.
Salut, je me porte très bien. Comment te portes-tu ? Le jour ou [sic] tu t’es installé à Lambé, tu as fait un palabre avec les non-libres, une 1e fois tu as demandé : voulez-vous toujours faire du mal ? Non, nous sommes bien répondirent les non-libres, eh bien, nous déménagerons à Lambé, sans qu’il faille employer la force. Les Massassis n’ont pas voulu déménager. Ensuite, moi Mansouka, Gossi tu es mon supérieur – mais tout ce que te disent les Massassis il faut l’accepter et avoir de la patience. En restant tranquilles, les Massassis accepteront facilement toutes tes paroles.Ensuite, moi Mansouka, je connais toutes ces affaires. Tout le mal que tuf eras j’en avertirai le Commandant de Nioro. Toute cette affaire je l’ai laissée au Commandant. Tous les gens qui sont avec Gossi obéissent parla force et non de bonne volonté. Je t’ordonne de rendre un cheval pris à Diali Mory, de Farabougou. Si tu le lui rends, moi Mansouka Couloubaly, je le saurai. Salut
Il est important de souligner que c’est suite à une plainte de Gossi auprès du commandant du cercle de Nioro du Sahel, le lieutenant Moreau, des lettres de Mansouka que celles-ci ont été conservées dans les archives. La captitivité de case a été tolérée aux débuts de la pacification militaire pour des raisons politiques, principalement par les officiers militaires dirigeant ces expéditions, les fameux “Soudanais”. La mise en place d’une administration civile au Soudan français en 1894 a été difficile; le gouverneur Albert Grodet s’opposant presque sur tout (et en particulier l’arrêt des caravanes de traite et la captivité de case), aux officiers militaires commandant les postes avancés et voyant d’un mauvais oeil l’irruption d’un civil sur le précarré militaire. C’est sous l’impulsion du gouverneur-général de l’Afrique Occidentale française, Ernest Roume, que tout quiproquo sur cette question est enlevé, via des instructions précises aux administrateurs coloniaux, 25 avril 1905.
Le commandant de Nioro refuse finalement de donner une suite favorable à la demande de Mansouka car il estime que cette demande doit être directement adressée au gouverneur de la colonie. De retour à son régiment, il semble que Mansouka ait adressé par l’intermédiaire du colonel commandant supérieur des troupes à Saint- Louis une nouvelle réclamation au gouverneur général pour obtenir, comme dans la lettre n°2 adressée à Gossi pendant l’hivernage 1898, que sa famille soit libérée. Suite aux demandes de Mansouka, l’administration entre en contact avec Moriba Coulibaly pour connaître les intentions de celui-ci face aux revendications de Mansouka. La seule proposition finalement avancée par l’administration à Mansouka fin 1898 est le rachat suivant le prix proposé par Moriba Couloubaly qui, en septembre 1898, demandait deux cent quinze pièces de Guinée.
Selon Marie Rodet, les archives coloniales ne permettent pas de déterminer si la proposition faite à Mansouka a été acceptée par celui-ci, mais tout semble montrer que non si on se refère à une lettre de Mansouka à Gossi Koulibaly, envoyée depuis Kaédi entre septembre 1898 et février 1899 :
Voilà pourquoi je t’envoie cette lettre ; c’est pour t’avertir que je t’ai envoyé 2 lettres sur lesquelles je te réclamais les biens que mon père t’avait laissés ; depuis ce temps, je n’ai pas reçu de réponse à ces lettres ; j’ignore si tu as accepté ou non. Tu rendras tout ce qui appartenait à mon père (vaches, captifs, captives). Tu rendras tout cela et tu me l’enverras.
Je t’écris cette lettre pour t’avertir que je n’ai pas abandonné cette affaire ; elle n’est pas tombée dans l’oubli. Je sais que tu refuseras, mais tu me rendras compte de ce qui m’appartient. Quand j’irai chez toi, je me rendrai compte, car je sais déjà maintenant, et je te donne l’ordre de me restituer tous mes biens. Tu paieras tout, ou bien j’irai moi-même, je ne veux pas de querelle entre nous, car cela ne marcherait pas ; il y aurait querelle, il faut l’éviter. Si je t’envoie un délégué, rends lui les captifs, les vaches, les moutons, même un chien s’il y en a.
Je te préviens encore. La femme de Deissa Nadiera n’est pas une captive ; il ne faut pas la comprendre dans cette catégorie, il en est de même des autres qui sont dans le même cas. Je te défens de le faire. Je te préviens que tous les autres n’ont d’autres obligations que de payer l’impôt, tu n’as aucun droit sur eux. Si ma famille a fait de la culture ou du commerce, ce qui lui appartient est à moi.
Tirailleurs soudanais à Kati (photo d’Edmond Fortier0
L’affirmation quant au droit de Mansouka sur les biens et les revenus de sa famille est très forte puisque si les esclaves étaient autorisés à acheter des biens, voire des esclaves (le père de Mansouka comme Mansouka lui-même d’après les diverses lettres qu’il a envoyées semblent détenir des esclaves), le maître héritait toujours des biens de ses esclaves à leur décès.
Suite à cette dernière lettre, on perd les traces de Mansouka dans les archives du Soudan français jusqu’en 1917.
Son livret militaire indique cependant qu’il demeura à la 6ème compagnie du 1er régiment de tirailleurs sénégalais à Kaédi jusqu’au deuxième semestre 1903, période à laquelle il aurait été enlevé de cette compagnie « du fait de ses pratiques religieuses » et réaffectée au 2ème régiment de tirailleurs sénégalais pour finalement être transféré à Koury en septembre 1903. À cette époque, Kaédi était dans une effervescence religieuse avec l’arrivée de s déportés omariens et la présence de Cheikh Sidi Mohamed al-Akhdar (m.1909), le cheikh tijani algérien qui avait été expulsé de Nioro en 1900, et qui était passé à Kaédi à plusieurs reprises entre 1900 et 1906 durant son exil à Dakar. Cheikh Sidi Mohamed el-Akhdar avait également pris sous son aile, le jeune Sidi Mohamed Hamahoullah (1880-1943), qui deviendra son successeur spirituel, et fondateur du mouvement hamalliste.
Marie Rodet,se basant sur les écrits des auteurs comme Paul Marty et Adama Gnokane souligne que le camp des tirailleurs où était basé Mansouka entre 1898 et 1903 était tout proche de la mosquée de Gattaga, dont l’imam de de l’époque Alfa Sokhna Assa Diagana était un disciple de Haj Mohamed ould Mokhtar, un marabout de Nioro du Sahel, qui fut le conseiller spirituel et exécuteur testamentaire du chef massassi Bodian Koulibaly (m.1899). Mansouka a pu connaitre les développements dans sa région d’origne via ces connexions et s’enquérir du sort de sa famille. Kaédi était également fortement surveillé par les autorités coloniales qui préparaient déjà à l’époque la pacification du “Trab-el-Bidan”. Il continuera ensuite sur Tombouctou à partir de 1905 où il restera en poste jusqu’à sa retraite en 1910.
Après cette date, on retrouve les traces de Mansouka lorque’il se présente comme volontaire au poste de Kayes à l’annonce de l’entrée de la France dans la “Grande Guerre” (1914-1918). Une autre trace est laissée dans les archives en 1917 via une lettre de son fils, également sous-lieutenant au régiment des tirailleurs, déployé à Douala au Cameroun, où il demande des nouvelles de son père Mansouka qui était devenu chef du village de Zougokora dans le cercle de Nioro.
Le dernier document d’archive qui évoque le tirailleur Mansouka est le résumé du jugement faisant mention de son décès le 20 août 1920 et surtout du réglement de sa succession dans lequel il est indiqué qu’il est décédé en laissant plusieurs terrains, animaux et objets divers. Il est également précisé que Mansouka avait deux frères qui auraient quitté le pays depuis plusieurs dizaines d’années (sans doute entre 1898 et 1910 puisque son dossier militaire mentionne son frère comme sa seule familledans le Kaarta jusqu’en 1901). Le jugement précise également que Mansouka au moment de son décès avaient quatre femmes et dix enfants. Ce règlement de succession et son statut de chef de villagesemblent clairement indiquer la réussite de Mansouka en termesd’accumulation et de notabilisation en l’espace d’une vingtaine d’année depuis ses premières lettres de menace à Gossi Coulibaly en 1898.
Source: “Le sous-lieutenant Mansouka (c.1860-1920): un parcours d’esclave affranchi entre rébellion et allégeance au temps de la conquête coloniale française en Afrique” qui figure dans Résistances et mémoires des esclavages: espaces arabo-musulmans et transltlantiques, ouvrage édité par Olivier Leservoisier et Salah Trabelsi (Karthala: 2014)
Si le Fouta-Toro a connu une révolution islamique en 1776 sous l’égide des clercs musulmans, le nouveau régime de l’Almaamiat sera vite confronté à la réalité de l’exercice du pouvoir, et s’appuiera sur les “princes sans instruction”, capitaines de guerre, administrateurs mais pas tout le temps clercs. Cette élite administrative est désignée par le terme de “jaggorde”, traduit soit en “grand électeur” ou “ministre-électeur”, par les auteurs francophones. L’origine des jaggorde est controversée, de même que leur nombre ou leurs attributs; s’ils étaient fermement sous la coupe du premier Almaami entre 1776 et 1806, ils vont s’émanciper de la tutelle des Almaameebe après ce règne, et gouverner le Fouta comme les “maires du palais” de la période mérovingienne de la France au début du Moyen-Âge.. Le terme “jaggorde” est à rapprocher de “jagge”, qui désigne selon le Pr. Oumar Kane, les “piliers d[u] régime politique” en référence aux courtiers ou hommes de main, des cercles du pouvoir.
La plupart des jaggorde étaient originaires du Fouta Central (Yirlaabe, Hebbiyaabe et Bosséa) mais leur pouvoir s’étendait à tout le territoire, ce qui va susciter des résistances à leur pouvoir, à plusieurs reprises. Il y’a également différentes versions sur leur nombre et il apparait que certaines familles qui exerçaient cet office l’aient perdu au cours du siècle de règne des Almaameebe. Une hypothèse émise par Robinson et d’autres chercheurs veut que les jaggorde aient été courtisés par l’Almaami Abdul Qadir Kane, entre la mort de Thierno Sileymane Baal en 1776 et la concession finale du pouvoir par les Denyankoobe en 1783, afin de renforcer le parti des clercs et d’assurer la pérennité du pouvoir ascendant. Dans leur majorité, les jaggorde viennent de familles exerçant déjà une autorité locale, avant la révolution maraboutique, et qui se sont ralliées au nouveau pouvoir après la défaite des Denyankoobe, trouvant un modus vivendi avec le nouveau régime. Pour le Yirlaabe, il est avéré que les deux familles de jaggorde qui sont issues de la province (les Ba de Mbolo Ali Sidi/Yirlaabe Jeeri, et les Anne de Pete/Yirlaabe Pete) exerçaient déjà le pouvoir avant la révolution, à laquelle elles n’ont pas participé activement, avant la défaite des Denyankoobe. Dans ce schéma transitoire, c’est le nouvel Almaami qui a assuré son emprise sur cette province en invitant ces deux centres de pouvoir à rallier le nouveau régime, et à être ses “piliers” dans cette région.
L’extrait ci-dessous provenant de la thèse de James P. Johnson (1974) sur le Fouta des Almaami, revient sur l’émergence de ce groupe et s’attarde sur les deux plus grand jaggorde du Fouta au cours des trentes premières années de l’Almaamyat: Ali Doundou Kane de Dabia et Ali Sidi Ba de Mbolo Ali Sidi.
Les principaux opposants de l’Almaami Abdoul Qadir qui, finalement, le démettront de ses fonctions sont le groupe d’acteurs politiques connus sous le titre de jaggorde. Ce titre a été traduit en français comme “grand électeurs” tant ils ont rendu impossibles aux successeurs du premier Almaami de gouverner de manière autonome comme lui. Peut-être plus que tout autre facteur, ils étaient responsables d’avoir changé le caractère du gouvernement du Fouta après 1806.
L’apparition d’un tel groupe de dirigeants soulève des questions sur leur identité, leurs origines, leur pouvoir, leurs buts et capacités. Les jaggorde avaient plusieurs fonctions: ils nommaient et déposaient des Almaameebe, leur servaient de conseillers et approuvaient ou désapprouvaient leurs politiques. C’est via eux que l’Almaami était informé de la situation dans le pays, et c’est aussi via eux que les ordres de l’Almaami étaient dispatchés aux provinces et mis en oeuvre par le peuple. Ils agissaient comme représentants de l’Almaami, comme intermédiaires entre lui et les fonctionnaires locaux des provinces et des villages. Ils commandaient des troupes qu’ils mettaient à la disposition de l’Almaami. Le corps des jaggorde comme collège électoral ou grand électeur s’est développé avec le temps. Les dirigeants les plus influents du Fouta-Tooro sous le règne d’Abdul Kader sont devenus ses conseillers en raison de leur pouvoir et ont imposé leur autorité au sein de l’État.
Talibé toucouleur de Ségou
Quand le règne d’Abdul Kader leur est devenu intolérable, ils l’ont déposé et l’ont remplacé par un autre homme, se constituant en corps électoral. Les récits concernant la période révolutionnaire n’expliquent pas l’origine des jaggorde de cette manière. Le point de vue exprimé ci-dessus est dérivé d’informations sur les jaggorde en tant qu’individus et en tant que groupe, et de la signification de leur titre. De nombreux jaggorde existaient à travers le Fuuta et les références faites à eux dans les entretiens, il devient évident que leur fonction principale n’était pas de choisir le dirigeant du pays mais de représenter les communautés du pays. Ils devaient donner des informations sur leurs régions et exprimer les points de vue du peuple à une autorité supérieure lors d’assemblées générales. Dans ces assemblées générales, ils rencontraient d’autres intermédiaires des communautés du pays. Le titre de jaggorgal (singulier de jaggorde) est lié au mot pular jagge, ce qui signifie un conseil ou un conseil, et indique essentiellement le caractère consultatif de la fonction du jaggorde. Les plus importants des jaggorde du Fouta devinrent les conseillers de l’almamy. Dans le prolongement de cette idée, un détail du passeport que l’almamy a donné au voyageur français Mollien en 1818. L’Almaami y inscrivit les noms des “ces excellents personnages qui forment son conseil” et qui se sont avérés être les noms des « grands électeurs » de l’époque. Il serait peut-être plus approprié de désigner les grands jaggorde comme les grands conseillers de l’Almaami plutôt que principalement comme électeurs. Les fonctionnaires de chaque localité choissaient leurs jaggorde parmi leurs chefs. Ceux-ci pouvaient être des jom (diom), ardo, kamalinku,eliman, ou tout autre titulaire de poste. Les plus puissants parmi les jaggorde qui avaient tous le droit de parler pour leurs communautés ou circonscriptions, ont émergé pour assumer un leadership et prendre des décisions affectant l’ensemble du pays. Seuls les « grands » jaggorde ou grands électeurs choisissaient ou renversaient l’Almaami. Seuls les grands jaggorde formaient le conseil de l’Almaami.
Parmi les jaggorde, il y avait des partis ou cliques; les “petits” jaggorde s’alignant derrière l’un des grands jaggorde qui avait des droits sur leur allégeance ou qui représentaient au mieux leurs intérêts. Chaque grand jaggorgal consultait ses partisans pour déterminer leurs opinions, et celui qui pourrait le plus facilement imposer sa volonté et leur volonté aux conseils nationaux seraient ceux qui ont la clientèle la mieux armée. L’un des problèmes majeurs dans la nomination des premiers jaggorde par Cerno Suleyman Baal (qui ont transmis leurs positions à leurs héritiers) est l’identité des hommes cités. Les informateurs ne sont pas d’accord sur le nombre exact d’électeurs et sur leur identité précise.
Il y a accord sur un noyau de cinq grandes familles dont les chefs formaient le groupe qui a choisi l’almamy. Oumar Ba affine la liste en nommant deux des hommes, Ali Doundou Kane du Bosséa et Ali Sidi Ba du Yirlaabe en tant qu’électeurs d’origine nommés par Suleyman Bal. Leur rivalité, dit Ba, a conduit à la nomination d’hommes supplémentaires pendant (et après?) le règne d’Abdul Kader, jusqu’à ce que le collège électoral atteigne le nombre de sept. Les cinq électeurs « principaux » étaient des notables des provinces du Bossea et Yirlabe. Ali Doundou un Kane de Dabia; Elimane Rindiao, un Athie de Rindiao; et Cerno Molle, un Ly de Thilogne, étaient du Bosséa. Ali Sidi, un Ba de Mbolo Ali Sidi; et Modi Mahante (ou son cousin Amar Bella) de la famille Hanne de Pete, étaient du Yirlaabe. Les informateurs disent que les premiers électeurs étaient des commandants militaires qui ont aidé Suleyman Bal dans la guerre sainte contre les Deniankobe et les Maures, et il les a choisis pour cette raison. C’était vrai pour Cerno Molle, et pourrait être vrai pour Ali Sidi, qui était alors l’un des leaders les plus forts parmi les Yirlabe. Eliman Rindiao aurait également pu participer à ces guerres, mais il est difficile de voir comment Suleyman Bal aurait nommé Ali Doundou ou Modi Mahante électeurs en raison de leur assistance.La désignation des électeurs par Suleyman Bal suppose qu’il connaissait et avait travaillé avec ces hommes. Cela ne semble pas le cas avec Ali Doundou ou Modi Mahante.
Ali Doundou s’est installé au Fuuta Central (Bosséa) à partir du sud, au moment où l’Almaami Abdoul Qadir a quitté Appé (sur la frontière entre le Fouta et le Boundou) pour Thilogne, dans le Bosséa. Ali Doundou a suivi le nouvel Almaami alors, semble-t-il, uniquement parce qu’Abdoul Qadir a menacé de représailles contre ceux parmi les Fuutankoobe qui vivaient toujours avec ses ennemis Deniankoobe. C’est seulement plus tard, après son établissement à Bossea et après un apprentissage politique sous un autre fonctionnaire plus âgé, qu’Ali Doundou a gagné en influence, au point de devenir le leader le plus important du Bosséa, et d’être en contact permanent avec l’Almaami. Il est impossible de dire si Modi Mahante ou son cousin Amar Bella avaient participé aux campagnes Ceerno Sileymaan Baal, mais au début ils n’ont montré aucune inclination à suivre l’Almaami Abdoul Qadir. C’est après son investiture que ce dernier, informé des compétences militaires de ces membres de la famille Hanne de Pété, a cherché à gagner leur soutien pour ses campagnes par des dons de terres. Dans aucun des cas n’est-il raisonnable de présumer que les hommes avaient été impliqués dans l’élection de l’Almaami Abdoul Qadir ou qu’ils on été nommé par Cerno Sileymane Baal. Si, en effet, Suleyman Bal a nommé un collège électoral pour fonctionner dans la théocratie, il doit avoir été composé d’un groupe plus petit ou un groupe d’hommes différent du “noyau des cinq”.
“Parmi les électeurs principaux nommés par Baal, il est raisonnable d’en exclure quatre : Cerno Molle, Eliman Rindiao, Ali Dundu et Modi Mahante, sur la base des informations données les concernant et les natures des nominations.
Ali Sidi est le seul parmi ceux qui correspondent à cette qualification.
Les “cinq grands électeurs” normalement cités figurent parmi ces hommes, avec quelques autres personnalités majeures, dont deux, Galo Lumbal et Yene Samba, sont parfois identifiés comme électeurs qui étaient sous la direction d’Ali Doundou, leur porte-parole. Si la composition du collège électoral en 1806 était quelque peu imprécis, les visiteurs du Fuuta en 1818 et 1843 ont affirmé qu’il était définitif et permanent. Mollien a rencontré l’Almaami [Mamadou Mahmoud Anne de Diandioli, r.1818-9] et certains membres de son conseil en 1818 et a donné leurs noms, et Raffenel, vingt-cinq ans plus tard, rapporta que le vote dans la théocratie était limité à plusieurs familles privilégiées, dont il a nommé les chefs. Une comparaison des listes montre que le conseil n’était pas si permanent comme l’ont affirmé les observateurs. Seuls trois des cinq hommes cités par Raffenel étaient des descendants de fonctionnaires nommés par Mollien, qui a donné un total de sept. Cette flexibilité démontrée de l’adhésion empêche d’accepter l’idée d’une nomination initiale d’un organisme dont les membres ont transmis le pouvoir automatiquement à leurs descendants, à l’exclusion des autres. Chaque période avait ses propres hommes de pouvoir, dont quelques-uns agissaient comme les électeurs pendant toute la durée de l’Almaamat, et dont certains sont apparus et réapparu à divers moments. On peut en conclure que la capacité d’agir comme électeur variait selon les grandes familles, leurs ortunes et avec les alliances entre familles d’électeurs [lamotoobe] et candidats à l’Almaamat [lawakoobe].
LA CARRIÈRE DU JAGGORGAL ALI DOUNDOU KANE (M. JANVIER 1819).
La famille de Dundu Segelle Njobbo, in D. Robinson (1975), Chiefs and Clerics. Abdul Bokar Kan and Futa Tooro. 1853-1891
Avant l’avènement des Almaameebe, Doundou Segelle [Diallo], le père d’Ali Doundou avait vécu dans le Hebbiyaabe-Rewo, au nord du fleuve Sénégal. C’était l’une des nombreuses familles qui avaient fui les pillages et les exactions des Maures durant le 18e siècle au Fouta Toro. Doundou Segelle s’est d’abord déplacé vers l’est jusqu’à Dabia-Nere dans le Bosséa occidental,, au nord du fleuve[Dabia se trouvait sur la rive droite du fleuve jusqu’en 1837, lorsqu’il fut détruit par les ennemis de la famille de Doundou Segelle. C’est alors que son petit-fils Bokar Ali Doundou s’installa sur la rive gauche, dans le site actuel]. Il a ensuite migré vers le sud vers Kanel dans le Damga sur la rive opposée. C’était à l’époque que le Satigi du Fouta avait déménagé sa capitale à Horkadieré (près de Kanel) dans l’est, loin du centre du pays. Transhumant dans le Damga, Doundou Segelle, qui faisait partie du clan Pullo des Jallube, gardait ses troupeaux sous la protection active du satigi, qui a ordonné au nouveau venu de s’installer là. Il est devenu propriétaire à la fois des terres walo et jeri dans la région.
À sa mort, il a laissé quatre fils: Ali, Mahmoudou, Gamou et Paté, qui est resté sur les terres de leur père jusqu’à l’avènement d’Abdoul Qadir. À ce stade, tous les fils de Doundou Segelle sauf Gamou ont quitté le Damga, rompant leurs liens avec les Denyankoobe pour suivre Abdoul Qadir dans le Bosséa. Ils se sont installés à Dabia-Nere où leur père avait vécu plus tôt. Dans cette région, l’Almaami avait nommé Elimane Hamady Bokary de Ndiafane-Salsalbe comme imam et percepteur de la dime islamique, l’assakal.
Ali Doundou est devenu son agent, l’accompagnant lors de ses visites à l’Almaami jusqu’à devenir un personnage influent et central dans la gouvernance de la province. La maison de Dundu Segelle n’était pas une famille de grands chefs aux propriétés foncières étendues ou distinguées dans la science islamique. Ils étaient des Fulbe, bergers qui sont devenus sédentarisés et entretenant toujours des liens avec les groupes transhumants et sédentaires. Avec Ali Doundou, cette maison est devenue l’une des grandes familles du pays, car il est devenu l’un des personnages les plus importants du Fouta. Vivant dans l’ouest du Bosséa, il était proche du centre du pouvoir dans le pays. Il s’est perfectionné en politique au niveau national en aidant Elimane Hamady. Mais sa position d’autorité dans le Bosséa s’est développé grâce à ses compétences militaires et ses alliances avec d’autres familles fortes de cette province.
Contrairement à la plupart des grands dirigeants du Fuuta, Ali Doundou ne tirait pas sa force de grandes propriétés foncières, mais plutôt par ses alliances avec un certain nombre de familles Fulbe du Bosséa occidental qui possédaient des terres considérables.
À travers eux, il avait le soutien d’un grand nombre de personnes détenant des richesses notables sous la forme de leurs troupeaux. Certains de ces chefs de famille étaient assez puissants pour être considérés comme des grands électeurs. Hamady Ilo et Yoro Samba, Kanhanbe de Dioguel;Dondi Samba Demba Nayel et Galo Lumbal, Bababe d’Asnde Balla; et Yene Samba Yene et Yero Samba, Bababe de Ndiakir, font partie de ces diverses sources citées [Ce que Johnson omet aussi est qu’Ali Doundou avait des liens avec Cheikh Alfa Amar Seydi Bousso Ba; qui lui-même choisit l’Almaami Abdoul Qadir comme chef pour le Fouta à la mort de Thierno Sileymaane Baal. En effet, Segelle Njobbo Kane, le grand-père d’Ali Doundou, était le demi-frère de Bousso Penda Ba, grand-père d’Alfa Amar].
Leur présence dans certaines listes électorales semble confondre plutôt que clarifier la question de savoir qui a effectivement choisi les Almameebe et leur a servi de conseillers. Le rôle d’Ali Dundu en tant que leader et le porte-parole du groupe des Fulbe jagorde peut expliquer pourquoi certaines listes les omettent. Ali Dundu a augmenté sa stature en tant que leader pendant le règne d’Abdul Kader. Par sa position de collecteur d’impôts pour Eliman Hamady, il avait accès à la fois à une part d’impôts et l’assistance des taxés. Il pourrait lever une arméede ses propres dépendants (famille élargie, esclaves, clients) et être à la tête de “l’armée de Bossea” en tant que chef des clans Fulbe et alliés.
Dans la célèbre campagne d’Almamy Abdul contre le Kajoor-Bawal à Bunguye en 1796, Ali Doundou a pris part en tant que commandant des forces Bosséabe. Dans sa province, il a profité de sa force et sa position sur une route commerciale partant du nord du fleuve pour arrêter toutes les caravanes qui passent dans les villages et les paiements exacts en marchandises de leur part.
La domination d’Ali Dundu dans le Bosséa occidental fut telle que lorsque Eliman Hamady, son premier patron, mourut, il lui succéda en influence et en responsabilités.
Il ne lui a pas succédé comme Elimane, c’est-à-dire comme ‘imam de la mosquée de Ndiafane, car Ali Dundu n’avait pas la formation islamique nécessaire et probablement pas non plus l’inclination pour poste. Un autre homme, Eliman Sawa Raki, a remplacé Elimane Hamady à la mosquée. Mais Ali Dundu a conservé l’influence que son patron avait gagné dans la politique du pays. Bien qu’Eliman Hamady ait survécu au mandat d’Abdul Kader, Ali Doundou n’a pas attendu la mort de l’Eliman pour prendre ses propres initiatives politiques. Le long mandat d’Almamy Abdul a donné à Ali Dundu amplement le temps de construire une base politique lui étant propre et il a utilisé cette influence même contre l’Almaami, comme quand il l’a forcé à démettre une personne nommée à Nere-Ba. Les habitants de Nere, avec Ali Doundou, avaient refusé d’accepter le nouvel Eliman, affirmant qu’il était le fils de la tante maternelle de l’almamy (peut-être une accusation de népotisme). Ils ont menacé de quitter l’Almaamat jusqu’à ce qu’Abdul Kader, s’inclinant devant la pression, le remplace par un autre. Sawa Raki, le successeur d’Elimane Hamady, même s’il aspirait à une influence politique s’est retrouvé sévèrement limité par d’autres dirigeants de Bossea. Il refusa d’aider le Bossea dans le complot qui devait mener à la destitutionn de l’Almaami Abdoul Qadir en 1806, et donc ces chefs, dont Ali Doundou était le plus influent, l’ont dépouillé de sa charge d’Elimane et de ses propriétés pour le confier en autre. À la fin du règne d’Abdul Kader, Ali Doundou était l’un des plus importants chefs du Fouta, et sa puissance allait s’accroitre dans les années à venir. Le témoignage de plusieurs sources reflète ce statut. Oumar Ba y fait allusion en déclarant qu’Ali Doundou Kane et Ali Sidi Ba étaient les électeurs originels, les principaux conseillers et faiseurs de roi. Cheikh Moussa Kamara fait un parallèle avec cette affirmation en disant qu’Ali Doundou, ayant travaillé avec l’Almaami, est devenu l’intermédiaire entre Abdoul Qadir et les habitants de du Bosséa et du Hirnaange Fuuta [Fouta oriental: Damga, Ngenaar]. Il prétend aussi qu’Ali Sidi a assumé un rôle analogue entre l’Almaami Abdoul et les provinces occidentales [Fuudnange Fuuta: Law, Toro et ce qui va devenir le Dimar]. Si les déclarations de Ba et de Kamara semblent simplifier à l’extrême les relations de pouvoir au sein du Fuuta du premier Almaami, ils se sont sans doute fondés sur la mémoire de la prédominance de ces hommes dans les affaires nationales.
Source: Thèse de James P. Johnson (1974). The Almamate of Futa-Toro. (traduite de l’anglais au français).
Cette chronique a été rédigée par Muhammad al-Saghir ibn Ibrahim de Dara-Labé, à l’occasion de la visite de Sidi Ahmad ibn Cheikh Muhammad al-Ghali à Ségou en 1868. Sidi Ahmad est le fils de Sidi Muhammad al-Ghali, un des lieutenants de Cheikh Ahmad al-Tijani, et khalife de ce dernier dans le Hejaz durant la première moitié du 19e siècle. Nous le connaissons comme celui qui a confirmé Cheikhou Oumar comme Moqaddem et Khalife de la Tijaniya pour le Soudan occidental [au sens originel de « Pays des Noirs »].
Muhammad al-Saghir ibn Ibrahim, l’auteur de la chronique, pourrait bien être le Mamadou Bobo Seydiyanké que le lieutenant Mage décrit comme l’un des plus proches conseillers d’Ahmadou Cheikhou. Mage le décrit comme « ami intime » ayant une grande influence sur Ahmadou Cheikhou, et aussi comme anti-français et suspicieux de leurs intentions. Mamadou Bobo est aussi le seul conseiller intime d’Ahmadou Cheikhou qui refusa de recevoir Mage chez lui durant ses 2 années de séjour à Ségou, malgré les demandes répétées et désespérées de ce dernier.
Muhammad al-Saghir/Mamadou Bobo était un petit peu plus âgé qu’Ahmadou Cheikhou [1836-1897]; dans un document de 1855, il se décrit comme âgé de 21 ans selon David Robinson. Il était par ailleurs proche de Muhammad al-Makki [v.1837-1864], le second fils de Cheikhou Oumar, mort avec lui dans les falaises de Déguembéré, et qui avait une réputation de mécène et de poète.
Il est aussi l’auteur du Tarikh al-Istikhlaf (« Chronique de la succession ») qui évoque les conditions dans lesquelles Ahmadou Cheikhou fut reconnu comme le successeur de son père au début de l’année 1861. Le document ci-dessous célèbre la venue de Sidi Ahmad; le moulage du nouveau sceau d’Ahmad al-Madani al-Kabir et sa proclamation comme Commandeur des Croyants [Laamido Julbe].
Ces documents font partie de la “bibliothèque omarienne” de Ségou, amenée en France par le colonel Archinard après la prise de la ville en 1891. Ils sont actuellement à la bibliothèque nationale de France.
« Au nom de Dieu. Loué Soit-Il. Bénédictions et paix sur la meilleure des créations divines et sur les membres du parti de Dieu.
Est venu visiter le victorieux calife de Abou Abbas mon seigneur, le Commandeur des Croyants Ahmad al-Kabir al-Madani al-Tijani (Puisse Dieu l’assister et le bénir ainsi que ceux qui lui sont chers dans les deux mondes, Amen), suite à sa bonne fortune et à celle du succès de son ancêtre [Cheikhou Oumar], la joie du peuple, et la prospérité des villes, notre cheikh et maître Sidi Abou Talib Ahmad ibn Muhammad, le fils de notre cheikh et maître, le saint, le gnostique Abou Talib Muhammad al-Ghali ibn Moulaye Muhammad al-Hasani al-Tijani (Que Dieu soit satisfait de lui et le rende satisfait, et veille sur lui), un vendredi alors qu’il restait deux nuits aux mois de Jumada I [correspond au 16 septembre 1868], en l’année du « guide commandé », qui est 1285 depuis l’hijra (sur celui qui a émigré, les meilleures bénédictions et la plus sereine paix).
Le khalife (Puisse Dieu l’assister et lui donner la victoire) vint le rencontrer. Il fut très heureux de le voir et s’occupa de lui de la manière la plus respectueuse. Les musulmans furent heureux de le voir, tous, nobles comme roturiers. À Dieu Très Grand, nos louanges et nos remerciements. Et ceci à cause de la félicité de l’ancêtre [Cheikhou Oumar] du calife victorieux Ahmad al-Kabir al-Madani al-Tijani (Puisse Dieu l’assister et le bénir ainsi que ceux qui lui sont chers dans les deux mondes, Amen).
Après que le khalife rencontra, salua et lui serra les mains, je fus le premier à lui serrer la main (à Dieu, nos remerciements, et Louanges au Seigneur des deux mondes). Je suis celui qui est honoré d’être son serviteur, le petit esclave de son Seigneur, celui qui a besoin de Lui, Muhammad al-Saghir ibn Ibrahim ibn Umar ibn Muhammad ibn Moussa ibn Muhammad al-Dari [de Dara Labé, Fouta-Djallon] al-Tijani (Que Dieu lui fasse grâce, lui pardonne et soit satisfait de lui, Amen).
Et le premier jour où le sceau fut mis sur les documents fut le vendredi, à six nuits de la fin du mois de Rabi II [14 août 1868] sur une lettre que le khalife envoya à son cheikh, fils de son cheikh, Sidi Abu Abbas Ahmad, fils de notre cheikh Muhammad al-Ghali (Que Dieu soit satisfait de lui et le rende satisfait, et veille sur lui). Ce fut le premier document sur lequel le sceau fut mis après qu’il fut cacheté et produit, et il le scella avec sa main bénie (Que Dieu lui accorde la force et l’assiste dans les deux mondes).
La communauté se mit d’accord et se joignit unanimement en prières et proclama le khalife, Commandeur des Croyants (Que Dieu lui donne la victoire). Ils l’appelèrent seulement par ce nom et refusèrent de l’appeler par un autre nom, sous les instructions du Wazir [Ahmad ibn Muhammad Ghali?] (Puisse Dieu lui accorder grâce dans les deux mondes). Cela eut lieu un mardi, à trois nuits de la fin du mois de Jumada I, 1285 ans [15 septembre 1868] après l’émigration du Prophète Muhammad (sur lui qui a émigré, les prières les plus excellentes et la paix la plus sereine).
La lamentation du défunt est un thème récurrent dans les mondes sahéliens. Mais elle revêt des atours différents selon les périodes, et selon le statut de celui/celle qui se lamente. Les sebbe du Fuuta-Tooro se targuent de mépriser la mort et dans leurs chants, prient souvent de recevoir la “bonne mort”, en se faisant manger par le fer (mourir à la guerre), plutôt que de mourir par la “petite mort” (sur leur lit ou de vieillesse). C’est un motif récurrent dans les airs de “gummbala” leur chant traditionnel, souvent scandé lors des veillées martiales avant le jour du combat, comme dans cet air ci-dessous par ailleurs très populaire.
Chant : Hoto Allah war am maaygel dow leeso ( (“Qu’Allah m’épargne de la petite mort/de mourir sur mon lit”)
Hoto Allah war am maaygel dow leeso Qu’Allah me préserve d’une mort sur un lit
Bojji sukaabbe e gowlaali nayebbe Une mort parmi les pleurs des gamins et les complaintes des vieillards
Hoto Allah war am maaygel dow leeso Qu’Allah me préserve de cette mort sans gloire ni honneur
Bojji sukaabbe e gowlaali nayeeϖe Une mort devant des gamins en larmes et des vieillards en peine
Yumma e innaango Allah Devant une mère, implorant la Clémence et le Soutien d’Allah
Baaba e jaaroore Devant un père, éploré, scandant les Louanges de l’Éternel
Yo Allah war am Qu’Allah m’ôte la vie
Nde di nguufaa di ngukkaa Parmi les balles sifflant de toutes les parts
Baawdi tangilaa Au milieu des lances meurtrières décochées de tous azimuts
Peteeli kooti e dawaadi Quand les doigts, dans la furie du combat, se crispent sur les détentes
Saanga nde keebde mbadtaa makatuume Quand les foies, mis à l’épreuve, se transforment en misérables sacoches
Tekteki mbadtaa garaaji hariire Et les intestins et les boyaux, fortement dilatés, devenus des filaments soyeux
Ñiiwa alaa gaynaako Éléphant que nul berger n’a mené, ne mène
Jaambaaro kadoowo jaambaarebbe tellaade Le brave qui interdit les braves de descendre de selle
Jaambaaro yeeso e caggal Le brave qui frappe par devant et fauche par derrière
Ñannde jaambaaro maayi, woondu welaa Le jour de ta mort, point de pleurs et de lamentations sur ta dépouille
Yaa yum-mam! Ya baaba-am! Ô mere! Ô père!
Wata Allah waram maaygel kersinii ngel. Que Dieu me préserve d’une petite et honteuse mort
Maaygel dow leeso. D’une mort sur le lit douillet
Bojji sukaabbe e uumaali nayebbe, Au milieu des pleurs de la jeunesse, des gémissements des vieux
Innaali Allah, yumma e baaba, Au milieu des prières de ma mère et de mes pères adressés à Dieu,
Ceerno rabbidinnde peteeli. Ce marabout croque-mort aux doigts courts et potelés
Bee kala, ko jawdi ndaari. Tous, en vérité, ne songent qu’aux biens matériels à se partager
Maayde jaambaaro… La mort du brave…
Nde conndi feccaa, kure nguufaa, Quand la poudre fut distribuée, les canons bourrés de balles
Wonkiiji kalfinaa Illalaahu, Les âmes confiées à Dieu
Ndeen woni maayde jaambaaro. Le brave a alors signé son arrêt de mort
Dutal mangal jippoo, wiya: baagiri-gom! L’énorme et répugnant vautour atterrit et, sautillant d’allégresse, dit :
Dum ko tullinannde ndimaangu, « Là, gît le cadavre gonflé d’un noble destrier
Dum ko lattinannde jaambaaro, Là-bas, est tombé, raide mort le brave guerrier
Tawa yummum jaambaaro tinaani. À l’insu de sa mère, le brave est mort. »
Le rapport est différent dans le califat de Sokoto, du moins dans les cercles d’élite, où l’emphase est mise sur les qualités islamiques du défunt, et sur la douleur de la personne déclamant la lamentation.
Asmau (1794-1864) b. Uthman dan Fodio (1754-1817) est connu pour son érudition, sa complicité intellectuelle avec son frère, le sultan de Sokoto Muhammad Bello (1781-1837) et pour ses efforts dans l’éducation des femmes de Sokoto durant sa vie. La mémoire de Nana Asmau reste vivante à Sokoto et au-delà grâce aux efforts de ses descendants comme le Waziri de Sokoto, Muhammad Junaidu (1902-1989) b. Muhammadu Buhari (1842-1910) qui ont préservé ses écrits dans leurs archives personnelles, mais aussi à la survivance du système de Yan’ Taru (« Celles qui se réunissent ensemble ») par lequel, l’enseignement islamique était prodigué aux femmes.
Nana Asmau comme elle est connue par la postérité a écrit plusieurs poèmes parmi lesquels des lamentations (« Sonnore ») inspirées de la culture pastorale pullo. Ces poèmes écrits étaient sans doute déclamés pour faire le deuil du mort et exhorter les vivants à s’inspirer de l’exemple du décédé. Contrairement aux sonnore qu’on peut trouver autre part dans le Sahel, les élégies de Nana Asmau célèbrent les vertus islamiques et les vertus morales de leurs sujets Parmi ses Sonnore les plus célèbres, figurent ceux déclamés suite à la mort de l’émir de Gwandu, Abdullahi dan Fodio (1766-1829;1804-1829), de Muhammad Bello (1781-1837), Sultan de Sokoto/Sarkin Musulmi (1810-1837/1817-1837), de Zahratu et Hauwa, deux membres de Yan Taru, qui ne sont connues que par ses poèmes , de son époux Uthman « Gidado » dan Laima, Waziri de Sokoto (1778-1848; 1817-1842) et d’un jeune (« Binngel ») qui était proche d’elle, et qui serait mort prématurément suite à un accident équestre.
L’élégie qui suit, a été déclamée suite à la mort de son frère Muhammad Buhari (v.1785-v.1839). Elle aurait été composée vers 1840, quelque temps après la mort du sujet de la lamentation. Muhammad Buhari était le demi-frère de Nana Asmau; il était le fils de la seconde épouse de Dan Fodio, Aisha b. Cheikh Saad, appelée aussi Iyya Garka, alors qu’Asmau était la fille de la première épouse de son père, Maymūna. Buhari fut durant sa vie le gouverneur du ribat de Tambuwal (Sarkin Tambuwal) dans le nord de l’émirat de Sokoto. Il était aussi le beau-père du fils de Nana Asmau, Ahmadu dan Gidado (1820-1852) qui avait marié sa fille, Aisha . Muhammad Buhari était très lié à son cousin l’émir de Gwandu, Muhammad Wani (v.1787-1833) dan Abdullahi dan Fodio et a fait avec lui des campagnes militaires dans le Kebbi, le Nupe, le Yawuri et dans le Kotonkoro, où ils remportèrent une grande victoire à Ibeto.
Nana Asmau composait ses Sonnore en fulfulde. Nous ne disposons pas de la version originale de ce sonnore, mais de la traduction anglaise faite par Beverly Mack et Jean Boyd dans leur ouvrage sur Nana Asmau. Le texte qui suit est une traduction faite par nous de l’anglais au français.
Sonnore Buhari
1. Je me soumets à la volonté de Dieu qui exerce un pouvoir sur les mortels. Je me repends auprès de Lui
2. J’ai perdu mon frère qui m’aimait vraiment et ne me voulait que du bien. Mon Dieu, j’accepte sa mort
3. Que m’est-il arrivé? Vous seul pouvez m’aider à me remettre.
4. Je me souviens de Buhari comme un vaillant défenseur de l’Islam. Ô mon Dieu, sur Toi je compte.
5. C’était un brave guerrier; un excellent savant, généreux et patient: il s’occupait de la famille, et était une lumière pour l’humanité.
6 Rien de préjudiciable n’a jamais été dit sur ce qu’il a fait ou dit.Il avait l’excellent caractère de Shehu [Uthman dan Fodio leur père]
7. (Texte obscur)
8. Il a été bénéfique à son peuple dans ses affaires religieuses et mondaines et toujours d’une manière appropriée.
9. Il a été malade pendant deux ans et sept mois: sa souffrance lui a valu une récompense céleste.
10. Il a été généreux envers ses parents des deux côtés de sa famille, maternelle et paternelle.
11. Il était très pieux et ne se lassait pas d’égrener son chapelet.
12. Ô Dieu! Pardonne et aie pitié de lui, Ta miséricorde est sans limite.
13. Que la lumière brille dans sa tombe et qu’il soit récompensé pour toutes ses bonnes œuvres.
14. Consolez-le au Jour de la Résurrection et que ses bonnes actions l’emportent sur ses mauvaises.
15. Puisse t-il bénéficier de l’intercession du Prophète qui a dépassé tous les mortels.Donnez-lui à boire l’eau pure de Kawthar
16. Et emmenez-le au Paradis pour vivre éternellement avec le Prophète.
17. Qu’il voie le Tout-Puissant. Ô Dieu, Acceptez ma prière pour l’amour du Prophète, car le Tout-Puissant est généreux.
18. Portez-le doucement pour être unifié avec tous les musulmans, pour le bien du Prophète.
19. Je suis prostré par le chagrin; la mort de Buhari m’a vaincu et ma douleur ne disparaîtra pas.
20 Sambo, Bello, Hassan, Habsatu, Fad’ima Mo’Inna’[1], tous étaient proches de notre cœur et ont disparu.
[1] Il s’agit ici des frères et sœurs de Nana Asmau qui sont décédés avant Muhammadu Buhari. Muhammad Sambo (v.1780-1826) est le 3e fils d’Uthman dan Fodio par Aisha (appelée aussi Iyya Garka), qui était aussi la mère de Muhammadu Buhari. Sambo fut un marabout toute sa vie et n’exerça pas de fonctions politiques. Muhammad Bello, le 4e fils de dan Fodio (par Hauwa/Inna Garka) fut le second sultan de Sokoto alors que Hassan (1794-1817) était le frère jumeau de Nana Asmau qui mourut 6 mois après le décès de son père, en novembre 1817. Habsatu/Hafsat avait la même mère que Nana Asmau (Maimuna) alors que Fatima Mo’Inna était leur demi-sœur, fille de Hauwa (Inna Garka).
21 Qu’est-ce qui peut apaiser le chagrin du cœur? Rien. Nous apprenons seulement de l’expérience.
22 Nous remercions Dieu pour ceux qui sont encore en vie et prions afin qu’ils vivent, car Dieu est généreux.
23 Que Dieu donne une longue vie à Atiku pour l’amour du Prophète.
24 Qu’il prépare tous les musulmans à la victoire de l’Islam sur la mécréance, et pour le triomphe de la Sunna
25. Qu’il s’empresse de détruire Maradi, Anka, Zamfara, Tsibiri et Zauma.
40. Ô mon Dieu. Je dirige ma prière vers toi.
26 Par la grâce du Prophète qui surpasse tous les mortels, le chef des saints de Dieu.
27 Et par la grâce de Badawi, Rufai et Dasuki. Et aussi de Shehu Degel [Uthman dan Fodio]. Que Dieu soit avec eux.
28. Bénédictions sur les parents, les compagnons et sur la communauté du Prophète, les partisans de la Sunna.
Les Sonnore de Nana Asmau sont différents des lamentations traditionnelles, comme le buruuje du Macina. En effet, alors que les Sonnore sont déclamés après la mort, alors que d’autres chants funèbres sont quant à eux, scandés lors des veillées martiales précédant les batailles. Ce buruuje du Macina, recueilli et transcrit par Gilbert Viellard, durant les années 1930, reflète beaucoup plus l’ethos ceddo/traditionnel que l’élégie de Nana Asmau qui célébre le savoir, la piété et la générosité. Il est le chant funèbre du mort ou de celui qui s’apprête à mourir au combat, et est en ce sens, similaire au “Hoto Allah maygel dow leeso” des sebbe du Fuuta Tooro, recueilli par Daha Chérif Bâ (2013).
Buruuje du Maasina
“Le jour où sonneront les trompettes de guerre,
le jour où l’on battra les grands tambours des chefs,
le jour où s’élèveront les lamentations des pleureuses,
où les brides se toucheront,
où les jeunes gens se ceindront,
où la main gauche tiendra les rênes
et la droite prendra les sabres ce jour-là ! (nyande nden).
Le palefrenier dînera d’une poignée
et les chevaux dîneront de leurs mors
le vaillant, d’une noix de cola,
et le poltron, de mauvaise pensée.
Par Dieu, si l’Incomparable (bajjel) est tué,
sa mère pleure, derrière la case,
son père pleure et caresse sa barbe,
l’adulte pleure et se bat la poitrine.
Et l’on voit les blessés traîner les morts.
Le cheval noir a la croupe trempée
de la sueur du jaloux en fureur,
il est trempé autant qu’un orateur.
Les lances frôlent les cheveux trop longs,
et si la balle reste dans la tête,
la morve se répand dans le cerveau.
Le vaillant ne craint pas la poudre, et ses brûlures,
le vaillant n’a pas peur de se rompre les os,
il ne redoute pas les balles et leurs blessures,
tandis que le poltron fuit, maudit sa maman,
et ne revient à lui qu’avec les talismans.
Mais voici qu’on abat ceux qui bouchent les brèches :
ce n’est plus le moment d’astiquer sa lance !
Notre main gauche est celle des largesses,
et notre droite est celle des paniers (de colas).
Si nos cuisses sont faites aux étrivières,
nos pieds sont façonnés aux étriers.
J’aimais les filles, les conciliabules,
le choc des bracelets et la honte nocturne.
Et je savais faire craquer mes doigts
et je savais me disputer les pagnes…
Humiliation ! C’est moi qui suis frappé ! (Aybo!)
Connaissez-vous rien de plus pitoyable
que la mort d’un garçon qui n’était pas malade,
que la mort d’un poulain qui n’est pas enrhumé ?
Les voilà enterrés au fond des fourmilières,
avec leurs pieds se bâtiront les termitières
et les os de leurs mains claqueront leurs bravos.
Voici venir, en sautillant, le vautour mâle,
suivi de sa femelle, sur le corps
de ce garçon qui n’élait pas malade.
« Même s’il a mal agi, c’est dommage »,
dit-elle, « lui a-t-on jeté un sort ?
Ou bien a-t-il raté son coup ? » Le mâle
lui répondit « préservez-nous du mal ! »
Il ajouta : « Ce n’est pas un parent,
c’est un jeunot, ce n’est pas ton jeune homme…
Arrache-lui le nez, le ventre, je le prends !
Tirons bien fort, que les entrailles sortent ! »
C’était un des galants favoris des villages,
un jeune homme accompli, avec de l’instruction,
qui hantait les ruelles aux rendez-vous volages,
à qui s’offraient les belles avec passion.
Et voilà tout ce que Wordu Gooro raconte,
tandis que le récit de Baamu ne vaut rien :
il ne sait pas lui-même ce qu’il dit : méfiance !
S’il immole à soit hôte, il est avare et dur.
Il n’éprouva jamais s’il était vulnérable.
Jamais on n’eut à le guérir d’un coup de lance,
à extraire des morceaux de chair de son corps.
En personne, pas même en lui, il n’a confiance.
Mais moi, je chante les louanges de mon Pullo,
et je teindrai en foncé les doigts de mon Pullo”
Samba Gelaajo Jeegi est l’un des Satigi les plus connus du Fuuta-Tooro, en dépit des sources parcellaires sur sa vie, et de la nature instable de son règne, et des divisions internes soldées par le sang auxquelles il a participé. Il est érigé au panthéon des Satigi au même titre que le fondateur de la dynastie dényanké Koli Tengella, alors que d’autres grands souverains tels que Saawa Laamu (r.1610-1640) sont beaucoup moins connus.
Cette célébrité vient en grande partie de la transfiguration du personnage historique en figure épique, qui ont fait de lui la figure représentative du héros peul, païen et honorable, qui répondait au triptyque de « hulataa, doggataa et ñamataa gacce » (Le héros qui n’a jamais peur, ne fuit jamais le combat, et ne tolère pas le déshonneur).
La popularité de Samba Gelaajo a été facilitée par la popularité du chant « Lagiya » qui célèbre sa vie et qui a été composé par son griot Séwi Malal Layaan. La légende raconte que le griot aurait composé “Lagiya” en se basant sur le chant d’un oiseau que Samba aurait beaucoup aimé, lorsqu’ils étaient tous seuls près du fleuve. Lagiya a été interprété par divers chanteurs, comme le griot de Linguère Samba Diabaré Samb (1924-2019) ou le chantre de la culture pulaar, Baaba Maal. Cet air et quelques uns de ses vers sont tellement populaires qu’ils apparaissent dans des chansons de mbalakh de Pape Diouf et de Sidy Diop (je pense au “Wuleee ña Ngay! Joom Fari Mbaraagu“). Si cet air est intimement et historiquement associé à Samba Gelaajo, il est aussi un référent à l’ethique ceddo des souverains du Fouta d’avant 1776, contribuant à faire de Samba Gelaajo, une figure épique dominant le personnage historique.
Laguiya par Baaba Maal qui intègre la voix de Samba Diabaré Samb (1924-2019)
Séwi Malal Layaan incarne la figure héroïque du griot, qui rappelle dans l’épopée, à Samba l’orphelin, ses droits au turban (lefol), la revanche contre ceux qui ont assassiné son père, le Saatigi Gelaajo Jeegi, qui lui reste fidèle jusqu’à sa mort, et qui célèbre et pérennise la réputation de son Pullo bien après sa disparition.
L’épopée de Samba Gelaajo Jeegi dans la littérature
L’épopée de Samba Gelaajo est recueillie très trop par les sources européennes et vulgarisé assez vite à un auditoire allochtone. L’explorateur Anne Raffenel en collecte une version au Fouta-Toro durant les années 1840. Une « Ballade de Samba Foul » est publiée par Bérenger-Féraud en 1885 dans ses Recueils de contes populaires de la Sénégambie, basée principalement sur le long récit collecté par Raffenel quarante ans plus tôt. Victor-Ecquilbecq recueille encore une version de l’épopée en 1913-14, transmise par un Boubacar Mahmadou, dans ses Contes indigènes de l’ouest africain français, qui ne seront publiés qu’en 1974. Une autre version recueillie a été transmise à Écquilbecq par le faama de Sansanding, Mademba Sy (1842-1918). L’ethnologue allemand Leo Frobenius publie une version de l’épopée dans son recueil sur les traditions ouest-africaines, Atlantis.
Avec le mouvement de la négritude, l’épopée de Samba Gelaajo Jeegi est davantage vulgarisée. Abdoulaye Sadji en publie des versions dans « Ce que dit la musique africaine » et « L’Éducation africaine » alors que Leopold Sedar Senghor lui-même se base sur la « Ballade de Samba Foul » de Bérenger-Féraud, publiée de manière anonyme dans une édition du magazine Présence Africaine (2e et 3e numéro) sous le titre de « Balade toucolore de Samba-Foul » (27-49). Cette « Balade toucolore » qui est basée sur celle de Bérenger-Féraud, apparaîtra dans la Section « Traductions » (230-244) des Poèmes (1964) de L.S.Senghor, et dans son Œuvre Poètique, publiée en 1991.
En 1970, Oumar Kane a publié à la fois une reconstitution de la légende par l’histoire (“Samba Gelaajo-Jeegi”) et un réexamen de la chronologie (“Essai”). Amadou Ly a publié une traduction française, basée sur une performance enregistrée de Pahel Mamadou Baila. Samba Ndaw Sar a publié un extrait d’une autre performance dans Demb ak Tey: Cahiers du mythe en 1984.Une autre version transcrite, collectée en Mauritanie d’Amadou Kamara par Issaga Correra, a été publiée en 1994 sous le titre Samba Guéladio. Épopée peule du Fuuta Tooro. Dans sa préface au livre d’Amadou Ly, Lilyan Kesteloot note qu’Abel Sy a également transcrit une version, disponible sous forme manuscrite dans la bibliothèque de l’IFAN (tout comme les textes en langue originale des versions Ly et Correra). Au-delà de ces ouvrages, sa figure apparait sous une dimension beaucoup plus historique, dans les Chroniques de Siré-Abbas Soh et de Cheikh Moussa Kamara.
Samba vit à une époque où les Dényankè sont en crise, après le mouvement de Sharr-Buuba (clercs musulmans) qui secoue les royaumes de la Sénégambie et qui s’achève par la défaite des clercs musulmans hostiles aux dynasties préexistantes et par l’ascendance des Beni Hassan, victorieux des berbères de Nasr-ed-Dine, et qui vont exercer une pression sur les royaumes de la vallée du fleuve Sénégal tout au long du 18e siècle jusqu’à la révolution tooroodo (1776). Une mission d’un prince denyanke Gakou Dewal Gaysiri Saawa Laamu, auprès du sultan marocain Moulay Ismail, sollicitant un appui dans les luttes de factions de l’époque, va favoriser la descente de mercenaires Salétins appelés Hormans (ou Hormaankoobe en pulaar) dans la vallée, et la déliquescence progressive du pouvoir central. À cela s’ajoute les pressions liées à la traite négrière qui favorisent les jeux de pouvoirs entre les dynastes.
Le Satigi de l’époque, Siré Tabakaali (r.1669-1702) (ou Siré Sawa Laamu) aurait perdu le trône durant son règne durant les années 1670-80 avec l’ascendance des clercs musulmans, qui auraient été soutenus par son neveu Sammba Boyyi. Après lui, le règne des Satigi devient beaucoup plus instable et plusieurs souverains souffrent de morts violentes durant les deux premières décennies du 20e siècle. Interférence des acteurs externes dans les querelles de succession entre les dynastes dényanké. Le Saatigi Samba Doonde (1707-1709) est assassiné par son cousin Buubakar Siré Tabakaali qui lui succède et qui règne de manière discontinue entre 1709 et sa mort en 1723.
Samba Gelaajo Jeegi est le fils du Satigi Gelaajo Jeegi et de Koumba Jorngal Niima Maali [ou Koumba Jorngal Ali Hammadi Bedinki], une femme cayboowo de Jowol. Les sources anglaises se référant à Ayoub Souleymane Diallo [Job ben Solomon; v.1700-1770] le présentent en autre comme un de ses condisciples.
Les Denyanké du 18e siècle. Sur cet arbre, on peut voir les relations entre les différents protagonistes de l’épopée de Samba Gelaajo Jeegi
Gelaajo Jeegi, le père de Samba [et frère des Satigi Samba Boyyi (1702-1707) et Samba Donde (1707-1709] aurait régné entre 1710 et 1718 mais fut assassiné par son prédécesseur, Buubakar Siré, qu’il avait renversé. Gelaajo Jeegi aurait subi l’opposition de ses neveux [fils de Samba Boyyi et en particulier Boubou Moussa] et s’était allié avec la Compagnie du Sénégal pour asseoir son trône et lutter contre les Hormans. C’est sans doute de cette opposition qu’est née la tradition selon laquelle il aurait été tué par son neveu Buubu Muusa, qui règne entre 1721 et 1730. Samba Gelaajo Jeegi est forcé à l’exil à la mort de son père alors que son cousin (ou son oncle dans la narration épique) accède au trône. Samba Gelaajo héritera de cette inimitié comme le rapporte ces vers collectés par Raffenel.
Il est parti, Samba, fils de Galadieghi. II est parti pour fuir son oncle Abou Moussa (Buubu Muusa) qui lui a pris les biens de son père! II est parti, le front baisse mais l’oeil en feu; le front baisse par la douleur, car il a quitté son pays, sa famille, ses troupeaux, ses captifs; l’œil en feu, car il emporte sa vengeance et Allah le gardera pour l’accomplir. (Raffenel 323 or Equilbecq, Légende 46).
Samba Gelaajo, le héros de l’épopée
Ainsi durant son exil, accompagné de son griot Sewi Malal Layaan qui lui prodigue des conseils de vie sans fin et de son fidèle serviteur Doungourou, Samba sollicite l’appui de divers chefs locaux comme le tunka de Gajaaga et Elel bil Jikri, assimilé à un chef des Hormans, Sidi Elel Bil Jikri. Le Samba de l’épopée est courageux mais sans pitié pour ses ennemis et impatient avec ses amis lorsqu’ils entravent ses désirs. Cela traduit bien la violence de l’époque durant laquelle le personnage historique a vécu et les difficultés politiques de son règne. Il accomplit beaucoup de faits héroïques comme lorsqu’il tue le « Guinaarou », un monstre vivant sur le fleuve Sénégal et obtient de lui un fusil magique.
« Ils ont marché quinze jours encore, en pleine brousse, et l’eau est venue à manquer.
– Samba, dit le griot, je ne peux plus avancer ; je vais mourir ! Samba a conduit Sêvi à l’ombre d’un arbre et lui a dit ainsi qu’à Doungourou, son captif :
– Attendez-moi ici. Il est parti sur Oumou Latôma, sa jument. Il a continué son chemin pendant deux heures et est enfin arrivé à une mare.
Là, il a aperçu un guinnârou de très haute taille en train de se baigner.
Le guinnârou se tourne vers lui et de toutes les parties de son corps jaillit du feu. Samba ne s’effraie pas, il le regarde bien en face.
Alors le guinnârou se fait grand jusqu’à toucher le ciel de sa tête.
– Que fais-tu là ? lui demande tranquillement Samba. Tu veux voir si j’aurais peur de toi ?
Le guinnârou devient plus petit :
– Jamais, dit-il, je n’ai vu d’homme si brave que toi. Eh bien ! je vais te donner quelque chose, et il lui tend un fusil :
-Samba, demande-t-il, sais-tu le nom de ce fusil-là.
– Non, répond Samba, je ne le connais pas.
– Son nom est Boussalarbi, reprend le guinnârou. Il te suffira de le sortir de son fourreau pour que ton adversaire tombe mort. Samba enlève sa peau de bouc de ses épaules. Il entre dans la mare pour puiser de l’eau et quand l’outre est remplie, il la place sur sa jument :
– Bon, se dit-il, je vais me rendre compte si ce que m’a dit le guinnârou est ou non la vérité.
Il sort le fusil du fourreau et le guinnârou tombe mort.
Ceci fait, Samba retourne à l’endroit où il a laissé ses gens, et trouve son père le griot qui chantait les louanges de Samba. Il lui fit boire de l’eau ainsi qu’à son captif. Le griot lui dit alors :
– Eh bien ! Samba, qu’est-ce que ce coup de fusil que j’ai entendu au loin ?
– C’est moi qui l’ai tiré, répondit Samba. Et il lui raconte l’aventure du guinnârou, et ce qu’il a fait de celui-ci :
– C’est mal, répond le griot, c’est très mal ce que tu as fait là ! Quelqu’un qui te fait un tel cadeau, tu vas le tuer. Tu as agi injustement.
– J’ai bien fait, répliqua Samba. Puisque je suis passé par ici, il pourrait en passer d’autres encore. Il n’y a pas que moi qui sois fils de roi, et le Fouta compte beaucoup de fils de rois, et il y en a beaucoup de braves dans le nombre. Tous sont aussi hardis que moi. Aujourd’hui, le guinnârou m’a donné ce fusil et demain il aurait fait un semblable présent à quelque autre. Il a fini de faire des cadeaux désormais. Personne ne possédera un fusil semblable au mien. Je suis le seul à en avoir un si merveilleux Après cela, ils se sont décidés à aller plus loin.
Pour Serigne Seye, l’acquisition de ces armes magiques par des êtres extraordinaires au héros, est similaire au “dons” que le génie Koumen/Caamaba offre aux bergers qui ont sa faveur. Ainsi il voit en le guinnârou, une hypostase de Caamaba; et en le génie de la mare (Mbolo Gawde) et l’esprit Kakoli (qui sont mentionnés dans la version d’Amadou Kamara recueillie par Issagha Correra), d’autres hypostases qui en donnant des talismans et armes (le fusil Boussalarbi/Boussé Larway et le couteau Jiliki Mbañ Mbañ) au guerrier, lui permettent d’accomplir sa glorieuse destinée.
L’autre fait intrépide de Samba noté dans l’épopée est la mise à mort du caïman Niabardi Dalla, qui empêchait les habitants d’une ville d’avoir de l’eau en tout temps.
« Au bout de quelques jours, ils arrivent à la capitale du pays d’Ellel Bildikry. C’est une ville plus vaste que Saint-Louis. Depuis près d’un an, on n’y avait pas bu d’eau fraîche. Un grand caïman se tenant dans le fleuve et empêchait les habitants d’y puiser de l’eau. Chaque année, on livrait une jeune fille bien vêtue, avec des bijoux d’or aux oreilles, des bracelets aux poignets et aux jambes, aussi parée en un mot qu’une fille de roi. Le caïman était très exigeant et s’il ne la trouvait pas assez bien vêtue, il refusait l’offrande et leur interdisait de renouveler leur provision d’eau annuelle.
Au moment de l’arrivée de Samba, on était au dernier jour de l’année et les habitants se disposaient à livrer le lendemain une jeune fille au caïman, Niabardi Dalla.
Samba s’arrête vers minuit devant une case de captifs qui se trouvait un peu à l’écart du village. Il appelle la captive qui était dans la case en lui disant :
– Donne-moi de l’eau, car j’ai soif. La captive rentre chez elle. Il y avait dans son canari de quoi remplir tout au plus un verre d’eau et cette eau était corrompue. Elle l’apporte néanmoins à Samba.
Celui-ci prend l’eau et la flaire et lui trouvant une mauvaise odeur, il frappe la femme qui tombe à terre quelques pas plus loin :
– Comment, s’écrie-t-il, je te demande de l’eau et c’est une telle saleté que tu m’apportes !
– Oh ! Mon ami, répond la femme, il n’y a plus d’eau dans le pays. Avant d’en avoir de nouvelle, il nous faut sacrifier une fille de roi.
– Eh bien, va, ordonne Samba. Montre-moi le chemin du fleuve
Je vais aller abreuver ma jument sur-le-champ !
La captive s’effraie :
– j’ai peur d’aller au fleuve, dit-elle. Demain, le roi verrait la trace de mes pas sur la route, et il me demanderait :
« Pourquoi y es-tu allée, puisque je l’ai défendu à tous ? ».
Samba se fâche :
– Si tu refuses de me conduire, menace-t-il, tu vas périr de ma main ! Prends le licol, Doungourou, et passe-le au cou d’Oumoullatôma.
– Et toi, femme, marche devant moi.
Le captif se met en marche, menant après lui la jument. La femme leur montre le chemin :
– Il mène tout droit au fleuve, dit-elle.
Samba, qui a pitié de sa frayeur, la remercie et la laisse s’en retourner.
Samba a marché jusqu’à ce qu’il arrive au fleuve. Il ordonne à son captif de se déshabiller et d’entrer dans le fleuve avec la jument pour la baigner. Le captif se dépouille de ses vêtements et entre dans l’eau. Et, aussitôt, du milieu du fleuve, Niabardi Dalla, le caïman, les interpelle :
– Qui va là ? Crie-t-il.
– C’est un nouvel arrivé, lui répond Samba.
– Eh bien, le nouvel arrivé, que viens-tu faire ici ?
– Je viens boire !
– Si tu viens pour boire, bois seul et ne fais pas boire ton cheval !
– Le nouvel arrivé va abreuver sa jument ! réplique Samba. Il va boire aussi et avec lui son captif. Rentre dans le fleuve, Doungourou.
Le captif obéit. La jument gratte l’eau avec son pied
– Eh bien ! le nouvel arrivé, tu m’agaces, sache-le !
Niabardi se dresse au milieu du fleuve et toute l’eau brille comme du feu.
– Si tu as peur de ce que tu vois, crie Samba à Doungourou, et que tu lâches ma jument, je te tue en même temps que le caïman ! Après ces paroles, le captif tient ferme la jument. Le caïman vient à lui, les mâchoires grandes ouvertes, l’une en bas, l’autre en haut et, de sa gueule, le feu sort en abondance. Quand il est tout près, Samba tire sur lui. Le caïman est mort et le fleuve tout entier devient couleur de sang.
– Où as- tu pu te procurer tant d’eau ? leur demande-t-elle. Et Samba :
– Tu as la langue trop longue. Puisqu’on te donne de l’eau, tu n’as qu’à boire, sans te préoccuper d’où elle vient.
Samba ne réclame pas immédiatement ce haut fait mais procède un peu comme Cendrillon, mais avec plus de libre arbitre. Il dépose ses chaussures et ses bracelets près du corps du monstre trucidé, afin de prouver sa valeur aux habitants de la ville et que tous la lui reconnaissent. Ainsi,
Après avoir tué le caïman Samba en avait découpé un lambeau et l’avait emporté avec lui. Il avait aussi laissé à l’endroit du combat ses bracelets et une de ses sandales, car il savait bien qu’il n’y aurait personne capable de chausser sa sandale ou de s’orner les chevilles et les poignets avec ses bracelets. Samba a les pieds très petits.
Le lendemain, le roi Ellel Bildikry a convoqué tous les griots pour sortir du village et emmener la jeune fille au caïman qui permettra aux habitants de s’approvisionner d’eau.
On est allé chercher la jeune vierge et on l’a placée sur un cheval. Tous les griots la suivent en chantant :
– Ah Jeune fille, disent-ils, tu es pleine de courage. Le caïman a mangé ta grande sœur. Il a mangé ton autre sœur aussi et tu n’as pas peur de lui. Nous allons avoir de l’eau.
– Les griots chantent ainsi. Ils disent les cent victimes que le caïman a dévorées. Les voici tout près du fleuve. Ils font descendre la jeune vierge. Les autres fois, la jeune fille s’avançait assez loin dans l’eau, puis le caïman venait la happer. Celle d’aujourd’hui entre dans le fleuve et va jusqu’à ce qu’elle ait de l’eau à la hauteur de la poitrine. Elle grimpe sur la tête du caïman et s’y tient debout.
– Le caïman est là, dit-elle, et je suis sur sa tête.
Et les gens ont dit :
– Le caïman est irrité. Tu as eu des relations avec un homme. Tu n’es plus vierge ! Oh quel malheur ! C’est un jour maudit pour nous que celui-ci. Tu es une fille indigne !
Et aussitôt, ils sont allés chercher une autre jeune fille. La première, cependant, se défend avec indignation :
– Vous mentez, dit-elle. Depuis que je suis née, aucun homme ne m’a touchée ! Jamais je n’ai partagé le lit d’un homme !
L’autre jeune fille a consenti à être sacrifiée au caïman :
– J ’y vais ! a-t-elle répondu !
Elle est venue. Elle aussi est montée à côté de l’autre. Toutes deux maintenant, elles se tiennent sur la tête du caïman. Et son père s’écrit :
– Le caïman est mort !
– Que tout le monde entre dans le fleuve ! Permet alors le roi. Nous allons voir si c’est vrai ou non. Tout le monde est entré et on s’est rendu compte qu’il était vraiment mort.
– Eh bien ! dit le roi, le premier qui dira qu’il a tué le caïman, s’il peut en donner la preuve, aura de moi tout ce qu’il demandera.
Ils sont là, un tas de menteurs, qui crient :
_ C’est moi qui l’ai tué !
– C’est moi qui suis venu hier soir ici !
– Le caïman voulait me manger, je l’ai tué !
Chacun raconte son histoire pour persuader le roi qu’il est le vainqueur du caïman et gagner une récompense.
Un captif qui se trouve là a ramassé les bracelets et la sandale :
– Voilà les bracelets du vainqueur, dit-il, et voilà sa sandale : c’est celui à qui tout cela appartient qui a tué le caïman.
– C’est bien, a décidé le roi, celui qui pourra mettre ces bracelets et chausser cette sandale, à qui ils ne seront ni trop grands, ni trop petits, c’est celui-là qui a tué le caïman. Ce sera lui qui recevra la récompense !
Chacun est venu, pour tenter l’épreuve. Mais personne ne peut réussir. La captive s’est alors avancée :
– Il y a un nouveau venu ici, dit-elle. Il est descendu dans ma case. A son arrivée, il m’a demandé de l’eau. Je lui ai donné de l’eau est corrompue, la seule que j’avais.
Quand je la lui ai donnée, il m’a frappée. Ensuite, il est parti et est resté dehors trois heures de temps.
et lorsqu’il est revenu, il m’a donné de la bonne eau. Il n’y a qu’à l’appeler pour voir. Pour moi, je suis sûre que c’est lui qui a tué le caïman.
Alors le roi a envoyé des hommes chercher le nouveau venu :
– Qu’on me fasse venir cet étranger, dit-il. Vous lui ferez savoir que c’est le roi qui le demande.
Les envoyés de l’almamy vont à la case. Ils ont trouvé Samba couché. Ils lui donnent une tape pour le réveiller. Samba, furieux d’être troublé dans son sommeil, leur allonge un coup de pied.
Alors, le roi envoie un autre homme pour tenter de le réveiller.
– Laisse-moi dormir, jusqu’à ce que j’aie fini, lui crie Samba. Si on m’envoie encore quelqu’un, je le tuerai !
L’envoyé revient. Il raconte la chose au roi.
– C’est bien ! Décide-t-il, je vais rester jusqu’à ce qu’il ait fini son sommeil.
Ils ont attendu deux heures de temps. Samba se réveille enfin. Il vient au fleuve.
Il salue le roi et le roi répond à son salut. Puis, il lui offre une place près de lui et l’invite à se reposer. Puis, prenant les bracelets et la sandale et les lui montrant :
– Est-ce à toi, tout cela ? Lui demande-t-il. Samba sort alors de sa poche l’autre sandale et se chausse les deux pieds. .. Eh bien ! dit le roi, tu vas venir loger chez moi. Et il lui donne une grande case, très haute, un vrai palais.
Le roi envoie des hommes chercher les bagages de Samba, amener ses captifs et sa jument. Tous sont installés dans le carré du roi. On tue des moutons en quantité, Samba reste deux mois près de lui et, tout ce temps-là, Samba avait sans cesse des jeunes filles chez lui. Au bout de ce temps, le roi a fait appeler son hôte :
– Dans quelle intention es-tu venu dans ce pays ? De quoi as-tu besoin ?
Et Samba a répondu :
– Je n’ai besoin que de guerriers !
Ellel Bildikry a mandé tous ses notables et leur a dit :
– Le vainqueur du caïman nous demande de lui donner des guerriers.
(« La Geste de Samba Guéladio Diégui”, Anthologie nègre de Blaise Cendrars).
Malgré ces hauts faits d’armes, Samba n’a pourtant pas les guerriers qu’il souhaite pour renverser Buubu Muusa. Elel Bil Jikri le fait attendre et lui demande d’autres faits de valeurs, comme la razzia des troupeaux d’un roi « Birama Ngouroori » [ou Birama Gouriki dans d’autres versions], défendus par 300 bergers. Le Samba de l’épopée est brave jusqu’à l’excès et se dandine au combat sur ses différents ndimaagu, les coursiers pur-sang.
Ainsi pour Farba Gawlo Sally Seck (1945-2013), dans une version recueillie par Abdoul Aziz Sow dans Poésie orale peule: Mauritanie-Sénégal) Samba Gelaajo Jeegi chevauche
La jument Oumou Latoma, à la bataille de Bilbassi,
Mbolou Labba Yero, le jour de la bataille de Débal Fera,
Bokel Afo Baraaji (« Le petit baobab, aîné des pur-sangs »), à la bataille de Badjal-Barkedji
Dolal Kowal, le jour de la bataille de Liberiya
Cewngu Helléré (« la panthère de Helléré »), le jour de la bataille de Niomré
Deysane Woudou Sakkéré, le jour de la bataille de Luggéré-Baylo
Koumba Mbakéri, à la bataille de Goudoulene,
Les griots ne manquent pas de figures de styles pour décrire ces chevaux dans leurs récits. Usant de kennings, ils les appellent par les noms de jabbooji gulli (creuseurs de sillons), gaawooji genaale (qui sément des cimetières), tammbiiɗe kiirimmeeje (qui supportent le monceau de terres sur les tombes), ngartira maayɓe (qui ramenent des cadavres) et appellent les cavaliers aynaabe dimaaji (bergers/dresseurs de pur-sang)
Samba Gelaajo, la figure historique
Il faut noter que dans l’épopée, les figures de Buubu Muusa et de son fils Konko Buubu Muusa sont amalgamées. Si certaines les font apparaitres sous les trous de « Buubu Muusa », « Konkobo » est aussi un nom utilisé pour représenter cette figure ahistorique de l’oncle usurpateur qui déposséde son neveu de l’héritage et le force à s’exiler, avant de revenir et de se rétablir dans ses droits. Dans la réalité, Buubu Muusa est le cousin germain de Samba Gelaajo Jeegi, car leurs deux pères respectifs, Samba Boyyi (r.1702-1707) et Gelaajo Jeegi (r.1710-1718) sont des demi-frères paternels, issus du Saatigi Buubakar Sawa Laamu/Buubakar Tabakaali (r.1640-1669).
Couverture de l’ouvrage d’Amadou Ly sur Samba Gelaajo Jeegi
Cette intégration en une figure dans l’épopée, de Buubu Muusa et de son fils, est sans doute due à l’inimitié qui existait entre eux et Samba Gelaajo. Buubu Muusa aurait tué son oncle Gelaajo Jeegi et forcé son cousin Samba Gelaajo Jeegi à l’exil en 1718. Des traditions recueillies par Cheikh Moussa Kamara (1864-1945) dans son Zuhur al-Basatin, imputent à Samba Gelaajo, la mort de son cousin et prédécesseur, Satigi Buubu Muusa. Selon cet auteur,
« les conflits n’avaient cessé d’engendrer la haine entre eux jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Konko [lui-même fils de Buubu Sammba]. On disait même que Sammba Gelaajo fut l’assassin de Buubu Muusa, soit par ruse, soit par un « travail » secret. On disait (aussi) que Sammba Gelaajo n’était pas présent lors de la mort de Buubu Muusa et qu’après la mort de ce dernier, ils utilisèrent les services d’un pêcheur originaire de Doondu [Ng 4], village situé à cette époque à Doondu Ύaaɓe, entre Doondu et Aali Wuuri [Ng 5]. Les Deeniyankooɓe habitaient peut-être à Doondu à cette époque, d’après ce que m’a rapporté Buubu Diiye qui est mort en juillet de cette année 1921. Ce pêcheur s’appelait Buubu Booy. Ils lui avaient ordonné (donc) de jeter (le corps de) Buubu Muusa dans le fleuve du Sénégal après l’avoir alourdi afin qu’il ne remonte pas à la surface et que leurs ennemis ne le voient pas. [En effet], ils prétendaient avoir un talisman (hijāb) qu’il suffisait d’écrire sur l’épaule d’un mort pour que son souvenir s’éteigne chez ses proches et que (ce mort) ne refasse jamais surface après ».
Le règne de Samba Gelaajo Jeegi ne fut pas de tout repos. Il aurait exercé le pouvoir entre 1724 et 1741, mais fut à plusieurs reprises forcé à l’exil par Buubu Muusa, et ses fils, en particulier Konko. Ce règne discontinu ne transparait pas dans l’épopée qui exprime l’idée du prince qui aurait été injustement chassé du trône avant d’être rétabli dans ses droits. Ce serait à Bilbassi que Samba aurait triomphé de tous ses ennemis, et aurait débuté un long règne avant de mourir au Boundou selon l’épopée. Pour Issagha Correra « en sortant vainqueur de cette ultime épreuve, Samba accomplit son destin car il élimine le satigui usurpateur et reprend sa place ». L’histoire montre cependant que si Samba a bien vaincu Konko Buubu Muusa à Bilbassi (en 1741?) et serait mort au Boundou des années plus tard, il n’a jamais eu le temps de « gouverner » au Fouta dû aux contestations. D’ailleurs l’épithète « Sambayel mo Laamotako », (le Petit Samba qui ne règne pas) que lui aurait accolé ses ennemis pour lui nier toute légitimité traduite bien cette réalité.
Selon Siré-Abbas Soh,
« Sammba Gelaajo fut le premier à combattre Konko avec des soldats (recrutés parmi) les Bayḍān et d’autres. (Konko et ses gens) habitaient à cette époque au Fori [Gorgol] et Siree Gata à Beylugge.
Sammba les attaqua avec l’armée de Hel Heyba, qui était commandée par [Heyba] lui-même, accompagné d’autres (guerriers) arabes du Sahara mauritanien. Ils s’affrontèrent à Jowol [Ng 3], après que Konko eut quitté le Fori pour se rapprocher du fleuve Sénégal et ce afin d’éloigner les femmes et les enfants du lieu de combat. Sammba les rejoignit à Jowol (après). On dit qu’ils habitaient, à cette époque, à Doondu [Ng 4]. Ils s’étaient affrontés près des sables de Bilbasi. Konko fut vaincu (et s’enfuit) et l’armée de Sammba le poursuivit jusqu’à Mboolo [Yi 13]. Sammba avait interdit à Heyba et aux autres Bayḍān de poursuivre les vaincus. Heyba refusa et continua jusqu’à Mboolo. Sammba disait à ce sujet : « ko Heyba koo dey wonaa ballal », c’est-à-dire : « ce qu’a fait Heyba n’est pas une aide ». (Cette phrase) devint un dicton jusqu’à maintenant. »
Dans cet extrait , Siré-Abbas dépeint un Samba Gelaajo beaucoup moins héroïque, mais dépendant de l’appui de ses alliés maures pour accéder au trône. Le « Heyba » dont l’intervention a désolé Samba Gelaajo est probablement Ahmed al-Hiba, émir du Brakna (1728-1762). Le Samba Gelaajo historique est plus associé à la Compagnie du Sénégal, allié de son père, et auprès de qui il aurait sollicité la construction d’un fort à Jowol afin d’asseoir sa domination sur ses rivaux et s’affranchir de la lourde alliance des Hormaankoobe/Brakna.
Ainsi, un traité entre Samba Gueladio et Claude de St Andon. Saint-Joseph (5 mars 1737) stipule que :
1°. Que moi Jean Claude de Saint-Andon promette, assure, et contracte aujourd’hui au nom de ladite Compagnie une alliance sincère, et durable, avec le puissant, et magnanime Roi Sambaguelaye.
2°. Que pour lui donner marques de la bienveillance de la compagnie qui est toujours attentive au bien de ses alliés je m’engage et promet, pour élever sur le trône le dit Roi Sambaguelaye, d’envoyer un messager au Chef des Ormans, pour l’attirer au fort, et dans le cas de son arrivée traiter avec le dix chef, des moyens les plus courts pour résoudre la mort de Siratique Conco, sur la promesse d’une certaine somme que je ferai avec les Ormans, et quand ils m’apporteront la tête de Conco au fort Saint joseph.
3°. Qu’après cette première expédition le susdit Sambaguelaye roi ayant besoin d’être Soutenu pour aller à force ouverte prendre possession de son royaume, je m’oblige de fournir des fusils, de la poudre, et des balles ; en si grande, et [illisible] quantité que je jugerai à propos. A condition qu’il sera fait un dépôt entre mes mains environs de la valeur des effets qui pourront sortir de ma puissance, et le dit dépôt sera remis à la rendue des fusils en bon état.
4°. Que pour mieux prouver au susdit roi Sambaguelaye le bien qui résultera de l’alliance que nous venons de contracter aujourd’hui, je promets d’engager la dite Compagnie, de faire bâtir un fort auprès de Guiol, armé des bastions, et des canons pour le mettre à couvert des insultes de ses concurrents, et de l’insatiable avidité des Ormans, ce qui lui assurera la paisible possession du pays de Foutte pour lui et ses enfants,
Bilbassi ou l’apogée du héros
Dans l’épopée, c’est au retour de ses faits héroïques que Samba Gelaajo accède au trône en défaisant Buu Muusa/Konkobo durant le combat de Bilbassi.
« A ce moment, son oncle était à Sâdel, près de Kayaêdi. Samba va le trouver et voit que Konkobo l’attend avec son armée. Dans ce temps là, avant la bataille, on faisait un grand tam-tam et le tama de guerre qui servait aux griots s’appelait Alamari et la danse qu’on dansait n’était permise qu’aux bons garçons qui n’ont pas peur. On appelait aussi la danse Alamari, et elle se dansait la lance au poing.
Le tambour dont je parle était couvert avec la peau d’une jeune fille. De la place où il était, Samba entend le tumulte du tam-tam :
– Eh bien, dit-il, je veux aller aussi là-bas ! Je veux danser Alamari !
Son griot, qui s’appelle Sêvi Mallalaya, lui demande :
– Es-tu fou ? Tu dois rester ici jusqu’à demain.
Et Samba lui répond :
– Dis ce que tu voudras, je m’en moque ! J’irai.
Samba traverse le fleuve. Il est ailé jusqu’au tam-tam et il est entré dans le cercle des assistants. Il se couvre la tête de son pagne, s’en voile la figure. Il vient danser, la lance au poing
Et chacun se dit :
– Mais c’est Samba Guélâdio Diêgui !
Lui ne souffle mot. Le voilà dans le tam-tam. Il appelle ses cousins, les fils de Konkobo Moussa et leur dit :
– Venez ! entrons dans la case de votre père. Nous allons causer ensemble.
Il y a là un captif du nom de Mahoudé Gâlé qui a mal à l’œil. Son fils lui demande :
– Mon papa, comment voulez-vous combattre demain dans cet état ?
– Apporte-moi un kilo de piment, répond le père. Il s’applique le piment sur l’œil malade et l’y maintient avec un bandeau. Puis il reste couché et quand il enlève le bandeau, son œil est rouge comme le feu, et il dit :
– Quand la colonne de Samba verra un homme avec un œil aussi rouge, elle prendra la fuite de terreur.
A six heures du matin, les colonnes de Samba et celles de Konkobo ont commencé la bataille. Samba était resté couché dans la case de Konkobo Moussa. Il avait passé la nuit à blaguer avec ses cousins jusqu’à ce que le soleil se lève. A ce moment, il leur dit :
– Apportez-moi de l’eau, que je me débarbouille.
Et cela, il le dit devant beaucoup de monde. Puis il prend sa lance et sort du village. Il traverse les colonnes de Konkobo Moussa. Et le voilà qui se dirige ; voilà qu’il les atteint.
Il trouve sa jument où il l’a laissée, attachée au piquet. Il ordonne de la seller et son captif la selle. Il l’enfourche et part au galop. Il pénètre dans les colonnes de Konkobo
Il sort son fusil Boussalarbi du fourreau et, de chaque coup, il tue au moins cinquante guerriers.
– Comment ! se disent les soldats de Konkobo, nous croyions que dès le début de la bataille les colonnes de Samba allaient prendre la fuite, et pas du tout, elles tiennent encore bon.
Alors découragés, ils abandonnent leur chef. Il faut voir comme ils décampent ! Mais Konkobo n’est pas de ceux qui fuient. Quand son cheval est tombé mort, il a pris de la terre et il en a rempli sa seroualla (pantalon). S’il voulait se sauver, il ne le pourrait pas, car la terre est trop lourde.
Samba tue tout ce qu’il trouve devant lui. Et le voici en face de Konkobo debout près de son cheval mort !
– Eh bien, mon papa, demande-t-il qu’est-ce qu’il ya ?
– Voilà, répond Konkobo, on m’a tué mon cheval !
Samba court après un cavalier de Konkobo. Il le tue et ramène le cheval.
– Mon papa, lui dit-il, monte sur ce cheval-là et continue à combattre !
Konkobo s’est remis en selle. Il se précipite sur les colonnes de Samba. Son deuxième cheval s’abat et tombe mort.
Samba est de nouveau venu à lui :
– Eh bien ! mon papa, demande-t-il, on l’a encore tué, ton cheval ? Il va tuer un autre cavalier de Konkobo.
– Mon papa, dit-il à son oncle, voilà une nouvelle monture.
Samba a ainsi remplacé au moins huit fois les chevaux tués sous son oncle. Il tue les garçons de Konkobo, il les massacre tous. Maintenant le voilà maître du Fouta.
Il a mené son oncle Konkobo à l’écart du village et lui a dit :
– Reste là désormais. Tu y demanderas la charité.
Bilbassi est décrit ainsi par Correra :
Samba tente de s’emparer du cheval, mais celui-là aussi tombe en même temps que son cavalier. / Il met le pied à l’étrier, il se hisse sur le dos du cheval,/ il libère le cheval/ pour entrer dans la maison alors ses chiens cassent leurs laisses,/ il pourchasse son père, / ils vont vers Djéri Lombiri ;/ dans la poursuite, il bute sur un melon/ qui vole, se scinde en deux, / retombe sur la tête de son père Konko comme un chapeau ! / Samba dit : au nom de dieu (sic), père Konko./ Il dit : oui./ Il dit : je jure que je t’ai fait porter un melon frais/ jusqu’au moment où il séchera, en ce lieu tu bâtiras une case (…) [23].
Et ainsi dans le récit recueilli par Amadou Ly
Le septième jour, la bataille prit fin./ Des fils de ceddo, beaucoup étaient morts,/ mais beaucoup n’avaient pas accepté le déshonneur ; et aucun n’avait fui…/ Le combat cessa./ il marcha alors contre son père/ Konko Boubou Moussa./ il le poursuivit jusque dans un champ de citrouilles,/ et tira dans une citrouille./ La citrouille sauta en l’air et retomba sur la tête du père./ Samba dit : « je ne te tuerai pas ; mais avec cette citrouille,/ je t’ai coiffé d’une citrouille verte »./ (…) Samba revint il était devenu roi
Dans l’épopée, la bataille sur la grève de Bilbasssi, près de Jowol, est le pinacle de la carrière de Samba Gelaajo Jeegi.
La bataille sur la grève de Bilbassi, près de Jowol, représente le haut fait de Samba dans l’épopée. Il triomphe de son rival Konko Buubu Muusa et défait ses principaux chefs de guerre comme Mawnde Galle Koumba Gagnîna, Bara Daworel Wôrbe, Niima, Biram Gal Ségara Ali Moussé, Ering Guidinka-Gadanka. Les wambaabe aiment à dire que Samba n’a fatigué ni les pleureuses, ni les laveurs de corps à Bilbassi, il humilie les autres en leur demandant dans une mare boueuse pour avoir la vie sauve. Tous les chefs de guerre plongent sauf Baydi Maham Daouda [appelé aussi Ali Maham Daouda Mbarya Sokoum], qui est trucidé par Samba, mais qui passe à la postérité sous l’épithète de Fuybootaako (“Celui qui n’a pas plongé”) face à son refus de l’humiliation.
Le Samba de Bilbassi est décrit comme un “lion milieu d’un troupeau de moutons, sans berger» et ses ennemis sont avisés que “l’éléphant n’a pas besoin de berger” (“Ñiiwa alaa gaynaako”)
Konko devenu aveugle après que son fusil trop chargé explose sur son visage alors qu’il vise son oncle (devenu son neveu dans l’épopée). Konko Boubou Moussa serait devenu muezzin après avoir abdiqué (les personnes souffrant de handicap n’étant pas supposées porter le turban; c’est ainsi que le Satigi Siré Tabakaali fut forcé d’abdiquer en 1702 selon Oumar Kane. Il était connu pour quêter auprès des fidèles, mais exigeait des aumônes dignes de son statut d’ancien Saatigi.
À l’opposé de ces traditions, Abel Sy souligne que Samba Gelaajo n’aurait jamais régné sur le Fuuta même si on lui concède une ultime victoire sur son ennemi de toujours : « Samba Guéladiégui n’a pas régné/ Il a ravagé le monde, mais il n’a pas régné » [25]. D’où encore l’épithète de “Sambayel mo Laamotaako” que lui ont collé ses rivaux et qui revient dans plusieurs chroniques. Ainsi pour Amadou Ly et Oumar Kane, c’est Konko Buubu Muusa qui aurait eu le dernier mot sur son oncle et rival, en triomphant avec l’appui des Grands du Fouta et des Tunka du Gajaaga (ses parents maternels) de Samba Gelaajo Jeegi et de ses alliés français et maures. Amadou Ly souligne que si Samba Gelaajo Jeegi a chassé du pouvoir Konko, celui-ci l’aurait reconquis vers 1743, poussant son rival Samba à s’exiler au Boundou, où il devait mourir. Selon Amadou Ly:
Samba n’a jamais pu réduire Konko ; malgré ses nombreuses alliances chez les Maures et l’appui de la puissante Compagnie, il a dû céder le trône, en dernière instance, à Konko qui avait su tenir tête à la puissante coalition dirigée par les Blancs œuvrant à sa perte
Pour Siré-Abbas Soh,
Lorsqu’ils se furent battus à Bilbassi pour la dernière fois, aucun d’eux n’avait vainqueur de l’autre ; Konko demeura au Fuuta avec son frère Sule Buubu Muusa, plus connu sous le nom de Sule Njaay, avec son frère Siré Buubu Muusa, plus connu sous le nom de Siré-Ndiaye, et avec son frère Bokar Buubu Muusa, ainsi qu’avec l’ensemble des ministres et généraux qui constituaient, autrefois comme plus récemment, la force du royaume. Lorsqu’ils se furent séparés en cet endroit, Samba Gelaajo Jeegi s’étant retiré à Dyam-Weli, dans la province du Boundou, le Fuuta-Tooro passa volontairement et en totalité sous l’autorité de Konko Buubu Muusaa, qui y exerça le pouvoir royal pendant trente ans »
Selon Cheikh Moussa Kamara, Konko se repentit à la fin de sa vie et abdiqua du trône. Il nomma son frère Sule-Njaay comme son successeur, s’adonna aux études islamiques et devint muezzin de mosquée et le resta jusqu’à sa mort.
« On disait que quand il avait besoin d’argent, il allait devant la porte d’un riche et lui demandait de lui donner l’aumône, qui ne devait pas être inférieure à un esclave (‘abd), une servante (ama) ou une vache qui vient de mettre bas (nafīsa). C’est pour cela qu’on disait de celui qui demande quelque chose de précis comme aumône : « Celui-là est comme l’aumône de Sallī Konko ».
Selon Oumar Kane, Konko Buubuu Muusa ne perd le trône qu’en 1746 lorsqu’il abdique en faveur de son frère Sule Njaay Muunu Gaaku (1746-1770?). Les chroniques historiques présentent Konko Buubu Muusa comme finissant sa vie en tant que muezzin, ce qui contredit l’idée répandue selon laquelle les Dényanke étaient des païens. Konko Buubu Muusa est le beau-père du Tafsir Ahmadou Hamat Couro Wane, qu’il a fait venir de Mboumba à Kanel, et doté de terres (pale et kolaade). Il est en outre l’arrière grand-père maternel du 9e Almaami Mamadou Maamudu Anne de Diandioli (Ngenaar) : 1817-Juillet 1818 [La mère de l’Almaami étant Kadiata, fille d’Aminata [épouse de l’alcaty de Mbolo-Birane Tafsir Sawa-Koudi], fille du Satigi Konko Buubu Muusa].
Samba passe ses dernières années au Boundou, où il meurt vers 1750. Le motif de la trahison par sa femme revient souvent dans les récifs portant sur cet épisode. Dans la version de Pahel Mamadou Baila recueillie par Amadou Ly, celle-ci s’appelle Diyé Konko, et serait la fille de l’ennemi irréductible de Samba Gelaajo Jeegi, Konko Buubu Muusa. Dans cette même version, Samba n’aurait pas seulement tué les chefs de guerre à Bilbassi et rendus aveugles Konko Buubu Muusa, mais aurait aussi tué les fils de ce dernier, tels que Hammadi Konko, Tengella Konko et Gelaajo Konko. Dans la majorité des récits, l’épouse aurait trahi le héros en empoisonnant son repas, mais celui-ci accepte la mort en ne reculant pas devant cette trahison manifeste.
Ainsi dans la version de Pahel Mamadou Baila/Amadou Ly :
A peine Séwi fut-il assis, Samba découvrit le mafé lâlo./ Aussitôt le fumet pénétra dans ses narines – balaw ! -/ Il fut alors comme pris de vertiges ; / la maladie le frappa. / Il resta couché à Oulé Bané pendant six mois. / Par la suite, on leur dit qu’il y avait des guérisseurs à Bohé Ballédji ;/ Ils allèrent et y restèrent un mois. / Ensuite, on leur dit qu’à Bokki Dawa Douna / vivaient des mâbo capables de le guérir. / Ils allèrent à Bokki Dawa Douna ; / ils ne réussirent pas ; sur le chemin de retour vers Oulé Bané, / entre Séwoudjé et Youppé, / ils parvinrent à Bohé Tati. / Samba expira /
Ce sont presque les mêmes circonstances qu’on retrouve dans le récit de Kamara/Correra :
Au retour de Woulou Dono Guéladio/ elle [Diyé Konko] dit : mon Samba./ Il dit : oui. / Elle dit : voilà ton repas. / Samba découvre le plat et y trouve du mafé./ Il dit : Diyé ma petite sœur/ Elle dit : oui/ Il dit : je ne mange pas de mafé/ et tu le sais bien. / Elle regarde Samba pendant un instant/ et dit : tu sais pour quelle raison j’ai préparé du mafé ; / pourquoi n’en manges- tu pas ? / Samba réplique : non, je n’en mange pas, je n’en veux pas. / Elle hurle et pleure / et dit : tu m’as ridiculisée aujourd’hui ! / Diyé pleure en hurlant et tente de partir, / Samba la retient, la regarde / et dit : Diyé ma petite sœur, / tout ce que la houe tire, / elle le rapporte aux pieds du cultivateur. / Je ne peux ni refuser ni consentir à manger, / si je consens à manger cela sera mauvais, / si je refuse de manger cela sera mauvais. / Alors je consens à le faire. / Il en prend trois bouchées. / Arrivé à Diéri Toumbéré, / il se couche à l’ombre du petit baobab, / le cheval à ses côtés. / Il ne s’est jamais relevé de cette couche. / Quand ils arrivent, / ils trouvent que le cheval / est penché sur lui / et trouvent qu’il commence à s’enfler, / il est mort. / Ils l’enterrent dans le petit Diéri Toumbéré.
Pour Oumar Kane, le motif de la trahison est réel mais les circonstances sont différentes.
Samba Gelaajo Jeegi termina sa vie abandonnée de tous, à la suite du meurtre du plus fidèle de ses compagnons, Gelaajo Kinjé, qu’il avait surpris avec sa femme. Il y eut alors beaucoup de défections dans son entourage. Beaucoup de ses hommes rejoignirent Sule Njaay [Satigi entre 1746 et 1770] qui profita de l’occasion pour l’attaquer. Il quitta le pays avec pour seul compagnon le griot de son père Sewi Mala Laya. Il se réfugia à Jamwelli pour y mourir d’une maladie de la poitrine.
La date de la mort de Samba Gelaajo est sujette à conjectures. Les traditions sont fameuses pour ne pas donner de dates précises malgré quelques indices conjoncturels. Ce qui est sûr est qu’il est décédé au Boundou où il était en exil, après avoir été renversé à nouveau par Konko Buubu Muusa. Le village de Diamweli [littéralement « la paix est douce »] est souvent cité comme son lieu d’exil.
Pour LY
Exilé au Boundou en 1751, Samba semble décidé à revenir faire valoir ses droits, ou en tout cas en faire courir le bruit. Il ne semble pas avoir réussi à rassembler les forces nécessaires à son projet et l’on peut croire avec la plupart des conteurs qu’il est mort au Boundou
Les relations entre le Boundou et le Fuuta-Tooro étaient troublées autour de 1750. Ainsi selon Rançon:
« De toutes les guerres que Maka-Guiba eut à soutenir, la plus sérieuse fut celle qu’il eut à faire au roi des Déniankés, Satigui [Souley-Ndiaye]. Les Dénianké sont des métis Peulhs et Toucouleurs qui habitent sur les bords du Sénégal, entre le Guoy et le Fouta.
Venus des environs de Bangassi dans le Fouladougou oriental, ils avaient d’abord émigré dans le Bondou et de là dans le Fouta-Sénégalais, Ce monarque orgueilleux, qui s’intitulait « roi du Fouta », jaloux des victoires des Sissibé et de leur prestige, résolut de leur imposer un tribut. Il écrivit alors à Maka-Djibaune lettre dont voici à peu près le sens, sinon le texte rigoureux :
« De la part du glorieux, du puissant et du redoutable Satigui, roi du Fouta entier, lui qui a été créé pour être heureux ici-bas et pour être destiné au séjour éternel dans l’autre monde; la preuve c’est qu’il boit à coupe pleine les douceurs de la vie; lui qui est si aimable et si charitable pour ses amis, aussi bien qu’il est terrible, redoutable et implacable pour ses ennemis, à son humble et fidèle serviteur Maka-Djiba, qui a la hardiesse de se dire almamy et qui signe comme tel, dont la famille est issue des Torodos, qui n’ont été créés que pour être toujours misérables et pour demander la charité aux autres.
Salut ! Makha-Djiba, j’ai besoin de faire faire par les forgerons des ornements en or pour mes femmes et mes enfants. Il me faut de l’or, et en bonne quantité même ; tu auras donc à m’en envoyer cinq mesures pleines dans le plus bref délai.
J’ai appris que tu as un cheval arabe tout blanc qui danse beaucoup ; tu auras à me l’envoyer par la même occasion pour un de mes hommes qui n’en a pas.
J’ai appris que, parmi tes femmes, tu en as une qui sait bien faire le couscous ; il faudra me l’envoyer aussi pour me faire la cuisine, et tout cela de suite, autrement tu me forcerais à venir dans le Boundou.
Je pense que tu voudras éviter mon arrivée, car si je vais dans le Boundou, ce ne sera que meurtres et ruines, et je jure de casser sur ta tête cette seule calebasse que tes parents t’ont laissée pour tout héritage, et dont tu le sers pour recevoir la charité des mains des autres, comme ils la recevaient eux-mêmes de leur vivant. Tu n’es que Torodo ; tu n’as été créé que pour la misère et la servitude.
Salut!
Satigi Sule Njaay »
Au reçu de cette lettre, Maka-Djiba convoqua ses notables, et après une longue délibération, il fut décidé qu’on donnerait satisfaction au roi du Fouta. Paté-Gaye [fils de Makha Djiba], absent au moment du palabre, revint à Dara, et en apprenant ce qui s’était passé, demanda la réunion immédiate des personnes qui avaient pris cette décision. Il se fit alors lire la lettre de Satligui, et après l’avoir fait copier, l’arracha vivement des mains du marabout, la déchira et en fit avaler les morceaux au courrier qui l’avait apportée ; après quoi, il le fit accompagner par deux cavaliers, pour l’empêcher de prendre aucun repos dans tout le Bondou.
C’était la guerre inévitable.
Le chef du Fouta, dès qu’il connut ces détails, devint furieux, et n’eut pas beaucoup de peine à décider ses guerriers à venger l’offense qui venait de lui être faite. Certain d’avoir facilement raison de ce petit royaume du Boundou, il se mit à la tête de ses troupes et, après avoir traversé la Falémé à Arondou, vint camper, devant Tafacirga, tandis qu’un autre, corps d’armée, commandé par son fils Gelaajo se dirigeait sur Féna, semant la ruine et le pillage sur son passage.
De son côté, Hammadi-Gaye, l’aîné des fils de Makha-Djiba, partit à la tête des guerriers du Boundou, de Dârâ à l’ouest de Gatiari, sur la rive droite de la Falémé, et se dirigea contre Satigui lui-même. Arrivé à la hauteur du gué de Naïé, il partagea ses guerriers en deux troupes et confia le commandement de la seconde à son frère Paté-Gaye, auquel il ordonna de franchir la Falémé et de marcher contre l’ennemi par la rive gauche pour lui donner une fausse alerte ; Mais lorsque Paté-Gaye arriva à Naïé et après avoir passé le gué, il rencontra entre le village et la rivière, le corps d’armée de Gelaajo. Celui-ci avait appris la marche d’Hammadi-Gaye contre son père, et il s’était porté en toute hâte sur le gué, afin de franchir la Falémé et aller barrer le passage au prince Sissibé. Mais il comptait sans la colonne de Paté-Gaye. L’action s’engagea aussitôt. Gelaajo, à un moment donné, se trouva à environ cinquante mètres de Paté-Gaye, qui le reconnut aussitôt, et qu’il reconnut également. Ils échangèrent à cette distance des coups de feu, mais sans se toucher ; Ils se ruèrent alors l’un sur l’autre dans un furieux corps-à-corps; La victoire demeurait indécise”, et tous les deux étaient blessés, lorsque Paté-Gaye, prenant son second pistolet, qu’il n’avait pas déchargé, le dirigea sur la poitrine de Gelaajo et l’abattit sur le coup. En voyant tomber leur chef, les Foutanké (hommes du Fouta) se débandèrent et s’enfuirent de tous côtés.
Hammadi-Gaye, de son côté, avait continué sa route par la rive droite de la Falémé, et était tombé sur la colonne de Satigui. Les Foutanké se défendirent vaillamment ; mais rien ne put arrêter l’élan des Boundounké (hommes du Bondou), enhardis par le succès obtenu par Paté-Gaye et par la mort de Gelaajo. Satigui, battu, s’enfuit et rentra dans le Fouta avec les débris de son armée, dont un grand nombre de guerriers étaient restés sur le champ de bataille. Il fit alors amende honorable et la paix fut signée.” (Source: A. Rançon. Histoire du Boundou. 1894)
L’attitude de Sule-Njaay pourrait être liée à la présence de Samba Gelaajo Jeegi au Boundou tout le long du règne de Makha Buubu Malick Sy/Makha Djiba [1728-1760]. Le Boundou fut la terre de refuge de Samba Gelaajo et sa base pour faire valoir ses droits. Mais il semble que le dernier exil fut sans retour pour lui.
Samba Gelaajo Jeegi disparait de la scène politique (ainsi que Konko Buubu Muusa par ailleurs) à partir de 1750 et il n’y a plus aucune mention de lui dans les archives de la Compagnie du Sénégal. Les troubles civils persistent cependant et les fils de Buubu Muusa sont aux prises avec un autre prétendant dényanké Diadié Houleye [écrit aussi Jaaye Hola]. Mais il est resté célèbre à jamais, et est l’un des rois les plus connus de la Sénégambie, sans pour autant être tout à fait connu. Il est devenu le héros typique de l’épopée fuutaanke, le caractère représentatif des sebbe Mbeñu Gaana, dont les chants et devises sont repris dans les éloges des figures historiques qui ont vécu bien après lui. À cet égard, si le Samba historique a été un dynaste tout le temps soucieux de prendre ou de conserver son trône, celui de l’épopée est “surhumain” car représentant à leur paroxysme le courage, l’audace et les vices du prince déshérité et forcé à l’exil, par l’oncle usurpateur. Il n’y a pas de monologue “To be or not to be” chez le Samba de l’épopée; la tempérance et la raison apparaissent sous les traits de Séwi Malal Layaan, tout comme l’impérieuse nécessité de recouvrer son héritage.
L’histoire est beaucoup plus complexe que l’épopée qui s’est basée sur une période interne troublée pour idéaliser un personnage historique, et en faire une figure folklorique importante en Afrique de l’Ouest.
Pour aller plus loin:
CORRERA, Issagha, Samba Guéladio, Épopée peule du Fuuta Tooro, Dakar, IFAN-CAD, 1992.
EQUILBECQ, François Victor, La Légende de Samba Guéladio Diégui, Prince du Fouta, Dakar-Abidjan, N.E.A., 1974.
KAMARA, Cheikh Moussa et SCHMITZ, Jean. Florilège au jardin de l’histoire des noirs: l’aristocratie peule et la révolution des clercs musulmans (tome 1, volume 1). (Paris: CNRS)
KANE, Oumar, Le Fuuta-Tooro : des satigi aux almaami (1512-1807), Tome II, Thèse d’État, Université de Dakar, 1987.
KESTELOOT, L., BARBEY, C. et NDONGO, S.M., Tyamaba, Mythe peul, Notes Africaines, Dakar, IFAN, 1985.
LY, Amadou, L’épopée de Samba Guéladiégui, Dakar-Paris, IFAN-UNESCO, 1991.
SOH, Siré Abass, Chroniques du Fouta-Toro, (Delafosse et Gaden, traducteurs).
SOW, Abdoul Aziz.. 2009. Poésie orale peule: Mauritanie-Sénégal. (Paris: L’Harmattan)
SY, Amadou Abel, La geste tieddo. Thèse de doctorat de 3e cycle, Université Ch. A. Diop de Dakar, Faculté des Lettres et Sciences humaines, 1980.
Cet article a été publié originellement le 11 septembre 2020
Et si on considérait les noms des villages, forêts et autres sites du Fuuta-Toro? Que nous disent-ils sur ce pays et ses habitants? On se rend compte assez vite que beaucoup de villages tirent leurs noms d’éléments et de caractéristiques naturelles (que ce soit des arbres ou des mares) mais également de personnalités plus ou moins illustres. En les traduisant en français, ôte-ton un peu de leur charme?
Voici une liste de traduits en français. Corrigez, complétez!
Boyinadji (Boyyinaaji) [Ngenaar] : [Village] Aux chacals
Luggere Cooli [Ngenaar] : Bas-fonds aux oiseaux
Wendu Noodi : Mare aux caimans
Wendu Mbabba: Le marigot de l’âne
Weendu Boosoyaabe [Booseya]: Le marigot des (gens) du Booseya
Ari Haara [Booseya]: Viens et sois rassasié
Rufi Aawdi [Booseya]: Semences sont versées
Poolel Jaawbe [Damga]: Petits oiseaux (Tourterelles) des Jaawbe [clan Peul qui habite la localité]
Madina Ndiathbe [Laaw] : Ville des Ndiathie [patronyme].
Daara Halaybe [Halaybe]: La Maison des Halaybe (clan peul)
Lewe dawaadi : Clairière aux chiens.
Ciloñ (Thilogne; Diminutif de Ciluki, au pluriel) [Booseya]: [Village] aux petits acacias (faux gommiers). Ciloñ est un village historique, capitale du Fouta pendant les 20 premières années de l’Almaamiat (1775-1796), avant que l’Almaami Abdoul Kader Kane (v.1721-1896; r.1775-1806) ne se réinstalle à Kobbillo.
Ngijiloñ (Nguidjilogne; diminutif de gijile au pluriel) [Ngenaar]: [Village aux arbustes hanza; nom scientifique, Boscia senegalensis). Ngijiloñ est avant tout un village de guerriers sous le drapeau de Koly Tengella (Sebbe Kolyaabe), dont le peuplement fut favorisé par l’Almaami Abdoul Kader dans le cadre de la lutte contre les Maures, pour surveiller le gué de Ganki [Juude Ganki]. Ces guerriers étaient commandés par Ciré Dara Dia, dont la défection en 1775, fut l’une des causes de la chute des Denyankoobe.
Selon une version locale, parmi les premiers habitants, figuraient le doyen des Kolyaabe, Hammadi Hassane Thiam, en plus de Ciré Dara Dia, Yero Kolcel Diop, Dioubayrou Sall et le Ceerno Tilléré Cissé Hanne. Hammad Hassane étant très vieux, les habitants lui aménageaient un espace près des arbustes hanza [gijile] alors qu’ils vaquaient à leurs occupations. À chaque fois que les riverains demandaient où il se trouvaient, les habitants répondaient qu’il était près des “Ngijiloñ”, nom qui sera donné à tout le village. Mais les habitants originels appelaient leur nouveau village “Ouro Koli” (le village de Koli) alors que l’almaami Abdoul Kader, préférait le nom de Dar-es-Salam (“La maison de la paix” en arabe).
Ainsi, les chanteurs de Leele disent :
Daara wuro Koli, wona Daara wiyete, ko Daaral Salam, wuro mawngo malaango, faganaango jam ngo annda joote, falo mali gaysiri mali, ganki e tillere, lojju e welingara jabbe cowe e jammi mbakal…
Nguidjilone dénommé village de Koly s’appelle plutôt grand village de la paix béni pour son abondance économique, ignorant la misère ; ceinturé par les champs mali et gaysiri mali en bordure du fleuve, étendu dans les quartiers de Ganki, Tillere, Lojju et Welingara, et par les tamariniers jumeaux jabbe cowe au Nord et le tamarinier de Mbakal au Sud ;
Le gjijle (arbuste hanza), à la base du nom du village de Nguidjilogne. Sans doute le site originel avait cette flore, d’où l’appellation du village.
Pendao [Dimat]: du nom Penda Hawwo (contracté avec le temps)
Cile Bubakar [Thillé-Boubacar] [Dimat]: Les acacias de Bubakar
Cile Oole : Les acacias jaunes.
Hayre Laaw (Aéré Lao) [Laaw] : Colline dans le Laaw (province).
Ouro Sogui [Ourossogui, Booseya] : Le village de Sogui, d’après le nom d’un berger [Sogui] qui occupait le site originel, avant de le quitter, ne voulant pas cohabiter avec des chasseurs.
Ouro Dieri [Dimat] : Le village sur les hautes-terres.
Ouro Madiou [Tooro] : Le village du Mahdi (Messie), a été fondé par le marabout tidiane Mamadou Hammé Ba [c.1790-1860] après l’échec de son mouvement révolutionnaire contre l’Almaami Youssouf Ciré Ly en 1810-1820 [Guerre de Numa, appelée encore « deuxième expédition du Gûnagol »]. Il faut noter que le mouvement du Mahdiyou allait au-delà du Fouta, ayant des attaches au Kajoor via le Seriñ Koki Njaga Isë Jeey Joob, et au Walo, avec le marabout Dillé Fatim Thiam Coumba Diomboss. Au Walo, Dillé fut vaincu par l’élite ceddo appuyée par Saint-Louis, forçant Njaga Isë, en difficultés avec le Damel Birima Fatma Cuub (1809-1832) à s’exiler au Fouta (où il devait mourir à Ndioum dans le Toro).
Le mouvement va renaitre cependant 30 ans plus tard via les fils du Mahdiyou, Ahmadou Cheikhou [ou Ahmadou Mahdiyou], Ibra Penda Bouya [sa mère Penda Bouya Diop, étant une fille de Seriñ Koki Njaga Isë] et Bara Mahdiyoou, qui vont affecter le Fouta, le Jolof, le Kajoor et le Walo, suite à l’épidémie de choléra (et l’épizootie sur le bétail) de 1869. Si les Mahdiyankoobe ont pu prendre les rênes du Jolof et faire peser leur influence sur le Fouta occidental [Dimar et Tooro] et sur le Kajoor oriental [Mbakol et Njambuur], le mouvement va s’effondrer suite à la bataille de Samba Sadio les opposant aux troupes françaises alliées à Lat-Dior en février 1875, même si des traces de son influence demeurent jusqu’à ce jour. Ainsi si vous suivez assidûment la lutte sénégalaise, vous aurez sans doute entendu Gouye-Gui, remercier ses marabouts de Thiénaba [Thiès] et de Ouro Mahdiyou [Podor].
Sincan Njaakiri: Neufville fondée par les Njaakirnaabe
Bokki Sabundu [Ngenaar]: Le baobab aux nids d’oiseau
Bokki Jawe [Bokidiawé, Ngenaar]]: Le baobab aux bracelets
Bokki Hamme Samba: Le baobab de Hamme Samba
Bokki Salsalbe [Boki Salslabé, Yirlaabé] : Le baobab des Sall
Bokki Jallube [Boki Dialloubé, Yirlaabé] : Le baobab des Jallube (Diallo).
Lexeiba/El Kseiba en Mauritanie, vue de Podor (Sénégal)Lexeiba/El Kseiba en Mauritanie, vue de Podor (Senegal).
Haawre [Damga]: Endroit où poussent en abondance les baobabs
Juude Jaabi [Dioudé Diabi, Laaw] : Le gué aux jujubiers Où est-ce Juude Jaabe : Le gué aux tubercules?
Juude Guriki [Dioudé Gouriki,Damga]: Le gué où se trouve l’arbre penché.
Diama Alwali [Tooro]: La communauté du wali (saint).
Tulde Galle [Tooro] : La maison sur la colline.
Tulde Bussobe [Laaw]: La colline des Boussobé (patronyme Bousso).
Gaol [Ngenaar]: Marigot reliant deux étangs ?
Pete [Yirlaabe]: [Village] Aux étangs temporaires (apparaissant après la pluie)
Oogo [Ngenaar] : Hauts-Fourneaux
Oolum Nere [Booseya]: Aux nérés jaunes (jaunissants?)
Jannjooli [Ngenaar]: Là où les chevaux dansent. Jannjooli étant un village dényanké où les Saatigi aimaient rassembler leurs guerriers avant les batailles.
Ganngel (diminutif de Ganki) : Aux petits micocouliers.
Tufnde Gande [Yirlaabe]: Berge aux micocouliers
Ganki Jeeri: Micocoulier sur les hautes terres
Hoore Fonde [Booseya] : À l’entrée des hautes terres [Bois]
Fonde As [Tooro]: Hautes terres du marabout de As
Fondé Elimane [Law] : Hautes terres de l’imam.
Maghama [Damga]: de l’arabe « Maqamat Ibrahim » (la station d’Ibrahim). Fondé par le marabout Ceerno Birahim Kane (1810-1869) autour de 1865, sur le site de Kumbaali. Ceerno Birahim Kane avait longtemps été établi au Saloum, où il a pu participer au début des révoltes maraboutiques contre les élites ceddo. À sa mort en 1869, le site fut abandonné avant d’être repeuplé sous l’égide d’un autre marabout non moins célèbre, Cheikh Muhammad Mahmoud Kane [1848-1891].
Dar el Barka [Dimat]: Maison de la bénédiction (arabe). Dar el Barka a été fondé par Elimane Abou [Buubakar Ibrahima Ngoné; 1859-1917] un chef du Diamt, sur la rive droite du fleuve en 1891, alors qu’il commandait le canton Seloobe
Bababé [Laaw] : (village) des Bah (clan peul)
Gourel Moussa : Petit village de Moussa
Gourel Baydi Ali: Petit village de Baydi Ali
Gourel Oumar Ly [Booseya]: Petit village de Oumar Ly
L’article ci-dessous présente l’histoire récente de la province du Toro, l’une des huit provinces du Fouta-Toro, durant la période 1760 à l’an 1890, aux débuts de l’administration coloniale au Fouta-Toro. Il se base essentiellement sur les deux sources mentionnées à la fin de ce poste, et montre de quelle manière la révolution toroodo et la politique du premier Almaami, a influé sur le peuplement et sur la gouvernance de la province.
La majorité de la population du Toro était Pullo qui, à l’exception de deux colonies, étaient des pasteurs menant leurs troupeaux des plaines inondables autour du fleuve à la brousse sèche au sud de la zone habitée. Les Tukulors vivaient comme pêcheurs et agriculteurs dans les villages fluviaux, et s’adonnaient à l’agriculture sur les champs nourris par la crue annuelle.Les Fulɓe étaient organisés sous leurs propres chefs connus sous le nom d’Arɗo ou Joom, qui étaient très autonomes.
Trois grandes autorités Fulɓe commandaient dans le Toro, avec d’autres chefs sous leur tambour. De l’ouest à l’est, il s’agissait de Jom Bawtoungoul, Arɗo Geɗe et Arɗo Edy.
Trois grandes autorités Fulɓe commandaient dans le Toro, avec d’autres chefs sous leur tambour. De l’ouest à l’est, il s’agissait de Jom Bawtoungoul, Ardo Guede et Ardo Edy.
À l’est d’eux, se trouvaient des Fulɓe connus sous le nom de Halayɓe [Kalaajo, sing.] qui avait traversé la rive sud de la région de Boghé; ils se sont déplacés entre les sites de Dara, NDormbos, Demette et Hayre [Aéré-Lao]. Ils nient que le Lam Toro ou tout autre chef avant la période coloniale. Les villages de Toro vivaient sous les leurs Laamɗo wuro [chef de village], généralement descendants des premiers occupants ou de conquérants plus tard, qui étaient responsables envers le Lam Toro ou à l’est, Farba Walalde. Le Toro a subi les mêmes pressions de la part des Maures qui avaient conduit les gens de la rive droite à la gauche en d’autres endroits. Les Brakna étaient en grande partie responsables de ce cas, bien que les Trarza aient probablement été impliqués dans la région aussi. Les populations toorankooɓe se sont déplacés vers les sud depuis plusieurs siècles; anciennement le Fouta s’étendait aussi loin au nord jusqu’à Aleg [Hayré-Mbar]. La période révolutionnaire semble avoir été un de mouvement spécial, cependant, forçant finalement les populations noires à se déplacer de la rive droite à la rive gauche dans des zones plus sûres mais moins fertiles. Les témoignages sont presque unanimes qu’un groupe de villages dans l’ouest de Toro, peuplé d’agriculteurs et de pêcheurs connu sous le nom de Seloobe, venait de la rive nord à l’époque de Suleyman Bal [v.1726-1776] et Abdul Kader [v.1721-1806]. C’étaient des musulmans, et un informateur affirme qu’Abdul Kader les a fait venir afin d’affaiblir les chefs « païens » [fulɓe] du Toro. C’est possible, mais il est tout aussi probable que les conditions de vie sur la rive droite étaient devenues intenables et cette consolidation de la population de la rive gauche prévoyait une sécurité contre le Brakna. Les Maures ont gardé le contrôle des champs de la rive droite jusqu’à la fin du XIXe siècle, preuve de leur force et de la peur qu’ils inspiraient chez les Foutankooɓe. Au sein du Toro, les Seloobe [sing. Celo’o; cf. le nom de famille Thiello] formaient un groupe spécial distinct des Fulɓe. Leurs villages bordant le sud du fleuve et le marigot de Doué- Diatar, Donaye, MBoyo, NDiawara, Diama al-Wali. D’autres villages avec les chefs ou quartiers musulmans s’étaient également associés à eux mais il n’est pas certain qu’ils appartenaient à la même population d’origine. C’étaient les villages de As, de Thiofi [Coofi], de Halwar, de NDioum, de Thielao [Celao] et de Dodel.
La migration des Seloobe et d’autres populations de la rive droite a fait avancer la cause de l’islam dans le Toro [au détriment des chefs historiques comme le Lam Toro, Arɗo Guédé/Mbantou et Farba Walaldé].
Il faut se rappeler que Toro n’était pas sans des familles cléricales renommées. C’est de cette province que vient Suleyman Baal et deux de ses proches [Hammad Lamine Baal, 1797 et Bokar Lamine Baal, 1807-8;1810] qui étaient parmi les premiers almameeɓe – et al-Hajj Umar [v.1797-1804], originaire de Halwaar [qui est quand même un village Seloobe; Il faut noter que Bodé, le village de Thierno Sileymane Baal se trouve à la frontière du Tooro et du Laaw et est généralement identifié comme étant un village du Laaw]. L’un des envoyés religieux d’Abdul Kader au Kajoor était un clerc de Mbantou [il s’agit de Tafsir Hammad Ifra Ba de Mbantou qui sera exécuté par le Damel Amari Ngoné Ndella Coumba, dans le cadre de sa lutte contre les marabouts du Njambuur], un village de Peuls sédentaires à l’ouest de la province du Toro. Malgré la présence de telles sommités religieuses, et la conversion rapportée du Lam Toro après son défaite par Suleyman Bal, le Lam Toro [Dethié Sall, beau-fils du dernier Saatigi Sule Buubu Gaysiri] a conservé la réputation, même chez Toorankooɓe, d’être plus irréligieux que musulman jusqu’à l’époque d’al-Hajj Umar Tall , et ses sujets ont partagé cette réputation en partie.
Collection de P.V.C. Huas
Liste des Lam-Tooro entre 1854 et 1891:
Le Lam-Toro est probablement l’un des plus anciens seigneurs féodaux du Fouta. De patronyme Sall, le Lam-Toro devait appartenir à une des deux branches « Déthié » ou « Hammadi Ngaye » de cette famille dont le fief était Guédé.
Début 1854 : Djiby Samba Sall (Déthié)• Début 1854-Juin 1855 : Hammadi Ali, fils de Ciré (Déthié). Juin 1855- Début 1856 : Interrègne.
Début 1856-Février 1859 : Hammadi Ali, à nouveau. Émigre à Nioro en 1859 à la suite de Cheikhou Oumar, pour la campagne de Ségou.
Avril 1859-Novembre 1860 : Hammadi Bokar (Hammadi Ngaye). Signe le traité de protectorat avec Faidherbe qui détache le Toro du Fouta.
Traité de paix entre la colonie du Sénégal et le chef du Toro (10 avril 1859). Ce traité ne fut pas reconnu par l’Almaami du Fouta, ni par le collège des électeurs, ni par les autres dynastes du Toro
Novembre 1860-Février 1863 : Ciré Guéladio (Déthié). Pro-français. Est fait prisonnier et exécuté dans le Laaw par Samba Oumou Hani, durant le « duppal Borom Ndar » (Ravages du gouverneur Jauréguiberry contre le Fouta en 1863
Mars –Aout 1863 : Samba Oumou Hani (Déthié), fils de Djiby Samba Sall. Ennemi des français, il est déposé et s’exile ensuite à Nioro, où il se distingue aux armes, en vainquant des troupes Awlad Mubarak qui menaçaient/assiégeaient la ville de Nioro.
Septembre 1863-Aout 1869 : Mouleye Paté (Hammadi Ngaye).
Aout 1869- Juillet 1878 : Samba Oumou Hani (Dethié), à nouveau. S’allie avec Saint-Louis face aux Mahdiyankoobé qui contrôlent une bonne partie du Toro, et sapent son autorité suite à son alliance avec les Français. Il meurt de mort naturelle en 1878.
Juillet-Octobre 1878 : Interrègne.
Octobre 1878-Mai 1881 : Mamadou Mbowba (v.1850-1888), fils d’Abdoul, fils de Lam-Toro Djiby Samba Sall. Sa mère est la formidable Mbowba Ndiack Moktar Bâ de Podor et il a eu pour beau-père son oncle Lam Toro Samba Oumou Haani mais aussi Ibra Almamy Mamadou Birane de Mboumba. Ancien élève de l’école des ôtages et lieutenant des spahis, il prend part à la campagne de Pons au Fouta, de 1881. En conflit avec les Halaybe mais aussi avec les chefs de village qui sont plus diligents envers le commandant de Podor qu’envers lui, il est déposé par Saint-Louis en 1881. Lam-Toro Mamadou Mbowba meurt à Toulon en 1888 alors qu’il suivait une formation militaire.
Juin-Novembre 1881 : Hamme Gaisiri (Déthié), fils d’Ali, fils de Samba. Neveu de Lam Toro Djiby Samba et cousin germain de Samba Oumou Hani, Hamme Gaisiri aurait été empoisonné. Le Lam-Toro Hamme Gaysiri avait suivi El Hadj Omar à Nioro pour les campagnes de Ségou et du Macina. Il fut proclamé Lam-Toro quelque temps après son retour mais ne régna pas longtemps.
Le Lam-Tooro Bokar Sidiki Sall et ses courtisans (1880s)
Janvier 1882- Décembre 1887 : Bokar Sidiki Sall (Déthié), fils de Mamadou, fils de Lam-Toro Diby Samba Sall. Régulièrement en conflit avec les commandants de Podor et les chefs de villages et de campement. L’administration coloniale n’avait pas clairement défini le rôle qu’elle voulait pour le Lam-Toro dont l’autorité était régulièrement minée par ses chefs de villages qui interagissaient directement avec le commandant du fort de Podor. Bokar Sidiki Sall fut accusé d’être derrière l’assassinat du commandant de Podor Abel Jeandet par Baidy Kaccé Pam [1866-1890]. Jeandet et Lam Toro Sidiki ne s’entendaient pas du tout et lorsque ce dernier, déposé en 1887, se porta candidat à nouveau en mars 1889, Jeandet qui faisait le décompte des votes des chefs de village nota dans une lettre que son ennemi Bokar Sidiki « amoul dara » [N’as pas eu de vote, en wolof]. Lam-Toro Bokar Sidiki Sall, de même que son cousin Mamadou Yero Sall et Baidy Kaccé Pam furent exécutés sans procès par le commandant Aubry-Lecomte. Suite à ces exécutions, la veuve du Lam Toro, Ndiereby Bâ, se rendit en cachette à Saint-Louis où elle avait décidé d’intenter un procès contre Aubry-Lecomte. Ce dernier fut exfiltré vers Bathurst [actuellement Banjul], capitale de la colonie britannique de la Gambie où la justice ne pouvait l’atteindre. Aubry-Lecomte retournera en grâce et deviendra directeur des Affaires indigènes de la colonie du Sénégal en 1901.
Décembre 1887-Mars 1889 : Hammadi Nataago (Hammadi Ngaye).
Mars 1889-Aout 1890 : Sidi Abdoul Djiby Samba Sall [ou Sidy Mbowba], frère de Mamadou Mbowba et demi-frère utérin de Elimane Abou Kane de Thioffi (1859-1917). Les français le percevaient comme étant trop sous la dépendance de sa mère Mbowba Ndiack et de son frère Elimane Abou et pour « libérer » le Lam-Toro assignèrent ceux-ci en résidence à Podor, suite à l’assassinat de Jeandet.
Après la déposition du Lam-Toro Sidi, les chefs du Tooro deviennent des chefs de canton, insérés dans l’administration coloniale embryonnaire.
Source:
James P. Johnson. ” The Almamate of Futa Toro, 1770-1836: A Political History”, The University of Wisconsin – Madison. ProQuest Dissertations Publishing, 1974.
David P. Robinson. 1975. Chiefs and clerics : Abdul Bokar Kan and Futa Toro, 1853-1891 (Oxford: Clarendon Press)