Lors de la campagne de Ségou/Nioro, le photographe Joannès Barbier (1854-1909), actif en Afrique de l’Ouest (1887-1907) accompagne les troupes coloniales à la prise de Nioro, qui a lieu le 1er janvier 1891. Via lui, nous disposons d’images figeant des scènes d’exécutions de soldats et aussi d’individus suspectés d’être proches de l’état omarien, qui ont eu lieu après les prises des villes. Deux de ces images seront publiées dans le journal L’Illustration (numéro 2511) du 11 avril 1891, via un article critique, intitulé ironiquement « L’oeuvre de la civilisation en Afrique ».
En voici un extrait offrant le contexte pour deux images violentes:
« Il n’est pas un de nos lecteurs qui ne soit au courant de la campagne poursuivie depuis trois ans bientôt au Soudan français. Très sommairement, nous allons faire la récapitulation des faits accomplis qui ont amené les scènes reproduites par nos gravures.
En 1889, M. le commandant Archinard, commandant supérieur du Haut-Fleuve et Soudan français, s’empare de Koundian, dernier tata toucouleur sur la route de nos postes de l’est et le rase.
En 1890, nos troupes marchent sur Segou-Sikoro, ancienne capitale d’Ahmadou, autrement dit du royaume de Segou, placé sous notre protectorat depuis 1887, s’en emparent et s’y établissent. De Segou-Sikoro, le commandant de la colonne française, devenu lieutenant-colonel Archinard, traverse le grand Bélédougou, pays des Bambaras, entre dans le Kaarta, donne l’assaut à Ouossébougou, forteresse toucouleure, la prend et redescend ensuite sur nos postes du haut Sénégal.
Cette année, la campagne se continue d’un côté par la marche de nos soldats sur Nioro, nouvelle capitale d’Ahmadou dans le Kaarta; et, de l’autre, par l’entrée du colonel Dodds dans le Fouta sénégalais.
Cette série de faits de guerre connus de nos lecteurs procède d’un plan d’ensemble dont l’objet est d’anéantir la puissance d’Ahmadou et de faire disparaître le foyer de fanatisme du Fouta, dont son chef, Abdoul Boubakar [Abdoul Bokar Kane, jaggorgal du Boosoya], était l’âme.
Notre première gravure représente une des exécutions qui ont suivi la prise de Nioro. Le poste de Bakel, sur la route stratégique de la capitale toucouleure, n’avait à ce moment pour effectif de garnison que 10 Européens et 50 auxiliaires. On appréhendait que les bandes d’Ahmadou, refoulées, dispersées, ne vinssent se rabattre sur Bakel pour tenter de s’en emparer. C’est alors qu’on prit le parti de faire un exemple, autant pour terroriser les fuyards d’Ahmadou que pour ôter aux gens des villages autour de Bakel toute envie de leur donner l’hospitalité.
Ces malheureux habitants des villages autour de Bakel qui, précédemment, avaient laissé passer sans essayer de les arrêter tous ceux qui se rendaient auprès d’Ahmadou, se virent donc, du jour au lendemain, dans la nécessité de se faire exécuteurs pour n’être pas exécutés. Une véritable chasse à l’homme s’organisa. Tout fuyard ennemi, peut-être ami de la veille, fut fait prisonnier et tué. Les femmes et les enfants furent retenus comme captifs. Une de nos gravures représente un de ces exécuteurs d’occasion apportant à Bakel cinq têtes de prisonniers capturés. Quant aux captifs, le désir d’en posséder est tel parmi les populations noires que, pour encourager la chasse à l’homme dont nous parlons, il avait été convenu qu’une part de prises reviendrait aux chasseurs. Le zèle de ceux-ci en fut stimulé à ce point que la fraude s’en mêla. Quelques traqueurs s’avisèrent d’emmener à leurs villages le dessus du panier, autrement dit ce qu’il y avait de meilleur et de plus solide parmi les prisonniers, et de n’envoyer dans nos postes que les rebuts, soit des vieillards et des infirmes. Au su de cette fraude, le commandant de Bakel menaça chaque village qui déroberait des captifs d’une amende d’un bœuf pour chaque prisonnier dissimulé.
Nous avons omis de dire que le poste de Bakel contenait lui-même à ce moment 600 prisonniers. Quand une corvée de 50 à 60 d’entre eux était envoyée au dehors pour un travail à exécuter, c’était sous la conduite d’auxiliaires indigènes à qui on laissait, d’ailleurs, entendre formellement qu’ils seraient tous fusillés le soir même si un seul prisonnier venait à s’échapper. «De cette façon, nous écrivent nos correspondants, ils se surveillaient les uns les autres et tout allait bien.»
Pourtant, ces exécutions n’étaient pas sans causer quelque inquiétude au point de vue sanitaire. On jugea prudent de ne point faire d’inhumations sur place, et les cadavres furent amarrés à des chaloupes qui les descendirent sur le fleuve, à quelques kilomètres plus bas que Bakel. C’est cette opération que représente notre double page.
Malgré nous, la pensée nous hante, au spectacle et au récit de ces horreurs, que le moment est bien mal venu pour avoir à les signaler.
Hier, on s’exclamait contre Stanley et ses lieutenants dont la désinvolture à faire bon marché des noirs excitait légitimement l’indignation. L’éloquent appel de Mgr Lavigerie n’avait pas assez de commentateurs élogieux dans les sphères officielles. La conférence anti-esclavagiste de Bruxelles avait lieu comme une première formule de régénération éloquente et magnifique. Des comités se constituaient, alliés implicites de ces tentatives d’affranchissement, et il était bien entendu que la France, initiatrice toujours incontestable et souvent incontestée de cette grande idée du relèvement des races, payait d’exemple au milieu des populations noires qui sont devenues les siennes et qu’une longue expérience lui a appris à considérer comme des enfants peu redoutables et toujours prêts à céder devant le prestige de la douceur et de la force morale sans violence.
Indigène venant d’apporter à Bakel des têtes de prisonniers capturés parmi les fuyards des bandes d’Ahmadou.
Pourquoi les faits que nous exposons viennent-ils en contradiction avec cette dernière pensée? La guerre explique bien des choses, dira-t-on. Dans l’espèce, nous ne le croyons pas. Nous n’admettons pas qu’elle justifie l’affolement qui va jusqu’à mettre aux mains de non belligérants des armes pour tuer leurs frères; nous n’admettons pas qu’elle justifie l’encouragement à l’esclavage, au meurtre et aux pires passions. Devant de pareils faits, le mot civilisation devient la plus sanglante des ironies. Et, d’ailleurs, le système contraire, celui de la douceur, n’a-t-il pas des adeptes dans l’armée même? N’a-t-il pas été pratiqué notamment par Brière de l’Isle au Tonkin, Faidherbe au Sénégal? Nous ne sachions pas qu’ils aient eu à s’en repentir. »
Makki Tall (1837-1864) est le second fils du marabout conquérant et mystique El Hadj Omar Tall (1797-1864). Plus jeune de quelques mois qu’Ahmad El Madani (1836-1897), sultan de Ségou et fils ainé des enfants de Mariatou, femme bornouane, Makki est mort en même temps que son père à Goro. Durant sa courte vie, il aura laissé une réputation de clerc, d’ami des clercs et de générosité.
Makki, nait vraisemblablement dans le Haoussa, grandit à Diégounko et à Dinguiraye après l’installation de son père avec ses disciples dans le Fuuta Jalon. Makki avait la même mère que Saidou (v.1840-1878), émir de Dinguiraye, et Aguibou (1844-1907), émir de Dinguiraye puis faama de Bandiagara.
Alfa Makki dans les chroniques contemporaines
Une première mention de Makki apparait dans le Tarikh al-Istikhlaf de Mohamed b. Ibrahim de Dara-Labé, qui était proche de lui et d’Ahmadou, les deux fils ainés du Cheikh. Mohamed b. Ibrahim était à Dinguiraye en 1859, lorsque de Markoya, Cheikh Oumar demanda à Alfa Ousmane Sow d’amener à lui ses deux fils ainés Ahmad al-Madani et Mohamed el-MakkI. Le groupe quitta Dinguiraye le 11e jour du mois de Rabi al-Akhira [7 novembre 1859] selon la « Chronique de la succession ».
De Dinguiraye, le groupe atteignit Tamba [Taybata] puis Bumbuya où ils joignirent Thierno Abdoulaye Haoussa et Thierno Mohamed Diallo. Puis le périple les fit passer à Kurukutu, Goungoutou d’où ils traversèrent le Bafing [le fleuve noir] et ensuite au village de Kemeta, où ils traversèrent à gué le fleuve blanc [Bakhoy] avant d’atteindre le pays de Kita.
À Bangassi, ils trouvèrent l’armée d’Alfa Ousmane Sow qui menait des opérations dans le Fouladougou et Diouka, où ils participèrent aux combats. À Sedian, ils trouvèrent le camp d’Alfa Ousmane et avec lui traversèrent le Baoulé, qui sépare le Fouladougou et le Béléri et rejoignirent le Cheikh Oumar el-Fouti à Markoya, le mercredi 10e jour de Jumada al-Akhira [4 janvier 1860].
Là, les deux fils se joignirent aux combats et furent aussi éprouvés par leur père, qui préparait déjà sa succession. Ils reçurent chacun un commandement et leur attitude envers les Talibés fut scrutée. C’est de là que Makki reçut sa réputation de générosité et d’ami des clercs, tant il aidait les Talibés démunis et éprouvés. Selon une tradition de Nioro qui inclut Aguibou dans le groupe, El Hadj Omar avait donné à chacun de ses fils une bourse d’or comme gage pour le lui garder. Au bout de quelques temps, il demanda à Ahmad El-Madani la bourse et celui-ci le lui remit en entier. Aguibou lui remit la bourse, vidée de moitié, et disant avoir donné la moitié à Makki. Ce dernier lorsqu’interpellé dit qu’il avait donné toute la bourse aux Talibés et que lorsque celle-ci fut vidée, il fut dans l’obligation de demander à Aguibou une partie de son gage, pour les mêmes besoins.
Selon Mohamed b. Ibrahim, un mois et 16 jours après leur arrivée à Markoya, El Hadj Omar investit Ahmad el Madani comme son successeur et demanda à tous ses frères et aux disciples de lui prêter allégeance. Ahmadou avait alors 24 ans, 3 mois et 20 jours, ce 18 février 1860.
Selon la chronique de la succession (Tarikh al-Istikhlaf)
cette investiture eut lieu lorsqu’un homme trouva Ahmadou et lui dit : « Je désire prendre le wird et je voudrais que tu me mènes vers le Cheikh afin qu’il me le donne ». Ahmadou appela Alfa Oumar al-Awsa [al-Awsa = de la rive gauche du Niger] et lui demanda : « Allez avec celui-ci vers le Cheikh et informez-le qu’il désire prendre le wird, qu’Il le cherche et qu’il devrait le lui donner ». Dieu fit qu’ils (Alfa Oumar et El Hadji Oumar) ne se virent pas pendant quelques jours. L’homme dit à Alfa Oumar : « Je vais vous traduire devant Ahmad Madani ». Il répondit : « Ne faites pas cela, soyez patient afin que vos vœux soient exaucés ».
Après cela, l’homme et Alfa Oumar virent le cheikh et le trouvèrent entouré de ses télamides (élèves). Il lui donna la lettre celui-ci dit : « Où se trouve Ahmad al-Kabir al-Madani? Trouvez-le et appelez-le à moi avec Mohamed al-Makki. Dîtes leur d’être en état de pureté et de venir à moi rapidement ». Ils [Ahmadou et Macky] se réjouirent de cette nouvelle, obéirent à ses injonctions et s’assirent à ses pieds comme l’esclave devant son maitre ou du vertueux disciple devant son parfait cheikh. Le Cheikh prit les mains d’Ahmad al-Kabir et le désigna comme son successeur : « Tout ce qui m’a été donné par mon Cheikh, mon bien-aimé, mon ami, le pôle caché, le sceau connu de Mohamed, le cheikh qui est le médiateur, notre maitre Abou al-Abbas Ahmad ibn Mohamed al-Tijani, al-Hasani (Que Dieu soit satifait de lui, le guide et répande sa lumière), toutes les sciences exotériques et ésotériques, les secrets et révélations ainsi que les épanchements d’émanation divine, les wirds, tout cela, je te le donne et t’en accorde une autorité complète sur la dissémination de ce savoir sur tous ceux à qui tu veux le donner, quand tu veux, et qui qu’il soit, à jamais. Quiconque cherche quelque chose de moi, qu’il le cherche auprès de toi ». Et il dit à la communauté : « Celui-là est votre Cheikh. Quiconque me considère comme son cheikh, il est aussi son cheikh. Cherchez auprès de lui tout le bien que vous voulez dans ces deux mondes, et vous l’aurez. Je t’autorise Ahmadou de nommer qui tu veux comme Moqadem, et de donner le wird à qui tu veux, à jamais ». Après ce jour, quiconque demandait le wird au Cheikh, il lui disait : « Allez trouver Ahmadou. Il vous le donnera ». Et il dit à Macky : « Je te donne tout ce qui est dans le Rimah et te donne toutes les autorisations à cet égard, parce que tout ce qui est à moi et à Ahmadou t’appartient aussi. Quant à toi et à ta position, suis ton frère, et tout ce que tu désireras, il te l’accordera. Entretenez vos liens, comme je vous ai enjoints précédemment : je vous l’ordonne encore. Ne laissez rien s’immiscer entre vous deux ». Ceux qui furent présents prêtèrent allégeance à Ahmad al-Kabir devant le cheikh, le peuple fit de même après en prêtant serment au Commandeur des Croyants [Lamdo Julbé] Ahmad al-Kabir al-Madani al-Fouti [du Fouta], al-Touri [du Toro] al-Kadawwi [de Guédé] (Que Dieu lui accorde la victoire, le protège et l’assiste dans les deux mondes).
Cela eut lieu le dimanche, avant midi, 26e jour de Rajab, 1276 années après l’émigration du prophète- Paix et Salut sur lui- [18 février 1860]. Tous les gens prêtèrent serment, ainsi que les chefs de l’armée et les commandants, les Moqadem et les soldats, eux tous. Le pays et le peuple fut content et satisfait de cette investiture et de cette prestation de serment. Alors Dieu donna du confort aux Musulmans et rendit victorieux ceux qui proclament l’unicité de Dieu. »
Il semble que le Cheikh ait senti les penchants cléricaux de Makki et l’ait incité à emprunter cette voie et d’être le conseiller de son frère et ami Madani. Les deux participèrent à la campagne de Ségou (1860-1) et alors que Ahmad al-Madani restait à Ségou, Makki suivait son père durant la campagne de Hamdallahi (1861-2) où il servit de vicaire à son père quand celui-ci entrait dans ses retraites mystiques. Makki, tout comme ses cousins Tidiani (v.1840-1887) ou Tafsir Saidou [m.1888] avait alors pour Cheikh, un marabout tijjani du Macina, du nom de Cheikh Sidi Mohamed b. Wadiat’Allah ou Cheikh Yirkoy Talfi (v.1800-1864).
Durant cette période, on lui doit une lettre écrite à son frère Ahmadou, alors à Ségou, où il décrit la situation au Macina et le déroulement de la campagne de Cayawaal [mai 1862] par laquelle la Dina devait tomber. Cette lettre, retrouvée dans la chancellerie de Ségou en 1891, et pillée par Archinard, était coécrite avec son frère Mahi [v.1840-1864] et son cousin Tidiani Alfa Ahmadou [v.1840-1887].
Alfa Makki à Hamdallaye (1862-1864)
Makki avait laissé une veuve et au moins un fils, Ahmad al-Madani, homonyme de son frère. Son cousin Tijjani qui sera émir de Bandiagara, épousera sa veuve et sera le père de cet enfant qui devait être tout jeune en février 1864. Ce fils est décrit ainsi en 1887 par l’explorateur Caron en visite à Bandiagara:
Makki joua un rôle majeur après les défaites de Mani-Mani et de Ségué (1862) qui devait amener le siège de Hamdullahi [mai 1863-février 1864] par une coalition Cissé-Kounta. Après l’exfiltration de Tijjani dans le Hayré pour lever une armée de secours, Makki sera l’un des émirs de la sortie de toute l’armée pour rejoindre Tijjani en février 1864, ainsi que les escarmouches qui s’ensuivirent. Son frère Hadi [v.1844-1864] devait mourir dans ces combats avant d’atteindre les falaises et El Hadj Omar, avec ses fils et disciples, devait mener leur dernier baroud au sommet de la falaise. C’est là qu’une explosion survint et entraina la « disparition » de Cheikh Oumar, de ses fils, et d’une partie de ses disciples.
Dans l’après-midi, le cheikh envoya son fils adoptif prendre de mes nouvelles. C’était un jeune homme de dix-huit à dix-neuf ans, nommé Ahmadou, fils d’Ahmadou Mackiou, un des frères de Tidiani. A la mort de Mackiou, arrivée en 1872 [plutôt en 1862], Tidiani, qui n’avait que des filles, adopta son neveu.
Un air dédié à Alfa Makki nous est parvenu, célébrant sa générosité et sa grandeur d’esprit. Ici c’est interprété par Safi Diabaté. Cet air, comme « Taara » célébrant El Hadj Omar, furent développés dans la cour du sultan de Ségou, Ahmadou Tall.
Pour aller plus loin
Henri Gaden. « La vie d’al Hajj Oumar »: qacida de Muhammad Aliyou Thiam. (Ernest Leroux)
Caron, Edmond (1857-1917). De Saint-Louis au port de Tombouktou : voyage d’une canonnière française ; suivi d’un « Vocabulaire sonraï » /1891.
David Robinson et John Hanson. 1990. « After the Jihad: the Reign of Ahmad al-Kabir in Western Sudan »
Abdoul Aziz Diallo. Histoire du Sahel occidental du Mali 1850-1960: Les trois briques de l’édifice [El Hadj Omar, Ahmadou Lamdioulbé et les Français], Éditions La Sahélienne.
La figure de Mademba Seye/Sy, officier télégraphiste à la base, et qui deviendra « Faama de Sansanding » dans la Boucle du Niger illustre bien les fortunes de l’aventure coloniale. Bien que fort présent dans les mémoires et dans les récits, Mademba Sy demeure un personnage élusif; son nom de famille reste un mystère, oscillant entre le « Seye » et le « Sy » au fil de sa carrière. Bien que télégraphiste, il était dans les faits « beaucoup plus que ça », servant d’interprète, d’agent politique et de renseignements et de conseillers aux différents officiers « soudanais » dans les années 1880 à 1890, et depasserelle envers les Français pour les acteurs locaux.
Le rôle de Mademba dans les succès des officiers français est souvent sous-évalué: c’est lui qui contracte au nom de ses supérieurs les alliances locales qui vont servir de fer de lance à la conquête militaire, apaise les incertitudes et présente les bénéfices à tirer d’une alliance avec la France. Mademba Sy et ses descendants ont fait carrière en servant l’autorité française comme beaucoup d’autres mais ce billet s’intéresse à une facette [encore] plus sinistre du personnage; à savoir son rapport brutal avec les femmes. Au fil des défaites des rois et autorités africaines, face aux français, il était régulier pour les officiers coloniaux ainsi que leurs auxiliaires africains de prendre comme butin, les biens et les familles des acteurs vaincus. C’est ainsi que Mariam Aidara, l’une des épouses de Mamadou Lamine Dramé, marabout résistant de Goundiourou, fut « donnée » à Mademba Sy, par Galliéni, suite à une défaite de son époux.
Galliéni décrit ainsi une scène de partage de butin [des femmes ici] dans ses « Deux campagnes au Soudan français »
Je ne savais trop que faire des dix-sept femmes qu’il m’avait amenées! Je leur fis demander, par Alassane[Alassane Dia, interprète de Galliéni], si elles ne voudraient pas se marier avec mes tirailleurs. On sait avec quelle facilité les femmes indigènes, en Sénégambie, changent de maître. Celles-ci provenaient de tous les points du Soudan; elles avaient été données au marabout à son arrivée dans le pays’. Que leur importait de changer d’esclavage1 Elles avaient une peur épouvantable des blancs et elles ne purent tout d’abord s’imaginer, après la réputation que l’on ·nous avait faite, qu’il leur serait fait un sort aussi doux. Nos noirs du Sénégal aiment le su_ccès. Les femn1es n’échappent pas à cette règle, et, au fond, nos prisonnières, étaient peutêtre très satisfaites de passer entre les n1ains de soldats aussi braves. Je les fis donc ranger sur une ligne, et l’on me désigna, dans la colonne, les dix-sept tirailleurs qui s’ étaient le plus distingués dans les dernières affaires. Le n° 1, appelé, fit son choix, puis; le n° 2, et ainsi de suite, jusqu’au dernier tirailleur. Il ne restait plus alors qu’une seule femme, et, naturellement, les premiers désignés avaient laissé la plus vieille et la plus laide. Aussi est-ce au milieu des rires et de la joie de tout le camp, rassemblé pour jouir de ce spectacle, que le dernier numéro, un beau et robuste Bambara, prit possession de son épouse. Lui-même ne semblaitpas très satisfait, mais que faire? Il n’y avait plus de choix. Du reste, le ménage ne fut pas heureux, et je me rappelle que, deux ou trois mois après, à mon passage à Médine, où ce tirailleur avait été envoyé en garnison, il vint me demander à être séparé de sa femme, qui lui rendait la vie com1nune peu agréable. Naturellement j’accueillis sa demande. »
Cet extrait montre bien l’idée que se faisait Galliéni du mariage en Sénégambie, assimilé à l’esclavage, et du sort de la femme, déshumanisée à un tel point où il caractérise de « doux traitement » leur partage avec des tirailleurs qui ont sans doute tué leurs époux.
En 1899, le gouverneur-général de l’Afrique Occidentale française Louis Chaudié reçoit deux lettres d’Abdoul-Rachid Dramé, commis des PTT, qui dénonce le sort réservé à sa mère et à ses soeurs, « donné à Mademba Sy, après la mort de son père.
Abdoul Rachid et son frère Mahdi avaient été envoyés à l’école des otages de Kayes après la mort de leur père, Mamadou Lamine Dramé, lors du combat de Ngoga-Soukouta.
Quelques temps après leur entrée de l’école, un capitaine de l’expédition pour “discipliner” l’un des fils de Mamadou Lamine Drame, lui montre la tête decapitee se son pere. Ce qui suscite un scandale très vite tassé.
Douze ans plus tard, Abdoul Drame qui, ironie du sort, était devenu agent des PTT comme Mademba, visite Sansanding pour voir sa mère, qui est devenue “épouse” de Mademba Sy et ses sœurs. Choqué par leur sort et le refus de Mademba de les laisser partir avec lui. Ce que ce dernier refuse, exhortant à Abdoul la « patience » et alléguant que les troubles dans le pays rendaient peu sûrs le départ de Mariam Aidara et de sa fille Madina.
De retour à Saint-Louis, Abdoul écrit deux lettres au gouverneur général de l’AOF Louis Chaudié, pour dénoncer le traitement de sa mère et de ses sœurs et demander leur libération du tata de Sansanding où les femmes entrent dans jamais en sortir.
Abdoul dénonce les
“les actes à la fois arbitraires et tyranniques de M. Mademba, fama de Sansanding. Devenu fama, il commença à traiter tout le monde en esclaves, soumettant quotidiennement les 400 à 500 femmes emprisonnées dans le palais à des horreurs et à des actes monstrueux.
« [Il] a attaqué mes sœurs qui étaient avec ma mère dans le tata et dont il voulait absolument faire ses femmes, ce qui était non seulement barbare, mais considéré comme immoral même au Soudan. Les pauvres femmes du tata sont soumises à un traitement incroyablement [mauvais]. [Mademba] leur administre quotidiennement deux, voire trois cents coups de fouet en cuir brut par ses hommes.
Un an avant Abdoul-Rachid, un autre « otage », Abdoulaye, fils du roi de Ségou, Ahmad al-Madani Tall, dénonçait déjà les sévices de Mademba, dans une lettre à Archinard. Abdoulaye avait été amené en France par Archinard après la prise de la ville de Ségou en 1890 où il fut confié à la famille Brière de Sales et éduqué. C’était une décision d’Archinard, alors tout puissant haut-commandant, qui n’obéissait à aucune procédure administrative. Dans sa dernière lettre à Archinard en 1898, Abdoulaye écrivait:
“J’ai pris à dessein Mademba pour exemple, car moi-même j’ai à me plaindre de lui ; une de mes sœurs, Diaïnabou Oumou, est chez lui ; il ne se gêne nullement pour l’insulter, la frapper et même la mettre aux fers.
Certes, je n’en veux pas à Mademba, je l’excuse même car je comprends qu’il fasse subir à la fille ce qu’il ne peut faire au père : ceci est le fait des lâcheries, des âmes véritablement basses. Qu’il doit être heureux, cet homme qui, sorti de la lie de cette population de Saint-Louis, est monté à un pouvoir qu’il n’aurait osé espérer ! Quelle gloire pour lui que d’avoir dans son infâme sérail une petite-fille d’El Hadj Omar!”
Suite aux lettres insistantes de Abdoul-Rachid Dramé, le gouverneur-général demanda des éclaircissements au lieutenant-gouverneur du Soudan français, Edgar de Trentinian, qui fit diligenter une enquête par le capitaine Lambert.
Le capitaine Lambert, appartenait à l’artillerie, et non à l’infanterie de marine, corps qui avait été le fer de lance de la “pacification”. Il était moins impliqué dans les réseaux de solidarité et d’omerta unissant les officiers de la pacification et leurs auxiliaires africains.
De plus, son interprète et conseiller Thierno Hamedine, était un cadi de Segou. Farouchement opposé à Mademba Sy. Thierno Hamedine avait réussi à faire venir plusieurs témoins de Sansanding pour être auditionnés par le capitaine Lambert
Parmi ceux-ci, Mariam Aidara, veuve de Mamadou Lamine et mère de Abdoul et de Madina Dramé
“Auparavant, avant la visite de mon fils à Sansanding, j’étais souvent battue comme toutes les femmes du fama. De sa propre main, je recevais presque quotidiennement 10 à 20 coups de fouet.
Juste avant l’arrivée de mon fils et sous prétexte que des hommes étaient venus me voir, ce qui était faux et ce qui était impossible, sur son ordre, j’ai reçu 300 coups de fouet par Kanouba Diarra, qui est toujours chargé de cette tâche.
Après le départ de mon fils, j’ai été battue encore plus durement. Il y a environ deux mois, après avoir reçu une autre lettre de mon fils, le Fama m’a fait venir avec ma petite fille et devant ses hommes, il m’a chassée de sa maison. [Il] a gardé ma petite fille qui avait 13 ans et qui s’appelle Issa, qui m’avait été donnée par Baya Ba, femme d’al hajj Bougouni Ba de Nampala [ Ardo des Peuls Wuwarbe de Nampala qui avait résisté à la pacification de Archinard et de Mademba en 1893]. Il y a environ 14 mois, il [Mademba] a pris ma petite fille de force et en a fait sa femme.”
Le témoigange de Madina Dramé, fille de Mariam Haidara, fut encore plus accablant:
« Il y a environ quatre ans, le Fama m’a appelé et m’a ordonné de coucher avec lui. J’ai refusé, alors il a ordonné que je reçoive 100 coups de fouet et m’a ensuite prise de force… Malgré ses promesses de cadeaux, je ne souhaitais pas rester sa femme, mais j’y ai été contrainte car il a menacé ma mère de mille coups de fouet si je le rejetais. Si toutes les femmes emprisonnées dans le tata venaient ici, elles vous diraient toutes combien elles sont malheureuses »
Mademba Sy fut suspendu durant l’enquête. Il fut assigné à résidence à Kayes et plusieurs gens de Sansanding l’accablerent devant Lambert pour sa cruauté et ses sévices
Mais elle n’aboutit à rien. Lorsque Trentinian quitta son poste de gouverneur du Soudan en 1901, il fut remplacé par William Ponty, ancien aide d’Archinard et membre de son cabinet politique/renseignements avec Mademba durant la pacification. Mariam Haidara et Madina Drame furent libérées du tata mais beaucoup des femmes y restèrent. Lambert fut accusé d’être manipulé par Thierno Hamedine, un ennemi de Mademba, accusé d’être hostile à l’influence française
L’intronisation de l’Almaami du Fuuta Jaloŋ, d’après Thierno Aliyu Buuɓa Ndiyan/Alfa Ibrahim Sow. Sur la photo, Oumar Bademba, dernier Almaami (Alfaya) du Fuuta Jaloŋ. #Guinee
« Lorsque l’almâmi a été couronné à la mosquée de Fougoumbâ, que le tambour royal a retenti, que tous les anciens ont été appelés, les turbans sont mis dans une calebasse, portés et présentés à tous les anciens. On les montre en disant:
– Voici les turbans. On étend alors une peau de prières sur laquelle l’almâmi s’assied, face à l’Est. Le Grand Collège le couronne en premier lieu du turban de la province de Timbo. Les autres provinces viennent ensuite et se succèdent jusqu’au bout.
On dit alors : « Eh bien, parle, l’almâmi! »
Il parle: – « Je loue Dieu, je remercie Dieu. C’est la part de nos ancêtres que vous me donnez. A mon tour, je redonne à chacun sa part. Que chacun garde son enclos, son parc, sa bergerie.
[Dessin de l’Almaami Ahmadou Dara ,1873-1895]
Celui qui pénètrera dans votre enclos, saisissez-le et amonez-le jusqu’à moi afin qu’il soit jugé selon le Livre. Dans la communauté musulmane, que tous soient résignés et patients. Si tous ne peuvent l’être, que les gouvernés, eux le soient ».
En Pulaar, le discours se décline ainsi:
« O maaka : – « Mi yettii Alla, Alla jaaraama. Ko gebal mawbe amen hokku-don mi. Min kadi mi hokkitii mo kala gebal muudum. Mo kala yo aynu ga muudum wano ngaynaako aynirta wuro mum. Mo kala yo jogito galle mum, dinngiraa mum, kula mum. Naatudo galle moodion woo, nanngee mo addon haa e am o nyaawiree Deftere. Mofte Annabiijo fuu yo Se munnyo. Si fuu munnyaaki, laamaabo ben yo be munnyo. »
On dit alors de lui répondre. Tous s’en remettent au doyen du Grand Collège. Alors il dit:
– « Nous venons d’avoir un successeur des almâmis. Nous lui confions la religion. Nous lui confions les pauvres. Nous lui confions les voyageurs. Qu’il ne tolère point qu’un voyageur soit spolié. Nous lui confions les vieilles gens. Qu’il ne tolère point qu’un être soit opprimé. Tout opprimé trouvera en lui un justicié. Qu’il garde la religion divine selon le Livre. Qu’il rende justice à la juste cause.
Le Foûta, sur sa tête, est un fardeau de lait frais. Un fardeau de lait frais est difficile à porter sur la tête. S’il trébuche, le lait se répand.
Nous le chargeons de veiller sur les biens des croyants, sur les parcs et les bergeries. A chaque croyant, est redonné son enclos, son parc, sa bergerie. Celui qui pénêtre dans l’enclos d’un autre, que celui-ci le saisisse et l’amène à l’almâmi afin qu’il soit jugé selon le Livre.
Dans la communauté musulmane, que tous soient justes et et francs. Si tous ne peuvent l’être. que les chefs. eux le soient »
Cet extrait ci-dessous vient d’une lettre de Louis Archinard (1850-1932), commandant supérieur du Haut-Sénégal (1889-1893) au gouverneur du Sénégal. Il traite de la situation de deux « otages », deux fils de Mamadou Lamine Dramé, marabout soninké résistant (1885-1887), qui fut tué à Ngoga-Sokota en Gambie et dont une partie de la famille fut distribuée aux vainqueurs. Parmi ce butin, figuraient deux des fils du marabout Mahdi et Abdoul-Bachir Dramé, qui furent envoyé à l’école des otages de Kayes, pour être assimilés à l’idéal civilisationnel français et potentiellement en faire de bons agents coloniaux après leurs études.
Dans cette lettre cependant, le commandant supérieur exprime ces réserves par rapport à cette politique, au vu du souvenir vif auprès des populations du marabout Mamadou Lamine, et de l’espérance placée en ces deux fils pour prendre la place de leur père, lorsqu’adultes.
Durant les combats coloniaux, les femmes et suivantes des vaincus étaient souvent partagés par les vainqueurs, en guise de butin pour les tirailleurs, officiers coloniaux et leurs chefs alliés. C’est dans le contexte d’une défaite contre une colonne de Galliéni, alors lieutenant-colonel, et commandant supérieur du Haut-fleuve (1886-1888), région qui allait devenir le « Soudan français » au fil de l’avancée coloniale, que ces deux enfants de Mamadou Lamine furent capturés. Archinard était alors officier dans l’état-major de Galliéni qui décrit ainsi le partage des femmes du marabout dans ses « Deux campagnes au Soudan français, 1886-1888 »:
« Je ne savais que faire des dix-sept femmes qu’il m’avait amenées! Je leur fis demander, par Alassane [interprète de Galliéni], si elles ne voudraient pas se marier avec mes tirailleurs. On sait avec quelle facilité les femmes indigènes, en Sénégambie, changent de maitre. Celles-ci provenaient de tous les points du Soudan; elles avaient été données au marabout à son arrivée dans leur pays. Que leur importait de changer d’esclavage? Elles avaient une peur épouvantable des blancs et elles ne purent tout d’abord s’imaginer, après la réputation que l’on nous avait faite, qu’il leur serait fait un sort aussi doux. Nos noirs du Sénégal aiment le succès. Les femmes n’échappent pas à cette régle, et, au fond, nos prisonnières étaient peut-être satisfaites de passer entre les mains de soldats aussi braves. Je les fis donc ranger sur une ligne, et l’on me désigna, dans la colonne, , les dix-sept tirailleurs qui s’étaient le plus distingués dans les dernières affaires. Le no.1 appelé fit son choix, puis le no.2 et ainsi de suite jusqu’au dernier tirailleur. Il ne restait plus alors qu’une seule femme, et, naturellement, les premiers désignés avaient laissé la plus vieille et la plus laide. Aussi est-ce au milieu des rires et de la joie de tout le camp, rassemblé pour jouir de ce spectacle, que le dernier numéro, un beau et robuste Bambara, prit possession de son épouse. Lui-même ne semblait pas très satisfait, mais que faire? Il n’y avait plus de choix. Du reste, le ménage ne fut pas heureux et je me rappelle que deux, ou trois mois après, à mon passage à Médine, où ce tirailleur avait été envoyé en garnison, il vint me demnder à être séparé de sa femme, qui lui rendait la vie commune peu agrébale. Naturellement j’accueillis cette demande. »
On voit que Galliéni essaie de minimiser cette pratique en l’assimilant aux moeurs soudanaises et en insinuant même que la puissance coloniale faisait une faveur à ces femmes « férues de succès » en leur donnant de braves et robustes maris, pris parmi les tirailleurs. Galliéni assimile même le mariage en Sénégambie/Soudan à une forme d’esclavage pour la femme pour rationnaliser cette politique
L’intérêt de la lettre porte sur les réserves d’Archinard par rapport à cette politique des otages et comment la puissance coloniale n’a que la force pour imprimer sa volonté sur ces élèves, au vu du sort de leur père. Ces réserves n’empêcheront pas Archinard de prendre d’autres otages avec la conquête du Soudan et la destruction de l’empire toucouleur; à la prise de Ségou, deux fils du sultan Ahmad Madani Tall (v.1836-1897), Abdoulaye [v.1879-1899] et Ahmad Tidiani [dont le sort nous est inconnu] furent pris en otage par Archinard, qui décida d’amener Abdoulaye en France de par sa propre volonté, afin de l’éloigner du Soudan, de sa famille, et des partisans de son père.
Archinard et les deux petits serpents
« Il est fâcheux pour la tranquillité du pays que ces enfants n’aient pas disparu dans la bagarre et qu’on ne les ait pas absolument dépaysés, mais maintenant il n’y a guère plus moyen de revenir sur la mesure bienveillante qui a été prise.
Nous avons élevé deux petits serpents, qui sont intelligents, qui parlent assez correctement français, l’écrivent de manière à pouvoir être compris. Ils se regardent, malgré le souci qu’on a pris d’eux, comme prisonniers et n’aspirent qu’au moment où ils obtiendront leur congé définitif de notre école pour aller se perfectionner dans l’étude du Coran et des Livres saints, et devenir, comme leur père, des grands marabouts et meneurs de guerres saintes. Ils sont l’objet de la vénération de presque tous et maintenant que l’aîné a ses 16 ou 17 ans, les villages commencent à lui envoyer des femmes en mariage. Je n’ai pas autorisé les mariages, les parents ayant avoué que le jeune homme était encore bien trop jeune, et sa famille lui conserve ces fiancées. Chefs de villages et parents font depuis quelque temps des démarches pour obtenir qu’on leur laisse l’aîné dont ils veulent faire un marabout […] J’ai fait venir dans mon bureau les […] « que nous avions nous-mêmes envoyé des marabouts, comme Bou el-Moghdad, jusqu’à La Mecque. Pour mon compte personnel, je suis absolument persuadé que ces enfants que je connais depuis un an, avec l’entourage que je leur connais et les sentiments qu’on manifeste à leur égard, seront pour nous, un peu plus tard, des adversaires d’autant plus dangereux qu’ils auront vécu près de nous. Je ne vois qu’un moyen de nous débarrasser pour l’avenir de deux prêcheurs de guerre sainte qui sans doute donneront de nouveaux soucis à quelqu’un de mes successeurs et nous imposeront quelques nouvelles insurrections à refréner, ce serait d’envoyer ces deux jeunes gens dans un lycée de Paris. Ils y deviendront suffisamment français pour ne plus s’occuper de guerre sainte et pourront être des fonctionnaires précieux ; en tout cas, un séjour de quelques années au milieu de nous leur enlèverait tout prestige religieux aux yeux de leurs compatriotes. J’ai l’honneur de vous prier, Monsieur le Gouverneur, de vouloir bien transmettre cette lettre à Monsieur le Sous-Secrétaire d’État des Colonies. Je désire vivement qu’elle soit prise en considération. Je suis persuadé, si elle ne l’est pas, que l’avenir démontrera assez vite que je ne me[…] »
« J’ai l’honneur de vous prier, Monsieur le Gouverneur, de vouloir bien transmettre cette lettre à Monsieur le Sous-Secrétaire d’État des Colonies. Je désire vivement qu’elle soit prise en considération. Je suis persuadé, si elle ne l’est pas, que l’avenir démontrera assez vite que je ne me trompe pas aujourd’hui, cependant je ne saurais être personnellement intéressé dans cette affaire et si Monsieur le Sous-Secrétaire d’État ne partageait pas ma manière de voir, je rendrais ces enfants à leurs parents qui les réclament. Il importerait seulement qu’une réponse assez rapide vînt me dicter ma conduite. J’ai l’honneur d’être, Monsieur le Gouverneur, votre respectueux et obéissant serviteur. »
Dans une autre lettre datant du 8 janvier 1890, Archinard revient sur le sort des deux fils de Mamadou Lamine Dramé, pour aviser d’un incident qu’il décrit comme « un fait insignifiant pour nous, mais qui peut avoir quelque importance pour ces enfants » : le sort de la tête de leur père.
Apparemment, la tête décapitée de Mamadou Lamine Dramé aurait été montrée à ses deux fils, à l’école des otages de Kayes, pour les discipliner. L’auteur de cet acte de cruauté était le capitaine Fortin. « Une assez grosse maladresse, d’autant que la tête n’a pas du tout été coupée par le capitaine Fortin, mais bien par les gens de Moussa Molo et de Sountoukouma », souligne Archinard qui craint la haine contre la France que cet acte pourra engendrer chez les deux élèves.
Malgré ces réserves, la politique des otages va continuer d’être une constante chez Archinard. Deux ans plus tard après la prise de Ségou, Abdoulaye Tall (v.1879-1899), fils d’Ahmadou Cheikhou Tall (1836-1897), sultan de Ségou, était pris et ramené en France pour être assimilé et potentiellement renvoyé comme auxiliaire colonial. Abdoulaye va mourir en France, après deux visites au Soudan français, et après une désillusion de plus en plus grande sur son sort, qu’il transcrira dans une lettre de plusieurs pages, écrite sur plusieurs jours à Archinard alors en Indochine. Quant aux deux fils de Mamadou Lamine, nous avons pu trouver les traces d’Abdoul Bachir, qui deviendra employé des Postes et Télégraphes à Saint-Louis du Sénégal, et qui sera à l’origine d’une grande affaire sur Mademba Sy (1853-1917), télégraphiste, interprète, et agent politique, nommé « faama de Sansanding » par la seule volonté d’Archinard, et ce, sans aucune légitimité.
« Les questions de gloire, elles sont redoutables ! Cette main tranchée d’Almamy Sâdou, je témoigne qu’elle n’a jamais utilisé le sable pour les ablutions, qu’elle a recopié de mémoire sept corans et qu’elle ne s’est jamais posée sur la femme d’autrui. Ce sont les questions de pouvoir qui ont causé la mort de l’Almamy Sâdou. Puisse Dieu, le souverain, chasser définitivement le pouvoir de ma maison et de la sienne. (suite…)
Dans cet article, nous allons explorer la figure de Gelaajo Hambodeejo, très populaire dans le monde peul jusqu’à nos jours, et essayer d’entrevoir le personnage historique de la figure de la tradition orale. Pereejo [du clan Soh/Sidibé] du Kunaari, fils de Hammadi Bodeejo Pate Yella (m. v. 1812), et répondant au triptyque du « hulataa/dogataa/namataa gacce » [« n’a pas peur, ne fuit pas et abhore la honte], Gelaajo Hambodeejo est une figure centrale de l’histoire du Macina et de sa mémoire, constituant une passerelle entre un ordre ancien et un monde nouveau.
Hambodeejo, son père est très présent dans les récits de la tradition orale, durant la période précédant la Dina du Macina [pré-1818] où la région était sous domination du royaume de Ségou. Si la tradition orale ne donne pas de précision exacte sur sa temporalité, les récits des chroniqueurs du Fittuga nous permettent de savoir que Hambodeejo était toujours actif autour de 1810-1, où il est décrit comme ayant conquis les villes de Sa et d’Arkodia, loin de son Kunaari, mais dans le Guimballa.
Gelaajo Hambodeejo nait dans ce contexte historique où le Macina est vassal de Ségou, et où la dynastie des Ngolossi [Diarra] a remplacé celle des Bitonsi [Coulibaly] à Sikoro. Ségou même avait connu une guerre civile à la mort du faama Ngolo Diarra [1762-1790] entre ses fils Nianankoro et Mansong/Monzon, qui a duré quelques années [1790-1793] et qui va se conclure par la victoire et l’ascendance de Mansong sur le trône. Ces périodes de troubles n’ont pas été sans conséquences sur le Macina où durant la décennie 1780, une figure du nom de Sidi Baba [peut-être le Silamaka/Yero Maama de l’épopée peule] a mené une dissidence contre le Segu fanga [« la force de Ségou »] avant d’être vaincue. Dans cet intervalle entre la consolidation du pouvoir des Ngolosi [la dynasite Diarra issue de Ngolo] et la victoire de Sékou Ahmadou Lobbo sur Ségou en 1818, se passe la jeunesse de Gelaajo Hambodeejo.
Hambodeejo Hammadi Hampaté Yella, dont l’aéroport de Sévaré porte le nom, est aussi une figure chérie par la tradition orale. Appelé « Pullo Segou, Bambara Kunaari » [le Peul de Ségou et le Bambara du Kunaari], Hambodeejo, en fin politique, avait épousé Tenin, une princesse de la dynastie Diarra des Ngolossi, renforçant son alliance avec le Segu fannga, tout en étant rétif à la main trop pesante de ce pouvoir. Cette alliance reflétant le pragmatisme de son père Hammadi Bodeejo [« Hammadi au teint clair » en fulfulde], plus connu par la postérité comme « Hambodeejo ». De cette union est issue Ousmane Hambodeejo, frère puiné et confidant de Gelaajo, qui lui est le fils de Wela Takkaade [« la bonne compagne »; sans doute un surnom], une femme du village de Samanay.
Avec Buubu Ardo Galo, Gelaajo Hambodeejo constitue une figure passerelle entre l’ordre ancien dominé par le ArBe et l’ordre nouveau, islamique, bâti par Sékou Ahmadou Lobbo, à partir de 1818. Mais alors que Buubu Ardo Galo meurt en luttant contre cet ordre nouveau, Gelaajo Hambodeejo le conteste et lui survit, laissant des traces plus de 30 ans après l’établissement du « laamu Diina », mais bien loin de son Kunaari natal.
Gelaajo se distingue par sa bravoure, son sens politique, mais aussi par sa générosité légendaire, qui avait fait de lui une figure populaire de son vivant. Sa grandeur d’âme est ainsi notée dans l’affaire opposant Fatimata Ba Lobbo et Sâ, le prince bambara qui exigeait que sa chienne lape d’abord le lait que voulaient vendre les bergères dans son village. Lorsque la chienne du prince lapa sa calebasse et la salit avec les restes en secouant son museu, la fulamuso frappa l’animal avec son bracelet ; suscitant l’ire de Sâ qui lui rasa la tête « sans mouiller l’eau » et la taillada pour son outrage. Lorsque les 3333 preux du Macina furent mis au défi par Fatimata Ba Lobbo, ce fut Gelaajo, « celui qui se détresse avec des fléchettes en or », monté sur Soppere kannge [Sabot d’or] qui jura d’arracher la dent de Sâ, et d’offrir son cops aux hyènes couvertes de taches jaunes, et aux charognards couverts de taches blanches du Bourgou. Ce qu’il fera au cours d’un duel au terme duquel Gelaajo offrit la tête, les pieds et les mains de Sâ à Fatimata Baba Lobbo, en lui disant à elle et à tout le monde autour : « Quiconque parmi vous se rincera la bouche, qu’il crache sur la tête de Sâ ».
Il est dit de lui aussi dans les récits des maabube
Pullo ! moorotooɗo balaminaaji
Le peul qui se tresse des balaminaaje [arbustes ligneux]
cancortooɗo koƴe ndigaaji.
Et qui se détresse avec des pieds de vautours
Pullo leloo, fiya bawɗi
Le peulh qui se couche au son des tambours
hejjitoo, lummbina laaɗe
Qui se réveille dans la nuit et fait traverser des pirogues
mo saroo ñiiñe, saakoo peɗeeli
Celui aux dents espacées, et aux doigts dispersés
daɓɓo daande mo daande wutte mum nanngataake
Au cou court et que personne n’empoigne
mo kiikiiriwol kaakariiwol kaakowal kaake worɓe
Qui fond sur les hommes tel un faucon, leur arrachant leurs armes.
ngal kaake mum ƴeewetaake
Dont personne n’ose observer les couilles
Kanko wiyetee jalal manngal
C’est celui qu’on appelle le grand pilier
Jabbirgal manngal wakkataake
Le grand semoir, il est appelé
Dasataake
Qu’on ne traine pas par terre
Wakke, hela balabbe
Et si on se hasarde à le porter à l’épaule, il les casse
Daasee, taya codduli
Et si on le traine par terre, il casse les chevilles
Kanko woni labangal niiwa
C’est lui le mors de l’éléphant
Tafoowo ngal ina wuro ga
Celui qui le fabrique est au village
Battoowo ngal alaa ladde
Celui qui le place, n’est pas en brousse
Gelaajo et l’avènement de la Dina du Macina
La décennie 1810 où émerge Gelaajo Hambodeejo en tant qu’acteur politique était marquée par une effervescence millénariste dans tout le Sahel; le Macina, le Farimaké et le Kunaari où Gelaajo régnait de Goundaka n’y échappant pas. Le succès du mouvement réformiste musulman de Sokoto, dirigé par Uthman dan Fodio (1753-1837), était parvenu jusqu’au Sahel central, où l’autorité de l’Ardo du Macina (Tenenkou) n’était plus aussi forte, et où clercs conservateurs et novices se disputaient à propos de points théologiques, à la limite du byzantinisme.
C’est dans ce contexte qu’un porte étendard de Sokoto (« mai tuta » en haoussa), Mallam ibn Said arrive dans le Gimballa, autour de 1813 qu’il essaie de soulever; son mouvement est cependant brisé très vite par les autorités du pays. Plus au sud à Djenné, Sékou Hammadi Lobbo se bâtissait une communauté réformiste, aux marges des cercles institutionnels de Djenné, mais aussi en critique aux excès des ArBe du Macina. Entre le Djenneri et le Gimballa, Gelaajo Hambodeejo régnait sur le Kunaari, jouissant de la réputation de son père et de ses hauts faits d’armes, mais aussi impacté par cette effervescence religieuse dans la région. La question de sa religiosité et de sa pratique sera centrale à la postérité : pour les sources macinanké liées à la Dina, c’est après 1818 qu’il fait sa conversion; alors que les chroniques du Fittuga, du Farimaké et de Sokoto le décrivent comme un musulman avec une cour religieuse, avant la bataille de Noukouma. Un prince peul, musulman, allié du Segou fanga, en quelque sorte, maintenant des relations avec les clercs de son espace, mais aussi avec les Kountiyou d’Araouane/Tombouctou, en particulier avec le Cheikh Sidi Mohammed (1765-1826).
Ainsi quand les évènements amenant à l’établissement de Hamdallaye s’accélèrent, les forces centripètales religieuses existaient et courtisaient les cours. Sékou Ahmadou Lobbo n’était pas le seul clerc musulman avec un projet politique, mais où il va être celui dont le projet aboutira et phagocytera les autres.
Gelaajo et la bataille de Noukouma [1818]
Ainsi lorsque la bataille de Noukouma commence en avril 1818, Gelaajo Hambodeejo avait une position particulière : prince peul, allié du Segou fannga, mais aussi menant une politique douce auprès des marabouts.
Quand Segou confronte Sékou Ahmadou et son mouvement dans le Sebera en 1818, en route pour une campagne dans le Hayré, Gelaajo Hambodeejo campait à Kouma, après avoir traversé le Pignari pour pouvoir faire jonction avec la colonne dirigée par Diamogo Seri Diarra dit « Fatoma », commandant de la colonne.
Selon le récit de Hampaté Bâ et Daget, l’armée de Diamogo Séri avait passé par Saro, Sakay, Nguêmou, Simay, Saré Malé pour camper à Mégou où elle fait sa jonction avec la colonne de Faramoso, chef des Bobo, venant de Poromani et occupant le Fémaye. Une autre colonne dirigée par Moussa Koulibaly du Monimpé, traversait Mourra, et le Djoliba au gué de Bimani, pour camper à Sandjira. Alors que Gelaajo Hambodeejo campait aux portes du Hayré avec 130 juude [unités de cavalerie], une autre colonne dirigée par Ardo Macina Ahmadou, dont le fils Gidaado avait été tué par les partisans de Ahmadou Hammadi Boubou à la foire de Simay, fait la jonction avec les autres colonnes dans le Sébera via Saré Seyni. Il est important de noter que toutes ces colonnes se dirigeaient vers le Hayré pour une campagne, mais le faama de Ségou Da Diarra, avait donné l’ordre à Diamogo Séri de régler l’affaire du marabout du Fittuga, en passant.
« Diamogo Séri Diara assume la direction générale des opérations. L’armée de Monimpé s’avancera en direction de la mare de Pogôna ; Guéladio surveillera les rives du Bani en vue de couper toute retraite vers la montagne, et, s’il est nécessaire, de prendre Noukouma à revers ; le gros des troupes bambara restera dans la région de Dotala et Diamogo Séri lui-même à la tête des meilleurs soldats bambara et bobo attaquera Noukouma. Il établit son quartier général au sud de la mare de Pogôna et donne ses ordres en vue du combat. Ses hommes sont munis d’une bonne quantité de cordes pour ficeler les vaincus comme ballots de poisson sec et les expédier ainsi à Da. »
En face l’armée de Sékou Ahmadou qui campait à Noukouma dans le Sébéra était commandée par Ousmane Bokari Sangaré/Cissé, un compagnon d’études de Sékou Ahmadou, qui fut proclamé « Amiiru Manngal »[grand émir] à l’aube de la bataille.
Si on suit le récit de Hampaté Ba, Sékou Ahmadou tint ce discours à ses partisans juste avant la bataille.
— La gloire et la puissance sont à Dieu. Je lis sur vos visages la bonne contenance malgré le danger qui nous menace. Le grand jour est arrivé. Ne vous laissez pas impressionner par le désarroi de vos épouses et la position de l’ennemi qui paraît avantageuse. Ce jour est pour nous un nouveau Badr. Souvenez-vous de la victoire que notre Prophète remporta sur les idolâtres coalisés. N’a-t-il pas attaqué l’ennemi avec 313 combattants seulement ? Ne remporta-t-il pas une éclatante victoire ? A son exemple, nous attaquerons Diamogo Séri Diara avec 313 hommes prêts à combattre pour Dieu. Vous êtes ici 81, vous, mes premiers partisans. Je vous adjoindrai 231 autres combattants et ainsi, avec moi-même, nous atteindrons le chiffre de 313. Les meilleurs cavaliers monteront les 40 chevaux dont nous disposons, les autres se battront à pied. Un deuxième groupe de 313 hommes ira vers Kouna et interviendra le cas échéant. Un troisième groupe de 313 hommes passera dans le Fakala et s’y tiendra prêt à toute éventualité. Les 61 lances qui restent surveilleront les femmes et les enfants. Ali Guidado a fait preuve de courage en portant le premier coup de lance. Nous avons à notre tour à nous élever au-dessus de l’événement qui nous menace et dominer la situation. Soyons fermes et ne disons pas comme les Juifs : « Nul pouvoir à nous, en ce jour, contre Goliath et ses troupes » (II, 250), mais : « Combien souvent bande peu nombreuse a vaincu bande nombreuse avec la permission d’Allah ! Allah est avec les constants (II, 250). »
Dans ce discours, il est clair que même si Gelaajo Hambodeejo n’était pas présent à Noukouma, les partisans de Sékou Ahmadou craignaient d’être attaqués par ses cavaliers sur leurs arrières, et avaient positionné 313 combattants, pour le contrer éventuellement.
Le 13 Jumada I 1233 [samedi 21 mars 1818], le premier choc entre les deux armées eut lieu à Noukouma lorsque les fantassins commandés par Bokari Hammadoun Sala [Bori Hamsala, futur Amiiru Macina] s’entrechoquèrent avec ceux commandés par Faramoso et Moussa Koulibaly. La flèche d’Abdou Salam Traoré, partisan de Sékou Ahmadou, perce le tambour de guerre de Diamogo Séri, avant qu’il ne soit abattu avec la shahada sur ses lèvres. Attaqué par 40 cavaliers peuls, Diamogo Séri surpris dans son camp, ordonne une mauvaise manœuvre suscitant la confusion parmi les troupes bambaras, dont certaines battaient en retraite et d’autres continuaient l’assaut.
L’unité bambara dite Banankoro bolo, commandée par le fameux Gonblé [le « singe rouge », un nom de guerre], avait soutenu le choc des Peuls malgré des pertes sévères. Gonblé, furieux de voir les Bambaras battre en retraite sur ce qu’il pensait être un ordre de Diamogo Séri, crut à une trahison. Il descend de son cheval, armé d’une chaîne de fer hérissée de pointes, et fait face aux Peuls en proférant à leur adresse ces paroles de mépris :
— Ohé, singes rouges [insultes adressées aux Peuls de Sékou Amadou], il ne sera pas dit à la cour du « Maître des eaux » [Jiitigi, autre nom du faama de Ségou] que ma longue queue de « Cynocéphale roux » [Gonblè en bambara] a balayé la poussière derrière moi pour effacer des traces de fuyard. Les troupes qui m’abandonnent iront porter la nouvelle de ma mort et non celle de ma fuite. Depuis quand des singes rouges se mesurent-elles à des cynocéphales ?
Ivre de rage et aveuglé par la honte d’une défaite, Gonblé se jette contre les lances ennemies. Au moment où il lève la main pour frapper le premier adversaire à sa portée, un bantuure [lances aux fers recourbés] adroitement lancé par un inconnu lui pénètre dans la poitrine et lui perfore le poumon gauche. Gonblé tombe à la renverse en jurant :
— Monè kasa ! [L’outrage a mauvaise odeur, en bambara]
Il meurt sans connaître l’issue du combat.
Diamogo Séri, voyant ses troupes lâcher pied et refluer en désordre, comprend un peu tard qu’en donnant l’ordre de déplacer son camp, il a commis une manoeuvre maladroite qui lui coûtera la bataille de Noukouma et même la guerre contre Amadou Hammadi Boubou. Les Bambara, contournant la mare de Pogôna, fuient jusqu’à Yêri où Diamogo Séri réussit à regrouper ses soldats et à reconstituer ses forces. Mais au lieu de marcher sur Noukouma qu’il pouvait prendre facilement, il emploie toute son armée à édifier des retranchements. Les Peuls avaient rompu le combat dès qu’ils avaient eu la certitude que l’avantage de la journée leur resterait acquis.
Les mauvaises manœuvres de Diamogo Séri Diarra firent perdre le jour au Seegu Fannga, suscitant la colère de ses lieutenants et la défection d’Ardo Amadou et de Gelaajo Hambodeejo. Arɗo Amadou retraverse le Niger et rentre dans le Macina ; Guéladio décampe de Kouna et regagne Goundaka. Quant à Faramoso, il abandonne ses alliés et se réfugie dans le Saro. La situation ne pouvait être plus favorable à Amadou Hammadi Boubou qui reçoit beaucoup de ralliements dont celui de Kolaado Alfa Dial de Wouro Nguiya, d’Adoulaye Muhammadu, cadi du Macina « proprement dit » et celui aussi de Boulkassoum Tahirou de Dalla, qui l’aurait rejoint avec ses 240 lanciers nãna nãnga [« avance et prends »] qui avaient la réputation de ne jamais reculer au combat. Le nombre des troupes aurait augmenté substantiellement ainsi alors que la victoire [ou la mise en échec] de Ségou par les marabouts se propage. Alors que Diamogo Séri campé à Yeri fortifie son camp, il subit beaucoup de défections de la part de ses troupes bambara et bobo, dont certains rentrent dans leurs pays ou se joignent carrément à Sékou Ahmadou Lobbo.
Au cours des mois qui suivirent, Sékou Ahmadou dont l’autorité était centrée sur le Sébéra consolida son assise sur le Maasina, le Djenneri et le Mourarien ralliant les chefs et installant ses alliés dans ses régions.
Gelaajo après Noukouma : la mésentente et la révolte contre la Dina
Après Noukouma et dans le sillage de la consolidation du pouvoir de Sékou Ahmadou Lobbo sur le Sébéra, le Djenneri et le Pondori, Gelaajo Hambodeejo réévalue sa position face au nouvel ordre dans le delta intérieur du Mali.
Gelaajo Hambodeejo, face à l’absence de réaction de Ségou, aurait réuni ses conseillers à sa capitale, Goundaka, pour les interroger sur la conduite à tenir face à l’ordre islamique naissant dans l’est, qui menaçait l’autorité des ArBe comme lui.
Il est rapporté que lors d’une de ses audiences, Ousmane Hambodeejo, frère puiné de Gelaajo [et fils de la princesse de Ségou] aurait rapporté ces propos à son frère :
— Je n’ai jamais eu peur d’un guerrier et je suis tout disposé à mourir pour défendre mon frère et le renom de notre famille. Mais je conseille à mon frère de ne pas s’opposer au marabout. C’est une foudre de guerre que Dieu envoie dans ce pays. Il faut aller nous soumettre, non pas à lui, mais à Dieu, et déposer notre soumission entre ses mains. Ainsi nous éviterons la guerre et garderons notre commandement.
Cet avis aurait été validé par les autres membres de la cour de Gelaajo, qui aurait résisté pendant trois mois à leurs conseils de se rendre à Noukouma. Cette attitude aurait généré des inconforts au sein des troupes de Gelaajo, le forçant d’une certaine manière à envoyer un émissaire auprès de Boureima Khalilou, Diawando de la Dina naissante, pour solliciter son coonseil et un accommodement possible avec la Dina. Le conseil de Boureima aurait été de rencontrer Sékou Ahmadou et de professer sa foi musulmane devant la Cour.
Gelaajoo acquiesça à cette requête et rencontra Sékou Ahmadou à Noukouma. Selon le récit de Hampaté Ba et J. Daget, collecté dans les années 1950, la rencontre entre les deux figures se serait déroulée comme suit :
Cheikou Amadou, selon son habitude, dit à Guéladio au cours d’une audience privée :
— Pour me prouver la sincérité de ta conversion, donne-moi un conseil. La guerre étant l’affaire des Arɓe plus que celle des marabouts, je voudrais que ton conseil soit d’ordre militaire.
Guéladio, répondit :
— Tu vas auparavant prier Allah de ne jamais m’abandonner à la merci d’un de mes ennemis.
Cheikou Amadou, ne saisissant pas l’astuce de cette demande 2 et sans aucune arrière-pensée, formule une prière dans le sens souhaité par Guéladio.
— Merci, lui dit ce dernier. Maintenant je vais, en toute tranquillité et de bon coeur, te donner quelques conseils :
Tu transféreras ta capitale de Noukouma en un lieu hors de la zone d’inondation. Noukouma pourrait être facilement assiégé durant les hautes eaux.
— Connaîtrais-tu un emplacement qui conviendrait à la fondation d’une grande ville qui serait la capitale de la Dina ? [Sékou Ahmadou]
[Gelaajo] Oui. Entre Sofara et Taykiri s’étend une vaste plaine, environnée de collines, qui conviendrait parfaitement. La ville pourrait être fortifiée et les hauteurs qui l’entourent utilisées comme postes de guet.
Il faut autant que possible construire en pisé et supprimer progressivement les paillottes. Quelques cavaliers décidés, armés de tisons ardents, peuvent ruiner un vaste territoire dont les cases sont faites de paille 4.
Tu élèveras des juments afin d’assurer à peu de frais la remonte d’une puissante cavalerie.
Tu encourageras l’agriculture en prenant la défense des travailleurs des champs. Cette politique assurera à ton état de bonnes récoltes et le prémunira contre le redoutable fléau qu’est la famine.
Tu ne feras rien sans l’assentiment des notables de ton pays. En politique, mieux vaut suivre une fausse route les ayant avec toi que t’engager dans un bon chemin les ayant contre toi.
Tu choisiras comme favori un captif qui mourra sans trahir et se fera tuer pour te sauver.
Tu prendras un maabo [tisserand-griot] comme confident intime. Un maabo pur-sang ne vend jamais un secret confié.
Tu feras traiter tes affaires par un DiawanDo. Le DiawanDo gâche tout projet formé sans lui, mais il a honte de voir échouer un plan qu’il a dressé lui-même.
Il faut aimer la fortune et ne pas la dissiper comme tu le fais.
Ce dernier conseil déplut à Cheikou Amadou.
— Pourquoi veux-tu que je thésaurise ? dit-il à Guéladio. Ne sais-tu pas que les biens de ce monde sont périssables et qu’inévitablement il faut, au seuil de la tombe, renoncer à toutes les richesses amassées durant la vie ?
— Je ne t’ai pas dit, reprit Guéladio, de rechercher la fortune pour toi-même. Mais tu veux fonder une Dina. Elle ne peut prospérer que si tu gagnes les hommes à ta cause et si tu les retiens près de toi.
— Certes oui, concéda Cheikou Amadou.
— Or, les hommes aiment l’argent, continua Guéladio. Même ceux qui ne l’adorent pas ne peuvent s’en passer. Il te faut donc amasser une fortune, non pas pour ton plaisir, mais pour attirer les hommes dont tu auras besoin. Tu as gagné des batailles, mais ta victoire ne sera définitive et ta domination affermie qu’autant que tu auras des biens à répandre autour de toi. Mon père HamboDédio avait coutume de dire : « donnez-moi de la fortune et je ferai de la terre ce que vous voulez qu’elle soit. S’il a réussi à épouser la fille de Da Monson, c’est que son or avait lesté les langues qui auraient pu dire non.
— Tu as raison, dit Cheikou Amadou. La Dina aura son trésor, mais moi, j’ai fait vœu de pauvreté.
Comme on le voit ici, Gelaajo aurait été influent dans la sélection de l’emplacement de la future capitale de la Dina, « Hamdullaye », à mi-cheval entre le Kunaari, le Macina, et pas si loin du Hayré. Gelaajo invitait ainsi Sékou Ahmadou Lobbo à s’établir plus près de lui, mais dans un site facilement défendable et moins enclavé que le Sébéra initial. Une entente existait ainsi, entre Gelaajo Hambodeejo, figure de l’ancien ordre, et Sékou Ahmadou, porte-étendard du nouvel ordre islamique. Mais cette entente cordiale n’allait pas durer, car la révolte de Gelaajo Hambodeejo Dicko, qui allait « durer sept ans » selon la transition, est un des évènements qui allait faire trembler l’empire peul du Macina
La révolte de Gelaajo contre l’ordre nouveau des clercs
1235 AH- 1819/20: Gelaajo Hammadi Bodeejo se rend à Tombouctou pour rencoontrer Cheikh Sidi Muhammad
1240AH- 1824/25 Révolte de Gelaajo Hammadi Bodeejo
Source: Tarikh Fittuga de Cheikh Isma’il Wadi’at Allah/Yerkoy Talfi
L’entente entre Gelaajo Hambodeejo et la Dina ne fut pas longue. Le nouvel ordre voulait soumettre l’ancien, en établissant un nouveau commandement soumis à Sékou Ahmadou et aux Quarante marabouts du Batu Mawdo.
Chaque région était dirigée par un amiru, qui était en même temps un chef de guerre pour le compte du laamu Diina. Les amiiraabe étaient assistés de conseillers juridiques et devaient rendre compte au Batu Mawdo/Sékou Ahmadou, qui constituaient l’autorité suprême.
Comme on le sait, Ousmane Bokari Sangaréavait été proclamé Amiiru Mangal à l’aube de Noukouma, et fut celui qui commandait la province du Dienneri. Il résidait à Djenné mais ses troupes étaient garisonnées à Sénossa, Wakana et Ngounya, surveillant le Niger, et la frontière ouest avec Ségou et le Saro.
Bori Hamsalah (Bokari Hammadoun Salah),qui avait été à la tête des troupes à Noukouma, fut proclamé Amiiru Macina,avec résidence à Tenenkou, à la suite de la déchéance de l’Ardo Ahmadou, ennemi de Sékou Ahmadou, et de la soumission à la Dina de Ardo Ngouroori Diallo, primus inter pares des Arbe avant la Dina. Bori Hamsalah commandait de Diafarabé au lac Débo, proche de la zone inondée et des bourgoutières tant désirées.
Le Fakala, était commandé par Alfa Samba Fouta Ba, de Poromani. Il sera secondé par le neveu de Sékou Ahmadou, Ba Lobbo Barryet par son fils Maliki Alfa Samba.
Gouro Malaado, un autre neveu de Sékou Ahmadou commandait le Hayré, et surveillait les frontières est du nouvel état. C’était un grand commandement, constituant la marche avec le Hombori, le Jelgooji, le pays mossi et samo, et Gouro Malaado était secondé par plusieurs porteurs de tambour [« joom tuube] comme Alfa Seyoma qui résidait entre Dalla et Douentza et Moussa Bodeejo, qui résidait à Aribinda.
Le Farimaké/Fittuga/Gimballa était commandé par Alhaji Moodi, un cousin de Sékou Ahmadou, et connu comme spécialiste de la guerre de razzias contre les Touareg et les Maures. L’Amiiru Nabbe e Dude commandait cette région des lacs, restive à l’autorité centralisatrice de Hamdallaye.
Dans cet ordre naissant, Gelaajo Hambodeejo ne fut pas choisi parmi les cinq amiraabe initiaux, mais ses états furent subordonnés à l’autorité de l’amirou du Hayré et du Fakala-Kunaari. La Dina avait privilégié de mettre des chefs dont la confiance n’étaient pas en doute à la tête de ces 5 grands commandements; les chefs ralliés comme Gelaajo Hambodeejo et ceux de Wouro Nguiya, Attara, Farimaké, Sa, Dari, Konsa, Wakambé, Tégé, Kagnoumé, Poromani, Bambara Maounde, étant catégorisés comme des « joom tuube », ou chefs de deuxième ordre.
La rébellion de Gelaajo trouve certaines de ses origines dans cette nouvelle cartographie qui scinde ses états. La nomination de Gouro Malaado au Hayré avec autorité sur le Pignari, conquis par Gelaajo et à qui il était demandé, de céder cette conquête fut l’étincelle. À la suite de cette nomination, Gelaajo Hambodeejo aurait dit:
‘’Sans honneur, que ferais-je de la vie ? Mourir est une loi inévitable, mais se laisser honnir sans réaction, c’est manquer de courage et de vertu…’’
La chronique du Fittuga fait part d’une visite de Gelaajo Hambodeejo chez Cheikh Sidi Mohamed el-Kounti en 1820. L’évènement est assez notable pour être consigné dans les annales et le tarikh ne fait pas état des discussions. Ce vide est cependant comblé par la tradition orale qui fait exhaustivement état des tractations de Gelaajo entre Hamdallaye et Tombouctou, et des alliances qu’il essayait de contracter avec Boubou Ardo Galo du Macina, et avec Amadou Alfa Koudiadio, marabout du Farimaké, pour déclencher une grande révolte contre Sékou Ahmadou.
Les traditions rapportent que lors de sa visite à Tombouctou, Gelaajo aurait sollicité un marabout qui l’aiderait à traiter avec la Dina et sur les questions musulmanes à Sidi Mohamed al-Kounti, qui lui aurait envoyé un de ses disciples, Alfa Nouhoum Tayrou [ou Nuh b. al-Tahir, selon les clercs musulmans]. Alfa Nouhoum Tayrou, « ngel binndi » [l’écrivain en fulfulde] est passé à la postérité comme le coadjuteur de Sékou Ahmadou et comme l’un des théoriciens des bases de l’état naissant. Durant son service à Goundaka, au service de Gelaajo, Alfa Nouhoum Tayrou développa des relations avec le Batu Mawdo et Sékou Ahmadou, qui étaient séduits par sa science religieuse et par son talent littéraire. Gelaajo aurait été irrité par cette tournure des évènements et lui aurait dit, lorsqu’à bout de patience:
— Je m’aperçois chaque jour que tu es plus près, par le cœur, des marabouts de Hamdallaye que de moi. Tu prétends toujours que leurs instructions sont conformes au Coran et à la Sounna et tu trouves toujours que ma ligne de conduite est répréhensible. Je me demande si réellement tu défends bien ma cause. ».
Gelaajo, insatisfait de son conseiller religieux, aurait écrit une lettre au Cheikh Sidi Muhammad pour se plaindre et l’accuser d’être sur le point de renier son obédience à la Qadiriyya Kountiya, pour s’inféoder à Hamdallaye. Au-delà des accusations, cette tradition montre en fait qu’à cette époque les rapports entre les Kountiyya et la Dina étaient loin d’être établis, et que beaucoup de princes et musulmans de la boucle du Niger, s’appuyer sur des légitimités islamiques confrériques, pour contester l’ascendance d’Hamdallaye.
À la défaveur de Gelaajo, Cheikh Sidi Muhammad Kounti n’aurait pas apprécié ses insinunations. Il aurait écrit à Alfa Nouhoum Tayrou une lettre rapportée comme telle par Ba et Daget :
« Le serviteur d’Allah, Sid Mahamman, qui espère en la miséricorde de son créateur le Clément sans bornes, à son disciple, la perle brillante d’un collier magnifique, Alfa Nouhoun Tayrou, salut. Il nous est parvenu de la part de l’illustre fils d’Hambodédio, auprès de qui Allah a voulu que nous t’envoyions pour défendre et faire triompher le droit par la justice, que ton esprit est en train de s’obscurcir et tes pas, jadis si fermes, de chanceler. Nous ne pouvons ni croire à ta défaillance, ni douter du dire du fils d’Hambodédio, avant de t’avoir entendu. En conséquence, quel que soit le lieu où cette lettre te trouvera, pars immédiatement pour Tombouctou où nous te convoquons, avec le ferme espoir que nous ne t’y attendrons pas longtemps. »
Lorsque le porteur de cette lettre arriva au domicile d’Alfa Nouhoun Tayrou, celui-ci était sorti. Le messager attendit à la porte. Alfa Nouhoun Tayrou, revenant de la mosquée, allait rentrer chez lui quand l’envoyé de Cheik Sid Mahamman [Cheikh Sidi Muhammad Kounta] lui tendit la missive. Alfa Nouhoun Tayrou, piqué par la curiosité, l’ouvrit et en prit connaissance sur place. Les assistants virent ses traits changer au fur et à mesure qu’il lisait, mais ne pouvaient deviner les sentiments qu’il éprouvait. Surmontant son trouble, Alfa Nouhoun Tayrou après avoir achevé la lecture de la lettre, se tourna vers le messager et lui dit, souriant :
— C’est entendu.
Il tourna le dos à sa porte et dit à ceux qui l’accompagnaient :
— J’ai reçu de mon cheikh l’ordre d’aller à Tombouctou, et je m’en vais.
Il chargea un ami d’aller faire ses adieux à sa famille et de le rejoindre avec le nécessaire pour le voyage, puis il dit à l’envoyé de Sid Mahamman :
— Tu m’excuseras de manquer à ton égard aux lois de l’hospitalité, mais partons sans plus attendre pour Tombouctou.
La nouvelle du rappel d’Alfa Nouhoun Tayrou parvint à Hamdallaye. L’empressement avec lequel il avait répondu à la convocation de son cheikh plut beaucoup à Cheikou Amadou qui lui écrivit immédiatement une lettre. Un cavalier rapide fut chargé de la lui porter avant qu’il ne fut sorti du Kounari. Le cavalier rattrapa Alfa Nouhoun Tayrou et son compagnon à Bogo [au sud de Konna]. La teneur de la lettre, toujours d’après la tradition orale, était la suivante :
« L’humble serviteur d’Allah le Grand, le Clément, le Miséricordieux, Amadou fils de Hammadi, fils de Boubou, à son frère en Allah, le savant, le pieux Nouhoun Tayrou. L’oreille perçoit parfois ce qui ne lui est point destiné. Nous avons appris que le fils d’Hambodédio t’a desservi auprès de notre vénérable Cheik Sid Mahamman. Il accuse ton cœur de se pencher vers nous plutôt que vers lui. Nous souhaitons qu’Allah te lave d’une calomnie qui peut accabler ton cœur de chagrin. Nous te prions de venir à Hamdallaye, nous enverrons au vénérable Cheik Sid Mahamman des preuves indiscutables de ta bonne foi. Ta place est plutôt parmi les membres du grand conseil qu’auprès de Guéladio. Ce dernier cherche à te chasser du pays alors que nous, nous recherchons la compagnie d’une âme aussi pure que la tienne, car seules les âmes pures sont agréables à Allah. »
Alfa Nouhoun Tayrou écrivit à Cheikou Amadou pour le remercier de sa sympathie, mais il ajouta qu’étant de l’obédience de Cheik Sid Mahamman, il ne pouvait se rendre à Hamdallay sans ordre de son maître.
Cheikou Amadou aurait alors envoyé une longue lettre à Cheik Sid Mahamman, et y joignit une correspondance reçue par le grand conseil de Hamdallay et dans laquelle Alfa Nouhoun Tayrou défendait Guéladio . C’était une preuve éclatante qu’à aucun moment Alfa Nouhoun Tayrou n’avait trahi sa mission malgré les propositions avantageuses de Hamdallay. Cheikou Amadou terminait sa lettre en demandant à Cheik Sid Mahamman de lui affecter Alfa Nouhoum Tayrou puisque Guéladio semblait ne plus en vouloir comme secrétaire. Cette lettre fut confiée à une pirogue légère avec ordre de ne pas s’arrêter en chemin. L’envoyé de Hamdallay parvint à Tombouctou avant Nouhoun Tayrou. Cheik Sid Mahamman prit connaissance des documents qui lui étaient communiqués et s’en montra très satisfait. Il savait à quoi s’en tenir sur la conduite de Guéladio qui avait inconsidérément calomnié un homme irréprochable. Il écrivit à Cheikou Amadou et à Alfa Nouhoun Tayrou.
La pirogue rapide de Hamdallay, remontant le fleuve, croisa celle de Nouhoun Tayrou qui descendait. On remit à Nouhoun Tayrou la nouvelle missive de Cheik Sid Mahamman. Il la lut avec joie, mais ne put s’empêcher de dire :
— Cheikou Amadou est un adversaire terrible ; il m’a fait perdre l’occasion de revoir mon cheik.
Effectivement, Sid Mahamman donnait ordre à son disciple de retourner sur ses pas et de se mettre à la disposition de Cheikou Amadou pour l’aider à gouverner la Dina.
C’est ainsi qu’Alfa Nouhoum Tayrou rejoignit Hamdallaye où il allait devenir la deuxième personnalité du régime naissant au fil des ans, épousant même la veuve de Sékou Ahmadou [et mère de son successeur Ahmadou Sékou, v.1800-1851] et s’érigeant comme un des acteurs majeurs de la diplomatie de Hamdallaye.
Il est inutile de dire que Gelaajo Hambodeejo fut désappointé par ce retournement des choses. Mais sa détermination à conserver ses privilèges et son indépendance n’avait pas flanché. La question du Pignari et sa subordination à Gouro Malaado lui étaient resté en travers de la gorge. Il aurait tenu cette ferme résolution :
« Le Pignari est ma conquête. Je ne peux pas admettre qu’on le donne à Gouro Malado. C’est une marque de mépris vis-à-vis de ma famille. Me taire serait forfaire à l’honneur de Hambodédio. Le commandement du Pignari ne doit pas être attribué à un autre sans mon consentement. Or les marabouts ont pris leur décision sans me prévenir, même à titre d’information. Je n’ai au demeurant que ce que je mérite. J’aurais dû continuer à les combattre et mourir au besoin comme sait mourir un Arɗo. Mais je suis décidéà envoyer à Hamdallaye une lettre de protestation. La réponse que Cheikou Amadou me fera, décidera entre la paix et le silence ou le bruit de la poudre et le cliquetis des armes blanches. Puis il écrivit au grand conseil :« Avant l’avènement de Cheikou Amadou, moi, Gelaajo Hambodeejo, j’ai fait une incursion dans le Pignari ; j’ai battu le pays jusqu’aux portes de Doukombo . Cette région est mon domaine puisque je l’ai conquise. Je demande à ce qu’elle ne soit pas distraite du Kounari. Je m’élève contre la désignation de Gouro Malado pour la commander.».
Lorsque la lettre de Gelaajo fut reçue par le Grand Conseil, leur réponse éteignit tous ses espoirs et sonna le glas de leur entente.
« Il a été décidé par le conseil chargé de veiller sur la sécurité et la bonne marche de la Dina, qu’aucun homme incapable de lire, écrire et comprendre le sens d’un document écrit en caractères arabes, ne serait placé à la tête d’un territoire à plus de cinq jours de marche. Ton maintien comme chef du Kounari est une mesure exceptionnelle qui continue à être combattue par certains conseillers. Il est de ton intérêt et de celui des tiens de te tenir tranquille. Le grand conseil ne conteste ni ta naissance illustre, ni tes mérites militaires, mais il ne saurait être question de te donner la préséance dans une affaire où la valeur militaire et l’origine ne constituent pas des titres essentiels. On exige des chefs foi et science. Or sans t’insulter, ta foi est tiède et ta science est nulle.»
Gelaajo contracta des alliances au-delà, pour tenir tête à Hamdallaye. Selon le récit de Ba et Daget, Alfa Ahmadou Koudiadio avait été missionné par la Dina pour rallier le Farimaké, le Dirma et le Ndodjiga mais après ses conquêtes initiales, était entré en rébellion s’alliant aux Touaregs Tengerigrif de Woyfan, et aux Kel Tadmakkat en défiance à Hamdallaye obligeant. La Dina fut obligée d’envoyer une colonne dirigée par Alhaji Moodi pour le mettre au pas. D’une certaine manière la défiance de Gelaajo servait également ses intérêts. Il semble que Gelaajo tenta une dernière approche auprès de Cheikh Sidi Mohammed pour avoir une caution islamique à sa rébellion ; ce qui expliquerait peut-être l’annonce de sa visite au marabout kountiyou dans le Tarikh Fittuga en 1820. Mais ce fut également un échec ; Cheikh Sidi Muhammad conseillant à Gelaajo de se conformer aux exigences de la Dina, et de ne pas se rebeller.
Ainsi Gelaajo s’appuya simplement sur la force de ses armes, lorsqu’il déclencha sa rébellion qui aurait duré 7 ans [1820-1826] selon la tradition, et 2 ans [1824-1826] selon le Tarikh Fittuga. Il est possible que ces deux dates aient des références différentes et que la défiance de Gelaajo commença en 1820 pour prendre une tournure militaire à partir de 1824. Le Pereejo aurait tenu ces propos à son frère et confident Ousmane, avant d’enclencher sa rébellion :
Je suis revenu de Tombouctou plus morose que jamais. Je n’ai pas trouvé auprès du marabout Sid Mahamman le réconfort sur lequel j’avais fortement compté. Il me prédit le pire. Tu seras battu si tu fais la guerre à Cheikou Amadou, telle a été sa conclusion. Mais je ne me laisserai pas intimider. Sans honneur, que ferais-je de la vie ? Mourir est une loi inévitable, mais se laisser honnir sans réaction, c’est manquer de courage et de vertu. J’ai foi en ma chance. Je préfère périr, voir tous les miens mourir ou quitter le pays, plutôt que de me soumettre aux gens de Hamdallay qui font et refont des coupes territoriales en dépit de tout bon sens. Si je ne sais pas réciter le Coran, mon esprit est rompu aux tactiques de la guerre. Mes chevaux, mes sabres et mes lances me redonneront la préséance que les versets du Coran, dit-on, me refusent. Je ferai aux marabouts une guerre sans merci. Ils pourront avoir ma vie comme ils ont eu celle de mon cousin Arɗo Amadou [pris, livré aux marabouts et décapité par Hamdallaye, avec son corps jeté dans une mare du Mourari]. Mais auparavant, ils auront eu de moi des nouvelles sanglantes. Tant que tu vivras, toi, Ousmane mon frère, tant que mes lances ne seront pas émoussées ni mes chevaux déchaussés de leurs sabots, les marabouts ne dormiront pas sur leurs deux oreilles et ils ne réciteront pas tranquillement des passages de leur livre dans la salle aux sept portes qui fait tant leur orgueil.
Ousmane qui avait attentivement écouté son frère jusqu’au bout dit :
— Alors ce sera la guerre entre nous et les marabouts ?
— Oui, dit Guéladio, je vais déclarer la guerre aux marabouts.
L’Ardo Mawdo du Macina, Ngourori Diallo, approché par Gelaajo refusa de joindre la rébellion mais son frère Boubou Ardo Galo, était allé à Ségou pour demander au faama Da Monzon, un appui en or et en ressources, dans la révolte qui se préparait. Ainsi les marabouts devaient s’attendre à une rébellion massive dans le Farimaké et le Fittuga, dans le Kunaari et dans une partie du Macina avec Boubou Ardo Galo. Le maabo de Buubu Ardo Galo, Galo Segene, composait des satires insultant les marabouts et traitant Ngourori de couard et appelant les Arbe à la dissidence. Buubu Ardo Galo qui refusait de manger le « cengle issu de la sadaqat », aurait tenu ses propos à son frère :
— Tu peux rester à Hamdallay puisque tu y as élu domicile. Tu peux te faire inscrire sur la liste des marabouts car tu es rayé de celle des Arɓe. Ne compte plus sur le Macina. Puisque tu as renoncé à venger Arɗo Giɗaɗo, ma place est maintenant aux côtés de Gelaajo.
Buubu Ardo vainquit la cavalerie macinanké à Néné, et encore lorsqu’ils traversèrent le fleuve pour Tenenkou, jurant qu’il apprendrait la guerre aux marabouts en les frappant avec la chaine qu’ils utilisent pour les enfants apprenant le Coran.
Alors que Buubu Ardo Galo taillait en pièces les cavaliers de la Dina à Néné, Gelaajo exerçait une pression directe sur Hamdallaye proche de son Goundaka. Ousmane Hambodeejo, de Sio, bloquait l’accès à Hamdallaye, affamant les résidents de la nouvelle capitale, alors que Gelaajo appelait tout le pays au soulèvement. Plusieurs fois, les troupes du Kunaari vainquirent celles d’Hamdallaye, grâce à la sagacité politique de Gelaajo et à son réseau d’espions dans la boucle du Niger.
La mise en échec de la Dina obligea Sékou Ahmadou à solliciter les conseils de Bouréma Khalilou, un jawanndo de Hamdallaye à la sagacité légendaire et toujours en opposition avec Hambarké Samatata, le rigoriste accusateur public du Baatu Mawdo et ennemi de Gelaajo. Bouréma Khalilou, compromis dans la rébellion et mis aux fers, fut libéré et réinstallé dans le Grand Conseil après des années d’échec et alors que l’autorité de la Dina se réduisait comme une peau de chagrin. Celui-ci aurait dit appelé le Grand Conseil à plus d’humilité et de sens politique et rappelé que « savoir lire et écrire ne garantissait pas la vivacité de l’intelligence, la puissance de déduction, ni le don de la persuasion ».
Au conseil de guerre de la grave heure, Boureima Khalilou aurait été le dernier à parler rappelant la nécessité du secret pour les déplacements de la cavalerie macinanké. Amirou Mangal de Djenné, rappelé de Djenné, vint en appui à Alhaji Moodi, Bori Hamsala et à Alfa Samba Fouta, contre Gelaajo Hambodeejo. La conjoncture politique devait permettre la concentration des forces contre Gelaajo; la pression s’étant relâchée du côté de Ténenkou-Néné lorsque les colonnes de Hammadi Oumar Gouro vainquirent Buubu Ardo Galo et le tuèrent.
Toutes ces forces se reportèrent sur le Kunaari en attaquant Ousmane Hambodeejo à Sio pour désserrer l’étau autour de Hamdallaye, coupée de l’est. La cavalerie macinanké défait le blocus après un duel entre Ousmane Hambodeejo et Samba Abou, son ami d’enfance rallié à la Dina. Les deux amis se tueront au début de la bataille mais la mort d’Ousmane Hambodeejo avait déstructuré le commandement du Kunaari, et l’arrivée de troupes massives favorisant leur déroute pour Goundaka. La mort de Buubu Ardo Galo et celle de son frère Ousmane Hambodeejo perturbèrent Gelaajo qui lui aussi sollicita les conseils de Boureima Khalilou, conseiller de Sékou Ahmadou. Le conseil donné fut de quitter le pays car Hamdallaye ne comptait lui faire aucun quartier pour sa défiance.
Ce fut alors que Gelaajo réunit son conseil de guerre, pour savoir quelle conduite tenir. La décision de l’exil douloureux lui fut conseillée, dans l’espérance d’un retour; Goundaka étant trop proche de Hamdallaye et n’offrant pas les abris des contreforts du Hayre, la défiance devenait désespérée après les conseils de Cheikh Sidi Muhammad, et la défaite des alliés dans le Macina, le Mourari, et le Fariimaké. Le Kunaari en solidarité à son chef, se divisa : une bonne partie des gens du pays se décidant à subir la même fortune que leur chef. Gelaajo leur aurait dit :
— Ceux qui veulent m’accompagner me feront plaisir, mais je me séparerai sans rancoeur de ceux qui préfèrent rester ici.
Alors son maabo, Maabel Gelaajo, s’approcha :
— Fils d’Hambodédio, dit-il, ta mère est vieille ; elle ne peut suivre le fugitif que tu es à travers un pays inconnu où tu ne pourras peut-être avancer qu’en donnant des coups de lance ou en faisant parler la poudre.
Gelaajo se souvenant de la peur de Galo Segene, maabo de Buubu Ardo,qui dans les derniers moments fut pris d’une telle peur qu’il ne pouvait ni jouer de son luth, ni chanter les louanges de son maître, comprit que son maabo était sur le point de lui fausser compagnie.
Il le réconforta dans ses peurs et lui demanda de rester et de servir sa mère Welaa Takkaade, trop vieille pour l’exil incertain, et leur laissant des calebasses d’or pour leur entretien. C’est de nuit que le Pereejo quitta le Kunaari, passant par le Hayre, le Seeno et le Liptaako, alors que les troupes de Alhaji Moodi étaient à ses trousses, déterminées à venger les échecs qu’il leur avait fait subir. C’est à Béléhédé que ces troupes s’arrêtèrent dans leurs poursuites, n’osant pas franchir les états du sultan de Sokoto pour y poursuivre un fugitif. Gelaajo Hambodeejo reçurent l’hospitalité de Sokoto [plus spécifiquement du Gwandu d’Abdullahi dan Fodio, 1763-1828], et s’installèrent dans un « Nouveau Kunaari », entre Say et Torodi [Niger actuel] avec leur capitale à Ouro Gueladio [la ville de Guéladio]. Au fil du temps, l’adoucissement entre Sokoto et Hamdallaye favorisa également les relations entre Gelaajo et la Dina.
Wela Takkaade, la mère de Gelaajo fut invitée à vivre à Hamdallaye dans la concession même de Sékou Ahmadou Lobbo, ce qui constituait une propagande utile pour Hamdallaye face à un rebelle très populaire. Elle y vécut jusqu’à sa mort avec Maabel Gelaajo, et fut entretenue par la Dina. À son décès, furent découvertes les gourdes remplies de poudre d’or que Gelaajo lui avait données pour son entretien, et qui ne furent jamais déscellées. Ce fut Maabel Gelaajo qui expliqua l’origine de ce trésor aux curateurs; précisant que Wela Takkaade n’a jamais eu besoin de cet or vu que son entretien était pourvu par la Dina.
Ce fut ainsi que Sékou Ahmadou aurait écrit une lettre à Gelaajo, en ces termes :
« Moi Amadou Hammadi Boubou, par la grâce de Dieu imam de Hamdallay, au fils d’Hambodédio. Allah répand ses grâces et accorde le salut au sceau des Prophètes, notre Seigneur Mohammed le véridique, ainsi qu’à sa famille. Sache, ô Guéladio, que Dieu a rappelé à Lui ta pieuse mère. Elle est morte en paix et sur la voie de la rectitude. Je t’envoie, escortés par un groupe de cavaliers, les biens constituant sa succession. Celle-ci comporte, entre autres objets de valeur, une gourde scellée à la bouse de vache, que tu aurais offerte à ta mère avant de te séparer d’elle. J’espère que Dieu aidant, le tout te parviendra en bon état. Salut et condoléances de la part de tous. ».
Quand Gelaajo reçut la lettre et s’étant demandé si sa mère avait dédaigné son or, vu qu’on le lui retournait et ayant eu une explication de la chose, il aurait demandé aux émissaires de Hamdallaye de tout ramener au Batu Mawdo, et de verser l’or et les biens légués à lui par sa mère au trésor public et que cela soit distribué aux pauvres.
« Vous direz à Cheikou Amadou que je verse le tout au beyt el mâl en faveur des pauvres. Puisse ce geste valoir à ma mère et à moi la miséricorde d’Allah le Clément » »
Épilogue: « Mohamed » Gelaajo dans le « nouveau Kunaari »
En 1853, un voyageur allemand se faisant appeler « Abdel Karim » mais ayant pour vrai nom Heinrich Barth avait fait le trajet Tripoli [Libye] à Kukawa [au Nigeria] et ensuite Kukawa jusqu’à Sokoto. De Sokoto, il comptait se rendre à Tombouctou, où il sera logé par Cheikh Sidi Bekkaye el-Kounti (1803-1864), fils de Cheikh Sidi Muhammad (1765-1826), et peut-être à Hamdallaye. Dans cet itinéraire, il passa par Ouro Gelaajo [appelée alors Tshampagore] et fut reçu par Gelaajo Hambodeejo, qui était un vieux à cette époque. Il le décrit ainsi :
« Mohammed Galaïdjo était, lors de ma visite, âgé d’environ soixante-dix ans; de taille moyenne, il avait une physionomie fort agréable, à l’expression presque européenne.
Vêtu fort simplement, il ne portait qu’une tunique bleu-clair et avait la tête entourée d’un châle blanc. Galaïdjo, fils de Hambodedjo, succéda à son père, qui était sans doute le chef qui reçut avec tant d’hospitalité Mungo Park en 1805-1806, Ce Hambodedjo était alors le chef le plus puissant du Massina ou Melle, qui avait été divisé en une quantité de petits royaumes, depuis la chute de l’empire Sonrhaï; or, l’avénement de Galaïdjo au pouvoir, coïncida précisément avec le commencement du grand mouvement politique et religieux des Foulbe du Gober, mouvement dirigé par le réformateur Othman. Excité par leur exemple et enflammé d’une ardeur religieuse, il s’éleva Parmi eux un apôtre qui s’en alla répandre l’islamisme dans sa forme nouvelle, parmi la subdivision des Foulbe établie sur les rives du Niger supérieur.
Cet apôtre était Mohammed ou Hamed Lebbo. Au commencement de l’an 1233 de l’hégire (1818), il arriva dans le Massina, à la tête d’une petite armée enthousiaste et conclut une alliance avec Galaïdjo, qui embrassa lui-même l’islamisme (car son père était resté fidèle aux superstitions païennes); ainsi unis, ils entreprirent en commun la conquête des contrées voisines ; mais lorsque Lebbo se fut ainsi puissamment établi, il prétendit soumettre à sa domination son allié, sous prétexte que c’était lui qui avait levé, au berceau même du mouvement, l’étendard de la réforme.
Galaïdjo, qui se souciait peu de renoncer à ses antiques domaines, entra en lutte avec Lebbo et se vit forcé, après trois ans d’une guerre acharnée, d’abandonner sa capitale, Konari, et d’aller se chercher, avec le reste de ses partisans, une nouvelle patrie dans les parties orientales du pays. Il fut reçu à bras ouverts par le sultan de Gando, qui lui donna le gouvernement de la contrée vaste mais peu fertile, qui s’étend à l’ouest du Niger; c’est là qu’il est maintenant établi depuis une trentaine d’années »
Le récit de Barth nous vient d’une personne qui a vu et causé avec Gelaajo, qui l’a reçu dans sa maison. La perspective qui y est, différe légèrement de celle des traditions et pourrait constituer celle de Gelaajo suur les évènements qui l’ont amené à quitter son pays. C’est en ça qu’il est intéressant, toutes précisions gardées.
Aminata Wane dans son ouvrage sur Gelaajo apporte une tradition de l’historien nigérien Boubou Hama, disant que Cheikhou Oumar Foutiyou [1797-1864] aurait été reçue par Gelaajo, au retour de son pèlerinage. Peut-être que Heinrichi Barth a suivi le même itinéraire que celui du marabout, de Sokoto au Macina, avec plus d’une décennie de différences. Un fis de Gelaajo, Ibrahim Gelaajo Hambodeejo, étaiit noté parmi les alliés de Tidiani Alfa Ahmadou Tall, neveu de Cheikhou Oumar, durant sa reconquête du Macina entre 1864 et 1870. Gelaajo serait mort dans le Jelgooji en 1862, après la bataille de Cayawal, et alors qu’il espérait retourner dans son pays. Son exil fut permanent et il ne reverra jamais son Kunaari natal
Écoutons son dammol une dernière fois.
Nan !
1 Ayya Buubu, Accaa Buubu, Amina Buubu !
Entends !
1 Ayya Boûbou, Attia Boûbou, Amina Boûbou !
2 Kunta Buubu, Kunta Nguuroori Galo Haawa !
2 Kounta Boûbou, Kounta Ngoûrôri Galo Hâwa !
3 Pullo am mo ñaamaani gacce segene ñeeno jontaaɗo !
3 Mon Peul qui ne manque pas de donner au plectre son dû !
4 ɓe mbiya mo Gelaajo Ham Boɗeejo Hammadi Ham Paate Yella
4 On l’appelle Guélâdio Ham Bodêdio Ham Pâté Yella,
5 E Ndooraari, Pullo moorotoongal balamiinaaji
5 Le Ndôrâri (mouton de Dori), le Peul dont les tresses sont des balaminâdji [arbustes ligneux]
6 Cañcortoongal kure kaŋŋe !
6 Et qui les défait avec des fléchettes en or !
7 Kanko wiyetee joom sahre !
7 C’est lui qu’on appelle le maître de la ville
8 ɓe mbiya mo kuɗal daande maayo
8 Lorsqu’on l’appelait « l’herbe au bord du fleuve »
9 Sukubee ñukubee, sumataa ñaayetaake
9 Soukoûbé Gnoukoubé, Qui n’est ni brûlée, ni broutée,
10 Mboɗeeri dono feelaa, jennga suɓee aawdi
10 Mil rouge, héritier du mil blanc, sélectionné le soir,
11 Sabboree ngatamaare
11 Dans l’attente des premières pluies,
12 O wiya: ‘’mi ɓennii ɗoon !’’
12 Guélâdio disait : « Ma renommée dépasse tout cela ! »
13 Ɓe mbiya mo Weyse Baaye Buubu, Weleende Baaye Buubu
13 On l’appelait Weysi Bâyé Boûbou, Wélêndé Bâyé Boûbou,
14 Pulal Baaye Buubu sukkiɗi korlal
14 Le grand Peul Bâyé Boûbou, celui qui a la jambe poilue,
15 Yaaji larongal, juuti saalifaaji daande
15 Celui qui a la peau épaisse, qui a les muscles du cou saillants,
16 Saliima waɗde bitti reedu
16 Qui a refusé d’avoir des plis au ventre
17 A hoɗii e tule, a haɓaama e tule a haɓetaake
17 Tu as habité dans des collines, tu t’es battu dans des collines, tu ne te bats point
18 Leydi Idiriisa Bookar Hammooy
18 Au pays d’Idrissa Bocar Hamôye,
19 Yah ɗo nguli alaa ceeɗu
19 Va au lieu où il ne fait pas chaud en période d’extrême chaleur,
20 Jaangol alaa dabbunde.
20 Ni froid en hiver !
Pour aller plus loin
Ba Amadou Hampaté et Jacques Daget. 1975. L’empire peul du Macina (1818-1853), tome 1. Paris. Les Nouvelles Editions Africaines.
Barry, Ibrahim. 1993. Le royaume de Bandiagara, 1864-1993: le pouvoir, le commerce et le Coran dans le Soudan nigérian au 19e siècle (Thèse en histoire, EHESS: Paris).
Bradshaw, Joseph M. 2021. The Bandiagara Emirate: Warfare, Slavery and Colonization in the Middle Niger, 1863-2003. (Dissertation Thesis in History, Michigan State University)
Hama, Boubou. 1968. Contribution à la connaissance et à l’histoire des Peuls. Paris, Présence Africaine.
Podor ou “Duwayra Wuro Ndiack”. Et si on revenait très vite et concisement sur l’origine de cette expression?
L’expression “Duwayra Wuro Ndiack” est un mélange de hassaniya et de Pulaar. Duwayra (forme mineure de Dëw) est traduite comme “chambrette” ou “petit village”. Wuro est du Pulaar et veut dire village. Ndiack fait référence à Ndiack Ba, fils de Mokhtar Boubou Fatim Diop, chef de l’escale de Podor [Bir Podor] au milieu du 19e siècle. Ndiack était aussi le percepteur des taxes pour l’émir du Brakna Ahmedou Ould Sidy Ely (r.1818-1841) lors de la traite à l’escale de Podor. Il avait des attaches au Fuuta, apparenté à l’Ardo Mbantou, et à Saint-Louis [le futur tamsir de Saint-Louis Hamat Ndiaye Anne, 1809-1878 et l’interprète Bou el Mogdad Seck, 1826-1880, étant ses parents proches], en plus d’avoir des liens avec le Brakna, dont était issu une de ses épouses, Maimouna des Ahel Tanak.
Les problèmes de Ndiack commencent en 1841 lorsque l’émir du Brakna meurt dans des circonstances extraordinaires. L’émir Ahmedou avait un frère Mohamed Sidi, qui était son héritier présomptif et semblait trop pressé de lui succéder.
Ahmedou avait un fils Sidi Ely (v.1838-1893), né de sa femme hartaniyya. Ahmedou se plaignait des présomptions de son « frère » Mohamed Sidy mais ne comptait rien faire. A la différence de Ndiack Mokhtar et de sa femme qui complotèrent contre Mohamed Sidy a l’insu d’Ahmedou.
Quand Mohamed Sidy arriva au camp de l’émir, il lui fut présenté une calebasse de lait en signe de bienvenue. Il est dit que pressentant un piégé, il demanda à son frère Ahmedou d’en boire d’abord. Ce que ce dernier fit ainsi que son frère utérin et fidèle lieutenant, Kradeuch/al-Kheddich.
Mohamed Sidy en but aussi. Mais tous les trois moururent quelques temps après, suscitant des rumeurs d’empoisonnement.
Il faut noter qu’il y’a deux versions sur la mort de l’émir Ahmedou et d’al-Kheddich et de Mohamed Sidi. Il y’a deux versions sur la mort de l’émir Ahmedou. Dans les deux ils sont empoisonnés par accident, mais le perpétrateur est différent. La version plus haut accuse Ndiack Mokhtar, et pourrait être liée au fait que le successeur d’Ahmeddou, Mokhtar Sidi, étaait un ennemi irréductible de Ndiack, qui était très influent et qu’il cherchait à évincer.
A la suite de ces décès, un cousin d’Ahmedou, Moctar Sidi fut proclamé émir. Sidi Ely, le fils d’Ahmedou était un enfant et n’avait aucune chance d’être émir à cet âge. Cette affaire fut catastrophique pour Ndiack qui méprisait Mokhtar Sidy et avec qui il ne s’entendait pas. L’autre version accuse implique toujours la femme mauresque [Leila Mint Rassoul, une Shrattit/Id Ou Aich] qui n’arrivait pas à enfanter et viserait l’enfant Sidi Ely (v.1838-1892; r.1858-1892), fils de Ahmeddou et sa femme hartaniyya, pour se venger de l’attitude condescendante de sa co-épouse à son égard. L’émir Ahmeddou et ses commensaux auraient bu la calebasse de lait par accident, toujours dans cette version.
Ndiack Mokhtar était malin. Il avait des connexions avec la colonie de Saint-Louis, sur qui Mokhtar Sidy comptait pour entretenir sa clientèle. Et malgré l’enturbannement de Mokhtar Sidy, Ndiack était toujours en dissidence, soutenant Sidi Ely l’enfant.
Mokhtar Sidy le démit comme ministre-percepteur et fit nommer à sa place, le propre frère de Ndiack, Abdoulaye Mokhtar Boubou. Ndiack Mokhtar en effet, était en froid avec ses demi-frères paternels [Birahim et Abdoulaye], et ses dissensions devaient lui coûter cher à terme; mais pas en 1844. Ce fut le début de la guerre. “Mokhtar Sidy bakk na Njak, té Njak ñew na”
Ndiack ne se laissa pas mener. Il se déclara contre l’émir et réunit tous les mécontents autour de Mohamed Rajel (r.1842-51), neveu de Mohamed Sidi, “sans préjudice pour Sidy Ely, fils d’Ahmedou (1818-1841) lorsqu’il sera adulte”.
Ndiack finança cette rébellion et eut l’appui de Mohamed El Habib, l’influent émir du Trarza (1827-1860)
Deux frères de Ahmedou, Bakar et El-Hiba soutenaient Mohamed Sidi cependant. Ils demandèrent de l’appui à l’Almaami du Fuuta Mamadou Birane Wane, qui envoya des troupes. Mais les partisans de Mohamed Rajel et de Ndiack avaient attaqué Mohamed Sidi bien avant
Lorsqu’el Hiba et Bakar arrivèrent avec les Fuutankoobe, ils furent attaqués eux aussi et vaincus. Bakr fut tué, el-Hiba s’enfuit au Fuuta avec les troupes de l’Almaami.
Ndiack réussit un coup de maître en 1844. Travaillant Caille, administrateur de Saint-Louis, il le convainquit que les intérêts français seraient mieux servis avec Mohamed Rajel qu’avec Mohamed Sidy. Lors de la saison de la traite en 1844, ils firent enlever l’émir Mohamed Sidy et son percepteur Abdoulaye Mokhtar Boubou, le frère de Ndiack. Les deux furent amenés à Saint-Louis et déportés au Gabon où ils moururent
C’est le début des internements au Gabon/Congo des récalcitrants à l’autorité française. Mokhtar Sidy, Abdoulaye et deux autres y furent déportés. Quelque temps après, Mokhtar Sidi et ses compagnons purent s’échapper du fort d’Aumale au Gabon, avec les gardes noirs. Mais ils étaient complètement perdus au Gabon et durent retourner au fort, face à l’hostilité des populations locales, avec qui ils ne pouvaient même pas communiquer. Il est dit que Mohamed Sidi devint marabout au bagne et y mourut des décennies après.
Mohamed Rajel régna tranquillement avec Ndiack Mokhtar à ses côtés. En 1848, il fut impliqué dans des querelles avec le Trarza et le Fuuta, suscité par Ahmed Leigat, frère aîné de Mohamed Habib, émir du Trarza, et dont la femme était une soeur de l’émir empoisonné Ahmedou [1818-1841].
Mohamed Rajel cherchait aussi à se débarrasser du jeune Sidi Ely qui grandissait et qui avait une prétention forte à l’émirat. À cette fin, il s’allie avec Mohamed Habib pour attaquer les Ould Seyyid ses propres parents, défenseurs de Sidi Ely
Mohamed Habib du Trarza envahit le Brakna en 1849, poussant les Ould Seyyid vers le fleuve, qu’ils traversèrent à Podor pour aller a Mokhtar Salam et Guédé chez les Lam Toro. L’escale de Podor fut brûlé à cette époque par les Fuutankoobe dans ce contexte de guerre.
Quand Mohamed El Habib retourna au Trarza, après l’arrivée des avisos français, Mohamed Rajel fut dans une position catastrophique. Il avait lâché ses alliés et attaqué ses parents pour se débarrasser d’un rival enfant.
Il fut déposé et remplacé par son cousin Mohamed Sidi (r.1851-1858). Mohamed Sidi aussi n’aimait nullement Ndiack pour le rôle qu’il avait joué dans la déportation de son oncle Mokhtar Sidi au Gabon
Ndiack, malin comme tout, fit courir le bruit qu’il savait où se trouvait enfoui, le trésor de l’émir Ahmedou (1818-1841), et qu’il ne le dirait au nouvel émir que si celui-ci lui garantissait sa vie, ses biens et sa position.
Ayant reçu cette information, l’émir Mohamed Sidi se demanda si l’amour de son oncle était supérieur à l’amour pour la richesse d’Ahmedou. Il sursit à sa décision de trucider Ndiack Mokhtar, malgré les protestations des demi-frères de celui-ci, Birahim et Mohamba.
Voyant que Mohamed Sidi trainait, Birahim frère de Ndiack prit les choses en main, avec ses neveux. Abdoulaye, neveu de Ndiack, prêt dit abandonner le parti de Birahim Mokhtar Boubou, et se rendit auprès de Ndiack lui demandant pardon pour tous ses outrages
Pour gagner sa confiance, il lui fit part des complots de Birahim et de son projet de l’assassiner (tout en prétendant ne pas faire partie du complot)
Comme Ndiack était Fuutanke, Birahim craignit que s’il était assassiné au Fuuta, les habitants feraient peu de quartier des conjurés. Mais Ndiack avait beaucoup d’ennemis. Beaucoup beaucoup d’ennemis. Et certains chefs du Fuuta promirent de fermer les yeux.
En 1854, Ndiack était à Donaye et avait envoyé son neveu Abdoulaye, faussement rallié, à Guede pour percevoir son argent.
Celui-ci sachant l’avarice de son oncle, fit traîner la commission. Son projet était de l’assassiner sur la rive gauche et de fuire à Dialmatch, demander l’asile. Quand Abdoulaye ne revint pas prestement, Ndiack se dirigea à Guédé pour voir ce qui se passe.
Tout était correct. L’argent était bien collecté. Il ne manquait pas un rond. Mais le projet funeste était en branle
Le lendemain sur la route entre Guede et Donaye, Ndiack et Abdoulaye étaient à cheval. En signe de déférence, Abdoulaye trottait à trois foulées derrière son oncle. Au niveau du marigot de Kotala, Abdoulaye tira à bout portant dans le dos de Ndiack, le tuant instantanément.
L’assassin manquait de bol car des cavaliers Fuutankoobe avaient vu la scène. L’un d’eux le poursuivit au galop dans sa fuite en passant le rattrapa. Abdoulaye pour se disculper lui dit. “Ce que j’ai fait ne vous regarde pas. Il est vrai que je viens de tuer Ndiack mais c’est pour venger ma famille. Laissez-moi continuer mon chemin: il vous en coûterait de vous mêler de nos affaires”. Le cavalier le laissa alors et la troupe transporta le corps à Podor.
Quand il apprit la mort de Ndiack, l’émir Mohamed Sidi (r.1851-1858) entra dans une grande colère, car il n’avait pas le tresor d’Ahmedou que Ndiack avait promis. Il fit nommer Hamet Ndiack, fils de l’assassiné comme percepteur, espérant qu’il saurait le secret du trésor.
Quand il se rendit compte que Hamet n’avait aucune idée d’où se trouvait le trésor, il le déposa prestement et le fit remplacer par Birahim Mokhtar Boubou, demi-frère et commanditaire de l’assassinat.
Hamet Ndiack Mokhtar ne fut rétabli comme percepteur de l’escale qu’avec l’avènement de Sidi Ely Ould Ahmedou (r.1858-1892) qui fit assassiner l’émir du Brakna Mohamed Sidi (r.1851-1858) en 1858, prétendant se soumettre à son autorité, avant de marier sa veuve Garmi, alors enceinte, et mère de son fils et hériter Ahmedou ould Sidi Ely [v.1860-192?], le dernier émir du Brakna indépendant [1893-1903]
Voilà le Ndiack derrière l’expression “Duwayra Wuro Ndiack” pour prler de Podor. Chef d’escale, ministre-percepteur, et homme politique avisé, tissant des alliances avec le Brakna, le Walo, Saint-Louis et le Fuuta. Ndiack était plus grand que nature.
Quelques notes sur la descendance de Ndiack Mokhtar Bouba
Ndiack Mokhtar Ba Boubou Fatim Diop est mort en 1854. Il avait laissé trois enfants au moins:
Son fils Hamet Ndiack fut ministre-percepteur à Podor comme son père pour l’émir du #Brakna Sidi Ely Ould Ahmedou Ould Sidy Ely, durant la seconde moitié du 19e siècle.
L’une de ses filles Léna Ndiack fut mariée au jaggorgal du Bossea et minister-électeur Bokar Ali Doundou Kane de Dabia Odeeji. De cette union fut issu Cheikhou Oumar, qui vécut à Podor, et qui fut tué a la bataille de Petogne (1869) opposant le Tooro aux Mahdiyankoobe.
Mbowba Ndiack était une autre fille de Ndiack, et fut sans doute la plus remarquable. Elle fut mariée en premières noces à son cousin Abdoul Djiby Sall, fils du Lam Tooro Djiby Samba Sall/Djiby Mborika [Ba] Fatim Boubou (m.1855).
De cette union sont nés les futurs Lam Tooro Mamadou Mbowba/Mamadou Abdoul Djiby (v.1850-1882; r.1878-1881) et Sidi Mbowba/Sidi Abdoul Djiby (v.1852-?; r.1889-1890). Mbowba était décrite comme l’éminence grise de ses deux fils.
A la mort d’Abdoul Djiby, Mbowba Ndiack se remaria avec Élimane Thioffi Ibrahim Racine Kane, de qui elle eut Buubakar Ibrahim Kane, mieux connu par la postérité comme Elimane Abou Kane (1859-1917), chef du canton des Seloobe.
Ibrahim Racine fut tué a la bataille de Petogne en septembre 1869, par les Mahdiyankoobe. Outre Ibrahim Racine et Cheikh Oumar Bokar Ali Doundou, Elimane Diatar, le frère d’Elimane Souyouma et le chef de Ngawle moururent aussi durant cette bataille.
Elimane Abou et ses demi-frères aînés, Mamadou Mbowba et Sidi Mbowba étaient à l’école des otages de Saint-Louis durant cette période. Elimane Abou sera Interprete, chef de canton, et fondera Dar El Barka en Mauritanie (appelé aussi Wuro Elimane) en Mauritanie dans les années 1890.
Ses dernières noces furent avec Ibra Almaami (m.1894) bës du Laaw, et fils de l’Almaami Mamadou Birane (m.1866). Mbowba était forte et influente. Accusée d’avoir empoisonné les rivaux de ses fils et d’être le pouvoir derrière eux, par les commandants de Podor. Elle fut assignée à Podor avec son fils Elimane Abou par les français en 1890. Accusés d’être une influence néfaste sur son fils le Lam Toro Sidi Abdoul Djiby, qui lui, résidait à Guede.
Elimane Abou eut plusieurs fils dont Mame Ndiack Kane Elimane Abou (1894-1976), chef de canton du Tooro-Halaybe, sur la rive mauritanienne. Mame Ndiack est bien sûr l’homonyme de son trisaïeul Ndiack Mokhtar Boubou (m.1854)
Bonus pour la lecture: Douwayra de Baaba Maal, natif de Podor,
Pour aller plus loin
Frédéric Carrère et Paul Holle. 1855. « De la Sénégambie française ». (Paris: Firmin Didot, Frères et Fils).
Paul Marty. 1917. Études sur l’Islam et les tribus maures: les Braknas (Paris: Ernest Leroux)
Dans cet article, nous allons explorer la figure de Gelaajo Hambodeejo, très populaire dans le monde peul jusqu’à nos jours, et essayer d’entrevoir le personnage historique de la figure de la tradition orale. Pereejo [du clan Soh/Sidibé] du Kunaari, fils de Hammadi Bodeejo Pate Yella (m. v. 1812), et répondant au triptyque du « hulataa/dogataa/namataa gacce » [« n’a pas peur, ne fuit pas et abhore la honte], Gelaajo Hambodeejo est une figure centrale de l’histoire du Macina et de sa mémoire, constituant une passerelle entre un ordre ancien et un monde nouveau.
Hambodeejo, son père est très présent dans les récits de la tradition orale, durant la période précédant la Dina du Macina [pré-1818] où la région était sous domination du royaume de Ségou. Si la tradition orale ne donne pas de précision exacte sur sa temporalité, les récits des chroniqueurs du Fittuga nous permettent de savoir que Hambodeejo était toujours actif autour de 1810-1, où il est décrit comme ayant conquis les villes de Sa et d’Arkodia, loin de son Kunaari, mais dans le Guimballa.
Gelaajo Hambodeejo nait dans ce contexte historique où le Macina est vassal de Ségou, et où la dynastie des Ngolossi [Diarra] a remplacé celle des Bitonsi [Coulibaly] à Sikoro. Ségou même avait connu une guerre civile à la mort du faama Ngolo Diarra [1762-1790] entre ses fils Nianankoro et Mansong/Monzon, qui a duré quelques années [1790-1793]et qui va se conclure par la victoire et l’ascendance de Mansong sur le trône. Ces périodes de troubles n’ont pas été sans conséquences sur le Macina où durant la décennie 1780, une figure du nom de Sidi Baba [peut-être le Silamaka/Yero Maama de l’épopée peule] a mené une dissidence contre le Segu fanga [« la force de Ségou »] avant d’être vaincue. Dans cet intervalle entre la consolidation du pouvoir des Ngolossi et la victoire de Sékou Ahmadou Lobbo sur Ségou en 1818, se passe la jeunesse de Gelaajo Hambodeejo.
Hambodeejo Hammadi Hampaté Yella, dont l’aéroport de Sévaré porte le nom, est aussi une figure chérie par la tradition orale. Appelé « Pullo Segou, Bambara Kunaari » [le Peul de Ségou et le Bambara du Kunaari], Hambodeejo, en fin politique, avait épousé Tenin, une princesse de la dynastie Diarra des Ngolossi, renforçant son alliance avec le Segu fannga, tout en étant rétif à la main trop pesante de ce pouvoir. Cette alliance reflétant le pragmatisme de son père Hammadi Bodeejo [« Hammadi au teint clair »], plus connu par la postérité comme « Hambodeejo ». De cette union est issue Ousmane Hambodeejo, frère puiné et confidant de Gelaajo, qui lui est le fils de Wela Takkaade [la bonne compagne, sans doute un surnom], une femme du village de Samanay.
Avec Buubu Ardo Galo, Gelaajo Hambodeejo constitue une figure passerelle entre l’ordre ancien dominé par le ArBe et l’ordre nouveau, islamique, bâti par Sékou Ahmadou Lobbo, à partir de 1818. Mais alors que Buubu Ardo Galo meurt en luttant contre cet ordre nouveau, Gelaajo Hambodeejo le conteste et lui survit, laissant des traces plus de 30 ans après l’établissement du « laamu Diina », mais bien loin de son Kunaari natal.
Gelaajo se distingue par sa bravoure, son sens politique, mais aussi par sa générosité légendaire, qui avait fait de lui une figure populaire de son vivant. Sa grandeur d’âme est ainsi notée dans l’affaire opposant Fatimata Ba Lobbo et Sâ, le prince bambara qui exigeait que sa chienne lape d’abord le lait que voulaient vendre les bergères dans son village. Lorsque la chienne du prince lapa sa calebasse et la salit avec les restes en secouant son museu, la fulamuso frappa l’animal avec son bracelet; suscitant l’ire de Sâ qui lui rasa la tête « sans mouiller l’eau » et la taillada pour son outrage. Lorsque les 3333 preux du Macina furent mis au défi par Fatimata Ba Lobbo, ce fut Gelaajo, « celui qui se détresse avec des fléchettes en or », monté sur Soppere kannge [Sabot d’or] qui jura d’arracher la dent de Sâ, et d’offrir son cops aux hyènes couvertes de taches jaunes, et aux charognards couverts de taches blanches du Bourgou. Ce qu’il fera au cours d’un duel au terme duquel Gelaajo offrit la tête, les pieds et les mains de Sâ à Fatimata Baba Lobbo, en lui disant à elle et à tout le monde autour : « Quiconque parmi vous se rincera la bouche, qu’il crache sur la tête de Sâ ».
Il est dit de lui aussi dans les récits des maabube
Pullo ! moorotooɗo balaminaaji
Le peul qui se tresse des balaminaaje [arbustes ligneux]
cancortooɗo koƴe ndigaaji.
Et qui se détresse avec des pieds de vautours
Pullo leloo, fiya bawɗi
Le peulh qui se couche au son des tambours
hejjitoo, lummbina laaɗe
Qui se réveille dans la nuit et fait traverser des pirogues
mo saroo ñiiñe, saakoo peɗeeli
Celui aux dents espacées, et aux doigts dispersés
daɓɓo daande mo daande wutte mum nanngataake
Au cou court et que personne n’empoigne
mo kiikiiriwol kaakariiwol kaakowal kaake worɓe
Qui fond sur les hommes tel un faucon, leur arrachant leurs armes.
ngal kaake mum ƴeewetaake
Dont personne n’ose observer les couilles
Kanko wiyetee jalal manngal
C’est celui qu’on appelle le grand pilier
Jabbirgal manngal wakkataake
Le grand semoir, il est appelé
Dasataake
Qu’on ne traine pas par terre
Wakke, hela balabbe
Et si on se hasarde à le porter à l’épaule, il les casse
Daasee, taya codduli
Et si on le traine par terre, il casse les chevilles
Kanko woni labangal niiwa
C’est lui le mors de l’éléphant
Tafoowo ngal ina wuro ga
Celui qui le fabrique est au village
Battoowo ngal alaa ladde
Celui qui le place, n’est pas en brousse
Gelaajo et l’avènement de la Dina du Macina
La décennie 1810 où émerge Gelaajo Hambodeejo en tant qu’acteur politique était marquée par une effervescence millénariste dans tout le Sahel; le Macina, le Farimaké et le Kunaari où Gelaajo régnait de Goundaka n’y échappant pas. Le succès du mouvement réformiste musulman de Sokoto, dirigé par Uthman dan Fodio (1753-1837), était parvenu jusqu’au Sahel central, où l’autorité de l’Ardo du Macina (Tenenkou) n’était plus aussi forte, et où clercs conservateurs et novices se disputaient à propos de points théologiques, à la limite du byzantinisme.
C’est dans ce contexte qu’un porte étendard de Sokoto (« mai tuta » en haoussa), Mallam ibn Said arrive dans le Gimballa, autour de 1813 qu’il essaie de soulever; son mouvement est cependant brisé très vite par les autorités du pays. Plus au sud à Djenné, Sékou Hammadi Lobbo se bâtissait une communauté réformiste, aux marges des cercles institutionnels de Djenné, mais aussi en critique aux excès des ArBe du Macina. Entre le Djenneri et le Gimballa, Gelaajo Hambodeejo régnait sur le Kunaari, jouissant de la réputation de son père et de ses hauts faits d’armes, mais aussi impacté par cette effervescence religieuse dans la région. La question de sa religiosité et de sa pratique sera centrale à la postérité : pour les sources macinanké liées à la Dina, c’est après 1818 qu’il fait sa conversion; alors que les chroniques du Fittuga, du Farimaké et de Sokoto le décrivent comme un musulman avec une cour religieuse, avant la bataille de Noukouma. Un prince peul, musulman, allié du Segou fanga, en quelque sorte, maintenant des relations avec les clercs de son espace, mais aussi avec les Kountiyou d’Araouane/Tombouctou, en particulier avec le Cheikh Sidi Mohammed (1765-1826).
Ainsi quand les évènements amenant à l’établissement de Hamdallaye s’accélèrent, les forces centripètales religieuses existaient et courtisaient les cours. Sékou Ahmadou Lobbo n’était pas le seul clerc musulman avec un projet politique, mais où il va être celui dont le projet aboutira et phagocytera les autres.
Gelaajo et la bataille de Noukouma [1818]
Ainsi lorsque la bataille de Noukouma commence en avril 1818, Gelaajo Hambodeejo avait une position particulière : prince peul, allié du Segou fannga, mais aussi menant une politique douce auprès des marabouts.
Quand Segou confronte Sékou Ahmadou et son mouvement dans le Sebera en 1818, en route pour une campagne dans le Hayré, Gelaajo Hambodeejo campait à Kouma, après avoir traversé le Pignari pour pouvoir faire jonction avec la colonne dirigée par Diamogo Serii Diarra dit « Fatoma », commandant de la colonne.
Selon le récit de Hampaté Bâ et Daget, l’armée de Diamogo Séri avait passé par Saro, Sakay, Nguêmou, Simay, Saré Malé pour camper à Mégou où elle fait sa jonction avec la colonne de Faramoso, chef des Bobo, venant de Poromani et occupant le Fémaye. Une autre colonne dirigée par Moussa Koulibaly du Monimpé, traversait Mourra, et le Djoliba au gué de Bimani, pour camper à Sandjira. Alors que Gelaajo Hambodeejo campait aux portes du Hayré avec 130 juude [unités de cavalerie], une autre colonne dirigée par Ardo Macina Ahmadou, dont le fils Gidaado avait été tué par les partisans de Ahmadou Hammadi Boubou à la foire de Simay, fait la jonction avec les autres colonnes dans le Sébera via Saré Seyni. Il est important de noter que toutes ces colonnes se dirigeaient vers le Hayré pour une campagne, mais le faama de Ségou Da Diarra, avait donné l’ordre à Diamogo Séri de régler l’affaire du marabout du Fittuga, en passant.
« Diamogo Séri Diara assume la direction générale des opérations. L’armée de Monimpé s’avancera en direction de la mare de Pogôna ; Guéladio surveillera les rives du Bani en vue de couper toute retraite vers la montagne, et, s’il est nécessaire, de prendre Noukouma à revers ; le gros des troupes bambara restera dans la région de Dotala et Diamogo Séri lui-même à la tête des meilleurs soldats bambara et bobo attaquera Noukouma. Il établit son quartier général au sud de la mare de Pogôna et donne ses ordres en vue du combat. Ses hommes sont munis d’une bonne quantité de cordes pour ficeler les vaincus comme ballots de poisson sec et les expédier ainsi à Da. »
En face l’armée de Sékou Ahmadou qui campait à Noukouma dans le Sébéra était commandée par Ousmane Bokari Sangaré/Cissé, un compagnon d’études de Sékou Ahmadou, qui fut proclamé « Amiiru Manngal »[grand émir] à l’aube de la bataille.
Si on suit le récit de Hampaté Ba, Sékou Ahmadou tint ce discours à ses partisans juste avant la bataille.
— La gloire et la puissance sont à Dieu. Je lis sur vos visages la bonne contenance malgré le danger qui nous menace. Le grand jour est arrivé. Ne vous laissez pas impressionner par le désarroi de vos épouses et la position de l’ennemi qui paraît avantageuse. Ce jour est pour nous un nouveau Badr. Souvenez-vous de la victoire que notre Prophète remporta sur les idolâtres coalisés. N’a-t-il pas attaqué l’ennemi avec 313 combattants seulement ? Ne remporta-t-il pas une éclatante victoire ? A son exemple, nous attaquerons Diamogo Séri Diara avec 313 hommes prêts à combattre pour Dieu. Vous êtes ici 81, vous, mes premiers partisans. Je vous adjoindrai 231 autres combattants et ainsi, avec moi-même, nous atteindrons le chiffre de 313. Les meilleurs cavaliers monteront les 40 chevaux dont nous disposons, les autres se battront à pied. Un deuxième groupe de 313 hommes ira vers Kouna et interviendra le cas échéant. Un troisième groupe de 313 hommes passera dans le Fakala et s’y tiendra prêt à toute éventualité. Les 61 lances qui restent surveilleront les femmes et les enfants. Ali Guidado a fait preuve de courage en portant le premier coup de lance. Nous avons à notre tour à nous élever au-dessus de l’événement qui nous menace et dominer la situation. Soyons fermes et ne disons pas comme les Juifs : « Nul pouvoir à nous, en ce jour, contre Goliath et ses troupes » (II, 250), mais : « Combien souvent bande peu nombreuse a vaincu bande nombreuse avec la permission d’Allah ! Allah est avec les constants (II, 250). »
Dans ce discours, il est clair que même si Gelaajo Hambodeejo n’était pas présent à Noukouma, les partisans de Sékou Ahmadou craignaient d’être attaqués par ses cavaliers sur leurs arrières, et avaient positionné 313 combattants, pour le contrer éventuellement.
Le 13 Jumada I 1233 [samedi 21 mars 1818], le premier choc entre les deux armées eut lieu à Noukouma lorsque les fantassins commandés par Bokari Hammadoun Sala [Bori Hamsala, futur Amiiru Macina] s’entrechoquèrent avec ceux commandés par Faramoso et Moussa Koulibaly. La flèche d’Abdou Salam Traoré, partisan de Sékou Ahmadou, perce le tambour de guerre de Diamogo Séri, avant qu’il ne soit abattu avec la shahada sur ses lèvres. Attaqué par 40 cavaliers peuls, Diamogo Séri surpris dans son camp, ordonne une mauvaise manœuvre suscitant la confusion parmi les troupes bambaras, dont certaines battaient en retraite et d’autres continuaient l’assaut.
L’unité bambara dite Banankoro bolo, commandée par le fameux Gonblé [le « singe rouge », un nom de guerre], avait soutenu le choc des Peuls malgré des pertes sévères. Gonblé, furieux de voir les Bambaras battre en retraite sur ce qu’il pensait être un ordre de Diamogo Séri, crut à une trahison. Il descend de son cheval, armé d’une chaîne de fer hérissée de pointes, et fait face aux Peuls en proférant à leur adresse ces paroles de mépris :
— Ohé, singes rouges [insultes adressées aux Peuls de Sékou Amadou], il ne sera pas dit à la cour du « Maître des eaux » [Jiitigi, autre nom du faama de Ségou] que ma longue queue de « Cynocéphale roux » [Gonblè en bambara] a balayé la poussière derrière moi pour effacer des traces de fuyard. Les troupes qui m’abandonnent iront porter la nouvelle de ma mort et non celle de ma fuite. Depuis quand des singes rouges se mesurent-elles à des cynocéphales ?
Ivre de rage et aveuglé par la honte d’une défaite, Gonblé se jette contre les lances ennemies. Au moment où il lève la main pour frapper le premier adversaire à sa portée, un bantuure [lances aux fers recourbés] adroitement lancé par un inconnu lui pénètre dans la poitrine et lui perfore le poumon gauche. Gonblé tombe à la renverse en jurant :
— Monè kasa ! [L’outrage a mauvaise odeur, en bambara]
Il meurt sans connaître l’issue du combat.
Diamogo Séri, voyant ses troupes lâcher pied et refluer en désordre, comprend un peu tard qu’en donnant l’ordre de déplacer son camp, il a commis une manoeuvre maladroite qui lui coûtera la bataille de Noukouma et même la guerre contre Amadou Hammadi Boubou. Les Bambara, contournant la mare de Pogôna, fuient jusqu’à Yêri où Diamogo Séri réussit à regrouper ses soldats et à reconstituer ses forces. Mais au lieu de marcher sur Noukouma qu’il pouvait prendre facilement, il emploie toute son armée à édifier des retranchements. Les Peuls avaient rompu le combat dès qu’ils avaient eu la certitude que l’avantage de la journée leur resterait acquis.
Les mauvaises manœuvres de Diamogo Séri Diarra firent perdre le jour au Seegu Fannga, suscitant la colère de ses lieutenants et la défection d’Ardo Amadou et de Gelaajo Hambodeejo. Arɗo Amadou retraverse le Niger et rentre dans le Macina ; Guéladio décampe de Kouna et regagne Goundaka. Quant à Faramoso, il abandonne ses alliés et se réfugie dans le Saro. La situation ne pouvait être plus favorable à Amadou Hammadi Boubou qui reçoit beaucoup de ralliements dont celui de Kolaado Alfa Dial de Wouro Nguiya, d’Adoulaye Muhammadu, cadi du Macina « proprement dit » et celui aussi de Boulkassoum Tahirou de Dalla, qui l’aurait rejoint avec ses 240 lanciers nãna nãnga [« avance et prends »] qui avaient la réputation de ne jamais reculer au combat. Le nombre des troupes aurait augmenté substantiellement ainsi alors que la victoire [ou la mise en échec] de Ségou par les marabouts se propage. Alors que Diamogo Séri campé à Yeri fortifie son camp, il subit beaucoup de défections de la part de ses troupes bambara et bobo, dont certains rentrent dans leurs pays ou se joignent carrément à Sékou Ahmadou Lobbo.
Au cours des mois qui suivirent, Sékou Ahmadou dont l’autorité était centrée sur le Sébéra consolida son assise sur le Maasina, le Djenneri et le Mourarien ralliant les chefs et installant ses alliés dans ses régions.
Gelaajo après Noukouma : la mésentente et la révolte contre la Dina
Après Noukouma et dans le sillage de la consolidation du pouvoir de Sékou Ahmadou Lobbo sur le Sébéra, le Djenneri et le Pondori, Gelaajo Hambodeejo réévalue sa position face au nouvel ordre dans le delta intérieur du Mali.
Gelaajo Hambodeejo, face à l’absence de réaction de Ségou, aurait réuni ses conseillers à sa capitale, Goundaka, pour les interroger sur la conduite à tenir face à l’ordre islamique naissant dans l’est, qui menaçait l’autorité des ArBe comme lui.
Il est rapporté que lors d’une de ses audiences, Ousmane Hambodeejo, frère puiné de Gelaajo [et fils de la princesse de Ségou] aurait rapporté ces propos à son frère :
— Je n’ai jamais eu peur d’un guerrier et je suis tout disposé à mourir pour défendre mon frère et le renom de notre famille. Mais je conseille à mon frère de ne pas s’opposer au marabout. C’est une foudre de guerre que Dieu envoie dans ce pays. Il faut aller nous soumettre, non pas à lui, mais à Dieu, et déposer notre soumission entre ses mains. Ainsi nous éviterons la guerre et garderons notre commandement.
Cet avis aurait été validé par les autres membres de la cour de Gelaajo, qui aurait résisté pendant trois mois à leurs conseils de se rendre à Noukouma. Cette attitude aurait généré des inconforts au sein des troupes de Gelaajo, le forçant d’une certaine manière à envoyer un émissaire auprès de Boureima Khalilou, Diawando de la Dina naissante, pour solliciter son coonseil et un accommodement possible avec la Dina. Le conseil de Boureima aurait été de rencontrer Sékou Ahmadou et de professer sa foi musulmane devant la Cour.
Gelaajoo acquiesça à cette requête et rencontra Sékou Ahmadou à Noukouma. Selon le récit de Hampaté Ba et J. Daget, collecté dans les années 1950, la rencontre entre les deux figures se serait déroulée comme suit :
Cheikou Amadou, selon son habitude, dit à Guéladio au cours d’une audience privée :
— Pour me prouver la sincérité de ta conversion, donne-moi un conseil. La guerre étant l’affaire des Arɓe plus que celle des marabouts, je voudrais que ton conseil soit d’ordre militaire.
Guéladio, répondit :
— Tu vas auparavant prier Allah de ne jamais m’abandonner à la merci d’un de mes ennemis.
Cheikou Amadou, ne saisissant pas l’astuce de cette demande 2 et sans aucune arrière-pensée, formule une prière dans le sens souhaité par Guéladio.
— Merci, lui dit ce dernier. Maintenant je vais, en toute tranquillité et de bon coeur, te donner quelques conseils :
Tu transféreras ta capitale de Noukouma en un lieu hors de la zone d’inondation. Noukouma pourrait être facilement assiégé durant les hautes eaux.
— Connaîtrais-tu un emplacement qui conviendrait à la fondation d’une grande ville qui serait la capitale de la Dina ? [Sékou Ahmadou]
[Gelaajo] Oui. Entre Sofara et Taykiri s’étend une vaste plaine, environnée de collines, qui conviendrait parfaitement. La ville pourrait être fortifiée et les hauteurs qui l’entourent utilisées comme postes de guet.
Il faut autant que possible construire en pisé et supprimer progressivement les paillottes. Quelques cavaliers décidés, armés de tisons ardents, peuvent ruiner un vaste territoire dont les cases sont faites de paille 4.
Tu élèveras des juments afin d’assurer à peu de frais la remonte d’une puissante cavalerie.
Tu encourageras l’agriculture en prenant la défense des travailleurs des champs. Cette politique assurera à ton état de bonnes récoltes et le prémunira contre le redoutable fléau qu’est la famine.
Tu ne feras rien sans l’assentiment des notables de ton pays. En politique, mieux vaut suivre une fausse route les ayant avec toi que t’engager dans un bon chemin les ayant contre toi.
Tu choisiras comme favori un captif qui mourra sans trahir et se fera tuer pour te sauver.
Tu prendras un maabo [tisserand-griot] comme confident intime. Un maabo pur-sang ne vend jamais un secret confié.
Tu feras traiter tes affaires par un DiawanDo. Le DiawanDo gâche tout projet formé sans lui, mais il a honte de voir échouer un plan qu’il a dressé lui-même.
Il faut aimer la fortune et ne pas la dissiper comme tu le fais.
Ce dernier conseil déplut à Cheikou Amadou.
— Pourquoi veux-tu que je thésaurise ? dit-il à Guéladio. Ne sais-tu pas que les biens de ce monde sont périssables et qu’inévitablement il faut, au seuil de la tombe, renoncer à toutes les richesses amassées durant la vie ?
— Je ne t’ai pas dit, reprit Guéladio, de rechercher la fortune pour toi-même. Mais tu veux fonder une Dina. Elle ne peut prospérer que si tu gagnes les hommes à ta cause et si tu les retiens près de toi.
— Certes oui, concéda Cheikou Amadou.
— Or, les hommes aiment l’argent, continua Guéladio. Même ceux qui ne l’adorent pas ne peuvent s’en passer. Il te faut donc amasser une fortune, non pas pour ton plaisir, mais pour attirer les hommes dont tu auras besoin. Tu as gagné des batailles, mais ta victoire ne sera définitive et ta domination affermie qu’autant que tu auras des biens à répandre autour de toi. Mon père HamboDédio avait coutume de dire : « donnez-moi de la fortune et je ferai de la terre ce que vous voulez qu’elle soit. S’il a réussi à épouser la fille de Da Monson, c’est que son or avait lesté les langues qui auraient pu dire non.
— Tu as raison, dit Cheikou Amadou. La Dina aura son trésor, mais moi, j’ai fait vœu de pauvreté.
Comme on le voit ici, Gelaajo aurait été influent dans la sélection de l’emplacement de la future capitale de la Dina, « Hamdullaye », à mi-cheval entre le Kunaari, le Macina, et pas si loin du Hayré. Gelaajo invitait ainsi Sékou Ahmadou Lobbo à s’établir plus près de lui, mais dans un site facilement défendable et moins enclavé que le Sébéra initial. Une entente existait ainsi, entre Gelaajo Hambodeejo, figure de l’ancien ordre, et Sékou Ahmadou, porte-étendard du nouvel ordre islamique. Mais cette entente cordiale n’allait pas durer, car la révolte de Gelaajo Hambodeejo Dicko, qui allait « durer sept ans » selon la transition, est un des évènements qui allait faire trembler l’empire peul du Macina
La révolte de Gelaajo contre l’ordre nouveau des clercs
1235 AH- 1819/20: Gelaajo Hammadi Bodeejo se rend à Tombouctou pour rencoontrer Cheikh Sidi Muhammad
1240AH- 1824/25 Révolte de Gelaajo Hammadi Bodeejo
Source: Tarikh Fittuga de Cheikh Isma’il Wadi’at Allah/Yerkoy Talfi
L’entente entre Gelaajo Hambodeejo et la Dina ne fut pas longue. Le nouvel ordre voulait soumettre l’ancien, en établissant un nouveau commandement soumis à Sékou Ahmadou et aux Quarante marabouts du Batu Mawdo.
Chaque région était dirigée par un amiru, qui était en même temps un chef de guerre pour le compte du laamu Diina. Les amiiraabe étaient assistés de conseillers juridiques et devaient rendre compte au Batu Mawdo/Sékou Ahmadou, qui constituaient l’autorité suprême.
Comme on le sait, Ousmane Bokari Sangaréavait été proclamé Amiiru Mangal à l’aube de Noukouma, et fut celui qui commandait la province du Dienneri. Il résidait à Djenné mais ses troupes étaient garisonnées à Sénossa, Wakana et Ngounya, surveillant le Niger, et la frontière ouest avec Ségou et le Saro.
Bori Hamsalah (Bokari Hammadoun Salah),qui avait été à la tête des troupes à Noukouma, fut proclamé Amiiru Macina,avec résidence à Tenenkou, à la suite de la déchéance de l’Ardo Ahmadou, ennemi de Sékou Ahmadou, et de la soumission à la Dina de Ardo Ngouroori Diallo, primus inter pares des Arbe avant la Dina. Bori Hamsalah commandait de Diafarabé au lac Débo, proche de la zone inondée et des bourgoutières tant désirées.
Le Fakala, était commandé par Alfa Samba Fouta Ba, de Poromani. Il sera secondé par le neveu de Sékou Ahmadou, Ba Lobbo Barryet par son fils Maliki Alfa Samba.
Gouro Malaado, un autre neveu de Sékou Ahmadou commandait le Hayré, et surveillait les frontières est du nouvel état. C’était un grand commandement, constituant la marche avec le Hombori, le Jelgooji, le pays mossi et samo, et Gouro Malaado était secondé par plusieurs porteurs de tambour [« joom tuube] comme Alfa Seyoma qui résidait entre Dalla et Douentza et Moussa Bodeejo, qui résidait à Aribinda.
Le Farimaké/Fittuga/Gimballa était commandé par Alhaji Moodi, un cousin de Sékou Ahmadou, et connu comme spécialiste de la guerre de razzias contre les Touareg et les Maures. L’Amiiru Nabbe e Dude commandait cette région des lacs, restive à l’autorité centralisatrice de Hamdallaye.
Dans cet ordre naissant, Gelaajo Hambodeejo ne fut pas choisi parmi les cinq amiraabe initiaux, mais ses états furent subordonnés à l’autorité de l’amirou du Hayré et du Fakala-Kunaari. La Dina avait privilégié de mettre des chefs dont la confiance n’étaient pas en doute à la tête de ces 5 grands commandements; les chefs ralliés comme Gelaajo Hambodeejo et ceux de Wouro Nguiya, Attara, Farimaké, Sa, Dari, Konsa, Wakambé, Tégé, Kagnoumé, Poromani, Bambara Maounde, étant catégorisés comme des « joom tuube », ou chefs de deuxième ordre.
La rébellion de Gelaajo trouve certaines de ses origines dans cette nouvelle cartographie qui scinde ses états. La nomination de Gouro Malaado au Hayré avec autorité sur le Pignari, conquis par Gelaajo et à qui il était demandé, de céder cette conquête fut l’étincelle. À la suite de cette nomination, Gelaajo Hambodeejo aurait dit:
‘’Sans honneur, que ferais-je de la vie ? Mourir est une loi inévitable, mais se laisser honnir sans réaction, c’est manquer de courage et de vertu…’’
La chronique du Fittuga fait part d’une visite de Gelaajo Hambodeejo chez Cheikh Sidi Mohamed el-Kounti en 1820. L’évènement est assez notable pour être consigné dans les annales et le tarikh ne fait pas état des discussions. Ce vide est cependant comblé par la tradition orale qui fait exhaustivement état des tractations de Gelaajo entre Hamdallaye et Tombouctou, et des alliances qu’il essayait de contracter avec Boubou Ardo Galo du Macina, et avec Amadou Alfa Koudiadio, marabout du Farimaké, pour déclencher une grande révolte contre Sékou Ahmadou.
Les traditions rapportent que lors de sa visite à Tombouctou, Gelaajo aurait sollicité un marabout qui l’aiderait à traiter avec la Dina et sur les questions musulmanes à Sidi Mohamed al-Kounti, qui lui aurait envoyé un de ses disciples, Alfa Nouhoum Tayrou [ou Nuh b. al-Tahir, selon les clercs musulmans]. Alfa Nouhoum Tayrou, « ngel binndi » [l’écrivain en fulfulde] est passé à la postérité comme le coadjuteur de Sékou Ahmadou et comme l’un des théoriciens des bases de l’état naissant. Durant son service à Goundaka, au service de Gelaajo, Alfa Nouhoum Tayrou développa des relations avec le Batu Mawdo et Sékou Ahmadou, qui étaient séduits par sa science religieuse et par son talent littéraire. Gelaajo aurait été irrité par cette tournure des évènements et lui aurait dit, lorsqu’à bout de patience:
— Je m’aperçois chaque jour que tu es plus près, par le cœur, des marabouts de Hamdallaye que de moi. Tu prétends toujours que leurs instructions sont conformes au Coran et à la Sounna et tu trouves toujours que ma ligne de conduite est répréhensible. Je me demande si réellement tu défends bien ma cause. ».
Gelaajo, insatisfait de son conseiller religieux, aurait écrit une lettre au Cheikh Sidi Muhammad pour se plaindre et l’accuser d’être sur le point de renier son obédience à la Qadiriyya Kountiya, pour s’inféoder à Hamdallaye. Au-delà des accusations, cette tradition montre en fait qu’à cette époque les rapports entre les Kountiyya et la Dina étaient loin d’être établis, et que beaucoup de princes et musulmans de la boucle du Niger, s’appuyer sur des légitimités islamiques confrériques, pour contester l’ascendance d’Hamdallaye.
À la défaveur de Gelaajo, Cheikh Sidi Muhammad Kounti n’aurait pas apprécié ses insinunations. Il aurait écrit à Alfa Nouhoum Tayrou une lettre rapportée comme telle par Ba et Daget :
« Le serviteur d’Allah, Sid Mahamman, qui espère en la miséricorde de son créateur le Clément sans bornes, à son disciple, la perle brillante d’un collier magnifique, Alfa Nouhoun Tayrou, salut. Il nous est parvenu de la part de l’illustre fils d’Hambodédio, auprès de qui Allah a voulu que nous t’envoyions pour défendre et faire triompher le droit par la justice, que ton esprit est en train de s’obscurcir et tes pas, jadis si fermes, de chanceler. Nous ne pouvons ni croire à ta défaillance, ni douter du dire du fils d’Hambodédio, avant de t’avoir entendu. En conséquence, quel que soit le lieu où cette lettre te trouvera, pars immédiatement pour Tombouctou où nous te convoquons, avec le ferme espoir que nous ne t’y attendrons pas longtemps. »
Lorsque le porteur de cette lettre arriva au domicile d’Alfa Nouhoun Tayrou, celui-ci était sorti. Le messager attendit à la porte. Alfa Nouhoun Tayrou, revenant de la mosquée, allait rentrer chez lui quand l’envoyé de Cheik Sid Mahamman [Cheikh Sidi Muhammad Kounta] lui tendit la missive. Alfa Nouhoun Tayrou, piqué par la curiosité, l’ouvrit et en prit connaissance sur place. Les assistants virent ses traits changer au fur et à mesure qu’il lisait, mais ne pouvaient deviner les sentiments qu’il éprouvait. Surmontant son trouble, Alfa Nouhoun Tayrou après avoir achevé la lecture de la lettre, se tourna vers le messager et lui dit, souriant :
— C’est entendu.
Il tourna le dos à sa porte et dit à ceux qui l’accompagnaient :
— J’ai reçu de mon cheikh l’ordre d’aller à Tombouctou, et je m’en vais.
Il chargea un ami d’aller faire ses adieux à sa famille et de le rejoindre avec le nécessaire pour le voyage, puis il dit à l’envoyé de Sid Mahamman :
— Tu m’excuseras de manquer à ton égard aux lois de l’hospitalité, mais partons sans plus attendre pour Tombouctou.
La nouvelle du rappel d’Alfa Nouhoun Tayrou parvint à Hamdallaye. L’empressement avec lequel il avait répondu à la convocation de son cheikh plut beaucoup à Cheikou Amadou qui lui écrivit immédiatement une lettre. Un cavalier rapide fut chargé de la lui porter avant qu’il ne fut sorti du Kounari. Le cavalier rattrapa Alfa Nouhoun Tayrou et son compagnon à Bogo [au sud de Konna]. La teneur de la lettre, toujours d’après la tradition orale, était la suivante :
« L’humble serviteur d’Allah le Grand, le Clément, le Miséricordieux, Amadou fils de Hammadi, fils de Boubou, à son frère en Allah, le savant, le pieux Nouhoun Tayrou. L’oreille perçoit parfois ce qui ne lui est point destiné. Nous avons appris que le fils d’Hambodédio t’a desservi auprès de notre vénérable Cheik Sid Mahamman. Il accuse ton cœur de se pencher vers nous plutôt que vers lui. Nous souhaitons qu’Allah te lave d’une calomnie qui peut accabler ton cœur de chagrin. Nous te prions de venir à Hamdallaye, nous enverrons au vénérable Cheik Sid Mahamman des preuves indiscutables de ta bonne foi. Ta place est plutôt parmi les membres du grand conseil qu’auprès de Guéladio. Ce dernier cherche à te chasser du pays alors que nous, nous recherchons la compagnie d’une âme aussi pure que la tienne, car seules les âmes pures sont agréables à Allah. »
Alfa Nouhoun Tayrou écrivit à Cheikou Amadou pour le remercier de sa sympathie, mais il ajouta qu’étant de l’obédience de Cheik Sid Mahamman, il ne pouvait se rendre à Hamdallay sans ordre de son maître.
Cheikou Amadou aurait alors envoyé une longue lettre à Cheik Sid Mahamman, et y joignit une correspondance reçue par le grand conseil de Hamdallay et dans laquelle Alfa Nouhoun Tayrou défendait Guéladio . C’était une preuve éclatante qu’à aucun moment Alfa Nouhoun Tayrou n’avait trahi sa mission malgré les propositions avantageuses de Hamdallay. Cheikou Amadou terminait sa lettre en demandant à Cheik Sid Mahamman de lui affecter Alfa Nouhoum Tayrou puisque Guéladio semblait ne plus en vouloir comme secrétaire. Cette lettre fut confiée à une pirogue légère avec ordre de ne pas s’arrêter en chemin. L’envoyé de Hamdallay parvint à Tombouctou avant Nouhoun Tayrou. Cheik Sid Mahamman prit connaissance des documents qui lui étaient communiqués et s’en montra très satisfait. Il savait à quoi s’en tenir sur la conduite de Guéladio qui avait inconsidérément calomnié un homme irréprochable. Il écrivit à Cheikou Amadou et à Alfa Nouhoun Tayrou.
La pirogue rapide de Hamdallay, remontant le fleuve, croisa celle de Nouhoun Tayrou qui descendait. On remit à Nouhoun Tayrou la nouvelle missive de Cheik Sid Mahamman. Il la lut avec joie, mais ne put s’empêcher de dire :
— Cheikou Amadou est un adversaire terrible ; il m’a fait perdre l’occasion de revoir mon cheik.
Effectivement, Sid Mahamman donnait ordre à son disciple de retourner sur ses pas et de se mettre à la disposition de Cheikou Amadou pour l’aider à gouverner la Dina.
C’est ainsi qu’Alfa Nouhoum Tayrou rejoignit Hamdallaye où il allait devenir la deuxième personnalité du régime naissant au fil des ans, épousant même la veuve de Sékou Ahmadou [et mère de son successeur Ahmadou Sékou, v.1800-1851] et s’érigeant comme un des acteurs majeurs de la diplomatie de Hamdallaye.
Il est inutile de dire que Gelaajo Hambodeejo fut désappointé par ce retournement des choses. Mais sa détermination à conserver ses privilèges et son indépendance n’avait pas flanché. La question du Pignari et sa subordination à Gouro Malaado lui étaient resté en travers de la gorge. Il aurait tenu cette ferme résolution :
« Le Pignari est ma conquête. Je ne peux pas admettre qu’on le donne à Gouro Malado. C’est une marque de mépris vis-à-vis de ma famille. Me taire serait forfaire à l’honneur de Hambodédio. Le commandement du Pignari ne doit pas être attribué à un autre sans mon consentement. Or les marabouts ont pris leur décision sans me prévenir, même à titre d’information. Je n’ai au demeurant que ce que je mérite. J’aurais dû continuer à les combattre et mourir au besoin comme sait mourir un Arɗo. Mais je suis décidéà envoyer à Hamdallaye une lettre de protestation. La réponse que Cheikou Amadou me fera, décidera entre la paix et le silence ou le bruit de la poudre et le cliquetis des armes blanches. Puis il écrivit au grand conseil :« Avant l’avènement de Cheikou Amadou, moi, Gelaajo Hambodeejo, j’ai fait une incursion dans le Pignari ; j’ai battu le pays jusqu’aux portes de Doukombo . Cette région est mon domaine puisque je l’ai conquise. Je demande à ce qu’elle ne soit pas distraite du Kounari. Je m’élève contre la désignation de Gouro Malado pour la commander.».
Lorsque la lettre de Gelaajo fut reçue par le Grand Conseil, leur réponse éteignit tous ses espoirs et sonna le glas de leur entente.
« Il a été décidé par le conseil chargé de veiller sur la sécurité et la bonne marche de la Dina, qu’aucun homme incapable de lire, écrire et comprendre le sens d’un document écrit en caractères arabes, ne serait placé à la tête d’un territoire à plus de cinq jours de marche. Ton maintien comme chef du Kounari est une mesure exceptionnelle qui continue à être combattue par certains conseillers. Il est de ton intérêt et de celui des tiens de te tenir tranquille. Le grand conseil ne conteste ni ta naissance illustre, ni tes mérites militaires, mais il ne saurait être question de te donner la préséance dans une affaire où la valeur militaire et l’origine ne constituent pas des titres essentiels. On exige des chefs foi et science. Or sans t’insulter, ta foi est tiède et ta science est nulle.»
Gelaajo contracta des alliances au-delà, pour tenir tête à Hamdallaye. Selon le récit de Ba et Daget, Alfa Ahmadou Koudiadio avait été missionné par la Dina pour rallier le Farimaké, le Dirma et le Ndodjiga mais après ses conquêtes initiales, était entré en rébellion s’alliant aux Touaregs Tengerigrif de Woyfan, et aux Kel Tadmakkat en défiance à Hamdallaye obligeant. La Dina fut obligée d’envoyer une colonne dirigée par Alhaji Moodi pour le mettre au pas. D’une certaine manière la défiance de Gelaajo servait également ses intérêts. Il semble que Gelaajo tenta une dernière approche auprès de Cheikh Sidi Mohammed pour avoir une caution islamique à sa rébellion ; ce qui expliquerait peut-être l’annonce de sa visite au marabout kountiyou dans le Tarikh Fittuga en 1820. Mais ce fut également un échec ; Cheikh Sidi Muhammad conseillant à Gelaajo de se conformer aux exigences de la Dina, et de ne pas se rebeller.
Ainsi Gelaajo s’appuya simplement sur la force de ses armes, lorsqu’il déclencha sa rébellion qui aurait duré 7 ans [1820-1826] selon la tradition, et 2 ans [1824-1826] selon le Tarikh Fittuga. Il est possible que ces deux dates aient des références différentes et que la défiance de Gelaajo commença en 1820 pour prendre une tournure militaire à partir de 1824. Le Pereejo aurait tenu ces propos à son frère et confident Ousmane, avant d’enclencher sa rébellion :
Je suis revenu de Tombouctou plus morose que jamais. Je n’ai pas trouvé auprès du marabout Sid Mahamman le réconfort sur lequel j’avais fortement compté. Il me prédit le pire. Tu seras battu si tu fais la guerre à Cheikou Amadou, telle a été sa conclusion. Mais je ne me laisserai pas intimider. Sans honneur, que ferais-je de la vie ? Mourir est une loi inévitable, mais se laisser honnir sans réaction, c’est manquer de courage et de vertu. J’ai foi en ma chance. Je préfère périr, voir tous les miens mourir ou quitter le pays, plutôt que de me soumettre aux gens de Hamdallay qui font et refont des coupes territoriales en dépit de tout bon sens. Si je ne sais pas réciter le Coran, mon esprit est rompu aux tactiques de la guerre. Mes chevaux, mes sabres et mes lances me redonneront la préséance que les versets du Coran, dit-on, me refusent. Je ferai aux marabouts une guerre sans merci. Ils pourront avoir ma vie comme ils ont eu celle de mon cousin Arɗo Amadou [pris, livré aux marabouts et décapité par Hamdallaye, avec son corps jeté dans une mare du Mourari]. Mais auparavant, ils auront eu de moi des nouvelles sanglantes. Tant que tu vivras, toi, Ousmane mon frère, tant que mes lances ne seront pas émoussées ni mes chevaux déchaussés de leurs sabots, les marabouts ne dormiront pas sur leurs deux oreilles et ils ne réciteront pas tranquillement des passages de leur livre dans la salle aux sept portes qui fait tant leur orgueil.
Ousmane qui avait attentivement écouté son frère jusqu’au bout dit :
— Alors ce sera la guerre entre nous et les marabouts ?
— Oui, dit Guéladio, je vais déclarer la guerre aux marabouts.
L’Ardo Mawdo du Macina, Ngourori Diallo, approché par Gelaajo refusa de joindre la rébellion mais son frère Boubou Ardo Galo, était allé à Ségou pour demander au faama Da Monzon, un appui en or et en ressources, dans la révolte qui se préparait. Ainsi les marabouts devaient s’attendre à une rébellion massive dans le Farimaké et le Fittuga, dans le Kunaari et dans une partie du Macina avec Boubou Ardo Galo. Le maabo de Buubu Ardo Galo, Galo Segene, composait des satires insultant les marabouts et traitant Ngourori de couard et appelant les Arbe à la dissidence. Buubu Ardo Galo qui refusait de manger le « cengle issu de la sadaqat », aurait tenu ses propos à son frère :
— Tu peux rester à Hamdallay puisque tu y as élu domicile. Tu peux te faire inscrire sur la liste des marabouts car tu es rayé de celle des Arɓe. Ne compte plus sur le Macina. Puisque tu as renoncé à venger Arɗo Giɗaɗo, ma place est maintenant aux côtés de Gelaajo.
Buubu Ardo vainquit la cavalerie macinanké à Néné, et encore lorsqu’ils traversèrent le fleuve pour Tenenkou, jurant qu’il apprendrait la guerre aux marabouts en les frappant avec la chaine qu’ils utilisent pour les enfants apprenant le Coran.
Alors que Buubu Ardo Galo taillait en pièces les cavaliers de la Dina à Néné, Gelaajo exerçait une pression directe sur Hamdallaye proche de son Goundaka. Ousmane Hambodeejo, de Sio, bloquait l’accès à Hamdallaye, affamant les résidents de la nouvelle capitale, alors que Gelaajo appelait tout le pays au soulèvement. Plusieurs fois, les troupes du Kunaari vainquirent celles d’Hamdallaye, grâce à la sagacité politique de Gelaajo et à son réseau d’espions dans la boucle du Niger.
La mise en échec de la Dina obligea Sékou Ahmadou à solliciter les conseils de Bouréma Khalilou, un jawanndo de Hamdallaye à la sagacité légendaire et toujours en opposition avec Hambarké Samatata, le rigoriste accusateur public du Baatu Mawdo et ennemi de Gelaajo. Bouréma Khalilou, compromis dans la rébellion et mis aux fers, fut libéré et réinstallé dans le Grand Conseil après des années d’échec et alors que l’autorité de la Dina se réduisait comme une peau de chagrin. Celui-ci aurait dit appelé le Grand Conseil à plus d’humilité et de sens politique et rappelé que « savoir lire et écrire ne garantissait pas la vivacité de l’intelligence, la puissance de déduction, ni le don de la persuasion ».
Au conseil de guerre de la grave heure, Boureima Khalilou aurait été le dernier à parler rappelant la nécessité du secret pour les déplacements de la cavalerie macinanké. Amirou Mangal de Djenné, rappelé de Djenné, vint en appui à Alhaji Moodi, Bori Hamsala et à Alfa Samba Fouta, contre Gelaajo Hambodeejo. La conjoncture politique devait permettre la concentration des forces contre Gelaajo; la pression s’étant relâchée du côté de Ténenkou-Néné lorsque les colonnes de Hammadi Oumar Gouro vainquirent Buubu Ardo Galo et le tuèrent.
Toutes ces forces se reportèrent sur le Kunaari en attaquant Ousmane Hambodeejo à Sio pour désserrer l’étau autour de Hamdallaye, coupée de l’est. La cavalerie macinanké défait le blocus après un duel entre Ousmane Hambodeejo et Samba Abou, son ami d’enfance rallié à la Dina. Les deux amis se tueront au début de la bataille mais la mort d’Ousmane Hambodeejo avait déstructuré le commandement du Kunaari, et l’arrivée de troupes massives favorisant leur déroute pour Goundaka. La mort de Buubu Ardo Galo et celle de son frère Ousmane Hambodeejo perturbèrent Gelaajo qui lui aussi sollicita les conseils de Boureima Khalilou, conseiller de Sékou Ahmadou. Le conseil donné fut de quitter le pays car Hamdallaye ne comptait lui faire aucun quartier pour sa défiance.
Ce fut alors que Gelaajo réunit son conseil de guerre, pour savoir quelle conduite tenir. La décision de l’exil douloureux lui fut conseillée, dans l’espérance d’un retour; Goundaka étant trop proche de Hamdallaye et n’offrant pas les abris des contreforts du Hayre, la défiance devenait désespérée après les conseils de Cheikh Sidi Muhammad, et la défaite des alliés dans le Macina, le Mourari, et le Fariimaké. Le Kunaari en solidarité à son chef, se divisa : une bonne partie des gens du pays se décidant à subir la même fortune que leur chef. Gelaajo leur aurait dit :
— Ceux qui veulent m’accompagner me feront plaisir, mais je me séparerai sans rancoeur de ceux qui préfèrent rester ici.
Alors son maabo, Maabel Gelaajo, s’approcha :
— Fils d’Hambodédio, dit-il, ta mère est vieille ; elle ne peut suivre le fugitif que tu es à travers un pays inconnu où tu ne pourras peut-être avancer qu’en donnant des coups de lance ou en faisant parler la poudre.
Gelaajo se souvenant de la peur de Galo Segene, maabo de Buubu Ardo,qui dans les derniers moments fut pris d’une telle peur qu’il ne pouvait ni jouer de son luth, ni chanter les louanges de son maître, comprit que son maabo était sur le point de lui fausser compagnie.
Il le réconforta dans ses peurs et lui demanda de rester et de servir sa mère Welaa Takkaade, trop vieille pour l’exil incertain, et leur laissant des calebasses d’or pour leur entretien. C’est de nuit que le Pereejo quitta le Kunaari, passant par le Hayre, le Seeno et le Liptaako, alors que les troupes de Alhaji Moodi étaient à ses trousses, déterminées à venger les échecs qu’il leur avait fait subir. C’est à Béléhédé que ces troupes s’arrêtèrent dans leurs poursuites, n’osant pas franchir les états du sultan de Sokoto pour y poursuivre un fugitif. Gelaajo Hambodeejo reçurent l’hospitalité de Sokoto [plus spécifiquement du Gwandu d’Abdullahi dan Fodio, 1763-1828], et s’installèrent dans un « Nouveau Kunaari », entre Say et Torodi [Niger actuel] avec leur capitale à Ouro Gueladio [la ville de Guéladio]. Au fil du temps, l’adoucissement entre Sokoto et Hamdallaye favorisa également les relations entre Gelaajo et la Dina.
Wela Takkaade, la mère de Gelaajo fut invitée à vivre à Hamdallaye dans la concession même de Sékou Ahmadou Lobbo, ce qui constituait une propagande utile pour Hamdallaye face à un rebelle très populaire. Elle y vécut jusqu’à sa mort avec Maabel Gelaajo, et fut entretenue par la Dina. À son décès, furent découvertes les gourdes remplies de poudre d’or que Gelaajo lui avait données pour son entretien, et qui ne furent jamais déscellées. Ce fut Maabel Gelaajo qui expliqua l’origine de ce trésor aux curateurs; précisant que Wela Takkaade n’a jamais eu besoin de cet or vu que son entretien était pourvu par la Dina.
Ce fut ainsi que Sékou Ahmadou aurait écrit une lettre à Gelaajo, en ces termes :
« Moi Amadou Hammadi Boubou, par la grâce de Dieu imam de Hamdallay, au fils d’Hambodédio. Allah répand ses grâces et accorde le salut au sceau des Prophètes, notre Seigneur Mohammed le véridique, ainsi qu’à sa famille. Sache, ô Guéladio, que Dieu a rappelé à Lui ta pieuse mère. Elle est morte en paix et sur la voie de la rectitude. Je t’envoie, escortés par un groupe de cavaliers, les biens constituant sa succession. Celle-ci comporte, entre autres objets de valeur, une gourde scellée à la bouse de vache, que tu aurais offerte à ta mère avant de te séparer d’elle. J’espère que Dieu aidant, le tout te parviendra en bon état. Salut et condoléances de la part de tous. ».
Quand Gelaajo reçut la lettre et s’étant demandé si sa mère avait dédaigné son or, vu qu’on le lui retournait et ayant eu une explication de la chose, il aurait demandé aux émissaires de Hamdallaye de tout ramener au Batu Mawdo, et de verser l’or et les biens légués à lui par sa mère au trésor public et que cela soit distribué aux pauvres.
« Vous direz à Cheikou Amadou que je verse le tout au beyt el mâl en faveur des pauvres. Puisse ce geste valoir à ma mère et à moi la miséricorde d’Allah le Clément » »
Épilogue: « Mohamed » Gelaajo dans le « nouveau Kunaari »
En 1853, un voyageur allemand se faisant appeler « Abdel Karim » mais ayant pour vrai nom Heinrich Barth avait fait le trajet Tripoli [Libye] à Kukawa [au Nigeria] et ensuite Kukawa jusqu’à Sokoto. De Sokoto, il comptait se rendre à Tombouctou, où il sera logé par Cheikh Sidi Bekkaye el-Kounti (1803-1864), fils de Cheikh Sidi Muhammad (1765-1826), et peut-être à Hamdallaye. Dans cet itinéraire, il passa par Ouro Gelaajo [appelée alors Tshampagore] et fut reçu par Gelaajo Hambodeejo, qui était un vieux à cette époque. Il le décrit ainsi :
« Mohammed Galaïdjo était, lors de ma visite, âgé d’environ soixante-dix ans; de taille moyenne, il avait une physionomie fort agréable, à l’expression presque européenne.
Vêtu fort simplement, il ne portait qu’une tunique bleu-clair et avait la tête entourée d’un châle blanc. Galaïdjo, fils de Hambodedjo, succéda à son père, qui était sans doute le chef qui reçut avec tant d’hospitalité Mungo Park en 1805-1806, Ce Hambodedjo était alors le chef le plus puissant du Massina ou Melle, qui avait été divisé en une quantité de petits royaumes, depuis la chute de l’empire Sonrhaï; or, l’avénement de Galaïdjo au pouvoir, coïncida précisément avec le commencement du grand mouvement politique et religieux des Foulbe du Gober, mouvement dirigé par le réformateur Othman. Excité par leur exemple et enflammé d’une ardeur religieuse, il s’éleva Parmi eux un apôtre qui s’en alla répandre l’islamisme dans sa forme nouvelle, parmi la subdivision des Foulbe établie sur les rives du Niger supérieur.
Cet apôtre était Mohammed ou Hamed Lebbo. Au commencement de l’an 1233 de l’hégire (1818), il arriva dans le Massina, à la tête d’une petite armée enthousiaste et conclut une alliance avec Galaïdjo, qui embrassa lui-même l’islamisme (car son père était resté fidèle aux superstitions païennes); ainsi unis, ils entreprirent en commun la conquête des contrées voisines ; mais lorsque Lebbo se fut ainsi puissamment établi, il prétendit soumettre à sa domination son allié, sous prétexte que c’était lui qui avait levé, au berceau même du mouvement, l’étendard de la réforme.
Galaïdjo, qui se souciait peu de renoncer à ses antiques domaines, entra en lutte avec Lebbo et se vit forcé, après trois ans d’une guerre acharnée, d’abandonner sa capitale, Konari, et d’aller se chercher, avec le reste de ses partisans, une nouvelle patrie dans les parties orientales du pays. Il fut reçu à bras ouverts par le sultan de Gando, qui lui donna le gouvernement de la contrée vaste mais peu fertile, qui s’étend à l’ouest du Niger; c’est là qu’il est maintenant établi depuis une trentaine d’années »
Le récit de Barth nous vient d’une personne qui a vu et causé avec Gelaajo, qui l’a reçu dans sa maison. La perspective qui y est, différe légèrement de celle des traditions et pourrait constituer celle de Gelaajo suur les évènements qui l’ont amené à quitter son pays. C’est en ça qu’il est intéressant, toutes précisions gardées.
Aminata Wane dans son ouvrage sur Gelaajo apporte une tradition de l’historien nigérien Boubou Hama, disant que Cheikhou Oumar Foutiyou [1797-1864] aurait été reçue par Gelaajo, au retour de son pèlerinage. Peut-être que Heinrichi Barth a suivi le même itinéraire que celui du marabout, de Sokoto au Macina, avec plus d’une décennie de différences. Un fis de Gelaajo, Ibrahim Gelaajo Hambodeejo, étaiit noté parmi les alliés de Tidiani Alfa Ahmadou Tall, neveu de Cheikhou Oumar, durant sa reconquête du Macina entre 1864 et 1870. Gelaajo serait mort dans le Jelgooji en 1862, après la bataille de Cayawal, et alors qu’il espérait retourner dans son pays. Son exil fut permanent et il ne reverra jamais son Kunaari natal
Écoutons son dammol une dernière fois.
Nan !
1 Ayya Buubu, Accaa Buubu, Amina Buubu !
Entends !
1 Ayya Boûbou, Attia Boûbou, Amina Boûbou !
2 Kunta Buubu, Kunta Nguuroori Galo Haawa !
2 Kounta Boûbou, Kounta Ngoûrôri Galo Hâwa !
3 Pullo am mo ñaamaani gacce segene ñeeno jontaaɗo !
3 Mon Peul qui ne manque pas de donner au plectre son dû !
4 ɓe mbiya mo Gelaajo Ham Boɗeejo Hammadi Ham Paate Yella
4 On l’appelle Guélâdio Ham Bodêdio Ham Pâté Yella,
5 E Ndooraari, Pullo moorotoongal balamiinaaji
5 Le Ndôrâri (mouton de Dori), le Peul dont les tresses sont des balaminâdji [arbustes ligneux]
6 Cañcortoongal kure kaŋŋe !
6 Et qui les défait avec des fléchettes en or !
7 Kanko wiyetee joom sahre !
7 C’est lui qu’on appelle le maître de la ville
8 ɓe mbiya mo kuɗal daande maayo
8 Lorsqu’on l’appelait « l’herbe au bord du fleuve »
9 Sukubee ñukubee, sumataa ñaayetaake
9 Soukoûbé Gnoukoubé, Qui n’est ni brûlée, ni broutée,
10 Mboɗeeri dono feelaa, jennga suɓee aawdi
10 Mil rouge, héritier du mil blanc, sélectionné le soir,
11 Sabboree ngatamaare
11 Dans l’attente des premières pluies,
12 O wiya: ‘’mi ɓennii ɗoon !’’
12 Guélâdio disait : « Ma renommée dépasse tout cela ! »
13 Ɓe mbiya mo Weyse Baaye Buubu, Weleende Baaye Buubu
13 On l’appelait Weysi Bâyé Boûbou, Wélêndé Bâyé Boûbou,
14 Pulal Baaye Buubu sukkiɗi korlal
14 Le grand Peul Bâyé Boûbou, celui qui a la jambe poilue,
15 Yaaji larongal, juuti saalifaaji daande
15 Celui qui a la peau épaisse, qui a les muscles du cou saillants,
16 Saliima waɗde bitti reedu
16 Qui a refusé d’avoir des plis au ventre
17 A hoɗii e tule, a haɓaama e tule a haɓetaake
17 Tu as habité dans des collines, tu t’es battu dans des collines, tu ne te bats point
18 Leydi Idiriisa Bookar Hammooy
18 Au pays d’Idrissa Bocar Hamôye,
19 Yah ɗo nguli alaa ceeɗu
19 Va au lieu où il ne fait pas chaud en période d’extrême chaleur,
20 Jaangol alaa dabbunde.
20 Ni froid en hiver !
Pour aller plus loin
Ba Amadou Hampaté et Jacques Daget. 1975. L’empire peul du Macina (1818-1853), tome 1. Paris. Les Nouvelles Editions Africaines.
Barry, Ibrahim. 1993. Le royaume de Bandiagara, 1864-1993: le pouvoir, le commerce et le Coran dans le Soudan nigérian au 19e siècle (Thèse en histoire, EHESS: Paris).
Bradshaw, Joseph M. 2021. The Bandiagara Emirate: Warfare, Slavery and Colonization in the Middle Niger, 1863-2003. (Dissertation Thesis in History, Michigan State University)
Hama, Boubou. 1968. Contribution à la connaissance et à l’histoire des Peuls. Paris, Présence Africaine.
Extrait du récit d’Eugène Mage, envoyé à Ségou de 1863 à 1866.
Nous étions en plein mois de Ramadan, ou carême musulman les Talibés jeûnaient ponctuellement pour la plupart. On sait en quoi consiste ce jeûne : on ne doit pas manger du lever du soleil au coucher et on ne doit ni boire, ni avaler sa salive, ni se rincer la bouche, ni fumer. Aussi, pendant ce temps et surtout lorsque le carême tombe en pleine saison sèche, comme cette année, les musulmans dorment une partie du jour et restent le plus longtemps possible dans leurs cases. Le 8 mars on guettait l’apparition de lune qui devait terminer ce jeûne, si rigoureux et si pénible, que la plupart le rompent plusieurs fois, sauf à restituer ensuite le jours de jeûne non observés. Mais la lune ne se montra pas. En revanche, on nous apporta la nouvelle suivante: « Une femme est arrivée chez Ahmadou; elle s’est enfuie de Sansanding où ses maîtres se sont réfugiés parce que son village a été cassé par Alpha Ousmane ».
Pendant ce temps, Alpha Ousmane opère sur la rive droite. Ahmadou a donné l’ordre à l’armée campée à Koghé d’envoyer 40 chevaux en éclaireurs. »
Le lendemain, c’était un homme qui apportait des nouvelles analogues, et toutes ces nouvelles, j’en ai eu la preuve plus tard, étaient inventées pour ranimer l’espoir chez les Talibés, pour leur faire croire, à l’approche de la fête du Cauri, que bientôt El Hadj serait au milieu d’eux, et surtout pour écarter l’idée de sa mort, que quelques-uns commençaient à soupçonner.
Le 9 mars, la lune montra son croissant argenté mince comme un filet, et tout aussitôt, en dépit des ordres qu’Ahmadou avait fait crier dans le village par les griots, une salve de coups de fusils partit de tous les toits pour saluer l’apparition de l’astre des nuits et la fin du jeûne. Mes laptots avaient aussi préparé leurs fusils, mais je voulus donner l’exemple de l’obéissance, et je défendis de tirer.
Cependant je désirais savoir le motif de la défense, et je le demandai à Samba N’diaye, qui répondit que c’était pour ne pas gaspiller de la poudre, car, quoiqu’on en fabriquât beaucoup, on en consommait davantage encore.
Ce même soir, l’armée de Koghé, qui était placée depuis longtemps comme armée d’observation dans ce village, rentrait pour la fête. Il y avait à peu près cinq cents chevaux.
9 mars 1864
Le lendemain, 10, était donc la fête du Cauri. Dès le soir, j’envoyai en cadeau à Ahmadou une pièce de mérinos bleu de ciel, d’environ douze mètres. C’était une étoffe très-belle de nuance et de qualité. C’était d’ailleurs le premier présent que je lui faisais, car le gouvernement n’ayant pas jugé à propos de lui en envoyer, je n’avais pas voulu avoir l’air d’offrir des bagatelles qui, dans ma pacotille, étaient des objets d’échange, et qui eussent passé dans l’opinion publique pour le cadeau du gouverneur, qu’on eût trouvé à coup sûr très-mesquin.r
Ce cadeau, qui ne dépassait pas une valeur de 60 francs, fit plaisir à Ahmadou; il fit tailler deux boubous, en prit un pour lui, et donna l’autre à son frère Aguibou. La nuance était de son goût. Cette étoffe légère, chaude et simple, lui convenait. Mon messager interrogé lui dit que cela valait 20 francs la coudée, que je l’avais apporté pour lui, qu’il n’y avait que les gens très-riches qui en eussent, et comme ce n’était pas un des objets ordinaires de traite au Sénégal, aucun des Toucouleurs ne s’inscrivit en faux contre ces assertions. Ahmadou fut content et me fit remercier.
J’avais témoigné le désir d’assister à la fête, on mit à ma disposition le cheval de Samba Ndiaye et un autre pour le docteur.
10 mars 1864.
Vers huit heures, le tam-tam de guerre ayant battu la marche annonçant la sortie d’Ahmadou, nous montâmes nos coursiers et nous nous rendîmes hors de la ville, passant par la grande porte du marché, accompagnés des sofas qui avaient été depuis notre arrivée affectés à notre service.
Le docteur allait à une allure paisible comme en voyage; quant à moi, habitué depuis l’enfance à monter à cheval, et sentant pour la première fois depuis mon départ de Saint-Louis un cheval vigoureux entre mes jambes, je rendis la bride et je franchis au galop le kilomètre qui sépare la porte de l’extrémité du village des Somonos, étonnant considérablement les noirs qui s’extasiaient de voir un blanc savoir faire courir aussi bien qu’eux un cheval et monter sur une selle sans y être emboîté, comme ils le sont sur leurs selles indigènes.
Il y a à l’extrémité Est du village des Somonos un vaste emplacement où le terrain sablonneux a une teinte rouge que je crois due à un oxyde de fer, et est à peu près dépourvu d’herbes, tant à cause du ravinage qu’y opèrent les eaux de pluie, qu’à cause du piétinement continuel dont il est l’objet; de grands arbres, benténiers (fromagers), figuiers à racines pendantes, et quelques doubalels ombragent une partie de cette place. C’est là qu’on fait la fête du Cauri [Kori en pulaar] et en général toutes les fêtes religieuses et les grands palabres.
Ahmadou, arrivé avant nous, était en grande toilette; par-dessus son costume habituel il avait un boubou blanc brodé, un superbe bournous arabe, de drap bleu de ciel, garni de passementerie d’argent, dont les pans relevés sur les épaules montraient une doublure de soie jaune, verte et rouge, du plus bel effet (pour les noirs); un turban noir, du plus beau tissu indigène, garnissait sa tête sans être d’une dimension trop exagérée. Il avait aux pieds des bottes vernies à tiges rouges, imprimées en or, dépouille ramassée à l’affaire de Ndioum [défaite des Français face aux Omariens] avec les canons de Bakel, et qui sans doute avaient fait partie de la toilette de quelque traitant volontaire è l’expédition; enfin il tenait à la main le bâton des rois bambaras, canne en bois, de 1,25m de long, garnie de cuir, à la façon dont les Malinkés et Bambaras garnissent leurs fourreaux de sabres.
Un sabre, dont le fourreau de cuir à large palette avait été travaillé avec beaucoup de soin par quelque artiste cordonnier, était sa seule arme. Il s’était placé au pied du plus bel arbre, dont les racines entremêlées formaient une espèce de siège. On avait depuis le matin couvert cette place avec du sable de rivière bien fin et de couleur rouge. Autour d’Ahmadou étaient Aguibou son frère, Mahamadou Abi [Mamadou Thierno Bokar Saidou Tall], Alioun, Mustaf, ses divers cousins, en grande toilette puis les chefs et ses intimes habituels. Derrière lui en demi-cercle était sa garde de sofas, dont l’un portait le fusil d’Ahmadou, fusil français à deux coups garni d’argent.
Enfin, autour de ces principaux acteurs se tenait la foule des Talibés, dont les groupes furent bientôt si serrés qu’on ne pouvait plus circuler, et tout à l’entour de ce vaste cercle, les chevaux qui avaient amené leurs maîtres, les uns piaffant, tenus en brides par des jeunes sofas, d’autres hennissant, entravés et rongeant leur frein.
Un peu à l’écart, le cheval d’Ahmadou était maintenu à grand peine par deux hommes qui avaient eu soin de faire écarter les juments. C’était un cheval entier du Macina, superbe bète au poil noir luisant, sans autre tâche qu’à l’un des pieds. Sous la selle du Macina, était un tapis marocain. La têtière de la bride, garnie de drap rouge, avait été couverte de pendeloques d’étain ou de fer-blanc, de ronds de cuivre, assez analogues aux harnachements des mules espagnoles et sous lesquels disparaissait plus de la moitié de la tête.
La bride elle-même était plate, tressée en cuir mince, avec une régularité parfaite: aux crochets qui la réunissaient avec le mors était une chaîne de fer: et au point de jonction pendaient des glands en une espèce de passementerie de cuir.
Quant à la selle, j’ai dit que c’était une selle de Macina. Ce genre de selles diffère de celui que nous voyons aux Maures et qui est en usage dans tout le Sénégal, en ce que la palette de l’arrière est beaucoup plus large et plus haute, ressemblant aux anciennes selles à la française, à cette différence près que celles du Macina sont plus grandes et ont la palette de devant plus élevée. A celle d’Ahmadou étaient suspendus quatre sacs de cuir contenant des pistolets d’airçon garnis de cuivre, d’origine anglaise. Je contemplai longtemps ce spectacle bien curieux. Dans la plaine arrivaient en groupes les compagnies de sofas, musiciens et griots en tête, marchant pas à pas, puis les retardataires courant au galop. Les Talibés avaient revêtu leurs plus beaux vêtements, tous blancs ou bleus avec des turbans blancs ou noirs. Au milieu de toute cette foule criaient et gesticulaient les griots du roi, Samba Farba et Diali Mahmady, vêtus; de soie, d’or et d’écarlate, ordonnant le silence, se démenant, criat de s’asseoir, de tenir les chevaux; plus loin quelques sofas du roi armes de fouets en cuir, couraient autour du cercle pour imposer le silence aux réfractaires et aux jeunes esclaves. Enfin, sur le toit des cases du village des Somonos, hommes et femmes étaient juchés pour contempler ce spectacle. Tel était l’aspect général de cette fête, dans laquelle, presque seul avec le docteur, je m’abstenais de prendre un rôle actif.
Ahmadou, dès que l’assistance lui parut suffisamment nombreuse, se leva pour le Salam (prière), qui fut prononcé par Tierno Alassane [Thierno Alassane Ba lollirdo Ceerno Ceddo].
Tierno était placé devant Ahmadou, aux côtés duquel se tenaient ses frères, ses cousins et ses plus intimes, sur deux rangs; en face de lui était sa garde de sofas, immobile ou à peu près.
Dès que le Salam fut terminé, Ahmadou vint reprendre sa première place. Les Talibés qui s’étaient mis en rang pour le Salam se groupèrent de nouveau en cercle, tenant chacun leur fusil haut entre leurs jambes. Quand le silence fut établi, Ahmadou se leva.
Il commença son palabre aux Talibés, et ainsi qu’on me le dit plus tard, il leur lut d’abord un manuscrit de quelques pages qu’il tenait à la main, texte arabe, qu’il traduisait en peuhl en le commentant, et qui était l’historique des guerres de Mahomet. Puis après, il leur fit une longue allocution, leur reprochant de n’être pas assez braves, de s’être laissé chasser par les Bambaras, et les traitant fort durement. Les principaux chefs répondirent par l’intermédiaire de Samba Farba, rejetant l’accusation et se défendant de leur mieux.
Ahmadou, reprenant la parole, devint plus mordant encore, et il termina en demandant qu’on lui fournît tout de suite une armée. Nous verrons ce que tout de suite signifie.
Ce palabre avait duré jusqu’à onze heures et demie; j’étais resté jusqu’à la fin. Mais voyant les Bambaras et les sofas venir se grouper pour palabrer à leur tour, je me rappelai les exigences de mon estomac, et je rentrai à la maison, où était déjà le docteur, qui n’avait pas eu ma patience.
A peine avais-je commencé à déjeuner que Samba N’diaye vint me chercher à cheval, me priant de venir avec tous mes hommes parler à Ahmadou. Je crus un instant qu’il s’agissait de quelque nouvelle importante, qu’Ahmadou allait profiter de ce jour pour régler mon départ pour le Macina. Mais en arrivant sou le soleil de midi au lieu du palabre, je fus étrangement désappointé quand je vis qu’il ne s’agissait que de me faire voir aux Bambaras auxquels on venait sans doute de dire que le gouvernement avait envoyé faire Toubi (demander pardon/ se convertir à l’islam), et qui, n’ayant jamais vu de blancs, croyaient peut-être que j’étais un Maure. Pour achever de me mettre en belle humeur, Ahmadou me demanda de faire faire une décharge par mes hommes à la mode des blancs. — Je fis faire un feu de peloton; après quoi, voyant que je n’avais rien à attendre je prétextai un mal de tête et rentrai; puis, une fois à la case. Je ne cachai pas ma mauvaise humeur à Samba N’diaye, le priant de dire à Ahmadou que je n’aimais pas à être dérangé pour rien en plein soleil. Je suis sûr qu’il n’aura jamais fait ma commission.
Pendant ce temps, les sofas et une partie des jeunes Talibés se livraient à la fantasia dans la plaine. J’avais vu aux pieds d’Ahmadou quelques barils de poudre et plusieurs sacs de balles dont il se fait accompagner dans ces occasions solennelles. Il avait distribué quelques-uns de ces barils et on les brûlait consciencieusement, cassant des fusils qui éclataient sous l’effort des charges démesurées, et souvent estropiaient ceux qui les tiraient. Ce fut tout ce que je vis de cette fête; j’y avais gagné un violent mal de tête, mais le soir, j’appris différents détails; entre autres, que les Bambaras avaient refusé de faire le Salam; puis je reçus ce même jour la visite d’un ancien soldat noir de la compagnie indigène du Sénégal; il se nommait Ahmadou.
D’abord esclave à Saint-Louis, puis soldat pendant quatorze ans pour se racheter, il avait été domestique des commandants de Bakel, MM. Hecquart et Rey, et enfin, en 1845, lorsque M. Rey, pour lequel il professe un attachement sans bornes, quitta ce poste, il alla se joindre aux bandes d’El Hadj. Il n’y a pas fait fortune, malgré sa bravoure; il est très-pauvre, et vit de son travail avec sa femme, la seule qu’il ait eue. Il parle bien le français et vient de temps à autres causer avec Samba N’diaye des beaux souvenirs de la vie d’autrefois, qu’ils regrettent sans vouloir se l’avouer.
Il me raconta les deux attaques de Sansanding, auxquelles il avait reçu plusieurs blessures. Il me montra quatre blessures de balles, dont deux avaient traversé son bras droit; sur deux autres qui avaient frappé la cuisse, une avait pénétré.
Mais il ne put me dire, pas plus que personne, pourquoi Ahmadou demandait une armée et de quel côté elle devait opérer.