Makki Tall (1837-1864) est le second fils du marabout conquérant et mystique El Hadj Omar Tall (1797-1864). Plus jeune de quelques mois qu’Ahmad El Madani (1836-1897), sultan de Ségou et fils ainé des enfants de Mariatou, femme bornouane, Makki est mort en même temps que son père à Goro. Durant sa courte vie, il aura laissé une réputation de clerc, d’ami des clercs et de générosité.
Makki, nait vraisemblablement dans le Haoussa, grandit à Diégounko et à Dinguiraye après l’installation de son père avec ses disciples dans le Fuuta Jalon. Makki avait la même mère que Saidou (v.1840-1878), émir de Dinguiraye, et Aguibou (1844-1907), émir de Dinguiraye puis faama de Bandiagara.
Alfa Makki dans les chroniques contemporaines
Une première mention de Makki apparait dans le Tarikh al-Istikhlaf de Mohamed b. Ibrahim de Dara-Labé, qui était proche de lui et d’Ahmadou, les deux fils ainés du Cheikh. Mohamed b. Ibrahim était à Dinguiraye en 1859, lorsque de Markoya, Cheikh Oumar demanda à Alfa Ousmane Sow d’amener à lui ses deux fils ainés Ahmad al-Madani et Mohamed el-MakkI. Le groupe quitta Dinguiraye le 11e jour du mois de Rabi al-Akhira [7 novembre 1859] selon la « Chronique de la succession ».
De Dinguiraye, le groupe atteignit Tamba [Taybata] puis Bumbuya où ils joignirent Thierno Abdoulaye Haoussa et Thierno Mohamed Diallo. Puis le périple les fit passer à Kurukutu, Goungoutou d’où ils traversèrent le Bafing [le fleuve noir] et ensuite au village de Kemeta, où ils traversèrent à gué le fleuve blanc [Bakhoy] avant d’atteindre le pays de Kita.
À Bangassi, ils trouvèrent l’armée d’Alfa Ousmane Sow qui menait des opérations dans le Fouladougou et Diouka, où ils participèrent aux combats. À Sedian, ils trouvèrent le camp d’Alfa Ousmane et avec lui traversèrent le Baoulé, qui sépare le Fouladougou et le Béléri et rejoignirent le Cheikh Oumar el-Fouti à Markoya, le mercredi 10e jour de Jumada al-Akhira [4 janvier 1860].
Là, les deux fils se joignirent aux combats et furent aussi éprouvés par leur père, qui préparait déjà sa succession. Ils reçurent chacun un commandement et leur attitude envers les Talibés fut scrutée. C’est de là que Makki reçut sa réputation de générosité et d’ami des clercs, tant il aidait les Talibés démunis et éprouvés. Selon une tradition de Nioro qui inclut Aguibou dans le groupe, El Hadj Omar avait donné à chacun de ses fils une bourse d’or comme gage pour le lui garder. Au bout de quelques temps, il demanda à Ahmad El-Madani la bourse et celui-ci le lui remit en entier. Aguibou lui remit la bourse, vidée de moitié, et disant avoir donné la moitié à Makki. Ce dernier lorsqu’interpellé dit qu’il avait donné toute la bourse aux Talibés et que lorsque celle-ci fut vidée, il fut dans l’obligation de demander à Aguibou une partie de son gage, pour les mêmes besoins.
Selon Mohamed b. Ibrahim, un mois et 16 jours après leur arrivée à Markoya, El Hadj Omar investit Ahmad el Madani comme son successeur et demanda à tous ses frères et aux disciples de lui prêter allégeance. Ahmadou avait alors 24 ans, 3 mois et 20 jours, ce 18 février 1860.
Selon la chronique de la succession (Tarikh al-Istikhlaf)
cette investiture eut lieu lorsqu’un homme trouva Ahmadou et lui dit : « Je désire prendre le wird et je voudrais que tu me mènes vers le Cheikh afin qu’il me le donne ». Ahmadou appela Alfa Oumar al-Awsa [al-Awsa = de la rive gauche du Niger] et lui demanda : « Allez avec celui-ci vers le Cheikh et informez-le qu’il désire prendre le wird, qu’Il le cherche et qu’il devrait le lui donner ». Dieu fit qu’ils (Alfa Oumar et El Hadji Oumar) ne se virent pas pendant quelques jours. L’homme dit à Alfa Oumar : « Je vais vous traduire devant Ahmad Madani ». Il répondit : « Ne faites pas cela, soyez patient afin que vos vœux soient exaucés ».
Après cela, l’homme et Alfa Oumar virent le cheikh et le trouvèrent entouré de ses télamides (élèves). Il lui donna la lettre celui-ci dit : « Où se trouve Ahmad al-Kabir al-Madani? Trouvez-le et appelez-le à moi avec Mohamed al-Makki. Dîtes leur d’être en état de pureté et de venir à moi rapidement ». Ils [Ahmadou et Macky] se réjouirent de cette nouvelle, obéirent à ses injonctions et s’assirent à ses pieds comme l’esclave devant son maitre ou du vertueux disciple devant son parfait cheikh. Le Cheikh prit les mains d’Ahmad al-Kabir et le désigna comme son successeur : « Tout ce qui m’a été donné par mon Cheikh, mon bien-aimé, mon ami, le pôle caché, le sceau connu de Mohamed, le cheikh qui est le médiateur, notre maitre Abou al-Abbas Ahmad ibn Mohamed al-Tijani, al-Hasani (Que Dieu soit satifait de lui, le guide et répande sa lumière), toutes les sciences exotériques et ésotériques, les secrets et révélations ainsi que les épanchements d’émanation divine, les wirds, tout cela, je te le donne et t’en accorde une autorité complète sur la dissémination de ce savoir sur tous ceux à qui tu veux le donner, quand tu veux, et qui qu’il soit, à jamais. Quiconque cherche quelque chose de moi, qu’il le cherche auprès de toi ». Et il dit à la communauté : « Celui-là est votre Cheikh. Quiconque me considère comme son cheikh, il est aussi son cheikh. Cherchez auprès de lui tout le bien que vous voulez dans ces deux mondes, et vous l’aurez. Je t’autorise Ahmadou de nommer qui tu veux comme Moqadem, et de donner le wird à qui tu veux, à jamais ». Après ce jour, quiconque demandait le wird au Cheikh, il lui disait : « Allez trouver Ahmadou. Il vous le donnera ». Et il dit à Macky : « Je te donne tout ce qui est dans le Rimah et te donne toutes les autorisations à cet égard, parce que tout ce qui est à moi et à Ahmadou t’appartient aussi. Quant à toi et à ta position, suis ton frère, et tout ce que tu désireras, il te l’accordera. Entretenez vos liens, comme je vous ai enjoints précédemment : je vous l’ordonne encore. Ne laissez rien s’immiscer entre vous deux ». Ceux qui furent présents prêtèrent allégeance à Ahmad al-Kabir devant le cheikh, le peuple fit de même après en prêtant serment au Commandeur des Croyants [Lamdo Julbé] Ahmad al-Kabir al-Madani al-Fouti [du Fouta], al-Touri [du Toro] al-Kadawwi [de Guédé] (Que Dieu lui accorde la victoire, le protège et l’assiste dans les deux mondes).
Cela eut lieu le dimanche, avant midi, 26e jour de Rajab, 1276 années après l’émigration du prophète- Paix et Salut sur lui- [18 février 1860]. Tous les gens prêtèrent serment, ainsi que les chefs de l’armée et les commandants, les Moqadem et les soldats, eux tous. Le pays et le peuple fut content et satisfait de cette investiture et de cette prestation de serment. Alors Dieu donna du confort aux Musulmans et rendit victorieux ceux qui proclament l’unicité de Dieu. »
Il semble que le Cheikh ait senti les penchants cléricaux de Makki et l’ait incité à emprunter cette voie et d’être le conseiller de son frère et ami Madani. Les deux participèrent à la campagne de Ségou (1860-1) et alors que Ahmad al-Madani restait à Ségou, Makki suivait son père durant la campagne de Hamdallahi (1861-2) où il servit de vicaire à son père quand celui-ci entrait dans ses retraites mystiques. Makki, tout comme ses cousins Tidiani (v.1840-1887) ou Tafsir Saidou [m.1888] avait alors pour Cheikh, un marabout tijjani du Macina, du nom de Cheikh Sidi Mohamed b. Wadiat’Allah ou Cheikh Yirkoy Talfi (v.1800-1864).
Durant cette période, on lui doit une lettre écrite à son frère Ahmadou, alors à Ségou, où il décrit la situation au Macina et le déroulement de la campagne de Cayawaal [mai 1862] par laquelle la Dina devait tomber. Cette lettre, retrouvée dans la chancellerie de Ségou en 1891, et pillée par Archinard, était coécrite avec son frère Mahi [v.1840-1864] et son cousin Tidiani Alfa Ahmadou [v.1840-1887].
Alfa Makki à Hamdallaye (1862-1864)
Makki avait laissé une veuve et au moins un fils, Ahmad al-Madani, homonyme de son frère. Son cousin Tijjani qui sera émir de Bandiagara, épousera sa veuve et sera le père de cet enfant qui devait être tout jeune en février 1864. Ce fils est décrit ainsi en 1887 par l’explorateur Caron en visite à Bandiagara:
Makki joua un rôle majeur après les défaites de Mani-Mani et de Ségué (1862) qui devait amener le siège de Hamdullahi [mai 1863-février 1864] par une coalition Cissé-Kounta. Après l’exfiltration de Tijjani dans le Hayré pour lever une armée de secours, Makki sera l’un des émirs de la sortie de toute l’armée pour rejoindre Tijjani en février 1864, ainsi que les escarmouches qui s’ensuivirent. Son frère Hadi [v.1844-1864] devait mourir dans ces combats avant d’atteindre les falaises et El Hadj Omar, avec ses fils et disciples, devait mener leur dernier baroud au sommet de la falaise. C’est là qu’une explosion survint et entraina la « disparition » de Cheikh Oumar, de ses fils, et d’une partie de ses disciples.
Dans l’après-midi, le cheikh envoya son fils adoptif prendre de mes nouvelles. C’était un jeune homme de dix-huit à dix-neuf ans, nommé Ahmadou, fils d’Ahmadou Mackiou, un des frères de Tidiani. A la mort de Mackiou, arrivée en 1872 [plutôt en 1862], Tidiani, qui n’avait que des filles, adopta son neveu.
Un air dédié à Alfa Makki nous est parvenu, célébrant sa générosité et sa grandeur d’esprit. Ici c’est interprété par Safi Diabaté. Cet air, comme « Taara » célébrant El Hadj Omar, furent développés dans la cour du sultan de Ségou, Ahmadou Tall.
Pour aller plus loin
Henri Gaden. « La vie d’al Hajj Oumar »: qacida de Muhammad Aliyou Thiam. (Ernest Leroux)
Caron, Edmond (1857-1917). De Saint-Louis au port de Tombouktou : voyage d’une canonnière française ; suivi d’un « Vocabulaire sonraï » /1891.
David Robinson et John Hanson. 1990. « After the Jihad: the Reign of Ahmad al-Kabir in Western Sudan »
Abdoul Aziz Diallo. Histoire du Sahel occidental du Mali 1850-1960: Les trois briques de l’édifice [El Hadj Omar, Ahmadou Lamdioulbé et les Français], Éditions La Sahélienne.
Qacida al-Hajj Oumar (« La vie d’el-Hadj Omar ») de Elimane Muhammadu Aliou Thiam de Hayré-Laaw (1830-1911), traduite par Henri Gaden et Mamadou Ahmadou Ba (1891-1958) #Mali#Senegal
« Mohammadou Aliou Tyam (1830-1911), notre auteur, se présente lui-même à la fin de sa qasida.
Avec une grande discrétion, il se borne à donner son nom et celui de ses parents et à indiquer qu’il a grandi et fait ses études à Hayré (Aéré-Lao) du Lao (cercle de Podor). C’est là qu’il est revenu finir ses jours et qu’est conservé le souvenir des principales étapes de sa vie.
Mohammadou Aliou avait suivi le Cheikh Omar en même temps qu’Alpha Oumar Baila, lors du séjour de recrutement qu’en 1846 le Cheikh, alors installé au Fouta-Djalon, à Dyégounko, depuis son retour de La Mecque, était venu faire au Fouta-Toro. II était un disciple de la première heure. Originaire du Laaw, il avait, comme tous ceux de cette province, fait partie du corps des Yirlaabé. II n’avait jamais exercé aucun commandement.
Pour reprendre l’image qu’il emploie dans sa qacida (p. 13), il n’avait jamais été qu’un brin du balai que le Cheikh Omar avait, avec la vigueur que l’on verra, promené pendant dix ans, du Sénégal au Niger, sur les pays restés réfractaires à I’islam. II avait fait toutes les campagnes, de Tamba, capitale du Dyalonkadougou, la première conquête, à Hamdallahi, capitale du Macina, la dernière, en passant par Le Kaarta et le Segou.
En quittant Ségou-Sikoro pour la conquête du Macina, le Cheikh y avait laissé son fils ainé Ahmadou avec une garnison de huit cents homm devant tous, le proclama son successeur. Puis, comme il n’était pas prêt à reprendre immédiatement la guerre sainte, il le renvoya à Ségou-Sikoro en lui donnant quelques renforts. Mohammadou Aliou faisait partie de ses renforts et, lié désormais à la fortune d’Ahmad al-Madani.
Peu après avoir reçu la soumission des Peuls du Macina, il convoqua Ahmadou à Hamdallahi et il alla tenir garnison à Segou-Sikoro. C’est là qu’il a, pendant ses loisirs, rédigé sa qacida. Sans doute eut-il peu de loisirs ou cette rédaction lui fut-elle difficile, car, lorsque vingt ans plus tard, en 1884, Ahmadou quitta Ségou pour aller s’installer à Nioro, la qacida n’était pas encore terminée. Mohammadou Aliou avait été laissé à Ségou [avec le fils d’Ahmadou, Ahmad al-Madani al-Saghir et Ceerno Moustapha Dieilya Touré]; il y acheva sa qacida et y resta jusqu’à l’occupation française en avril 1890.
Il rejoignit alors Nioro [en compagnie d’Ahmad al-Madani al-Saghir] et put espérer remettre son poème à Ahmadou et recueillir le fruit du travail qui lui avait couté tant de peine. Le colonel Archinard ne lui en laissa pas le temps et Ahmadou était en fuite sur Bandiagara avant que Mohammadou Aliou eut pu l’approcher. Il ne le suivit pas et, déjà âgé de plus de soixante ans, résolut de prendre un repos définitif. Riche de sa qacida, il reprit le chemin du Fouta-Toro et rentra à Hayré où il avait un frère et des neveux.
Il y a vécu encore une vingtaine d’années et y est mort aveugle en 1911. La qacida de Mohammadou Aliou est, à notre connaissance, la seule biographie indigène du Cheikh Omar. Elle est, malgré sa forme, rédigée avec un souci évident d’objectivité et de précision.
Pour toutes les campagnes du Cheikh, l’auteur, qui les a faites, a noté consciencieusement toutes ses étapes et la date des évènements importants. De Dinguiraye a Hamdallahi, son récit est un journal de route bien tenu, mais c’est le journal de route d’un simple Talibé, un soldat du rang, et il y faut des éclaircissements.
Dans cet article, nous allons explorer la figure de Gelaajo Hambodeejo, très populaire dans le monde peul jusqu’à nos jours, et essayer d’entrevoir le personnage historique de la figure de la tradition orale. Pereejo [du clan Soh/Sidibé] du Kunaari, fils de Hammadi Bodeejo Pate Yella (m. v. 1812), et répondant au triptyque du « hulataa/dogataa/namataa gacce » [« n’a pas peur, ne fuit pas et abhore la honte], Gelaajo Hambodeejo est une figure centrale de l’histoire du Macina et de sa mémoire, constituant une passerelle entre un ordre ancien et un monde nouveau.
Hambodeejo, son père est très présent dans les récits de la tradition orale, durant la période précédant la Dina du Macina [pré-1818] où la région était sous domination du royaume de Ségou. Si la tradition orale ne donne pas de précision exacte sur sa temporalité, les récits des chroniqueurs du Fittuga nous permettent de savoir que Hambodeejo était toujours actif autour de 1810-1, où il est décrit comme ayant conquis les villes de Sa et d’Arkodia, loin de son Kunaari, mais dans le Guimballa.
Gelaajo Hambodeejo nait dans ce contexte historique où le Macina est vassal de Ségou, et où la dynastie des Ngolossi [Diarra] a remplacé celle des Bitonsi [Coulibaly] à Sikoro. Ségou même avait connu une guerre civile à la mort du faama Ngolo Diarra [1762-1790] entre ses fils Nianankoro et Mansong/Monzon, qui a duré quelques années [1790-1793] et qui va se conclure par la victoire et l’ascendance de Mansong sur le trône. Ces périodes de troubles n’ont pas été sans conséquences sur le Macina où durant la décennie 1780, une figure du nom de Sidi Baba [peut-être le Silamaka/Yero Maama de l’épopée peule] a mené une dissidence contre le Segu fanga [« la force de Ségou »] avant d’être vaincue. Dans cet intervalle entre la consolidation du pouvoir des Ngolosi [la dynasite Diarra issue de Ngolo] et la victoire de Sékou Ahmadou Lobbo sur Ségou en 1818, se passe la jeunesse de Gelaajo Hambodeejo.
Hambodeejo Hammadi Hampaté Yella, dont l’aéroport de Sévaré porte le nom, est aussi une figure chérie par la tradition orale. Appelé « Pullo Segou, Bambara Kunaari » [le Peul de Ségou et le Bambara du Kunaari], Hambodeejo, en fin politique, avait épousé Tenin, une princesse de la dynastie Diarra des Ngolossi, renforçant son alliance avec le Segu fannga, tout en étant rétif à la main trop pesante de ce pouvoir. Cette alliance reflétant le pragmatisme de son père Hammadi Bodeejo [« Hammadi au teint clair » en fulfulde], plus connu par la postérité comme « Hambodeejo ». De cette union est issue Ousmane Hambodeejo, frère puiné et confidant de Gelaajo, qui lui est le fils de Wela Takkaade [« la bonne compagne »; sans doute un surnom], une femme du village de Samanay.
Avec Buubu Ardo Galo, Gelaajo Hambodeejo constitue une figure passerelle entre l’ordre ancien dominé par le ArBe et l’ordre nouveau, islamique, bâti par Sékou Ahmadou Lobbo, à partir de 1818. Mais alors que Buubu Ardo Galo meurt en luttant contre cet ordre nouveau, Gelaajo Hambodeejo le conteste et lui survit, laissant des traces plus de 30 ans après l’établissement du « laamu Diina », mais bien loin de son Kunaari natal.
Gelaajo se distingue par sa bravoure, son sens politique, mais aussi par sa générosité légendaire, qui avait fait de lui une figure populaire de son vivant. Sa grandeur d’âme est ainsi notée dans l’affaire opposant Fatimata Ba Lobbo et Sâ, le prince bambara qui exigeait que sa chienne lape d’abord le lait que voulaient vendre les bergères dans son village. Lorsque la chienne du prince lapa sa calebasse et la salit avec les restes en secouant son museu, la fulamuso frappa l’animal avec son bracelet ; suscitant l’ire de Sâ qui lui rasa la tête « sans mouiller l’eau » et la taillada pour son outrage. Lorsque les 3333 preux du Macina furent mis au défi par Fatimata Ba Lobbo, ce fut Gelaajo, « celui qui se détresse avec des fléchettes en or », monté sur Soppere kannge [Sabot d’or] qui jura d’arracher la dent de Sâ, et d’offrir son cops aux hyènes couvertes de taches jaunes, et aux charognards couverts de taches blanches du Bourgou. Ce qu’il fera au cours d’un duel au terme duquel Gelaajo offrit la tête, les pieds et les mains de Sâ à Fatimata Baba Lobbo, en lui disant à elle et à tout le monde autour : « Quiconque parmi vous se rincera la bouche, qu’il crache sur la tête de Sâ ».
Il est dit de lui aussi dans les récits des maabube
Pullo ! moorotooɗo balaminaaji
Le peul qui se tresse des balaminaaje [arbustes ligneux]
cancortooɗo koƴe ndigaaji.
Et qui se détresse avec des pieds de vautours
Pullo leloo, fiya bawɗi
Le peulh qui se couche au son des tambours
hejjitoo, lummbina laaɗe
Qui se réveille dans la nuit et fait traverser des pirogues
mo saroo ñiiñe, saakoo peɗeeli
Celui aux dents espacées, et aux doigts dispersés
daɓɓo daande mo daande wutte mum nanngataake
Au cou court et que personne n’empoigne
mo kiikiiriwol kaakariiwol kaakowal kaake worɓe
Qui fond sur les hommes tel un faucon, leur arrachant leurs armes.
ngal kaake mum ƴeewetaake
Dont personne n’ose observer les couilles
Kanko wiyetee jalal manngal
C’est celui qu’on appelle le grand pilier
Jabbirgal manngal wakkataake
Le grand semoir, il est appelé
Dasataake
Qu’on ne traine pas par terre
Wakke, hela balabbe
Et si on se hasarde à le porter à l’épaule, il les casse
Daasee, taya codduli
Et si on le traine par terre, il casse les chevilles
Kanko woni labangal niiwa
C’est lui le mors de l’éléphant
Tafoowo ngal ina wuro ga
Celui qui le fabrique est au village
Battoowo ngal alaa ladde
Celui qui le place, n’est pas en brousse
Gelaajo et l’avènement de la Dina du Macina
La décennie 1810 où émerge Gelaajo Hambodeejo en tant qu’acteur politique était marquée par une effervescence millénariste dans tout le Sahel; le Macina, le Farimaké et le Kunaari où Gelaajo régnait de Goundaka n’y échappant pas. Le succès du mouvement réformiste musulman de Sokoto, dirigé par Uthman dan Fodio (1753-1837), était parvenu jusqu’au Sahel central, où l’autorité de l’Ardo du Macina (Tenenkou) n’était plus aussi forte, et où clercs conservateurs et novices se disputaient à propos de points théologiques, à la limite du byzantinisme.
C’est dans ce contexte qu’un porte étendard de Sokoto (« mai tuta » en haoussa), Mallam ibn Said arrive dans le Gimballa, autour de 1813 qu’il essaie de soulever; son mouvement est cependant brisé très vite par les autorités du pays. Plus au sud à Djenné, Sékou Hammadi Lobbo se bâtissait une communauté réformiste, aux marges des cercles institutionnels de Djenné, mais aussi en critique aux excès des ArBe du Macina. Entre le Djenneri et le Gimballa, Gelaajo Hambodeejo régnait sur le Kunaari, jouissant de la réputation de son père et de ses hauts faits d’armes, mais aussi impacté par cette effervescence religieuse dans la région. La question de sa religiosité et de sa pratique sera centrale à la postérité : pour les sources macinanké liées à la Dina, c’est après 1818 qu’il fait sa conversion; alors que les chroniques du Fittuga, du Farimaké et de Sokoto le décrivent comme un musulman avec une cour religieuse, avant la bataille de Noukouma. Un prince peul, musulman, allié du Segou fanga, en quelque sorte, maintenant des relations avec les clercs de son espace, mais aussi avec les Kountiyou d’Araouane/Tombouctou, en particulier avec le Cheikh Sidi Mohammed (1765-1826).
Ainsi quand les évènements amenant à l’établissement de Hamdallaye s’accélèrent, les forces centripètales religieuses existaient et courtisaient les cours. Sékou Ahmadou Lobbo n’était pas le seul clerc musulman avec un projet politique, mais où il va être celui dont le projet aboutira et phagocytera les autres.
Gelaajo et la bataille de Noukouma [1818]
Ainsi lorsque la bataille de Noukouma commence en avril 1818, Gelaajo Hambodeejo avait une position particulière : prince peul, allié du Segou fannga, mais aussi menant une politique douce auprès des marabouts.
Quand Segou confronte Sékou Ahmadou et son mouvement dans le Sebera en 1818, en route pour une campagne dans le Hayré, Gelaajo Hambodeejo campait à Kouma, après avoir traversé le Pignari pour pouvoir faire jonction avec la colonne dirigée par Diamogo Seri Diarra dit « Fatoma », commandant de la colonne.
Selon le récit de Hampaté Bâ et Daget, l’armée de Diamogo Séri avait passé par Saro, Sakay, Nguêmou, Simay, Saré Malé pour camper à Mégou où elle fait sa jonction avec la colonne de Faramoso, chef des Bobo, venant de Poromani et occupant le Fémaye. Une autre colonne dirigée par Moussa Koulibaly du Monimpé, traversait Mourra, et le Djoliba au gué de Bimani, pour camper à Sandjira. Alors que Gelaajo Hambodeejo campait aux portes du Hayré avec 130 juude [unités de cavalerie], une autre colonne dirigée par Ardo Macina Ahmadou, dont le fils Gidaado avait été tué par les partisans de Ahmadou Hammadi Boubou à la foire de Simay, fait la jonction avec les autres colonnes dans le Sébera via Saré Seyni. Il est important de noter que toutes ces colonnes se dirigeaient vers le Hayré pour une campagne, mais le faama de Ségou Da Diarra, avait donné l’ordre à Diamogo Séri de régler l’affaire du marabout du Fittuga, en passant.
« Diamogo Séri Diara assume la direction générale des opérations. L’armée de Monimpé s’avancera en direction de la mare de Pogôna ; Guéladio surveillera les rives du Bani en vue de couper toute retraite vers la montagne, et, s’il est nécessaire, de prendre Noukouma à revers ; le gros des troupes bambara restera dans la région de Dotala et Diamogo Séri lui-même à la tête des meilleurs soldats bambara et bobo attaquera Noukouma. Il établit son quartier général au sud de la mare de Pogôna et donne ses ordres en vue du combat. Ses hommes sont munis d’une bonne quantité de cordes pour ficeler les vaincus comme ballots de poisson sec et les expédier ainsi à Da. »
En face l’armée de Sékou Ahmadou qui campait à Noukouma dans le Sébéra était commandée par Ousmane Bokari Sangaré/Cissé, un compagnon d’études de Sékou Ahmadou, qui fut proclamé « Amiiru Manngal »[grand émir] à l’aube de la bataille.
Si on suit le récit de Hampaté Ba, Sékou Ahmadou tint ce discours à ses partisans juste avant la bataille.
— La gloire et la puissance sont à Dieu. Je lis sur vos visages la bonne contenance malgré le danger qui nous menace. Le grand jour est arrivé. Ne vous laissez pas impressionner par le désarroi de vos épouses et la position de l’ennemi qui paraît avantageuse. Ce jour est pour nous un nouveau Badr. Souvenez-vous de la victoire que notre Prophète remporta sur les idolâtres coalisés. N’a-t-il pas attaqué l’ennemi avec 313 combattants seulement ? Ne remporta-t-il pas une éclatante victoire ? A son exemple, nous attaquerons Diamogo Séri Diara avec 313 hommes prêts à combattre pour Dieu. Vous êtes ici 81, vous, mes premiers partisans. Je vous adjoindrai 231 autres combattants et ainsi, avec moi-même, nous atteindrons le chiffre de 313. Les meilleurs cavaliers monteront les 40 chevaux dont nous disposons, les autres se battront à pied. Un deuxième groupe de 313 hommes ira vers Kouna et interviendra le cas échéant. Un troisième groupe de 313 hommes passera dans le Fakala et s’y tiendra prêt à toute éventualité. Les 61 lances qui restent surveilleront les femmes et les enfants. Ali Guidado a fait preuve de courage en portant le premier coup de lance. Nous avons à notre tour à nous élever au-dessus de l’événement qui nous menace et dominer la situation. Soyons fermes et ne disons pas comme les Juifs : « Nul pouvoir à nous, en ce jour, contre Goliath et ses troupes » (II, 250), mais : « Combien souvent bande peu nombreuse a vaincu bande nombreuse avec la permission d’Allah ! Allah est avec les constants (II, 250). »
Dans ce discours, il est clair que même si Gelaajo Hambodeejo n’était pas présent à Noukouma, les partisans de Sékou Ahmadou craignaient d’être attaqués par ses cavaliers sur leurs arrières, et avaient positionné 313 combattants, pour le contrer éventuellement.
Le 13 Jumada I 1233 [samedi 21 mars 1818], le premier choc entre les deux armées eut lieu à Noukouma lorsque les fantassins commandés par Bokari Hammadoun Sala [Bori Hamsala, futur Amiiru Macina] s’entrechoquèrent avec ceux commandés par Faramoso et Moussa Koulibaly. La flèche d’Abdou Salam Traoré, partisan de Sékou Ahmadou, perce le tambour de guerre de Diamogo Séri, avant qu’il ne soit abattu avec la shahada sur ses lèvres. Attaqué par 40 cavaliers peuls, Diamogo Séri surpris dans son camp, ordonne une mauvaise manœuvre suscitant la confusion parmi les troupes bambaras, dont certaines battaient en retraite et d’autres continuaient l’assaut.
L’unité bambara dite Banankoro bolo, commandée par le fameux Gonblé [le « singe rouge », un nom de guerre], avait soutenu le choc des Peuls malgré des pertes sévères. Gonblé, furieux de voir les Bambaras battre en retraite sur ce qu’il pensait être un ordre de Diamogo Séri, crut à une trahison. Il descend de son cheval, armé d’une chaîne de fer hérissée de pointes, et fait face aux Peuls en proférant à leur adresse ces paroles de mépris :
— Ohé, singes rouges [insultes adressées aux Peuls de Sékou Amadou], il ne sera pas dit à la cour du « Maître des eaux » [Jiitigi, autre nom du faama de Ségou] que ma longue queue de « Cynocéphale roux » [Gonblè en bambara] a balayé la poussière derrière moi pour effacer des traces de fuyard. Les troupes qui m’abandonnent iront porter la nouvelle de ma mort et non celle de ma fuite. Depuis quand des singes rouges se mesurent-elles à des cynocéphales ?
Ivre de rage et aveuglé par la honte d’une défaite, Gonblé se jette contre les lances ennemies. Au moment où il lève la main pour frapper le premier adversaire à sa portée, un bantuure [lances aux fers recourbés] adroitement lancé par un inconnu lui pénètre dans la poitrine et lui perfore le poumon gauche. Gonblé tombe à la renverse en jurant :
— Monè kasa ! [L’outrage a mauvaise odeur, en bambara]
Il meurt sans connaître l’issue du combat.
Diamogo Séri, voyant ses troupes lâcher pied et refluer en désordre, comprend un peu tard qu’en donnant l’ordre de déplacer son camp, il a commis une manoeuvre maladroite qui lui coûtera la bataille de Noukouma et même la guerre contre Amadou Hammadi Boubou. Les Bambara, contournant la mare de Pogôna, fuient jusqu’à Yêri où Diamogo Séri réussit à regrouper ses soldats et à reconstituer ses forces. Mais au lieu de marcher sur Noukouma qu’il pouvait prendre facilement, il emploie toute son armée à édifier des retranchements. Les Peuls avaient rompu le combat dès qu’ils avaient eu la certitude que l’avantage de la journée leur resterait acquis.
Les mauvaises manœuvres de Diamogo Séri Diarra firent perdre le jour au Seegu Fannga, suscitant la colère de ses lieutenants et la défection d’Ardo Amadou et de Gelaajo Hambodeejo. Arɗo Amadou retraverse le Niger et rentre dans le Macina ; Guéladio décampe de Kouna et regagne Goundaka. Quant à Faramoso, il abandonne ses alliés et se réfugie dans le Saro. La situation ne pouvait être plus favorable à Amadou Hammadi Boubou qui reçoit beaucoup de ralliements dont celui de Kolaado Alfa Dial de Wouro Nguiya, d’Adoulaye Muhammadu, cadi du Macina « proprement dit » et celui aussi de Boulkassoum Tahirou de Dalla, qui l’aurait rejoint avec ses 240 lanciers nãna nãnga [« avance et prends »] qui avaient la réputation de ne jamais reculer au combat. Le nombre des troupes aurait augmenté substantiellement ainsi alors que la victoire [ou la mise en échec] de Ségou par les marabouts se propage. Alors que Diamogo Séri campé à Yeri fortifie son camp, il subit beaucoup de défections de la part de ses troupes bambara et bobo, dont certains rentrent dans leurs pays ou se joignent carrément à Sékou Ahmadou Lobbo.
Au cours des mois qui suivirent, Sékou Ahmadou dont l’autorité était centrée sur le Sébéra consolida son assise sur le Maasina, le Djenneri et le Mourarien ralliant les chefs et installant ses alliés dans ses régions.
Gelaajo après Noukouma : la mésentente et la révolte contre la Dina
Après Noukouma et dans le sillage de la consolidation du pouvoir de Sékou Ahmadou Lobbo sur le Sébéra, le Djenneri et le Pondori, Gelaajo Hambodeejo réévalue sa position face au nouvel ordre dans le delta intérieur du Mali.
Gelaajo Hambodeejo, face à l’absence de réaction de Ségou, aurait réuni ses conseillers à sa capitale, Goundaka, pour les interroger sur la conduite à tenir face à l’ordre islamique naissant dans l’est, qui menaçait l’autorité des ArBe comme lui.
Il est rapporté que lors d’une de ses audiences, Ousmane Hambodeejo, frère puiné de Gelaajo [et fils de la princesse de Ségou] aurait rapporté ces propos à son frère :
— Je n’ai jamais eu peur d’un guerrier et je suis tout disposé à mourir pour défendre mon frère et le renom de notre famille. Mais je conseille à mon frère de ne pas s’opposer au marabout. C’est une foudre de guerre que Dieu envoie dans ce pays. Il faut aller nous soumettre, non pas à lui, mais à Dieu, et déposer notre soumission entre ses mains. Ainsi nous éviterons la guerre et garderons notre commandement.
Cet avis aurait été validé par les autres membres de la cour de Gelaajo, qui aurait résisté pendant trois mois à leurs conseils de se rendre à Noukouma. Cette attitude aurait généré des inconforts au sein des troupes de Gelaajo, le forçant d’une certaine manière à envoyer un émissaire auprès de Boureima Khalilou, Diawando de la Dina naissante, pour solliciter son coonseil et un accommodement possible avec la Dina. Le conseil de Boureima aurait été de rencontrer Sékou Ahmadou et de professer sa foi musulmane devant la Cour.
Gelaajoo acquiesça à cette requête et rencontra Sékou Ahmadou à Noukouma. Selon le récit de Hampaté Ba et J. Daget, collecté dans les années 1950, la rencontre entre les deux figures se serait déroulée comme suit :
Cheikou Amadou, selon son habitude, dit à Guéladio au cours d’une audience privée :
— Pour me prouver la sincérité de ta conversion, donne-moi un conseil. La guerre étant l’affaire des Arɓe plus que celle des marabouts, je voudrais que ton conseil soit d’ordre militaire.
Guéladio, répondit :
— Tu vas auparavant prier Allah de ne jamais m’abandonner à la merci d’un de mes ennemis.
Cheikou Amadou, ne saisissant pas l’astuce de cette demande 2 et sans aucune arrière-pensée, formule une prière dans le sens souhaité par Guéladio.
— Merci, lui dit ce dernier. Maintenant je vais, en toute tranquillité et de bon coeur, te donner quelques conseils :
Tu transféreras ta capitale de Noukouma en un lieu hors de la zone d’inondation. Noukouma pourrait être facilement assiégé durant les hautes eaux.
— Connaîtrais-tu un emplacement qui conviendrait à la fondation d’une grande ville qui serait la capitale de la Dina ? [Sékou Ahmadou]
[Gelaajo] Oui. Entre Sofara et Taykiri s’étend une vaste plaine, environnée de collines, qui conviendrait parfaitement. La ville pourrait être fortifiée et les hauteurs qui l’entourent utilisées comme postes de guet.
Il faut autant que possible construire en pisé et supprimer progressivement les paillottes. Quelques cavaliers décidés, armés de tisons ardents, peuvent ruiner un vaste territoire dont les cases sont faites de paille 4.
Tu élèveras des juments afin d’assurer à peu de frais la remonte d’une puissante cavalerie.
Tu encourageras l’agriculture en prenant la défense des travailleurs des champs. Cette politique assurera à ton état de bonnes récoltes et le prémunira contre le redoutable fléau qu’est la famine.
Tu ne feras rien sans l’assentiment des notables de ton pays. En politique, mieux vaut suivre une fausse route les ayant avec toi que t’engager dans un bon chemin les ayant contre toi.
Tu choisiras comme favori un captif qui mourra sans trahir et se fera tuer pour te sauver.
Tu prendras un maabo [tisserand-griot] comme confident intime. Un maabo pur-sang ne vend jamais un secret confié.
Tu feras traiter tes affaires par un DiawanDo. Le DiawanDo gâche tout projet formé sans lui, mais il a honte de voir échouer un plan qu’il a dressé lui-même.
Il faut aimer la fortune et ne pas la dissiper comme tu le fais.
Ce dernier conseil déplut à Cheikou Amadou.
— Pourquoi veux-tu que je thésaurise ? dit-il à Guéladio. Ne sais-tu pas que les biens de ce monde sont périssables et qu’inévitablement il faut, au seuil de la tombe, renoncer à toutes les richesses amassées durant la vie ?
— Je ne t’ai pas dit, reprit Guéladio, de rechercher la fortune pour toi-même. Mais tu veux fonder une Dina. Elle ne peut prospérer que si tu gagnes les hommes à ta cause et si tu les retiens près de toi.
— Certes oui, concéda Cheikou Amadou.
— Or, les hommes aiment l’argent, continua Guéladio. Même ceux qui ne l’adorent pas ne peuvent s’en passer. Il te faut donc amasser une fortune, non pas pour ton plaisir, mais pour attirer les hommes dont tu auras besoin. Tu as gagné des batailles, mais ta victoire ne sera définitive et ta domination affermie qu’autant que tu auras des biens à répandre autour de toi. Mon père HamboDédio avait coutume de dire : « donnez-moi de la fortune et je ferai de la terre ce que vous voulez qu’elle soit. S’il a réussi à épouser la fille de Da Monson, c’est que son or avait lesté les langues qui auraient pu dire non.
— Tu as raison, dit Cheikou Amadou. La Dina aura son trésor, mais moi, j’ai fait vœu de pauvreté.
Comme on le voit ici, Gelaajo aurait été influent dans la sélection de l’emplacement de la future capitale de la Dina, « Hamdullaye », à mi-cheval entre le Kunaari, le Macina, et pas si loin du Hayré. Gelaajo invitait ainsi Sékou Ahmadou Lobbo à s’établir plus près de lui, mais dans un site facilement défendable et moins enclavé que le Sébéra initial. Une entente existait ainsi, entre Gelaajo Hambodeejo, figure de l’ancien ordre, et Sékou Ahmadou, porte-étendard du nouvel ordre islamique. Mais cette entente cordiale n’allait pas durer, car la révolte de Gelaajo Hambodeejo Dicko, qui allait « durer sept ans » selon la transition, est un des évènements qui allait faire trembler l’empire peul du Macina
La révolte de Gelaajo contre l’ordre nouveau des clercs
1235 AH- 1819/20: Gelaajo Hammadi Bodeejo se rend à Tombouctou pour rencoontrer Cheikh Sidi Muhammad
1240AH- 1824/25 Révolte de Gelaajo Hammadi Bodeejo
Source: Tarikh Fittuga de Cheikh Isma’il Wadi’at Allah/Yerkoy Talfi
L’entente entre Gelaajo Hambodeejo et la Dina ne fut pas longue. Le nouvel ordre voulait soumettre l’ancien, en établissant un nouveau commandement soumis à Sékou Ahmadou et aux Quarante marabouts du Batu Mawdo.
Chaque région était dirigée par un amiru, qui était en même temps un chef de guerre pour le compte du laamu Diina. Les amiiraabe étaient assistés de conseillers juridiques et devaient rendre compte au Batu Mawdo/Sékou Ahmadou, qui constituaient l’autorité suprême.
Comme on le sait, Ousmane Bokari Sangaréavait été proclamé Amiiru Mangal à l’aube de Noukouma, et fut celui qui commandait la province du Dienneri. Il résidait à Djenné mais ses troupes étaient garisonnées à Sénossa, Wakana et Ngounya, surveillant le Niger, et la frontière ouest avec Ségou et le Saro.
Bori Hamsalah (Bokari Hammadoun Salah),qui avait été à la tête des troupes à Noukouma, fut proclamé Amiiru Macina,avec résidence à Tenenkou, à la suite de la déchéance de l’Ardo Ahmadou, ennemi de Sékou Ahmadou, et de la soumission à la Dina de Ardo Ngouroori Diallo, primus inter pares des Arbe avant la Dina. Bori Hamsalah commandait de Diafarabé au lac Débo, proche de la zone inondée et des bourgoutières tant désirées.
Le Fakala, était commandé par Alfa Samba Fouta Ba, de Poromani. Il sera secondé par le neveu de Sékou Ahmadou, Ba Lobbo Barryet par son fils Maliki Alfa Samba.
Gouro Malaado, un autre neveu de Sékou Ahmadou commandait le Hayré, et surveillait les frontières est du nouvel état. C’était un grand commandement, constituant la marche avec le Hombori, le Jelgooji, le pays mossi et samo, et Gouro Malaado était secondé par plusieurs porteurs de tambour [« joom tuube] comme Alfa Seyoma qui résidait entre Dalla et Douentza et Moussa Bodeejo, qui résidait à Aribinda.
Le Farimaké/Fittuga/Gimballa était commandé par Alhaji Moodi, un cousin de Sékou Ahmadou, et connu comme spécialiste de la guerre de razzias contre les Touareg et les Maures. L’Amiiru Nabbe e Dude commandait cette région des lacs, restive à l’autorité centralisatrice de Hamdallaye.
Dans cet ordre naissant, Gelaajo Hambodeejo ne fut pas choisi parmi les cinq amiraabe initiaux, mais ses états furent subordonnés à l’autorité de l’amirou du Hayré et du Fakala-Kunaari. La Dina avait privilégié de mettre des chefs dont la confiance n’étaient pas en doute à la tête de ces 5 grands commandements; les chefs ralliés comme Gelaajo Hambodeejo et ceux de Wouro Nguiya, Attara, Farimaké, Sa, Dari, Konsa, Wakambé, Tégé, Kagnoumé, Poromani, Bambara Maounde, étant catégorisés comme des « joom tuube », ou chefs de deuxième ordre.
La rébellion de Gelaajo trouve certaines de ses origines dans cette nouvelle cartographie qui scinde ses états. La nomination de Gouro Malaado au Hayré avec autorité sur le Pignari, conquis par Gelaajo et à qui il était demandé, de céder cette conquête fut l’étincelle. À la suite de cette nomination, Gelaajo Hambodeejo aurait dit:
‘’Sans honneur, que ferais-je de la vie ? Mourir est une loi inévitable, mais se laisser honnir sans réaction, c’est manquer de courage et de vertu…’’
La chronique du Fittuga fait part d’une visite de Gelaajo Hambodeejo chez Cheikh Sidi Mohamed el-Kounti en 1820. L’évènement est assez notable pour être consigné dans les annales et le tarikh ne fait pas état des discussions. Ce vide est cependant comblé par la tradition orale qui fait exhaustivement état des tractations de Gelaajo entre Hamdallaye et Tombouctou, et des alliances qu’il essayait de contracter avec Boubou Ardo Galo du Macina, et avec Amadou Alfa Koudiadio, marabout du Farimaké, pour déclencher une grande révolte contre Sékou Ahmadou.
Les traditions rapportent que lors de sa visite à Tombouctou, Gelaajo aurait sollicité un marabout qui l’aiderait à traiter avec la Dina et sur les questions musulmanes à Sidi Mohamed al-Kounti, qui lui aurait envoyé un de ses disciples, Alfa Nouhoum Tayrou [ou Nuh b. al-Tahir, selon les clercs musulmans]. Alfa Nouhoum Tayrou, « ngel binndi » [l’écrivain en fulfulde] est passé à la postérité comme le coadjuteur de Sékou Ahmadou et comme l’un des théoriciens des bases de l’état naissant. Durant son service à Goundaka, au service de Gelaajo, Alfa Nouhoum Tayrou développa des relations avec le Batu Mawdo et Sékou Ahmadou, qui étaient séduits par sa science religieuse et par son talent littéraire. Gelaajo aurait été irrité par cette tournure des évènements et lui aurait dit, lorsqu’à bout de patience:
— Je m’aperçois chaque jour que tu es plus près, par le cœur, des marabouts de Hamdallaye que de moi. Tu prétends toujours que leurs instructions sont conformes au Coran et à la Sounna et tu trouves toujours que ma ligne de conduite est répréhensible. Je me demande si réellement tu défends bien ma cause. ».
Gelaajo, insatisfait de son conseiller religieux, aurait écrit une lettre au Cheikh Sidi Muhammad pour se plaindre et l’accuser d’être sur le point de renier son obédience à la Qadiriyya Kountiya, pour s’inféoder à Hamdallaye. Au-delà des accusations, cette tradition montre en fait qu’à cette époque les rapports entre les Kountiyya et la Dina étaient loin d’être établis, et que beaucoup de princes et musulmans de la boucle du Niger, s’appuyer sur des légitimités islamiques confrériques, pour contester l’ascendance d’Hamdallaye.
À la défaveur de Gelaajo, Cheikh Sidi Muhammad Kounti n’aurait pas apprécié ses insinunations. Il aurait écrit à Alfa Nouhoum Tayrou une lettre rapportée comme telle par Ba et Daget :
« Le serviteur d’Allah, Sid Mahamman, qui espère en la miséricorde de son créateur le Clément sans bornes, à son disciple, la perle brillante d’un collier magnifique, Alfa Nouhoun Tayrou, salut. Il nous est parvenu de la part de l’illustre fils d’Hambodédio, auprès de qui Allah a voulu que nous t’envoyions pour défendre et faire triompher le droit par la justice, que ton esprit est en train de s’obscurcir et tes pas, jadis si fermes, de chanceler. Nous ne pouvons ni croire à ta défaillance, ni douter du dire du fils d’Hambodédio, avant de t’avoir entendu. En conséquence, quel que soit le lieu où cette lettre te trouvera, pars immédiatement pour Tombouctou où nous te convoquons, avec le ferme espoir que nous ne t’y attendrons pas longtemps. »
Lorsque le porteur de cette lettre arriva au domicile d’Alfa Nouhoun Tayrou, celui-ci était sorti. Le messager attendit à la porte. Alfa Nouhoun Tayrou, revenant de la mosquée, allait rentrer chez lui quand l’envoyé de Cheik Sid Mahamman [Cheikh Sidi Muhammad Kounta] lui tendit la missive. Alfa Nouhoun Tayrou, piqué par la curiosité, l’ouvrit et en prit connaissance sur place. Les assistants virent ses traits changer au fur et à mesure qu’il lisait, mais ne pouvaient deviner les sentiments qu’il éprouvait. Surmontant son trouble, Alfa Nouhoun Tayrou après avoir achevé la lecture de la lettre, se tourna vers le messager et lui dit, souriant :
— C’est entendu.
Il tourna le dos à sa porte et dit à ceux qui l’accompagnaient :
— J’ai reçu de mon cheikh l’ordre d’aller à Tombouctou, et je m’en vais.
Il chargea un ami d’aller faire ses adieux à sa famille et de le rejoindre avec le nécessaire pour le voyage, puis il dit à l’envoyé de Sid Mahamman :
— Tu m’excuseras de manquer à ton égard aux lois de l’hospitalité, mais partons sans plus attendre pour Tombouctou.
La nouvelle du rappel d’Alfa Nouhoun Tayrou parvint à Hamdallaye. L’empressement avec lequel il avait répondu à la convocation de son cheikh plut beaucoup à Cheikou Amadou qui lui écrivit immédiatement une lettre. Un cavalier rapide fut chargé de la lui porter avant qu’il ne fut sorti du Kounari. Le cavalier rattrapa Alfa Nouhoun Tayrou et son compagnon à Bogo [au sud de Konna]. La teneur de la lettre, toujours d’après la tradition orale, était la suivante :
« L’humble serviteur d’Allah le Grand, le Clément, le Miséricordieux, Amadou fils de Hammadi, fils de Boubou, à son frère en Allah, le savant, le pieux Nouhoun Tayrou. L’oreille perçoit parfois ce qui ne lui est point destiné. Nous avons appris que le fils d’Hambodédio t’a desservi auprès de notre vénérable Cheik Sid Mahamman. Il accuse ton cœur de se pencher vers nous plutôt que vers lui. Nous souhaitons qu’Allah te lave d’une calomnie qui peut accabler ton cœur de chagrin. Nous te prions de venir à Hamdallaye, nous enverrons au vénérable Cheik Sid Mahamman des preuves indiscutables de ta bonne foi. Ta place est plutôt parmi les membres du grand conseil qu’auprès de Guéladio. Ce dernier cherche à te chasser du pays alors que nous, nous recherchons la compagnie d’une âme aussi pure que la tienne, car seules les âmes pures sont agréables à Allah. »
Alfa Nouhoun Tayrou écrivit à Cheikou Amadou pour le remercier de sa sympathie, mais il ajouta qu’étant de l’obédience de Cheik Sid Mahamman, il ne pouvait se rendre à Hamdallay sans ordre de son maître.
Cheikou Amadou aurait alors envoyé une longue lettre à Cheik Sid Mahamman, et y joignit une correspondance reçue par le grand conseil de Hamdallay et dans laquelle Alfa Nouhoun Tayrou défendait Guéladio . C’était une preuve éclatante qu’à aucun moment Alfa Nouhoun Tayrou n’avait trahi sa mission malgré les propositions avantageuses de Hamdallay. Cheikou Amadou terminait sa lettre en demandant à Cheik Sid Mahamman de lui affecter Alfa Nouhoum Tayrou puisque Guéladio semblait ne plus en vouloir comme secrétaire. Cette lettre fut confiée à une pirogue légère avec ordre de ne pas s’arrêter en chemin. L’envoyé de Hamdallay parvint à Tombouctou avant Nouhoun Tayrou. Cheik Sid Mahamman prit connaissance des documents qui lui étaient communiqués et s’en montra très satisfait. Il savait à quoi s’en tenir sur la conduite de Guéladio qui avait inconsidérément calomnié un homme irréprochable. Il écrivit à Cheikou Amadou et à Alfa Nouhoun Tayrou.
La pirogue rapide de Hamdallay, remontant le fleuve, croisa celle de Nouhoun Tayrou qui descendait. On remit à Nouhoun Tayrou la nouvelle missive de Cheik Sid Mahamman. Il la lut avec joie, mais ne put s’empêcher de dire :
— Cheikou Amadou est un adversaire terrible ; il m’a fait perdre l’occasion de revoir mon cheik.
Effectivement, Sid Mahamman donnait ordre à son disciple de retourner sur ses pas et de se mettre à la disposition de Cheikou Amadou pour l’aider à gouverner la Dina.
C’est ainsi qu’Alfa Nouhoum Tayrou rejoignit Hamdallaye où il allait devenir la deuxième personnalité du régime naissant au fil des ans, épousant même la veuve de Sékou Ahmadou [et mère de son successeur Ahmadou Sékou, v.1800-1851] et s’érigeant comme un des acteurs majeurs de la diplomatie de Hamdallaye.
Il est inutile de dire que Gelaajo Hambodeejo fut désappointé par ce retournement des choses. Mais sa détermination à conserver ses privilèges et son indépendance n’avait pas flanché. La question du Pignari et sa subordination à Gouro Malaado lui étaient resté en travers de la gorge. Il aurait tenu cette ferme résolution :
« Le Pignari est ma conquête. Je ne peux pas admettre qu’on le donne à Gouro Malado. C’est une marque de mépris vis-à-vis de ma famille. Me taire serait forfaire à l’honneur de Hambodédio. Le commandement du Pignari ne doit pas être attribué à un autre sans mon consentement. Or les marabouts ont pris leur décision sans me prévenir, même à titre d’information. Je n’ai au demeurant que ce que je mérite. J’aurais dû continuer à les combattre et mourir au besoin comme sait mourir un Arɗo. Mais je suis décidéà envoyer à Hamdallaye une lettre de protestation. La réponse que Cheikou Amadou me fera, décidera entre la paix et le silence ou le bruit de la poudre et le cliquetis des armes blanches. Puis il écrivit au grand conseil :« Avant l’avènement de Cheikou Amadou, moi, Gelaajo Hambodeejo, j’ai fait une incursion dans le Pignari ; j’ai battu le pays jusqu’aux portes de Doukombo . Cette région est mon domaine puisque je l’ai conquise. Je demande à ce qu’elle ne soit pas distraite du Kounari. Je m’élève contre la désignation de Gouro Malado pour la commander.».
Lorsque la lettre de Gelaajo fut reçue par le Grand Conseil, leur réponse éteignit tous ses espoirs et sonna le glas de leur entente.
« Il a été décidé par le conseil chargé de veiller sur la sécurité et la bonne marche de la Dina, qu’aucun homme incapable de lire, écrire et comprendre le sens d’un document écrit en caractères arabes, ne serait placé à la tête d’un territoire à plus de cinq jours de marche. Ton maintien comme chef du Kounari est une mesure exceptionnelle qui continue à être combattue par certains conseillers. Il est de ton intérêt et de celui des tiens de te tenir tranquille. Le grand conseil ne conteste ni ta naissance illustre, ni tes mérites militaires, mais il ne saurait être question de te donner la préséance dans une affaire où la valeur militaire et l’origine ne constituent pas des titres essentiels. On exige des chefs foi et science. Or sans t’insulter, ta foi est tiède et ta science est nulle.»
Gelaajo contracta des alliances au-delà, pour tenir tête à Hamdallaye. Selon le récit de Ba et Daget, Alfa Ahmadou Koudiadio avait été missionné par la Dina pour rallier le Farimaké, le Dirma et le Ndodjiga mais après ses conquêtes initiales, était entré en rébellion s’alliant aux Touaregs Tengerigrif de Woyfan, et aux Kel Tadmakkat en défiance à Hamdallaye obligeant. La Dina fut obligée d’envoyer une colonne dirigée par Alhaji Moodi pour le mettre au pas. D’une certaine manière la défiance de Gelaajo servait également ses intérêts. Il semble que Gelaajo tenta une dernière approche auprès de Cheikh Sidi Mohammed pour avoir une caution islamique à sa rébellion ; ce qui expliquerait peut-être l’annonce de sa visite au marabout kountiyou dans le Tarikh Fittuga en 1820. Mais ce fut également un échec ; Cheikh Sidi Muhammad conseillant à Gelaajo de se conformer aux exigences de la Dina, et de ne pas se rebeller.
Ainsi Gelaajo s’appuya simplement sur la force de ses armes, lorsqu’il déclencha sa rébellion qui aurait duré 7 ans [1820-1826] selon la tradition, et 2 ans [1824-1826] selon le Tarikh Fittuga. Il est possible que ces deux dates aient des références différentes et que la défiance de Gelaajo commença en 1820 pour prendre une tournure militaire à partir de 1824. Le Pereejo aurait tenu ces propos à son frère et confident Ousmane, avant d’enclencher sa rébellion :
Je suis revenu de Tombouctou plus morose que jamais. Je n’ai pas trouvé auprès du marabout Sid Mahamman le réconfort sur lequel j’avais fortement compté. Il me prédit le pire. Tu seras battu si tu fais la guerre à Cheikou Amadou, telle a été sa conclusion. Mais je ne me laisserai pas intimider. Sans honneur, que ferais-je de la vie ? Mourir est une loi inévitable, mais se laisser honnir sans réaction, c’est manquer de courage et de vertu. J’ai foi en ma chance. Je préfère périr, voir tous les miens mourir ou quitter le pays, plutôt que de me soumettre aux gens de Hamdallay qui font et refont des coupes territoriales en dépit de tout bon sens. Si je ne sais pas réciter le Coran, mon esprit est rompu aux tactiques de la guerre. Mes chevaux, mes sabres et mes lances me redonneront la préséance que les versets du Coran, dit-on, me refusent. Je ferai aux marabouts une guerre sans merci. Ils pourront avoir ma vie comme ils ont eu celle de mon cousin Arɗo Amadou [pris, livré aux marabouts et décapité par Hamdallaye, avec son corps jeté dans une mare du Mourari]. Mais auparavant, ils auront eu de moi des nouvelles sanglantes. Tant que tu vivras, toi, Ousmane mon frère, tant que mes lances ne seront pas émoussées ni mes chevaux déchaussés de leurs sabots, les marabouts ne dormiront pas sur leurs deux oreilles et ils ne réciteront pas tranquillement des passages de leur livre dans la salle aux sept portes qui fait tant leur orgueil.
Ousmane qui avait attentivement écouté son frère jusqu’au bout dit :
— Alors ce sera la guerre entre nous et les marabouts ?
— Oui, dit Guéladio, je vais déclarer la guerre aux marabouts.
L’Ardo Mawdo du Macina, Ngourori Diallo, approché par Gelaajo refusa de joindre la rébellion mais son frère Boubou Ardo Galo, était allé à Ségou pour demander au faama Da Monzon, un appui en or et en ressources, dans la révolte qui se préparait. Ainsi les marabouts devaient s’attendre à une rébellion massive dans le Farimaké et le Fittuga, dans le Kunaari et dans une partie du Macina avec Boubou Ardo Galo. Le maabo de Buubu Ardo Galo, Galo Segene, composait des satires insultant les marabouts et traitant Ngourori de couard et appelant les Arbe à la dissidence. Buubu Ardo Galo qui refusait de manger le « cengle issu de la sadaqat », aurait tenu ses propos à son frère :
— Tu peux rester à Hamdallay puisque tu y as élu domicile. Tu peux te faire inscrire sur la liste des marabouts car tu es rayé de celle des Arɓe. Ne compte plus sur le Macina. Puisque tu as renoncé à venger Arɗo Giɗaɗo, ma place est maintenant aux côtés de Gelaajo.
Buubu Ardo vainquit la cavalerie macinanké à Néné, et encore lorsqu’ils traversèrent le fleuve pour Tenenkou, jurant qu’il apprendrait la guerre aux marabouts en les frappant avec la chaine qu’ils utilisent pour les enfants apprenant le Coran.
Alors que Buubu Ardo Galo taillait en pièces les cavaliers de la Dina à Néné, Gelaajo exerçait une pression directe sur Hamdallaye proche de son Goundaka. Ousmane Hambodeejo, de Sio, bloquait l’accès à Hamdallaye, affamant les résidents de la nouvelle capitale, alors que Gelaajo appelait tout le pays au soulèvement. Plusieurs fois, les troupes du Kunaari vainquirent celles d’Hamdallaye, grâce à la sagacité politique de Gelaajo et à son réseau d’espions dans la boucle du Niger.
La mise en échec de la Dina obligea Sékou Ahmadou à solliciter les conseils de Bouréma Khalilou, un jawanndo de Hamdallaye à la sagacité légendaire et toujours en opposition avec Hambarké Samatata, le rigoriste accusateur public du Baatu Mawdo et ennemi de Gelaajo. Bouréma Khalilou, compromis dans la rébellion et mis aux fers, fut libéré et réinstallé dans le Grand Conseil après des années d’échec et alors que l’autorité de la Dina se réduisait comme une peau de chagrin. Celui-ci aurait dit appelé le Grand Conseil à plus d’humilité et de sens politique et rappelé que « savoir lire et écrire ne garantissait pas la vivacité de l’intelligence, la puissance de déduction, ni le don de la persuasion ».
Au conseil de guerre de la grave heure, Boureima Khalilou aurait été le dernier à parler rappelant la nécessité du secret pour les déplacements de la cavalerie macinanké. Amirou Mangal de Djenné, rappelé de Djenné, vint en appui à Alhaji Moodi, Bori Hamsala et à Alfa Samba Fouta, contre Gelaajo Hambodeejo. La conjoncture politique devait permettre la concentration des forces contre Gelaajo; la pression s’étant relâchée du côté de Ténenkou-Néné lorsque les colonnes de Hammadi Oumar Gouro vainquirent Buubu Ardo Galo et le tuèrent.
Toutes ces forces se reportèrent sur le Kunaari en attaquant Ousmane Hambodeejo à Sio pour désserrer l’étau autour de Hamdallaye, coupée de l’est. La cavalerie macinanké défait le blocus après un duel entre Ousmane Hambodeejo et Samba Abou, son ami d’enfance rallié à la Dina. Les deux amis se tueront au début de la bataille mais la mort d’Ousmane Hambodeejo avait déstructuré le commandement du Kunaari, et l’arrivée de troupes massives favorisant leur déroute pour Goundaka. La mort de Buubu Ardo Galo et celle de son frère Ousmane Hambodeejo perturbèrent Gelaajo qui lui aussi sollicita les conseils de Boureima Khalilou, conseiller de Sékou Ahmadou. Le conseil donné fut de quitter le pays car Hamdallaye ne comptait lui faire aucun quartier pour sa défiance.
Ce fut alors que Gelaajo réunit son conseil de guerre, pour savoir quelle conduite tenir. La décision de l’exil douloureux lui fut conseillée, dans l’espérance d’un retour; Goundaka étant trop proche de Hamdallaye et n’offrant pas les abris des contreforts du Hayre, la défiance devenait désespérée après les conseils de Cheikh Sidi Muhammad, et la défaite des alliés dans le Macina, le Mourari, et le Fariimaké. Le Kunaari en solidarité à son chef, se divisa : une bonne partie des gens du pays se décidant à subir la même fortune que leur chef. Gelaajo leur aurait dit :
— Ceux qui veulent m’accompagner me feront plaisir, mais je me séparerai sans rancoeur de ceux qui préfèrent rester ici.
Alors son maabo, Maabel Gelaajo, s’approcha :
— Fils d’Hambodédio, dit-il, ta mère est vieille ; elle ne peut suivre le fugitif que tu es à travers un pays inconnu où tu ne pourras peut-être avancer qu’en donnant des coups de lance ou en faisant parler la poudre.
Gelaajo se souvenant de la peur de Galo Segene, maabo de Buubu Ardo,qui dans les derniers moments fut pris d’une telle peur qu’il ne pouvait ni jouer de son luth, ni chanter les louanges de son maître, comprit que son maabo était sur le point de lui fausser compagnie.
Il le réconforta dans ses peurs et lui demanda de rester et de servir sa mère Welaa Takkaade, trop vieille pour l’exil incertain, et leur laissant des calebasses d’or pour leur entretien. C’est de nuit que le Pereejo quitta le Kunaari, passant par le Hayre, le Seeno et le Liptaako, alors que les troupes de Alhaji Moodi étaient à ses trousses, déterminées à venger les échecs qu’il leur avait fait subir. C’est à Béléhédé que ces troupes s’arrêtèrent dans leurs poursuites, n’osant pas franchir les états du sultan de Sokoto pour y poursuivre un fugitif. Gelaajo Hambodeejo reçurent l’hospitalité de Sokoto [plus spécifiquement du Gwandu d’Abdullahi dan Fodio, 1763-1828], et s’installèrent dans un « Nouveau Kunaari », entre Say et Torodi [Niger actuel] avec leur capitale à Ouro Gueladio [la ville de Guéladio]. Au fil du temps, l’adoucissement entre Sokoto et Hamdallaye favorisa également les relations entre Gelaajo et la Dina.
Wela Takkaade, la mère de Gelaajo fut invitée à vivre à Hamdallaye dans la concession même de Sékou Ahmadou Lobbo, ce qui constituait une propagande utile pour Hamdallaye face à un rebelle très populaire. Elle y vécut jusqu’à sa mort avec Maabel Gelaajo, et fut entretenue par la Dina. À son décès, furent découvertes les gourdes remplies de poudre d’or que Gelaajo lui avait données pour son entretien, et qui ne furent jamais déscellées. Ce fut Maabel Gelaajo qui expliqua l’origine de ce trésor aux curateurs; précisant que Wela Takkaade n’a jamais eu besoin de cet or vu que son entretien était pourvu par la Dina.
Ce fut ainsi que Sékou Ahmadou aurait écrit une lettre à Gelaajo, en ces termes :
« Moi Amadou Hammadi Boubou, par la grâce de Dieu imam de Hamdallay, au fils d’Hambodédio. Allah répand ses grâces et accorde le salut au sceau des Prophètes, notre Seigneur Mohammed le véridique, ainsi qu’à sa famille. Sache, ô Guéladio, que Dieu a rappelé à Lui ta pieuse mère. Elle est morte en paix et sur la voie de la rectitude. Je t’envoie, escortés par un groupe de cavaliers, les biens constituant sa succession. Celle-ci comporte, entre autres objets de valeur, une gourde scellée à la bouse de vache, que tu aurais offerte à ta mère avant de te séparer d’elle. J’espère que Dieu aidant, le tout te parviendra en bon état. Salut et condoléances de la part de tous. ».
Quand Gelaajo reçut la lettre et s’étant demandé si sa mère avait dédaigné son or, vu qu’on le lui retournait et ayant eu une explication de la chose, il aurait demandé aux émissaires de Hamdallaye de tout ramener au Batu Mawdo, et de verser l’or et les biens légués à lui par sa mère au trésor public et que cela soit distribué aux pauvres.
« Vous direz à Cheikou Amadou que je verse le tout au beyt el mâl en faveur des pauvres. Puisse ce geste valoir à ma mère et à moi la miséricorde d’Allah le Clément » »
Épilogue: « Mohamed » Gelaajo dans le « nouveau Kunaari »
En 1853, un voyageur allemand se faisant appeler « Abdel Karim » mais ayant pour vrai nom Heinrich Barth avait fait le trajet Tripoli [Libye] à Kukawa [au Nigeria] et ensuite Kukawa jusqu’à Sokoto. De Sokoto, il comptait se rendre à Tombouctou, où il sera logé par Cheikh Sidi Bekkaye el-Kounti (1803-1864), fils de Cheikh Sidi Muhammad (1765-1826), et peut-être à Hamdallaye. Dans cet itinéraire, il passa par Ouro Gelaajo [appelée alors Tshampagore] et fut reçu par Gelaajo Hambodeejo, qui était un vieux à cette époque. Il le décrit ainsi :
« Mohammed Galaïdjo était, lors de ma visite, âgé d’environ soixante-dix ans; de taille moyenne, il avait une physionomie fort agréable, à l’expression presque européenne.
Vêtu fort simplement, il ne portait qu’une tunique bleu-clair et avait la tête entourée d’un châle blanc. Galaïdjo, fils de Hambodedjo, succéda à son père, qui était sans doute le chef qui reçut avec tant d’hospitalité Mungo Park en 1805-1806, Ce Hambodedjo était alors le chef le plus puissant du Massina ou Melle, qui avait été divisé en une quantité de petits royaumes, depuis la chute de l’empire Sonrhaï; or, l’avénement de Galaïdjo au pouvoir, coïncida précisément avec le commencement du grand mouvement politique et religieux des Foulbe du Gober, mouvement dirigé par le réformateur Othman. Excité par leur exemple et enflammé d’une ardeur religieuse, il s’éleva Parmi eux un apôtre qui s’en alla répandre l’islamisme dans sa forme nouvelle, parmi la subdivision des Foulbe établie sur les rives du Niger supérieur.
Cet apôtre était Mohammed ou Hamed Lebbo. Au commencement de l’an 1233 de l’hégire (1818), il arriva dans le Massina, à la tête d’une petite armée enthousiaste et conclut une alliance avec Galaïdjo, qui embrassa lui-même l’islamisme (car son père était resté fidèle aux superstitions païennes); ainsi unis, ils entreprirent en commun la conquête des contrées voisines ; mais lorsque Lebbo se fut ainsi puissamment établi, il prétendit soumettre à sa domination son allié, sous prétexte que c’était lui qui avait levé, au berceau même du mouvement, l’étendard de la réforme.
Galaïdjo, qui se souciait peu de renoncer à ses antiques domaines, entra en lutte avec Lebbo et se vit forcé, après trois ans d’une guerre acharnée, d’abandonner sa capitale, Konari, et d’aller se chercher, avec le reste de ses partisans, une nouvelle patrie dans les parties orientales du pays. Il fut reçu à bras ouverts par le sultan de Gando, qui lui donna le gouvernement de la contrée vaste mais peu fertile, qui s’étend à l’ouest du Niger; c’est là qu’il est maintenant établi depuis une trentaine d’années »
Le récit de Barth nous vient d’une personne qui a vu et causé avec Gelaajo, qui l’a reçu dans sa maison. La perspective qui y est, différe légèrement de celle des traditions et pourrait constituer celle de Gelaajo suur les évènements qui l’ont amené à quitter son pays. C’est en ça qu’il est intéressant, toutes précisions gardées.
Aminata Wane dans son ouvrage sur Gelaajo apporte une tradition de l’historien nigérien Boubou Hama, disant que Cheikhou Oumar Foutiyou [1797-1864] aurait été reçue par Gelaajo, au retour de son pèlerinage. Peut-être que Heinrichi Barth a suivi le même itinéraire que celui du marabout, de Sokoto au Macina, avec plus d’une décennie de différences. Un fis de Gelaajo, Ibrahim Gelaajo Hambodeejo, étaiit noté parmi les alliés de Tidiani Alfa Ahmadou Tall, neveu de Cheikhou Oumar, durant sa reconquête du Macina entre 1864 et 1870. Gelaajo serait mort dans le Jelgooji en 1862, après la bataille de Cayawal, et alors qu’il espérait retourner dans son pays. Son exil fut permanent et il ne reverra jamais son Kunaari natal
Écoutons son dammol une dernière fois.
Nan !
1 Ayya Buubu, Accaa Buubu, Amina Buubu !
Entends !
1 Ayya Boûbou, Attia Boûbou, Amina Boûbou !
2 Kunta Buubu, Kunta Nguuroori Galo Haawa !
2 Kounta Boûbou, Kounta Ngoûrôri Galo Hâwa !
3 Pullo am mo ñaamaani gacce segene ñeeno jontaaɗo !
3 Mon Peul qui ne manque pas de donner au plectre son dû !
4 ɓe mbiya mo Gelaajo Ham Boɗeejo Hammadi Ham Paate Yella
4 On l’appelle Guélâdio Ham Bodêdio Ham Pâté Yella,
5 E Ndooraari, Pullo moorotoongal balamiinaaji
5 Le Ndôrâri (mouton de Dori), le Peul dont les tresses sont des balaminâdji [arbustes ligneux]
6 Cañcortoongal kure kaŋŋe !
6 Et qui les défait avec des fléchettes en or !
7 Kanko wiyetee joom sahre !
7 C’est lui qu’on appelle le maître de la ville
8 ɓe mbiya mo kuɗal daande maayo
8 Lorsqu’on l’appelait « l’herbe au bord du fleuve »
9 Sukubee ñukubee, sumataa ñaayetaake
9 Soukoûbé Gnoukoubé, Qui n’est ni brûlée, ni broutée,
10 Mboɗeeri dono feelaa, jennga suɓee aawdi
10 Mil rouge, héritier du mil blanc, sélectionné le soir,
11 Sabboree ngatamaare
11 Dans l’attente des premières pluies,
12 O wiya: ‘’mi ɓennii ɗoon !’’
12 Guélâdio disait : « Ma renommée dépasse tout cela ! »
13 Ɓe mbiya mo Weyse Baaye Buubu, Weleende Baaye Buubu
13 On l’appelait Weysi Bâyé Boûbou, Wélêndé Bâyé Boûbou,
14 Pulal Baaye Buubu sukkiɗi korlal
14 Le grand Peul Bâyé Boûbou, celui qui a la jambe poilue,
15 Yaaji larongal, juuti saalifaaji daande
15 Celui qui a la peau épaisse, qui a les muscles du cou saillants,
16 Saliima waɗde bitti reedu
16 Qui a refusé d’avoir des plis au ventre
17 A hoɗii e tule, a haɓaama e tule a haɓetaake
17 Tu as habité dans des collines, tu t’es battu dans des collines, tu ne te bats point
18 Leydi Idiriisa Bookar Hammooy
18 Au pays d’Idrissa Bocar Hamôye,
19 Yah ɗo nguli alaa ceeɗu
19 Va au lieu où il ne fait pas chaud en période d’extrême chaleur,
20 Jaangol alaa dabbunde.
20 Ni froid en hiver !
Pour aller plus loin
Ba Amadou Hampaté et Jacques Daget. 1975. L’empire peul du Macina (1818-1853), tome 1. Paris. Les Nouvelles Editions Africaines.
Barry, Ibrahim. 1993. Le royaume de Bandiagara, 1864-1993: le pouvoir, le commerce et le Coran dans le Soudan nigérian au 19e siècle (Thèse en histoire, EHESS: Paris).
Bradshaw, Joseph M. 2021. The Bandiagara Emirate: Warfare, Slavery and Colonization in the Middle Niger, 1863-2003. (Dissertation Thesis in History, Michigan State University)
Hama, Boubou. 1968. Contribution à la connaissance et à l’histoire des Peuls. Paris, Présence Africaine.
Dans cet article, nous allons explorer la figure de Gelaajo Hambodeejo, très populaire dans le monde peul jusqu’à nos jours, et essayer d’entrevoir le personnage historique de la figure de la tradition orale. Pereejo [du clan Soh/Sidibé] du Kunaari, fils de Hammadi Bodeejo Pate Yella (m. v. 1812), et répondant au triptyque du « hulataa/dogataa/namataa gacce » [« n’a pas peur, ne fuit pas et abhore la honte], Gelaajo Hambodeejo est une figure centrale de l’histoire du Macina et de sa mémoire, constituant une passerelle entre un ordre ancien et un monde nouveau.
Hambodeejo, son père est très présent dans les récits de la tradition orale, durant la période précédant la Dina du Macina [pré-1818] où la région était sous domination du royaume de Ségou. Si la tradition orale ne donne pas de précision exacte sur sa temporalité, les récits des chroniqueurs du Fittuga nous permettent de savoir que Hambodeejo était toujours actif autour de 1810-1, où il est décrit comme ayant conquis les villes de Sa et d’Arkodia, loin de son Kunaari, mais dans le Guimballa.
Gelaajo Hambodeejo nait dans ce contexte historique où le Macina est vassal de Ségou, et où la dynastie des Ngolossi [Diarra] a remplacé celle des Bitonsi [Coulibaly] à Sikoro. Ségou même avait connu une guerre civile à la mort du faama Ngolo Diarra [1762-1790] entre ses fils Nianankoro et Mansong/Monzon, qui a duré quelques années [1790-1793]et qui va se conclure par la victoire et l’ascendance de Mansong sur le trône. Ces périodes de troubles n’ont pas été sans conséquences sur le Macina où durant la décennie 1780, une figure du nom de Sidi Baba [peut-être le Silamaka/Yero Maama de l’épopée peule] a mené une dissidence contre le Segu fanga [« la force de Ségou »] avant d’être vaincue. Dans cet intervalle entre la consolidation du pouvoir des Ngolossi et la victoire de Sékou Ahmadou Lobbo sur Ségou en 1818, se passe la jeunesse de Gelaajo Hambodeejo.
Hambodeejo Hammadi Hampaté Yella, dont l’aéroport de Sévaré porte le nom, est aussi une figure chérie par la tradition orale. Appelé « Pullo Segou, Bambara Kunaari » [le Peul de Ségou et le Bambara du Kunaari], Hambodeejo, en fin politique, avait épousé Tenin, une princesse de la dynastie Diarra des Ngolossi, renforçant son alliance avec le Segu fannga, tout en étant rétif à la main trop pesante de ce pouvoir. Cette alliance reflétant le pragmatisme de son père Hammadi Bodeejo [« Hammadi au teint clair »], plus connu par la postérité comme « Hambodeejo ». De cette union est issue Ousmane Hambodeejo, frère puiné et confidant de Gelaajo, qui lui est le fils de Wela Takkaade [la bonne compagne, sans doute un surnom], une femme du village de Samanay.
Avec Buubu Ardo Galo, Gelaajo Hambodeejo constitue une figure passerelle entre l’ordre ancien dominé par le ArBe et l’ordre nouveau, islamique, bâti par Sékou Ahmadou Lobbo, à partir de 1818. Mais alors que Buubu Ardo Galo meurt en luttant contre cet ordre nouveau, Gelaajo Hambodeejo le conteste et lui survit, laissant des traces plus de 30 ans après l’établissement du « laamu Diina », mais bien loin de son Kunaari natal.
Gelaajo se distingue par sa bravoure, son sens politique, mais aussi par sa générosité légendaire, qui avait fait de lui une figure populaire de son vivant. Sa grandeur d’âme est ainsi notée dans l’affaire opposant Fatimata Ba Lobbo et Sâ, le prince bambara qui exigeait que sa chienne lape d’abord le lait que voulaient vendre les bergères dans son village. Lorsque la chienne du prince lapa sa calebasse et la salit avec les restes en secouant son museu, la fulamuso frappa l’animal avec son bracelet; suscitant l’ire de Sâ qui lui rasa la tête « sans mouiller l’eau » et la taillada pour son outrage. Lorsque les 3333 preux du Macina furent mis au défi par Fatimata Ba Lobbo, ce fut Gelaajo, « celui qui se détresse avec des fléchettes en or », monté sur Soppere kannge [Sabot d’or] qui jura d’arracher la dent de Sâ, et d’offrir son cops aux hyènes couvertes de taches jaunes, et aux charognards couverts de taches blanches du Bourgou. Ce qu’il fera au cours d’un duel au terme duquel Gelaajo offrit la tête, les pieds et les mains de Sâ à Fatimata Baba Lobbo, en lui disant à elle et à tout le monde autour : « Quiconque parmi vous se rincera la bouche, qu’il crache sur la tête de Sâ ».
Il est dit de lui aussi dans les récits des maabube
Pullo ! moorotooɗo balaminaaji
Le peul qui se tresse des balaminaaje [arbustes ligneux]
cancortooɗo koƴe ndigaaji.
Et qui se détresse avec des pieds de vautours
Pullo leloo, fiya bawɗi
Le peulh qui se couche au son des tambours
hejjitoo, lummbina laaɗe
Qui se réveille dans la nuit et fait traverser des pirogues
mo saroo ñiiñe, saakoo peɗeeli
Celui aux dents espacées, et aux doigts dispersés
daɓɓo daande mo daande wutte mum nanngataake
Au cou court et que personne n’empoigne
mo kiikiiriwol kaakariiwol kaakowal kaake worɓe
Qui fond sur les hommes tel un faucon, leur arrachant leurs armes.
ngal kaake mum ƴeewetaake
Dont personne n’ose observer les couilles
Kanko wiyetee jalal manngal
C’est celui qu’on appelle le grand pilier
Jabbirgal manngal wakkataake
Le grand semoir, il est appelé
Dasataake
Qu’on ne traine pas par terre
Wakke, hela balabbe
Et si on se hasarde à le porter à l’épaule, il les casse
Daasee, taya codduli
Et si on le traine par terre, il casse les chevilles
Kanko woni labangal niiwa
C’est lui le mors de l’éléphant
Tafoowo ngal ina wuro ga
Celui qui le fabrique est au village
Battoowo ngal alaa ladde
Celui qui le place, n’est pas en brousse
Gelaajo et l’avènement de la Dina du Macina
La décennie 1810 où émerge Gelaajo Hambodeejo en tant qu’acteur politique était marquée par une effervescence millénariste dans tout le Sahel; le Macina, le Farimaké et le Kunaari où Gelaajo régnait de Goundaka n’y échappant pas. Le succès du mouvement réformiste musulman de Sokoto, dirigé par Uthman dan Fodio (1753-1837), était parvenu jusqu’au Sahel central, où l’autorité de l’Ardo du Macina (Tenenkou) n’était plus aussi forte, et où clercs conservateurs et novices se disputaient à propos de points théologiques, à la limite du byzantinisme.
C’est dans ce contexte qu’un porte étendard de Sokoto (« mai tuta » en haoussa), Mallam ibn Said arrive dans le Gimballa, autour de 1813 qu’il essaie de soulever; son mouvement est cependant brisé très vite par les autorités du pays. Plus au sud à Djenné, Sékou Hammadi Lobbo se bâtissait une communauté réformiste, aux marges des cercles institutionnels de Djenné, mais aussi en critique aux excès des ArBe du Macina. Entre le Djenneri et le Gimballa, Gelaajo Hambodeejo régnait sur le Kunaari, jouissant de la réputation de son père et de ses hauts faits d’armes, mais aussi impacté par cette effervescence religieuse dans la région. La question de sa religiosité et de sa pratique sera centrale à la postérité : pour les sources macinanké liées à la Dina, c’est après 1818 qu’il fait sa conversion; alors que les chroniques du Fittuga, du Farimaké et de Sokoto le décrivent comme un musulman avec une cour religieuse, avant la bataille de Noukouma. Un prince peul, musulman, allié du Segou fanga, en quelque sorte, maintenant des relations avec les clercs de son espace, mais aussi avec les Kountiyou d’Araouane/Tombouctou, en particulier avec le Cheikh Sidi Mohammed (1765-1826).
Ainsi quand les évènements amenant à l’établissement de Hamdallaye s’accélèrent, les forces centripètales religieuses existaient et courtisaient les cours. Sékou Ahmadou Lobbo n’était pas le seul clerc musulman avec un projet politique, mais où il va être celui dont le projet aboutira et phagocytera les autres.
Gelaajo et la bataille de Noukouma [1818]
Ainsi lorsque la bataille de Noukouma commence en avril 1818, Gelaajo Hambodeejo avait une position particulière : prince peul, allié du Segou fannga, mais aussi menant une politique douce auprès des marabouts.
Quand Segou confronte Sékou Ahmadou et son mouvement dans le Sebera en 1818, en route pour une campagne dans le Hayré, Gelaajo Hambodeejo campait à Kouma, après avoir traversé le Pignari pour pouvoir faire jonction avec la colonne dirigée par Diamogo Serii Diarra dit « Fatoma », commandant de la colonne.
Selon le récit de Hampaté Bâ et Daget, l’armée de Diamogo Séri avait passé par Saro, Sakay, Nguêmou, Simay, Saré Malé pour camper à Mégou où elle fait sa jonction avec la colonne de Faramoso, chef des Bobo, venant de Poromani et occupant le Fémaye. Une autre colonne dirigée par Moussa Koulibaly du Monimpé, traversait Mourra, et le Djoliba au gué de Bimani, pour camper à Sandjira. Alors que Gelaajo Hambodeejo campait aux portes du Hayré avec 130 juude [unités de cavalerie], une autre colonne dirigée par Ardo Macina Ahmadou, dont le fils Gidaado avait été tué par les partisans de Ahmadou Hammadi Boubou à la foire de Simay, fait la jonction avec les autres colonnes dans le Sébera via Saré Seyni. Il est important de noter que toutes ces colonnes se dirigeaient vers le Hayré pour une campagne, mais le faama de Ségou Da Diarra, avait donné l’ordre à Diamogo Séri de régler l’affaire du marabout du Fittuga, en passant.
« Diamogo Séri Diara assume la direction générale des opérations. L’armée de Monimpé s’avancera en direction de la mare de Pogôna ; Guéladio surveillera les rives du Bani en vue de couper toute retraite vers la montagne, et, s’il est nécessaire, de prendre Noukouma à revers ; le gros des troupes bambara restera dans la région de Dotala et Diamogo Séri lui-même à la tête des meilleurs soldats bambara et bobo attaquera Noukouma. Il établit son quartier général au sud de la mare de Pogôna et donne ses ordres en vue du combat. Ses hommes sont munis d’une bonne quantité de cordes pour ficeler les vaincus comme ballots de poisson sec et les expédier ainsi à Da. »
En face l’armée de Sékou Ahmadou qui campait à Noukouma dans le Sébéra était commandée par Ousmane Bokari Sangaré/Cissé, un compagnon d’études de Sékou Ahmadou, qui fut proclamé « Amiiru Manngal »[grand émir] à l’aube de la bataille.
Si on suit le récit de Hampaté Ba, Sékou Ahmadou tint ce discours à ses partisans juste avant la bataille.
— La gloire et la puissance sont à Dieu. Je lis sur vos visages la bonne contenance malgré le danger qui nous menace. Le grand jour est arrivé. Ne vous laissez pas impressionner par le désarroi de vos épouses et la position de l’ennemi qui paraît avantageuse. Ce jour est pour nous un nouveau Badr. Souvenez-vous de la victoire que notre Prophète remporta sur les idolâtres coalisés. N’a-t-il pas attaqué l’ennemi avec 313 combattants seulement ? Ne remporta-t-il pas une éclatante victoire ? A son exemple, nous attaquerons Diamogo Séri Diara avec 313 hommes prêts à combattre pour Dieu. Vous êtes ici 81, vous, mes premiers partisans. Je vous adjoindrai 231 autres combattants et ainsi, avec moi-même, nous atteindrons le chiffre de 313. Les meilleurs cavaliers monteront les 40 chevaux dont nous disposons, les autres se battront à pied. Un deuxième groupe de 313 hommes ira vers Kouna et interviendra le cas échéant. Un troisième groupe de 313 hommes passera dans le Fakala et s’y tiendra prêt à toute éventualité. Les 61 lances qui restent surveilleront les femmes et les enfants. Ali Guidado a fait preuve de courage en portant le premier coup de lance. Nous avons à notre tour à nous élever au-dessus de l’événement qui nous menace et dominer la situation. Soyons fermes et ne disons pas comme les Juifs : « Nul pouvoir à nous, en ce jour, contre Goliath et ses troupes » (II, 250), mais : « Combien souvent bande peu nombreuse a vaincu bande nombreuse avec la permission d’Allah ! Allah est avec les constants (II, 250). »
Dans ce discours, il est clair que même si Gelaajo Hambodeejo n’était pas présent à Noukouma, les partisans de Sékou Ahmadou craignaient d’être attaqués par ses cavaliers sur leurs arrières, et avaient positionné 313 combattants, pour le contrer éventuellement.
Le 13 Jumada I 1233 [samedi 21 mars 1818], le premier choc entre les deux armées eut lieu à Noukouma lorsque les fantassins commandés par Bokari Hammadoun Sala [Bori Hamsala, futur Amiiru Macina] s’entrechoquèrent avec ceux commandés par Faramoso et Moussa Koulibaly. La flèche d’Abdou Salam Traoré, partisan de Sékou Ahmadou, perce le tambour de guerre de Diamogo Séri, avant qu’il ne soit abattu avec la shahada sur ses lèvres. Attaqué par 40 cavaliers peuls, Diamogo Séri surpris dans son camp, ordonne une mauvaise manœuvre suscitant la confusion parmi les troupes bambaras, dont certaines battaient en retraite et d’autres continuaient l’assaut.
L’unité bambara dite Banankoro bolo, commandée par le fameux Gonblé [le « singe rouge », un nom de guerre], avait soutenu le choc des Peuls malgré des pertes sévères. Gonblé, furieux de voir les Bambaras battre en retraite sur ce qu’il pensait être un ordre de Diamogo Séri, crut à une trahison. Il descend de son cheval, armé d’une chaîne de fer hérissée de pointes, et fait face aux Peuls en proférant à leur adresse ces paroles de mépris :
— Ohé, singes rouges [insultes adressées aux Peuls de Sékou Amadou], il ne sera pas dit à la cour du « Maître des eaux » [Jiitigi, autre nom du faama de Ségou] que ma longue queue de « Cynocéphale roux » [Gonblè en bambara] a balayé la poussière derrière moi pour effacer des traces de fuyard. Les troupes qui m’abandonnent iront porter la nouvelle de ma mort et non celle de ma fuite. Depuis quand des singes rouges se mesurent-elles à des cynocéphales ?
Ivre de rage et aveuglé par la honte d’une défaite, Gonblé se jette contre les lances ennemies. Au moment où il lève la main pour frapper le premier adversaire à sa portée, un bantuure [lances aux fers recourbés] adroitement lancé par un inconnu lui pénètre dans la poitrine et lui perfore le poumon gauche. Gonblé tombe à la renverse en jurant :
— Monè kasa ! [L’outrage a mauvaise odeur, en bambara]
Il meurt sans connaître l’issue du combat.
Diamogo Séri, voyant ses troupes lâcher pied et refluer en désordre, comprend un peu tard qu’en donnant l’ordre de déplacer son camp, il a commis une manoeuvre maladroite qui lui coûtera la bataille de Noukouma et même la guerre contre Amadou Hammadi Boubou. Les Bambara, contournant la mare de Pogôna, fuient jusqu’à Yêri où Diamogo Séri réussit à regrouper ses soldats et à reconstituer ses forces. Mais au lieu de marcher sur Noukouma qu’il pouvait prendre facilement, il emploie toute son armée à édifier des retranchements. Les Peuls avaient rompu le combat dès qu’ils avaient eu la certitude que l’avantage de la journée leur resterait acquis.
Les mauvaises manœuvres de Diamogo Séri Diarra firent perdre le jour au Seegu Fannga, suscitant la colère de ses lieutenants et la défection d’Ardo Amadou et de Gelaajo Hambodeejo. Arɗo Amadou retraverse le Niger et rentre dans le Macina ; Guéladio décampe de Kouna et regagne Goundaka. Quant à Faramoso, il abandonne ses alliés et se réfugie dans le Saro. La situation ne pouvait être plus favorable à Amadou Hammadi Boubou qui reçoit beaucoup de ralliements dont celui de Kolaado Alfa Dial de Wouro Nguiya, d’Adoulaye Muhammadu, cadi du Macina « proprement dit » et celui aussi de Boulkassoum Tahirou de Dalla, qui l’aurait rejoint avec ses 240 lanciers nãna nãnga [« avance et prends »] qui avaient la réputation de ne jamais reculer au combat. Le nombre des troupes aurait augmenté substantiellement ainsi alors que la victoire [ou la mise en échec] de Ségou par les marabouts se propage. Alors que Diamogo Séri campé à Yeri fortifie son camp, il subit beaucoup de défections de la part de ses troupes bambara et bobo, dont certains rentrent dans leurs pays ou se joignent carrément à Sékou Ahmadou Lobbo.
Au cours des mois qui suivirent, Sékou Ahmadou dont l’autorité était centrée sur le Sébéra consolida son assise sur le Maasina, le Djenneri et le Mourarien ralliant les chefs et installant ses alliés dans ses régions.
Gelaajo après Noukouma : la mésentente et la révolte contre la Dina
Après Noukouma et dans le sillage de la consolidation du pouvoir de Sékou Ahmadou Lobbo sur le Sébéra, le Djenneri et le Pondori, Gelaajo Hambodeejo réévalue sa position face au nouvel ordre dans le delta intérieur du Mali.
Gelaajo Hambodeejo, face à l’absence de réaction de Ségou, aurait réuni ses conseillers à sa capitale, Goundaka, pour les interroger sur la conduite à tenir face à l’ordre islamique naissant dans l’est, qui menaçait l’autorité des ArBe comme lui.
Il est rapporté que lors d’une de ses audiences, Ousmane Hambodeejo, frère puiné de Gelaajo [et fils de la princesse de Ségou] aurait rapporté ces propos à son frère :
— Je n’ai jamais eu peur d’un guerrier et je suis tout disposé à mourir pour défendre mon frère et le renom de notre famille. Mais je conseille à mon frère de ne pas s’opposer au marabout. C’est une foudre de guerre que Dieu envoie dans ce pays. Il faut aller nous soumettre, non pas à lui, mais à Dieu, et déposer notre soumission entre ses mains. Ainsi nous éviterons la guerre et garderons notre commandement.
Cet avis aurait été validé par les autres membres de la cour de Gelaajo, qui aurait résisté pendant trois mois à leurs conseils de se rendre à Noukouma. Cette attitude aurait généré des inconforts au sein des troupes de Gelaajo, le forçant d’une certaine manière à envoyer un émissaire auprès de Boureima Khalilou, Diawando de la Dina naissante, pour solliciter son coonseil et un accommodement possible avec la Dina. Le conseil de Boureima aurait été de rencontrer Sékou Ahmadou et de professer sa foi musulmane devant la Cour.
Gelaajoo acquiesça à cette requête et rencontra Sékou Ahmadou à Noukouma. Selon le récit de Hampaté Ba et J. Daget, collecté dans les années 1950, la rencontre entre les deux figures se serait déroulée comme suit :
Cheikou Amadou, selon son habitude, dit à Guéladio au cours d’une audience privée :
— Pour me prouver la sincérité de ta conversion, donne-moi un conseil. La guerre étant l’affaire des Arɓe plus que celle des marabouts, je voudrais que ton conseil soit d’ordre militaire.
Guéladio, répondit :
— Tu vas auparavant prier Allah de ne jamais m’abandonner à la merci d’un de mes ennemis.
Cheikou Amadou, ne saisissant pas l’astuce de cette demande 2 et sans aucune arrière-pensée, formule une prière dans le sens souhaité par Guéladio.
— Merci, lui dit ce dernier. Maintenant je vais, en toute tranquillité et de bon coeur, te donner quelques conseils :
Tu transféreras ta capitale de Noukouma en un lieu hors de la zone d’inondation. Noukouma pourrait être facilement assiégé durant les hautes eaux.
— Connaîtrais-tu un emplacement qui conviendrait à la fondation d’une grande ville qui serait la capitale de la Dina ? [Sékou Ahmadou]
[Gelaajo] Oui. Entre Sofara et Taykiri s’étend une vaste plaine, environnée de collines, qui conviendrait parfaitement. La ville pourrait être fortifiée et les hauteurs qui l’entourent utilisées comme postes de guet.
Il faut autant que possible construire en pisé et supprimer progressivement les paillottes. Quelques cavaliers décidés, armés de tisons ardents, peuvent ruiner un vaste territoire dont les cases sont faites de paille 4.
Tu élèveras des juments afin d’assurer à peu de frais la remonte d’une puissante cavalerie.
Tu encourageras l’agriculture en prenant la défense des travailleurs des champs. Cette politique assurera à ton état de bonnes récoltes et le prémunira contre le redoutable fléau qu’est la famine.
Tu ne feras rien sans l’assentiment des notables de ton pays. En politique, mieux vaut suivre une fausse route les ayant avec toi que t’engager dans un bon chemin les ayant contre toi.
Tu choisiras comme favori un captif qui mourra sans trahir et se fera tuer pour te sauver.
Tu prendras un maabo [tisserand-griot] comme confident intime. Un maabo pur-sang ne vend jamais un secret confié.
Tu feras traiter tes affaires par un DiawanDo. Le DiawanDo gâche tout projet formé sans lui, mais il a honte de voir échouer un plan qu’il a dressé lui-même.
Il faut aimer la fortune et ne pas la dissiper comme tu le fais.
Ce dernier conseil déplut à Cheikou Amadou.
— Pourquoi veux-tu que je thésaurise ? dit-il à Guéladio. Ne sais-tu pas que les biens de ce monde sont périssables et qu’inévitablement il faut, au seuil de la tombe, renoncer à toutes les richesses amassées durant la vie ?
— Je ne t’ai pas dit, reprit Guéladio, de rechercher la fortune pour toi-même. Mais tu veux fonder une Dina. Elle ne peut prospérer que si tu gagnes les hommes à ta cause et si tu les retiens près de toi.
— Certes oui, concéda Cheikou Amadou.
— Or, les hommes aiment l’argent, continua Guéladio. Même ceux qui ne l’adorent pas ne peuvent s’en passer. Il te faut donc amasser une fortune, non pas pour ton plaisir, mais pour attirer les hommes dont tu auras besoin. Tu as gagné des batailles, mais ta victoire ne sera définitive et ta domination affermie qu’autant que tu auras des biens à répandre autour de toi. Mon père HamboDédio avait coutume de dire : « donnez-moi de la fortune et je ferai de la terre ce que vous voulez qu’elle soit. S’il a réussi à épouser la fille de Da Monson, c’est que son or avait lesté les langues qui auraient pu dire non.
— Tu as raison, dit Cheikou Amadou. La Dina aura son trésor, mais moi, j’ai fait vœu de pauvreté.
Comme on le voit ici, Gelaajo aurait été influent dans la sélection de l’emplacement de la future capitale de la Dina, « Hamdullaye », à mi-cheval entre le Kunaari, le Macina, et pas si loin du Hayré. Gelaajo invitait ainsi Sékou Ahmadou Lobbo à s’établir plus près de lui, mais dans un site facilement défendable et moins enclavé que le Sébéra initial. Une entente existait ainsi, entre Gelaajo Hambodeejo, figure de l’ancien ordre, et Sékou Ahmadou, porte-étendard du nouvel ordre islamique. Mais cette entente cordiale n’allait pas durer, car la révolte de Gelaajo Hambodeejo Dicko, qui allait « durer sept ans » selon la transition, est un des évènements qui allait faire trembler l’empire peul du Macina
La révolte de Gelaajo contre l’ordre nouveau des clercs
1235 AH- 1819/20: Gelaajo Hammadi Bodeejo se rend à Tombouctou pour rencoontrer Cheikh Sidi Muhammad
1240AH- 1824/25 Révolte de Gelaajo Hammadi Bodeejo
Source: Tarikh Fittuga de Cheikh Isma’il Wadi’at Allah/Yerkoy Talfi
L’entente entre Gelaajo Hambodeejo et la Dina ne fut pas longue. Le nouvel ordre voulait soumettre l’ancien, en établissant un nouveau commandement soumis à Sékou Ahmadou et aux Quarante marabouts du Batu Mawdo.
Chaque région était dirigée par un amiru, qui était en même temps un chef de guerre pour le compte du laamu Diina. Les amiiraabe étaient assistés de conseillers juridiques et devaient rendre compte au Batu Mawdo/Sékou Ahmadou, qui constituaient l’autorité suprême.
Comme on le sait, Ousmane Bokari Sangaréavait été proclamé Amiiru Mangal à l’aube de Noukouma, et fut celui qui commandait la province du Dienneri. Il résidait à Djenné mais ses troupes étaient garisonnées à Sénossa, Wakana et Ngounya, surveillant le Niger, et la frontière ouest avec Ségou et le Saro.
Bori Hamsalah (Bokari Hammadoun Salah),qui avait été à la tête des troupes à Noukouma, fut proclamé Amiiru Macina,avec résidence à Tenenkou, à la suite de la déchéance de l’Ardo Ahmadou, ennemi de Sékou Ahmadou, et de la soumission à la Dina de Ardo Ngouroori Diallo, primus inter pares des Arbe avant la Dina. Bori Hamsalah commandait de Diafarabé au lac Débo, proche de la zone inondée et des bourgoutières tant désirées.
Le Fakala, était commandé par Alfa Samba Fouta Ba, de Poromani. Il sera secondé par le neveu de Sékou Ahmadou, Ba Lobbo Barryet par son fils Maliki Alfa Samba.
Gouro Malaado, un autre neveu de Sékou Ahmadou commandait le Hayré, et surveillait les frontières est du nouvel état. C’était un grand commandement, constituant la marche avec le Hombori, le Jelgooji, le pays mossi et samo, et Gouro Malaado était secondé par plusieurs porteurs de tambour [« joom tuube] comme Alfa Seyoma qui résidait entre Dalla et Douentza et Moussa Bodeejo, qui résidait à Aribinda.
Le Farimaké/Fittuga/Gimballa était commandé par Alhaji Moodi, un cousin de Sékou Ahmadou, et connu comme spécialiste de la guerre de razzias contre les Touareg et les Maures. L’Amiiru Nabbe e Dude commandait cette région des lacs, restive à l’autorité centralisatrice de Hamdallaye.
Dans cet ordre naissant, Gelaajo Hambodeejo ne fut pas choisi parmi les cinq amiraabe initiaux, mais ses états furent subordonnés à l’autorité de l’amirou du Hayré et du Fakala-Kunaari. La Dina avait privilégié de mettre des chefs dont la confiance n’étaient pas en doute à la tête de ces 5 grands commandements; les chefs ralliés comme Gelaajo Hambodeejo et ceux de Wouro Nguiya, Attara, Farimaké, Sa, Dari, Konsa, Wakambé, Tégé, Kagnoumé, Poromani, Bambara Maounde, étant catégorisés comme des « joom tuube », ou chefs de deuxième ordre.
La rébellion de Gelaajo trouve certaines de ses origines dans cette nouvelle cartographie qui scinde ses états. La nomination de Gouro Malaado au Hayré avec autorité sur le Pignari, conquis par Gelaajo et à qui il était demandé, de céder cette conquête fut l’étincelle. À la suite de cette nomination, Gelaajo Hambodeejo aurait dit:
‘’Sans honneur, que ferais-je de la vie ? Mourir est une loi inévitable, mais se laisser honnir sans réaction, c’est manquer de courage et de vertu…’’
La chronique du Fittuga fait part d’une visite de Gelaajo Hambodeejo chez Cheikh Sidi Mohamed el-Kounti en 1820. L’évènement est assez notable pour être consigné dans les annales et le tarikh ne fait pas état des discussions. Ce vide est cependant comblé par la tradition orale qui fait exhaustivement état des tractations de Gelaajo entre Hamdallaye et Tombouctou, et des alliances qu’il essayait de contracter avec Boubou Ardo Galo du Macina, et avec Amadou Alfa Koudiadio, marabout du Farimaké, pour déclencher une grande révolte contre Sékou Ahmadou.
Les traditions rapportent que lors de sa visite à Tombouctou, Gelaajo aurait sollicité un marabout qui l’aiderait à traiter avec la Dina et sur les questions musulmanes à Sidi Mohamed al-Kounti, qui lui aurait envoyé un de ses disciples, Alfa Nouhoum Tayrou [ou Nuh b. al-Tahir, selon les clercs musulmans]. Alfa Nouhoum Tayrou, « ngel binndi » [l’écrivain en fulfulde] est passé à la postérité comme le coadjuteur de Sékou Ahmadou et comme l’un des théoriciens des bases de l’état naissant. Durant son service à Goundaka, au service de Gelaajo, Alfa Nouhoum Tayrou développa des relations avec le Batu Mawdo et Sékou Ahmadou, qui étaient séduits par sa science religieuse et par son talent littéraire. Gelaajo aurait été irrité par cette tournure des évènements et lui aurait dit, lorsqu’à bout de patience:
— Je m’aperçois chaque jour que tu es plus près, par le cœur, des marabouts de Hamdallaye que de moi. Tu prétends toujours que leurs instructions sont conformes au Coran et à la Sounna et tu trouves toujours que ma ligne de conduite est répréhensible. Je me demande si réellement tu défends bien ma cause. ».
Gelaajo, insatisfait de son conseiller religieux, aurait écrit une lettre au Cheikh Sidi Muhammad pour se plaindre et l’accuser d’être sur le point de renier son obédience à la Qadiriyya Kountiya, pour s’inféoder à Hamdallaye. Au-delà des accusations, cette tradition montre en fait qu’à cette époque les rapports entre les Kountiyya et la Dina étaient loin d’être établis, et que beaucoup de princes et musulmans de la boucle du Niger, s’appuyer sur des légitimités islamiques confrériques, pour contester l’ascendance d’Hamdallaye.
À la défaveur de Gelaajo, Cheikh Sidi Muhammad Kounti n’aurait pas apprécié ses insinunations. Il aurait écrit à Alfa Nouhoum Tayrou une lettre rapportée comme telle par Ba et Daget :
« Le serviteur d’Allah, Sid Mahamman, qui espère en la miséricorde de son créateur le Clément sans bornes, à son disciple, la perle brillante d’un collier magnifique, Alfa Nouhoun Tayrou, salut. Il nous est parvenu de la part de l’illustre fils d’Hambodédio, auprès de qui Allah a voulu que nous t’envoyions pour défendre et faire triompher le droit par la justice, que ton esprit est en train de s’obscurcir et tes pas, jadis si fermes, de chanceler. Nous ne pouvons ni croire à ta défaillance, ni douter du dire du fils d’Hambodédio, avant de t’avoir entendu. En conséquence, quel que soit le lieu où cette lettre te trouvera, pars immédiatement pour Tombouctou où nous te convoquons, avec le ferme espoir que nous ne t’y attendrons pas longtemps. »
Lorsque le porteur de cette lettre arriva au domicile d’Alfa Nouhoun Tayrou, celui-ci était sorti. Le messager attendit à la porte. Alfa Nouhoun Tayrou, revenant de la mosquée, allait rentrer chez lui quand l’envoyé de Cheik Sid Mahamman [Cheikh Sidi Muhammad Kounta] lui tendit la missive. Alfa Nouhoun Tayrou, piqué par la curiosité, l’ouvrit et en prit connaissance sur place. Les assistants virent ses traits changer au fur et à mesure qu’il lisait, mais ne pouvaient deviner les sentiments qu’il éprouvait. Surmontant son trouble, Alfa Nouhoun Tayrou après avoir achevé la lecture de la lettre, se tourna vers le messager et lui dit, souriant :
— C’est entendu.
Il tourna le dos à sa porte et dit à ceux qui l’accompagnaient :
— J’ai reçu de mon cheikh l’ordre d’aller à Tombouctou, et je m’en vais.
Il chargea un ami d’aller faire ses adieux à sa famille et de le rejoindre avec le nécessaire pour le voyage, puis il dit à l’envoyé de Sid Mahamman :
— Tu m’excuseras de manquer à ton égard aux lois de l’hospitalité, mais partons sans plus attendre pour Tombouctou.
La nouvelle du rappel d’Alfa Nouhoun Tayrou parvint à Hamdallaye. L’empressement avec lequel il avait répondu à la convocation de son cheikh plut beaucoup à Cheikou Amadou qui lui écrivit immédiatement une lettre. Un cavalier rapide fut chargé de la lui porter avant qu’il ne fut sorti du Kounari. Le cavalier rattrapa Alfa Nouhoun Tayrou et son compagnon à Bogo [au sud de Konna]. La teneur de la lettre, toujours d’après la tradition orale, était la suivante :
« L’humble serviteur d’Allah le Grand, le Clément, le Miséricordieux, Amadou fils de Hammadi, fils de Boubou, à son frère en Allah, le savant, le pieux Nouhoun Tayrou. L’oreille perçoit parfois ce qui ne lui est point destiné. Nous avons appris que le fils d’Hambodédio t’a desservi auprès de notre vénérable Cheik Sid Mahamman. Il accuse ton cœur de se pencher vers nous plutôt que vers lui. Nous souhaitons qu’Allah te lave d’une calomnie qui peut accabler ton cœur de chagrin. Nous te prions de venir à Hamdallaye, nous enverrons au vénérable Cheik Sid Mahamman des preuves indiscutables de ta bonne foi. Ta place est plutôt parmi les membres du grand conseil qu’auprès de Guéladio. Ce dernier cherche à te chasser du pays alors que nous, nous recherchons la compagnie d’une âme aussi pure que la tienne, car seules les âmes pures sont agréables à Allah. »
Alfa Nouhoun Tayrou écrivit à Cheikou Amadou pour le remercier de sa sympathie, mais il ajouta qu’étant de l’obédience de Cheik Sid Mahamman, il ne pouvait se rendre à Hamdallay sans ordre de son maître.
Cheikou Amadou aurait alors envoyé une longue lettre à Cheik Sid Mahamman, et y joignit une correspondance reçue par le grand conseil de Hamdallay et dans laquelle Alfa Nouhoun Tayrou défendait Guéladio . C’était une preuve éclatante qu’à aucun moment Alfa Nouhoun Tayrou n’avait trahi sa mission malgré les propositions avantageuses de Hamdallay. Cheikou Amadou terminait sa lettre en demandant à Cheik Sid Mahamman de lui affecter Alfa Nouhoum Tayrou puisque Guéladio semblait ne plus en vouloir comme secrétaire. Cette lettre fut confiée à une pirogue légère avec ordre de ne pas s’arrêter en chemin. L’envoyé de Hamdallay parvint à Tombouctou avant Nouhoun Tayrou. Cheik Sid Mahamman prit connaissance des documents qui lui étaient communiqués et s’en montra très satisfait. Il savait à quoi s’en tenir sur la conduite de Guéladio qui avait inconsidérément calomnié un homme irréprochable. Il écrivit à Cheikou Amadou et à Alfa Nouhoun Tayrou.
La pirogue rapide de Hamdallay, remontant le fleuve, croisa celle de Nouhoun Tayrou qui descendait. On remit à Nouhoun Tayrou la nouvelle missive de Cheik Sid Mahamman. Il la lut avec joie, mais ne put s’empêcher de dire :
— Cheikou Amadou est un adversaire terrible ; il m’a fait perdre l’occasion de revoir mon cheik.
Effectivement, Sid Mahamman donnait ordre à son disciple de retourner sur ses pas et de se mettre à la disposition de Cheikou Amadou pour l’aider à gouverner la Dina.
C’est ainsi qu’Alfa Nouhoum Tayrou rejoignit Hamdallaye où il allait devenir la deuxième personnalité du régime naissant au fil des ans, épousant même la veuve de Sékou Ahmadou [et mère de son successeur Ahmadou Sékou, v.1800-1851] et s’érigeant comme un des acteurs majeurs de la diplomatie de Hamdallaye.
Il est inutile de dire que Gelaajo Hambodeejo fut désappointé par ce retournement des choses. Mais sa détermination à conserver ses privilèges et son indépendance n’avait pas flanché. La question du Pignari et sa subordination à Gouro Malaado lui étaient resté en travers de la gorge. Il aurait tenu cette ferme résolution :
« Le Pignari est ma conquête. Je ne peux pas admettre qu’on le donne à Gouro Malado. C’est une marque de mépris vis-à-vis de ma famille. Me taire serait forfaire à l’honneur de Hambodédio. Le commandement du Pignari ne doit pas être attribué à un autre sans mon consentement. Or les marabouts ont pris leur décision sans me prévenir, même à titre d’information. Je n’ai au demeurant que ce que je mérite. J’aurais dû continuer à les combattre et mourir au besoin comme sait mourir un Arɗo. Mais je suis décidéà envoyer à Hamdallaye une lettre de protestation. La réponse que Cheikou Amadou me fera, décidera entre la paix et le silence ou le bruit de la poudre et le cliquetis des armes blanches. Puis il écrivit au grand conseil :« Avant l’avènement de Cheikou Amadou, moi, Gelaajo Hambodeejo, j’ai fait une incursion dans le Pignari ; j’ai battu le pays jusqu’aux portes de Doukombo . Cette région est mon domaine puisque je l’ai conquise. Je demande à ce qu’elle ne soit pas distraite du Kounari. Je m’élève contre la désignation de Gouro Malado pour la commander.».
Lorsque la lettre de Gelaajo fut reçue par le Grand Conseil, leur réponse éteignit tous ses espoirs et sonna le glas de leur entente.
« Il a été décidé par le conseil chargé de veiller sur la sécurité et la bonne marche de la Dina, qu’aucun homme incapable de lire, écrire et comprendre le sens d’un document écrit en caractères arabes, ne serait placé à la tête d’un territoire à plus de cinq jours de marche. Ton maintien comme chef du Kounari est une mesure exceptionnelle qui continue à être combattue par certains conseillers. Il est de ton intérêt et de celui des tiens de te tenir tranquille. Le grand conseil ne conteste ni ta naissance illustre, ni tes mérites militaires, mais il ne saurait être question de te donner la préséance dans une affaire où la valeur militaire et l’origine ne constituent pas des titres essentiels. On exige des chefs foi et science. Or sans t’insulter, ta foi est tiède et ta science est nulle.»
Gelaajo contracta des alliances au-delà, pour tenir tête à Hamdallaye. Selon le récit de Ba et Daget, Alfa Ahmadou Koudiadio avait été missionné par la Dina pour rallier le Farimaké, le Dirma et le Ndodjiga mais après ses conquêtes initiales, était entré en rébellion s’alliant aux Touaregs Tengerigrif de Woyfan, et aux Kel Tadmakkat en défiance à Hamdallaye obligeant. La Dina fut obligée d’envoyer une colonne dirigée par Alhaji Moodi pour le mettre au pas. D’une certaine manière la défiance de Gelaajo servait également ses intérêts. Il semble que Gelaajo tenta une dernière approche auprès de Cheikh Sidi Mohammed pour avoir une caution islamique à sa rébellion ; ce qui expliquerait peut-être l’annonce de sa visite au marabout kountiyou dans le Tarikh Fittuga en 1820. Mais ce fut également un échec ; Cheikh Sidi Muhammad conseillant à Gelaajo de se conformer aux exigences de la Dina, et de ne pas se rebeller.
Ainsi Gelaajo s’appuya simplement sur la force de ses armes, lorsqu’il déclencha sa rébellion qui aurait duré 7 ans [1820-1826] selon la tradition, et 2 ans [1824-1826] selon le Tarikh Fittuga. Il est possible que ces deux dates aient des références différentes et que la défiance de Gelaajo commença en 1820 pour prendre une tournure militaire à partir de 1824. Le Pereejo aurait tenu ces propos à son frère et confident Ousmane, avant d’enclencher sa rébellion :
Je suis revenu de Tombouctou plus morose que jamais. Je n’ai pas trouvé auprès du marabout Sid Mahamman le réconfort sur lequel j’avais fortement compté. Il me prédit le pire. Tu seras battu si tu fais la guerre à Cheikou Amadou, telle a été sa conclusion. Mais je ne me laisserai pas intimider. Sans honneur, que ferais-je de la vie ? Mourir est une loi inévitable, mais se laisser honnir sans réaction, c’est manquer de courage et de vertu. J’ai foi en ma chance. Je préfère périr, voir tous les miens mourir ou quitter le pays, plutôt que de me soumettre aux gens de Hamdallay qui font et refont des coupes territoriales en dépit de tout bon sens. Si je ne sais pas réciter le Coran, mon esprit est rompu aux tactiques de la guerre. Mes chevaux, mes sabres et mes lances me redonneront la préséance que les versets du Coran, dit-on, me refusent. Je ferai aux marabouts une guerre sans merci. Ils pourront avoir ma vie comme ils ont eu celle de mon cousin Arɗo Amadou [pris, livré aux marabouts et décapité par Hamdallaye, avec son corps jeté dans une mare du Mourari]. Mais auparavant, ils auront eu de moi des nouvelles sanglantes. Tant que tu vivras, toi, Ousmane mon frère, tant que mes lances ne seront pas émoussées ni mes chevaux déchaussés de leurs sabots, les marabouts ne dormiront pas sur leurs deux oreilles et ils ne réciteront pas tranquillement des passages de leur livre dans la salle aux sept portes qui fait tant leur orgueil.
Ousmane qui avait attentivement écouté son frère jusqu’au bout dit :
— Alors ce sera la guerre entre nous et les marabouts ?
— Oui, dit Guéladio, je vais déclarer la guerre aux marabouts.
L’Ardo Mawdo du Macina, Ngourori Diallo, approché par Gelaajo refusa de joindre la rébellion mais son frère Boubou Ardo Galo, était allé à Ségou pour demander au faama Da Monzon, un appui en or et en ressources, dans la révolte qui se préparait. Ainsi les marabouts devaient s’attendre à une rébellion massive dans le Farimaké et le Fittuga, dans le Kunaari et dans une partie du Macina avec Boubou Ardo Galo. Le maabo de Buubu Ardo Galo, Galo Segene, composait des satires insultant les marabouts et traitant Ngourori de couard et appelant les Arbe à la dissidence. Buubu Ardo Galo qui refusait de manger le « cengle issu de la sadaqat », aurait tenu ses propos à son frère :
— Tu peux rester à Hamdallay puisque tu y as élu domicile. Tu peux te faire inscrire sur la liste des marabouts car tu es rayé de celle des Arɓe. Ne compte plus sur le Macina. Puisque tu as renoncé à venger Arɗo Giɗaɗo, ma place est maintenant aux côtés de Gelaajo.
Buubu Ardo vainquit la cavalerie macinanké à Néné, et encore lorsqu’ils traversèrent le fleuve pour Tenenkou, jurant qu’il apprendrait la guerre aux marabouts en les frappant avec la chaine qu’ils utilisent pour les enfants apprenant le Coran.
Alors que Buubu Ardo Galo taillait en pièces les cavaliers de la Dina à Néné, Gelaajo exerçait une pression directe sur Hamdallaye proche de son Goundaka. Ousmane Hambodeejo, de Sio, bloquait l’accès à Hamdallaye, affamant les résidents de la nouvelle capitale, alors que Gelaajo appelait tout le pays au soulèvement. Plusieurs fois, les troupes du Kunaari vainquirent celles d’Hamdallaye, grâce à la sagacité politique de Gelaajo et à son réseau d’espions dans la boucle du Niger.
La mise en échec de la Dina obligea Sékou Ahmadou à solliciter les conseils de Bouréma Khalilou, un jawanndo de Hamdallaye à la sagacité légendaire et toujours en opposition avec Hambarké Samatata, le rigoriste accusateur public du Baatu Mawdo et ennemi de Gelaajo. Bouréma Khalilou, compromis dans la rébellion et mis aux fers, fut libéré et réinstallé dans le Grand Conseil après des années d’échec et alors que l’autorité de la Dina se réduisait comme une peau de chagrin. Celui-ci aurait dit appelé le Grand Conseil à plus d’humilité et de sens politique et rappelé que « savoir lire et écrire ne garantissait pas la vivacité de l’intelligence, la puissance de déduction, ni le don de la persuasion ».
Au conseil de guerre de la grave heure, Boureima Khalilou aurait été le dernier à parler rappelant la nécessité du secret pour les déplacements de la cavalerie macinanké. Amirou Mangal de Djenné, rappelé de Djenné, vint en appui à Alhaji Moodi, Bori Hamsala et à Alfa Samba Fouta, contre Gelaajo Hambodeejo. La conjoncture politique devait permettre la concentration des forces contre Gelaajo; la pression s’étant relâchée du côté de Ténenkou-Néné lorsque les colonnes de Hammadi Oumar Gouro vainquirent Buubu Ardo Galo et le tuèrent.
Toutes ces forces se reportèrent sur le Kunaari en attaquant Ousmane Hambodeejo à Sio pour désserrer l’étau autour de Hamdallaye, coupée de l’est. La cavalerie macinanké défait le blocus après un duel entre Ousmane Hambodeejo et Samba Abou, son ami d’enfance rallié à la Dina. Les deux amis se tueront au début de la bataille mais la mort d’Ousmane Hambodeejo avait déstructuré le commandement du Kunaari, et l’arrivée de troupes massives favorisant leur déroute pour Goundaka. La mort de Buubu Ardo Galo et celle de son frère Ousmane Hambodeejo perturbèrent Gelaajo qui lui aussi sollicita les conseils de Boureima Khalilou, conseiller de Sékou Ahmadou. Le conseil donné fut de quitter le pays car Hamdallaye ne comptait lui faire aucun quartier pour sa défiance.
Ce fut alors que Gelaajo réunit son conseil de guerre, pour savoir quelle conduite tenir. La décision de l’exil douloureux lui fut conseillée, dans l’espérance d’un retour; Goundaka étant trop proche de Hamdallaye et n’offrant pas les abris des contreforts du Hayre, la défiance devenait désespérée après les conseils de Cheikh Sidi Muhammad, et la défaite des alliés dans le Macina, le Mourari, et le Fariimaké. Le Kunaari en solidarité à son chef, se divisa : une bonne partie des gens du pays se décidant à subir la même fortune que leur chef. Gelaajo leur aurait dit :
— Ceux qui veulent m’accompagner me feront plaisir, mais je me séparerai sans rancoeur de ceux qui préfèrent rester ici.
Alors son maabo, Maabel Gelaajo, s’approcha :
— Fils d’Hambodédio, dit-il, ta mère est vieille ; elle ne peut suivre le fugitif que tu es à travers un pays inconnu où tu ne pourras peut-être avancer qu’en donnant des coups de lance ou en faisant parler la poudre.
Gelaajo se souvenant de la peur de Galo Segene, maabo de Buubu Ardo,qui dans les derniers moments fut pris d’une telle peur qu’il ne pouvait ni jouer de son luth, ni chanter les louanges de son maître, comprit que son maabo était sur le point de lui fausser compagnie.
Il le réconforta dans ses peurs et lui demanda de rester et de servir sa mère Welaa Takkaade, trop vieille pour l’exil incertain, et leur laissant des calebasses d’or pour leur entretien. C’est de nuit que le Pereejo quitta le Kunaari, passant par le Hayre, le Seeno et le Liptaako, alors que les troupes de Alhaji Moodi étaient à ses trousses, déterminées à venger les échecs qu’il leur avait fait subir. C’est à Béléhédé que ces troupes s’arrêtèrent dans leurs poursuites, n’osant pas franchir les états du sultan de Sokoto pour y poursuivre un fugitif. Gelaajo Hambodeejo reçurent l’hospitalité de Sokoto [plus spécifiquement du Gwandu d’Abdullahi dan Fodio, 1763-1828], et s’installèrent dans un « Nouveau Kunaari », entre Say et Torodi [Niger actuel] avec leur capitale à Ouro Gueladio [la ville de Guéladio]. Au fil du temps, l’adoucissement entre Sokoto et Hamdallaye favorisa également les relations entre Gelaajo et la Dina.
Wela Takkaade, la mère de Gelaajo fut invitée à vivre à Hamdallaye dans la concession même de Sékou Ahmadou Lobbo, ce qui constituait une propagande utile pour Hamdallaye face à un rebelle très populaire. Elle y vécut jusqu’à sa mort avec Maabel Gelaajo, et fut entretenue par la Dina. À son décès, furent découvertes les gourdes remplies de poudre d’or que Gelaajo lui avait données pour son entretien, et qui ne furent jamais déscellées. Ce fut Maabel Gelaajo qui expliqua l’origine de ce trésor aux curateurs; précisant que Wela Takkaade n’a jamais eu besoin de cet or vu que son entretien était pourvu par la Dina.
Ce fut ainsi que Sékou Ahmadou aurait écrit une lettre à Gelaajo, en ces termes :
« Moi Amadou Hammadi Boubou, par la grâce de Dieu imam de Hamdallay, au fils d’Hambodédio. Allah répand ses grâces et accorde le salut au sceau des Prophètes, notre Seigneur Mohammed le véridique, ainsi qu’à sa famille. Sache, ô Guéladio, que Dieu a rappelé à Lui ta pieuse mère. Elle est morte en paix et sur la voie de la rectitude. Je t’envoie, escortés par un groupe de cavaliers, les biens constituant sa succession. Celle-ci comporte, entre autres objets de valeur, une gourde scellée à la bouse de vache, que tu aurais offerte à ta mère avant de te séparer d’elle. J’espère que Dieu aidant, le tout te parviendra en bon état. Salut et condoléances de la part de tous. ».
Quand Gelaajo reçut la lettre et s’étant demandé si sa mère avait dédaigné son or, vu qu’on le lui retournait et ayant eu une explication de la chose, il aurait demandé aux émissaires de Hamdallaye de tout ramener au Batu Mawdo, et de verser l’or et les biens légués à lui par sa mère au trésor public et que cela soit distribué aux pauvres.
« Vous direz à Cheikou Amadou que je verse le tout au beyt el mâl en faveur des pauvres. Puisse ce geste valoir à ma mère et à moi la miséricorde d’Allah le Clément » »
Épilogue: « Mohamed » Gelaajo dans le « nouveau Kunaari »
En 1853, un voyageur allemand se faisant appeler « Abdel Karim » mais ayant pour vrai nom Heinrich Barth avait fait le trajet Tripoli [Libye] à Kukawa [au Nigeria] et ensuite Kukawa jusqu’à Sokoto. De Sokoto, il comptait se rendre à Tombouctou, où il sera logé par Cheikh Sidi Bekkaye el-Kounti (1803-1864), fils de Cheikh Sidi Muhammad (1765-1826), et peut-être à Hamdallaye. Dans cet itinéraire, il passa par Ouro Gelaajo [appelée alors Tshampagore] et fut reçu par Gelaajo Hambodeejo, qui était un vieux à cette époque. Il le décrit ainsi :
« Mohammed Galaïdjo était, lors de ma visite, âgé d’environ soixante-dix ans; de taille moyenne, il avait une physionomie fort agréable, à l’expression presque européenne.
Vêtu fort simplement, il ne portait qu’une tunique bleu-clair et avait la tête entourée d’un châle blanc. Galaïdjo, fils de Hambodedjo, succéda à son père, qui était sans doute le chef qui reçut avec tant d’hospitalité Mungo Park en 1805-1806, Ce Hambodedjo était alors le chef le plus puissant du Massina ou Melle, qui avait été divisé en une quantité de petits royaumes, depuis la chute de l’empire Sonrhaï; or, l’avénement de Galaïdjo au pouvoir, coïncida précisément avec le commencement du grand mouvement politique et religieux des Foulbe du Gober, mouvement dirigé par le réformateur Othman. Excité par leur exemple et enflammé d’une ardeur religieuse, il s’éleva Parmi eux un apôtre qui s’en alla répandre l’islamisme dans sa forme nouvelle, parmi la subdivision des Foulbe établie sur les rives du Niger supérieur.
Cet apôtre était Mohammed ou Hamed Lebbo. Au commencement de l’an 1233 de l’hégire (1818), il arriva dans le Massina, à la tête d’une petite armée enthousiaste et conclut une alliance avec Galaïdjo, qui embrassa lui-même l’islamisme (car son père était resté fidèle aux superstitions païennes); ainsi unis, ils entreprirent en commun la conquête des contrées voisines ; mais lorsque Lebbo se fut ainsi puissamment établi, il prétendit soumettre à sa domination son allié, sous prétexte que c’était lui qui avait levé, au berceau même du mouvement, l’étendard de la réforme.
Galaïdjo, qui se souciait peu de renoncer à ses antiques domaines, entra en lutte avec Lebbo et se vit forcé, après trois ans d’une guerre acharnée, d’abandonner sa capitale, Konari, et d’aller se chercher, avec le reste de ses partisans, une nouvelle patrie dans les parties orientales du pays. Il fut reçu à bras ouverts par le sultan de Gando, qui lui donna le gouvernement de la contrée vaste mais peu fertile, qui s’étend à l’ouest du Niger; c’est là qu’il est maintenant établi depuis une trentaine d’années »
Le récit de Barth nous vient d’une personne qui a vu et causé avec Gelaajo, qui l’a reçu dans sa maison. La perspective qui y est, différe légèrement de celle des traditions et pourrait constituer celle de Gelaajo suur les évènements qui l’ont amené à quitter son pays. C’est en ça qu’il est intéressant, toutes précisions gardées.
Aminata Wane dans son ouvrage sur Gelaajo apporte une tradition de l’historien nigérien Boubou Hama, disant que Cheikhou Oumar Foutiyou [1797-1864] aurait été reçue par Gelaajo, au retour de son pèlerinage. Peut-être que Heinrichi Barth a suivi le même itinéraire que celui du marabout, de Sokoto au Macina, avec plus d’une décennie de différences. Un fis de Gelaajo, Ibrahim Gelaajo Hambodeejo, étaiit noté parmi les alliés de Tidiani Alfa Ahmadou Tall, neveu de Cheikhou Oumar, durant sa reconquête du Macina entre 1864 et 1870. Gelaajo serait mort dans le Jelgooji en 1862, après la bataille de Cayawal, et alors qu’il espérait retourner dans son pays. Son exil fut permanent et il ne reverra jamais son Kunaari natal
Écoutons son dammol une dernière fois.
Nan !
1 Ayya Buubu, Accaa Buubu, Amina Buubu !
Entends !
1 Ayya Boûbou, Attia Boûbou, Amina Boûbou !
2 Kunta Buubu, Kunta Nguuroori Galo Haawa !
2 Kounta Boûbou, Kounta Ngoûrôri Galo Hâwa !
3 Pullo am mo ñaamaani gacce segene ñeeno jontaaɗo !
3 Mon Peul qui ne manque pas de donner au plectre son dû !
4 ɓe mbiya mo Gelaajo Ham Boɗeejo Hammadi Ham Paate Yella
4 On l’appelle Guélâdio Ham Bodêdio Ham Pâté Yella,
5 E Ndooraari, Pullo moorotoongal balamiinaaji
5 Le Ndôrâri (mouton de Dori), le Peul dont les tresses sont des balaminâdji [arbustes ligneux]
6 Cañcortoongal kure kaŋŋe !
6 Et qui les défait avec des fléchettes en or !
7 Kanko wiyetee joom sahre !
7 C’est lui qu’on appelle le maître de la ville
8 ɓe mbiya mo kuɗal daande maayo
8 Lorsqu’on l’appelait « l’herbe au bord du fleuve »
9 Sukubee ñukubee, sumataa ñaayetaake
9 Soukoûbé Gnoukoubé, Qui n’est ni brûlée, ni broutée,
10 Mboɗeeri dono feelaa, jennga suɓee aawdi
10 Mil rouge, héritier du mil blanc, sélectionné le soir,
11 Sabboree ngatamaare
11 Dans l’attente des premières pluies,
12 O wiya: ‘’mi ɓennii ɗoon !’’
12 Guélâdio disait : « Ma renommée dépasse tout cela ! »
13 Ɓe mbiya mo Weyse Baaye Buubu, Weleende Baaye Buubu
13 On l’appelait Weysi Bâyé Boûbou, Wélêndé Bâyé Boûbou,
14 Pulal Baaye Buubu sukkiɗi korlal
14 Le grand Peul Bâyé Boûbou, celui qui a la jambe poilue,
15 Yaaji larongal, juuti saalifaaji daande
15 Celui qui a la peau épaisse, qui a les muscles du cou saillants,
16 Saliima waɗde bitti reedu
16 Qui a refusé d’avoir des plis au ventre
17 A hoɗii e tule, a haɓaama e tule a haɓetaake
17 Tu as habité dans des collines, tu t’es battu dans des collines, tu ne te bats point
18 Leydi Idiriisa Bookar Hammooy
18 Au pays d’Idrissa Bocar Hamôye,
19 Yah ɗo nguli alaa ceeɗu
19 Va au lieu où il ne fait pas chaud en période d’extrême chaleur,
20 Jaangol alaa dabbunde.
20 Ni froid en hiver !
Pour aller plus loin
Ba Amadou Hampaté et Jacques Daget. 1975. L’empire peul du Macina (1818-1853), tome 1. Paris. Les Nouvelles Editions Africaines.
Barry, Ibrahim. 1993. Le royaume de Bandiagara, 1864-1993: le pouvoir, le commerce et le Coran dans le Soudan nigérian au 19e siècle (Thèse en histoire, EHESS: Paris).
Bradshaw, Joseph M. 2021. The Bandiagara Emirate: Warfare, Slavery and Colonization in the Middle Niger, 1863-2003. (Dissertation Thesis in History, Michigan State University)
Hama, Boubou. 1968. Contribution à la connaissance et à l’histoire des Peuls. Paris, Présence Africaine.
Koli Tengella (aussi orthographié Koli Teŋella) est un leader peul et un personnage mythique de l’histoire du Fouta Tooro, père de la dynastie deeniyanke et des satigi qui régneront deux siècles sur la moyenne vallée du Sénégal et au-delà. Bien qu’il soit connu de tous, il est difficile de séparer fables et faits historiques à son sujet. Son origine se confronte à différentes théories dont certaines sont rejetées aujourd’hui. Koli est présenté dans les traditions orales du Fouta Tooro comme le fils biologique de Sunjata Keita, fondateur mythique de l’empire du Mandé, son père Tenguella ne serait donc que son père nourricier. Sire Abbas Soh dans chroniques du Fouta sénégalais rapporte : “Ensuite arriva Koli, fils du roi du Manden Sundyata fils de Mohammadu fils de Kinana, d’origine himyarite, sa mère était Futa-Gay fille de Sigani Makam. Son ancêtre Kinana le Himyarite était parti de l’Orient et venu dans le pays du Manden, accompagné de vingt mille guerriers {…} se rendit maître du pays en question et y régna pendant quarante ans.” Ces affirmations sont cependant réfutées par des ouvrages tels que le Tarikh el-Fettach et le Tarikh al-Sudan et également des généalogiens comme Cheikh Moussa Kamara qui retrace les origines de Koli au sein de la fraction peule des Yaalalɓe, sous groupe des Uruurɓe (dont le yettoode est “Bah”) vivant à l’époque précédent la conquête du Fuuta par Koli dans le Jaara/Kingi (ouest du Mali actuel). Tout laisse à croire que les Deeniyankooɓe ont façonné de toutes pièces cette généalogie pour le prestige de Sunjata dans la région. Si l’on en croit les dates, Koli ne peut pas être le fils de Sunjata car plus de 2 siècles les séparent. Il est également mention d’une ascendance remontant à Bilal b. Rabah, compagnon abyssin du Prophète (psl) enterré à Damas dans le Levant, encore une fois c’est une invention généalogique imputée à Sunjata par les griots mandingues que Cheikh Moussa Kamara réfute et qui n’a aucune base historique. Oumar Kane déclare :”Il trouve absurde de faire de Koli le fils de Sunjata Keyta, car il y a au moins deux siècles et demi entre les deux personnages. Si son père était mandingue, ce serait chez les Malinke qu’il chercherait refuge en cas de difficultés. Il semble au contraire que Tenguella a combattu les Malinke et a été combattu par eux, parce que le royaume jaalaalo, en s’étendant vers le sud, s’est constitué à leur dépens. Koli, fils ainé de Tenguella, a reçu la mission de conquérir et d’organiser ce que Arcin (1911) appelle la confédération wassulunke. Koli est bien le fils de Tenguella, même si sa mère est paddo, c’est-à-dire non peule, donc wolof, soose, ou malinke. Même si sa mère n’est pas malinke, Koli avait fait ses premières armes en milieu malinke ; il a gouverné les Malinke du Bajar, du Kade et du Ngabu. En d’autres termes, Koli, fils de Tenguella, est un Jaalalo, comme le confirment l’Anonyme de 1600 ou Tarikh es-Sudan. Koli est donc le second roi des Fulos Galalhos ou Gagos, c’est-à-dire des Fulbe Yaalalbe”. Cheikh Moussa Kamara dans son Zuhur al-basatin en se basant sur tarikh al-Sudan s’exprime en ces termes au sujet de la généalogie des deeniyankooɓe :”Tenguella Gedal, le père de Koli, avait un frère qui s’appelait Maaliga Gedal, ancêtre des Yalalbe. Il était le père de Mori Maaliga qu’on appelait Mooli Maaliga, d’Aali Maaliga, de Sammba Maaliga, de Fodé Maaliga, de Pateeri Maaliga, de Debe Maaliga et de Cerno Maaliga. “…”Quand il dit dans Tarikh al-Sudan “Tenguella est le Silatigi des Yaalalbe et Niima Silatigi celui des Uururbe, etc.” cela montre que ce sont des Fullani (Peuls) d’origine et pas autre chose car ces clans, les Yaalalbe, les Uruurbe, les Feroobe et les Worlabe sont des clans peuls pour nous, et que Silatigi est le titre du chef de l’armée des Fullani nomades (badawiyyun) et pilleurs de bétails.”
Cet extrait nous montre bien la parenté entre Yaalalɓe et Deeniyankooɓe qui sont tous deux issus de la grande fraction des Uruurbe. La parenté entre Yaalalɓe et Deeniyankooɓe serait d’autant plus confortée par le fait que les deux revendiquent descendre du même ancêtre, Geɗal Deeny, père de Tenguella (père de Koli) et de Maaliga Geɗal. Les Deniyankooɓe seraient donc uniquement des Yaalalɓe ayant conservé le pouvoir politique pendant quasiment 250 ans. On dit que c’est lors du séjour à Deeni que cette fraction des Yaalalɓe prirent le nom de Deeniyankooɓe, une autre version lie tout simplement le nom Deeniyanke à Deeny, père de Geɗal. Les traditions sont nombreuses et se contredisent, mais les deux permettent d’affirmer sans nul doute que les Deeniyankooɓe et les Yaalalɓe sont liés par la parenté. Encore dans son Zuhur Cheikh Moussa Kamara rajoute : “Le patronyme des hommes adultes parmi les descendants de Sunjata est KEITA qui veut dire “celui qui a hérité” ou “celui qui a pris l’héritage”, c’est-à-dire “o ɓami ndonu” dans notre langue (pulaar). On dit aussi que Keita veut aussi dire le lion; et Allah est plus savant. Quant à celui des jeunes garçons, c’est Konaate qui veut dire aussi le lion ou Keita pour les chefs parmi eux plus particulièrement. {…} Quant à ceux qui sont au Fouta (les Deeniyanke) leur patronyme est BAH uniquement. Le Tarikh al-Sudan et le Tarikh al-Fettach ont démenti la prétention des Deniyankoobe à descendre de Sunjata et ont confirmé qu’il sont seulement des Peuls mais qu’ils aiment beaucoup se rattacher à Sunjata et un peu moins aux autres souverains.”
Fergo (exil) de Koli
Comme évoqué précédemment, Tenguella est le père biologique et nourricier de Koli et son histoire est intimement liée à leur relation de parenté, ils sont même souvent à tort confondus dans les récits. Traditionalistes et écrivains coloniaux ont tous deux évoqué la migration (fergo) de Tenguella et Koli et de leurs contingents. Selon Siré Abbas Soh auteur de chroniques du Fouta sénégalais Koli et son père aurait tout deux migrés ensemble et se seraient séparé à la confluence du Falémé, l’un allant vers le Fouta Tooro et l’autre vers le Kingi, ils auraient tout deux émigré depuis le Mandé selon cette même version. La version d’Arcin nous donne un peu plus de détails sur cette supposée migration de Koli, cette fois seul : “ce fut un fils de Teŋella Yaye qui paraît être venu de l’ouest du Wassolou qui sut grouper toutes les énergies mises en mouvement. Koli Tenŋella ou Tengrella était de cette famille des Bâ qui dominait au Ouassolou comme les Sankhare (Barry) vers le Fouta Dialo actuel et les Dialo dans le Nord.” Ici Koli est le seul à avoir migré depuis l’ouest du Ouassolou, donc la région occidentale du Mali actuel, Arcin ajoute plus loin : “Les Ouassoulounke étaient appelés par leurs frères de l’ouest, et c’est ce qui explique la marche de leur invasion. Koli Tenelé avait réussi à acquérir une solide armée à laquelle il a joint des auxilliaires pris parmi les primitifs du sud et notamment les Koniagui et Bassari…Il s’avança vers le Fouladou mais n’entre pas dans le Manding. Soutenu par tous les Soso de l’est répandus dans les vallées du Tinkisso et du Bafing, il entre dans le massif montagneux du Fouta-Dialo et s’établit à l’ouest dans le Kébou où il fonda sa capitale Gueme Sanga {…} il organisait un vaste royaume sur le plateau de Labé, soumettant les Baga et les Landouma ou s’alliant avec eux.”
Les détails donnés par Arcin nous indiquent une migration progressive de Koli depuis son lieu de départ, c’est-à-dire tantôt le Mande, tantôt le Ouassolou occidental vers le Fouta Djallon actuel passant par le Fouladou. Ce sont les traditions orales du Fouta Djallon qui évoquent cette migration et le passage de Koli dans la région, on affirme même que son tâtâ (forteresse) est encore présente dans la préfecture de Télimélé (Guinée).
Dans Les mémoires de Maalaŋ Galisa sur le royaume confédéré du Kaabu, il est dit au sujet de ces migrations peules : “Le premier grand mouvement peul daté selon les sources portugaises, est celui de Dulo Demba vers 1460. Venant du Sahel il aurait traversé le ‘passo dos Fulos’ sur le fleuve Gambie d’où il aurait atteint le pays biafada de Kinara et le fleuve Korubal. Dans l’ensemble, les mouvements de Teŋella et de son fils Koli Teŋella couvrent toute la région du Haut Sénégal, du Fuuta Tooro, du Bajar, du Tenda, du Ñaani et Wulli au nord du fleuve Gambie, du Kaabu jusqu’au Fuuta Jallon. Geme Sangan, sur le plateau du Labé, vers Télimélé, aurait été un point stratégique entre 1460 et 1474.”
Dans Figures peules, Sylvie Fanchette dit également à ce sujet : “A la fin du XVe siècle, des Peuls entrèrent en grand nombre dans les provinces septentrionales du Gabou et au Fouta Djallon où Koli Tenguella essaya de créer un royaume avec pour capitale Guémé Sangan, à la lisière du plateau. Au début du XVIe siècle, il traversa le Gabou pour conquérir de nouveaux espaces dans la région du Fouta Toro.”
Ces Fulɓe qui ont suivi Koli sont probablement à l’origine des premiers peuplement peuls du Fouta Djallon et ce que les Fulɓe islamisés nommeront plus tard les pulli. Tenguella, son père, est mentionné dans d’autres récits évoquant le Kingi comme lieu où il fut tué par l’empire Songhay pour s’être rebellé contre Gao. Le Tarikh el-fettach évoque cet épisode : “C’est en 918 (19mars 1512-8 mars 1513) que fut tué l’imposteur, c’est-à-dire Tenguella, qui prétendait être prophète et envoyé de Dieu (la malédiction divine soit sur lui!). C’est le kanfari (kurmina fari : gouverneur militaire de province et frère de l’askia Mohammed) Amar-Komdiago qui le tua, sans que l’askia lui eu eut donné l’ordre et sans que ce prince en ait eu connaissance, partant de Tendirma, Amar marcha contre Tenguella et Dieu lui accorda la victoire : étant donné que son adversaire avait des troupes plus nombreuses {…} le kanfari Amar ne put arriver à le vaincre que grâce à la protection divine. {…} Ce Tenguella était chef du Fouta appelé Fouta-Kingi, c’était un prince puissant, valeureux, brave, doué d’énergie et enclin à la révolte. Ayant quitté le royaume du Fouta, il était venu au Kingui, s’y était installé et s’y était fait proclamer roi.” Il est utile de préciser ici que bien que l’auteur affirme que Tenguella se déclarait prophète, il n’y a en réalité que très peu de chance que ce soit vrai. Il est dit que Tenguella aurait lui-même provoqué l’émigration de différents Fulɓe vers le Songhay et le Xaañaga. L’évocation du nom Fouta comme d’un royaume différent du Kingi, quant à elle, est quelque peu troublante et laisse planer le flou sur l’origine de Tenguella. Cheikh Moussa Kamara dans son Zuhur en commentant ce passage expliquera que le nom Fouta était donné pour toute région abritant des Fulɓe. Il est donc possible que Tenguella soit parti d’un lieu différent du Fouta Tooro actuel qui sera conquis par son fils pour s’installer dans le Kingi et démarrer sa révolte. Est-ce donc la mort de Tenguella qui a poussé Koli à l’exil? Encore une fois l’histoire nous donne peu de détails sur cela. On est certains en tout cas que Koli a migré avec d’autres fractions peules en nombre relativement important dont ses propres cousins Yaalalɓe, Cheikh Moussa Kamara nous informe dans son Zuhur al-Basatin :
“Parmi les fils de rois qui avaient migré avec Koli, il y avait Niima, Mori Maaliga, Aali Maaliga et Sama Maaliga, fils de Maaliga Gedal et parents de Koli, puisqu’il était le fils de Tenguella Gedal. Et Allah le Très-Haut est le plus savant. Avaient émigré aussi avec eux Jey Bolaaro “bolaaro” est le singulier de Wolarbe, Jey Jaalo Gaynaako Dimaadi (le berger de pur-sangs), Albagha ou Alfagha ou Aali Baka et enfin Soriyaa. Avait aussi émigré avec lui, Malal Sewdu chef des Mahinaabe dont l’origine est peut-être Makha KAMARA. Avait aussi émigré avec lui ‘Abbas Jambel chef des Soowonaabe. Plusieurs Fullani avaient aussi émigré avec lui mais je ne sais pas ce qu’étaient devenus la plupart d’entre eux. Ils avaient habité au Bajar pendant un certain temps, puis ils étaient partis au Fuuta (Tooro). Koli tua les rois de ces pays et s’empara de leurs royaumes.”
L’importance du commerce de l’or dans la région est aussi à lier avec la présence des Portugais qui bénéficient eux aussi de ce commerce qui traitaient notamment avec ce qu’il restait du Mande et de ses vassaux. Si l’on sait que Tenguella s’est attaqué au Mande entre 1481 et 1495, ce qui a provoqué l’intervention du roi du Portugal Dom Joao II. Il est également possible d’affirmer que les différentes conquêtes orchestrées par Koli ont également dérangé les Portugais dans le commerce de l’or avec les royaumes vassaux du Mandé et le Songhay. Oumar Kane émettre comme hypothèse à propos du mande mansa : “Il a, selon toute vraisemblance, en accord avec le Songhay et les Portugais, décidé de chasser Koli qui constitue un réel danger pour la sécurité des relations commerciales et des routes de l’or.”
“Il mène une guerre incendiaire contre les Malinke et les Songhay. Il inquiète par ses activités les Portugais. Évidemment ces derniers poussent leurs clients à la résistance contre Tenguella. Il y a donc conjugaison d’efforts des Songhay, des Malinke et des Portugais pour faire chuter l’impérialisme des Fulɓe Yaalalɓe.”
Il soutient également la thèse qui affirme que les migrations de Koli et la dispersion des Yaalalɓe sont une conséquence des guerres de son père Tenguella contre le Mandé et le Songhay. Les évènements de 1481-1495 rapportés dans les sources portugaises par Joao de Barros concernent donc uniquement Tenguella. Selon cet historien.
Du Bajar au Fouta
Koli Tenguella dans les récits est décrit comme un chef tribal, allié des Fulɓe de ces pays et conquérant les royaumes de la sous-région lors de ses migrations. Il aurait donc quitté son lieu d’origine avec ses parents Yaalalɓe à la mort de son père. Ce qui a réellement motivé Koli Tenguella dans ses conquêtes reste incertain mais il n’est pas insensé de supposer qu’il fut également animé par une certain “nationalisme” avant l’heure, combattant pour la liberté des Fulɓe dans les différents royaumes où ils étaient assujettis. C’est en tout cas ce que rapportent les traditions orales recueillies par Arcin qui affirme que Koli n’a fait que répondre “à l’appel de ses frères opprimés et persécutés.” Oumar Kane rapporte les versions des écrivains coloniaux tels que Arcin, Tauxier et Delafosse dans la première hégémonie peule et s’exprime en ces termes : “Après avoir vaincu la confédération Sereer-Jola, Koli se prépara à attaquer les royaumes du nord, appelé par ses frères qui vivaient en nomades dans tout le Bas-Sénégal, ou qui avaient formé des États tels que celui du Khasso, soumis à la tyrannie des empires malinké ou songhoy…”.
“Il attaqua les Soose (Mandingues) qui dominaient les Fulɓe du Bundu et du Damnga. Les Wolof sont soumis ou refoulés à l’ouest, et les Fulɓe du Ferlo (Sénégal central) sont affranchis de leur tutelle. Tout se passe comme si Koli mène une guerre de libération de la nation pullo où qu’elle se trouve. Il est possible que Koli ait été guidé par un certain nationalisme, ce qui était incontestablement le cas pour son père. Sa guerre contre les Songhay, le Mali (Mandé) et les principautés mandingues de la Gambie a revêtu un caractère politique, mais aussi économique, visant à contrôler les routes de l’or tout en libérant les Fulɓe de la tutelle des tyrans. Mais il n’est pas sûr que Koli ait toujours été appelé, car dans le Fuuta, il a combattu des Fulɓe.”
Il continue ensuite : “Dans ses conquêtes, Koli a toujours pris le soin d’associer des minorités non fulɓe, Koniagui et Basari, Soso de l’est, Tenda et Sadioko malinke, Baga et Landuma, Sereer et Joola, après sa victoire sur leur confédération. Cette conciliation vis-à-vis des populations conquises semble rejoindre les traditions du Fuuta Tooro d’après lesquelles Koli épousait toujours les filles ou les veuves de ses victimes. Cette conciliation vis-à-vis des populations non-conquises rend moins lourde la domination des Fulɓe, et fait participer effectivement au pouvoir les vaincus par l’intermédiaire de leur enrôlement dans l’armée.”
La politique de Koli à ce moment installé dans le Bajar se basait sur la conquête et l’alliance avec les populations locales, par le mariage et l’enrôlement dans les forces armées. On sait que ces auxiliaires Bassari et Koniagui rejoindront en nombre l’armée de Koli, seront nommés par la suite les ‘Seɓɓe Koliyaaɓe” et seront décisifs dans la conquête du Fouta Tooro lors de la migration vers le nord. Les raisons des conquêtes de Koli semblent elles être aussi bien politiques, ethniques qu’économiques. Il est vrai que tous les pays supposément conquis par Koli et ses armées (Ngabu, Firdu, Wuli, Ñaani, Jolof, Ɓunndu) contenaient de grandes minorités de Fulɓe mais il est semble que la tradition a parfois exagéré l’importance de certaines de ces conquêtes. Le royaume Bajar (région frontalière entre l’actuel Sénégal et l’actuel Guinée) ainsi formé et dirigé par Koli était à ce moment situé sur une route commerciale reliant le Fouta Djallon (précisons ici que le plateau du Fouta Djallon ne sera conquis qu’au 18e siècle par les Fulɓe, nous utilisons ce terme pour indiquer une zone géographique uniquement) au Fouta Tooro comme le souligne Gilbert Vieillard. Les Fulɓe du Bajar seraient les intermédiaires entre les Fulɓe du Fouta Djallon et du Fouta Tooro.
Le Bajar est décrit comme “une vaste plaine sablonneuse, avec des roniers bordant les rivières. On y cultive le riz, le sorgho et le mil.” On dit aussi que le riz flotté (maaro) du Fouta Tooro aurait été introduit par les Fulɓe du Bajar. La présence de Koli au Bajar est sans nul doute véridique, confortée par les traditions orales et les écrits de Sire Abbas Soh, qui, suivant la tradition du Fouta Tooro dira :”qu’il habitait un pays appelé Badyar et que, partant de là, il se rendit au Nyaani, y fit la guerre au roi de ce pays nommé Sammbo-Dabbel et le tua. Reprenant ainsi sa route il se rendit à Badon-Tyolli puis traversa la rivière de Keve, passa par Beli-Badon et par le Nyokolo-Koba, traversa la rivière de Farako, passa par Wutufere-Lengedye puis par Hoore-Mawba puis par Galo, puis par la mare de Nomi, puis par Bulel, puis par Tyipi, puis par Sututa, puis par Kaparta, puis par Kusan-Tunke, puis par le village de Gambi, puis par Kodde-Koli, qui fut appelé ainsi parce qu’il y avait renversé ses provisions de route, chose qui se dit ainsi dans la langue des étrangers (al ‘ajamiyyun parlant toute langue africaine non-arabe), ce dernier endroit se trouve entre Gambi et Nammarde. C’est la que Tenguella fils de Gedal son père nourricier (ici il reprend la version fuutaanke qui dit que Tenguella n’est pas le père biologique de Koli), passa au bord du fleuve pour aller résider à l’est de Nyoro en une localité appelée Dyara.”
Koli Tenguella entreprit la conquête du Ñaani et du Ñammandiru en quittant le Bajar. Il combattu le chef des Fadduɓe du Nyaani Sammba Daɓɓel comme cité plus haut et le tua. L’historien Yero Booli Diao rapporte également que Koli tua le berlab Weli Mberu Mbake Teedyek et “que son peuple se dispersa en direction du Jolof, du Siin et du Saalum”. On voit ici que la supposée conquête d’une confédération sereer-joola concernait plutôt le Nammandiru où cohabitaient Sereer, Soose (Mandingues) et Fulɓe. On comprend ici que les migrations de Koli se sont faites du sud vers le nord, du Fouta Djallon au Bajar, en traversant la Sénégambie, bouleversant l’équilibre géopolitique préexistant et conquérant les entités politiques environnantes.
Des migrations similaires ont eu lieu, des contemporains de Koli comme l’arɗo mbaal du Ferlo Sammba Moɗam, qui selon les traditions orales et les propos reccueillis auprès de Ali Ba, bammbaaɗo (griot-guitariste) des Fulɓe Mbaal aurait également migré vers le nord d’où il rapporta ensuite des échantillons de toutes les cultures du pays (mil, maïs, haricots, pastèques, patates, coton etc.). On retrouve des traditions similaires dans l’histoire de Jambel Ali qui aurait découvert “une terre bénie (le Fouta) qui ignore la faim et la soif grâce à ses plantureuses récoltes, grâce à son fleuve aux eaux fécondes et poissonneuses, une terre propice à l’élevage grâce à ses riches pâturages.”
On peut toutefois se demander ce qui a poussé Koli à quitter le Bajar, à ce moment où son pouvoir était stable et accepté de tous. Était-il menacé par ses voisins? Ou la situation économique était-elle devenue préoccupante au point de devoir migrer? C’est ce qu’affirme une tradition recueillie par Steff :”Koli Tenguella, roi de Badiara, guerrier par essence fatigué de vivre dans un pays où personne ne lui cherchait querelle et où les terrains devenus vieux produisaient mal, après avoir exercé vigoureusement ses guerriers, se décida à quitter son royaume pour en chercher un plus prospère.”
La situation particulière du Fouta Tooro, situé en pleine vallée du fleuve Sénégal a attiré les convoitise de plus d’un et surtout des Fulɓe vivant dans le Jeeri à ce moment complètement frappée par la sécheresse. Encore selon Steff, c’est lors de son passage dans le Jolof que Koli découvre les richesses du Fouta. La migration de Koli du Bajar vers le Fouta semble donc principalement motivée par des raisons économiques et la recherche d’un avenir plus prospère pour lui et ses administrés. La conquête du Fouta Tooro se déroula en plusieurs étapes, il est important pour le comprendre de mentionner l’itinéraire emprunté par celui-ci, mais également l’état des lieux politique de la moyenne vallée du Fleuve à ce moment précis.
Conquête du Fouta Tooro
L’extension du Jolof aurait poussé à l’exil des fractions fulɓe telles que les Uruurɓe, les Wolarɓe, et les Yaalalɓe. La colonne de Dulo Demmba dirigée vers le sud-est finit exterminée dans la Guinee-Bissau actuelle. Dans son sillage et sans doute tirant les leçons de son échec, un autre fergo dirigé par Teŋella Geɗal se consolide dans le sud de la Sénégambie avant de marcher vers le nord-est, et de fonder l’état éphémère du Fouta Kingi dans le Jaara vers 1464-1470. Cette version semble plus juste et contredit la version de Sire Abbas Soh et d’autres écrivains qui font se séparer Koli et Tenguella au Falémé. Il est plus logique d’affirmer que Koli a migré suite à la désintégration du Kingi et la mort de son père. Le Jolof étant donc l’une des puissances en place dans la vallée du fleuve, Koli Tenguella dut se heurter au pouvoir des farba et des seɓɓe (guerriers), percepteurs des impôts depuis la suzeraineté du buurba Djolof sur le Fuuta occidental. Il a dû également affronter les pouvoirs fulɓe locaux, ainsi que les faren Jawara du Kingi qui régnaient sur les provinces orientales du Fouta (Damnga). Les itinéraires associés à la conquête progressive du Fouta sont nombreux et ils seraient long de tous les évoquer ici, selon Steff reprenant ici les traditions du Fouta Tooro : “Tour à tour sont battus les rois du Saluum, du Baawol; du Kajoor et du Jolof. Après la défaite de ce dernier, Koli et ses troupes s’enfoncent dans la vallée du Pute pour aboutir dans le waalo de Joŋto, en plein Booseya (Fouta central) soumis après la défaite de son principal chef farmbaal; le Ngeenar subit le même sort après la défaite du farba Jowol, suivi du Law après la défaite du farba Waalalde, et enfin se soumet le Tooro (Fouta occidental) d’Ali Eli Bana et la confédération des Jaawɓe (clan pullo) du Tagant après la mort d’Arɗo Yero Diide. Le Fuuta une fois conquis et organisé, Koli ayant une nouvelle base part à la conquête de l’est, du Kingi probablement. Il meurt à Lambedu.”
Il est dit que c’est seulement en 1529-32 que Koli Tenguella soumis entièrement le Fouta, fruit de longues batailles entre les farba soumis au Jolof, les faren jawaranke et les pouvoirs fulɓe indépendants (jaawɓe de Girmi, Laam Tooro Geɗe). La conquête fut longue et les résistances nombreuses, les notables pour beaucoup ne voulaient pas se soumettre à Koli malgré ses impressionnantes forces selon la tradition orale (9999 hommes dont 3333 archers dit-on) composées de Fulbe et d’auxiliaires (Seɓɓe Koliyaaɓe) aguerris par des années de combat partant du Bajar et dans le reste de la Sénégambie. Selon Oumar Kane, pour la conquête Koli utilisa massivement des auxiliaires venus du sud, recrutés parmi les Koniagui, les Bassari, les Tenda, les Baga, les Landouma et les Sadioko malinke lors de son passage au Fouta Djallon et dans le Bajar. Tauxier affirme qu’il y avait également des contingents sereer. Koli s’attaqua au Damga (Fouta oriental) et le Bunndu et y combattit les faren dépendants du royaume Jawara.
Selon les sources traditionnelles, Il tua à Wawnde le faren Mahmuudu Dama Ngille et son frère Samba. Il combattit le faren Ndumaan-Fegge à Fajar, le faren Coŋollo à Foora, Dibeeri et Jaaye Dibeeri à Nabbaaji, et le faren de Daaru à Bokkijawe. Les différents faren vaincus par Koli et son armée, ce qui restait des troupes soninké se replièrent vers l’est, le Bunndu et le Bambuk.
Selon Sire Abbas Soh dit: “Quant à Koli, il poursuivit sa route par Gurel-Hayre, Dyekulani, Gawde-Bofe et Fadyar, où il tua le faren ainsi que le fils de celui-ci, Ndumman-Fege. Puis il fit halte à Foora, et y tua Tyongolo et son fils Dyadye-Tyongolo. Ensuite il fit halte à Nabbaaji et tua un roi appelé Dibeeri ainsi que son fils Dyadye Dibeeri {…} ensuite il fit halte auprès de Daaru chez le Daaru-faren en village appelé depuis Bokkijawe et y tua un kokkoren-faren surnommé “le premier”. Ensuite il fit halte à Anyam-Godo, où il tua un faren qui avait le pas sur les deux tués déjà dont mention vient d’être faite en cet écrit. Ce village d’Anyam-Godo et celui qui le remplaça était alors le séjour d’une tribu appelée Wodaabe. Il y résida vingt-sept ans environ. Au cours de cette période il tua le faren Mahmuudu fils de Dama-Ngille fils de Mori fils de Musa fils de Mumin Ta’im fils de Da’im. Koli tua aussi son frère Dyambere fils de Dama-Ngille. Il le tua grâce à l’arc de Niima, fils de Tenguella, fils de Gedal…”.
Dans le Ngeenar, il est dit que Koli affrontit les farba vassaux du Jolof, il tua le farba Erem, le farba Njum et bummuy Hoorefoonde. Il affrontit également les Jaawɓe à Njorol près de Demmbankani (Sénégal oriental). Continuant vers l’ouest, Koli s’attaqua au Booseya dans le Fouta central et attaqua le farmbaal Mbenyi Legetin à Haayre Mbaal en soudoyant son frère Kerkumbel, il blessa le farmbaal mortellement d’un flèche empoisonnée. Kerkumbel persuada ensuite les guerriers du Booseya de déposer les armes et le Booseya fut soumis à Koli. On voit dans cet épisode que Koli savait user des luttes intestines et des divisions internes entre les notables locaux à son avantage. Le Ngeenar et le Booseya une fois soumis, Koli se dirigea vers le Laaw plus à l’ouest, il vainquit le fameux farba Waalalde Weynde Jeng et Ali Eli Bana du Tooro (Fouta occidental). Koli et ses koliyaaɓe vainquirent les troupes du farba et le tuèrent; son armée préférant la mort à l’humiliation préféra mourir également. L’armée de Koli perdit énormément d’hommes lors de la conquête du Tooro d’Ali Eli Bana, il y eut plusieurs batailles dont beaucoup furent repoussée par le Laamtooro Geɗe. Koli proposa alors des pourparlers et esssaya de soudoyer le Laamtooro comme il le fit avec le farmbaal, le Laamtooro refusa catégorique. Koli assassina le Laamtooro dit mois plus tard et annexa le Tooro, il épousa par la même occasion la fille du laamtooro Faayol Ali Eli Bana dont il eut deux filles : Lalla Faayol et Sira Faayol. Ce ne fut qu’à la mort du laamtooro Ali Eli Bana qu’il devint maitre du Fouta. Il décida ensuite de s’attaquer au Laam termes qui gouvernait les Fulɓe Jaawɓe qui était replié dans le Tagant (Mauritanie centrale), il parti pour Lacci-Weendu (Ksar el-barka), la capitale de l’arɗo Yero Diide. Il s’attaqua aux troupes de l’arɗo et perdit un nombre important de soldats. Koli réussit à soudoyer l’épouse d’Arɗo Yero, Mali Demmba Mali et à la séduire en lui donnant une somme importante d’or. C’est ainsi qu’elle trahit son mari et le fit tuer par certains de ses hommes. La tradition rapporte qu’après la mort d’Arɗo Yero, Koli fit décapiter la tête de Mali Demmba Mali, “une mauvaise femme qui ne peut être qu’une mauvaise épouse.” Oumar Kane dit à propos de cet épisode :”la défaite des Jaawɓe, qui étaient les maîtres de la partie orientale du pays sur les deux rives, met fin à la pacification du Fuuta Tooro. Koli fait alors de la plaine de Fori (Gorgol, actuel Mauritanie) le centre de son pouvoir dont dépendent les chefs qu’il a nommé à la tête des différentes provinces.”
Il est difficile d’évaluer avec exactitude la durée des guerres de Koli, il aurait passé sept ans de 1512 à 1519 à soumettre le Nyaani, le Wuli, les Sereer et les Joola, à combattre le Baawol, le Kajoor et le Jolof. Il aurait ensuite pénétré le Fouta à partir de 1519-1520, heurté à de nombreuses résistances des faren, des farba, des Arɓe (sing. Ardo) et du Laamtooro la conquête se serait terminée entre 1529 et 1532, toujours selon Oumar Kane. Les sources portugaises de Barros, Alvares d’Almade, Donelha et Lemos Coelho font elles références à un nombre important d’individus accompagnant Koli, aussi bien combattants que non-combattants. Ils notent également l’importance des archers qui constituaient le gros des armés. Beaucoup d’entre eux étaient montés sur de bœufs porteurs (coweeji), ce qui n’est pas étranger à la région, le Songhay de l’askia Ishaq II quelques décennies plus tard affrontera de la même manière les canons marocains à Tondibi. On dit que ce n’est qu’après la conquête du Fouta Tooro que Koli put acquérir des chevaux en grand nombre. Le butin pris sur l’Arɗo Jaawɓe s’élèverait à 40447 chevaux de race (ɗimaaɗi). L’élevage des chevaux, bien qu’attesté bien avant les conquêtes de Koli (Sunjata aurait lui-même acquis des chevaux lors d’une mission chez le “Jolofin Mansa) se serait grandement développé par la suite. Alvares d’Almada affirme : “Le Grand Fulo, roi des Fulos, a une importante cavalerie, et sur ses terres, il y a beaucoup de chevaux. Les Jalofos, Barbacins [Sereres], les Mandingues, ceux de l’intérieur comme ceux des côtés viennent s’approvisionner chez lui. Par suite du grand nombre de chevaux qu’il détient, le Grand Fulo ne reste jamais plus de trois jours dans un même endroit. Il se déplace continuellement dans son royaume, à la recherche d’herbe et d’eau si rares dans son pays et celui des Jalofos.” On remarque dans cet extrait l’aspect nomade de la gouvernance du Fouta sous Koli Tengella, se déplaçant à la recherche des pâturages, ce qui explique la multiplicité des capitales. L’importance du cheval ici n’est pas sans rappeler le vieil adage fuutaanke disant que les Yaalalɓe et Deeniyankooɓe sont passés d’aynaaɓe na’i (bergers de vaches) à aynaabe ɗimaaɗi (bergers de chevaux). La conquête militaire du Fouta n’aurait également pas eu lieu sans l’appui de l’aristocratie guerrière des Saybooɓe (sing. Cayboowo), chefs de guerres et conseillers à a la cours, les Sayboobe sont une confédération de clans (leƴƴi) Fulɓe, les Woɗaaɓe de Sawaadi Jaaƴe Sadiga qui portent le yettoode SOH, les Saybooɓe Niima et Saybooɓe Sawa Donde qui ont pour yettoode BAH, et les Saybooɓe Jalluɓe qui ont pour patronyme JALLO. À l’origine de ces Saybooɓe il y aurait sept commandants de l’armée de Koli Tenguella (Ali Baga, Gata Kummba, Kata Waali, Niima, Jey Jaalo Gaynaako, Yero Jeeri Jibril, Abdullah Haby), rappelons-nous que certains de ces noms ont été cités tantôt quand on évoquait le premier exil de Koli. Ses cousins Yaalalɓe dont Mooli Maaliga, Aali Maaliga et Sammba Maaliga ont également joué un rôle décisif, les Yaalalbe seront dit-on les percepteurs d’impôts dans les royaumes vassaux à l’apogée de l’empire deeniyanke.
Le Fouta et le royaume deeniyanke
Ayant achevé la conquête du Fouta et d’une grande partie de la Sénégambie et ses alentours, Koli Tenguella installa sa dynastie, les Deeniyankooɓe. Le roi portait le titres de satigi, emprunt mandingue du terme silaa tigi (maître de la voie). Le modèle de succession exclusivement patrilinéaire se basait sur un droit d’aînesse parmi les fils du satigi. Le roi en devenir portait le titre de kamalenku (prince héritier). Les conquêtes de Koli refaconnerent l’équilibre politique de la sous-région, de nombreux royaumes furent soumis à l’autorité du satigi, ce qui fit de ce nouvel empire un empire multinational. Selon Arcin l’empire deniyanke s’étendait “du Haut Niger au Bas Sénégal”.
On dit que 18 royaumes auraient été vassaux du satigi à l’apogée de l’empire, dont le Jolof, le Waalo et le Kajoor, dont les rois étaient investis par le satigi auquel ils donnaient en tribut esclaves et chevaux. Oumar Kane dit:
”Ainsi tous les Etats wolofs de la Sénégambie étaient dépendants du satigi du Fuuta, en particulier le Jolof, le Waalo et le Kajoor. La dépendance plus nominale et formelle que réelle était matérialisée par le fait que le roi devait être investi par Sawa Laamu. L’investiture consistait en la collation d’un bandeau, sorte de diadème en étoffe blanche qu’on enroulait autour d’un bonnet conique, généralement rouge. Il recevait à cette occasion un tribut en chevaux et en esclaves; l’autorité des satigi s’étendait à la rive droite (actuelle Mauritanie) et le kamalenku ou l’héritier présomptif avait la charge d’administrer les populations de la rive droite, y compris les Maures. Al-Yadali, dans son Chiam-az-Zaouia, parle de l’oppression des ‘Oulad Tenkella’ sur les tribus maraboutiques de Mauritanie. Cela en explique en partie le mouvement de Nasr el-Din, qui est en quelque sorte un mouvement d’émancipation des Maures”.
Des populations mandingophones dans la partie sud-orientale de l’empire était également soumises à l’autorité des satigi. Cheikh Moussa Kamara dit :
“On dit qu’ils (les Deniyankooɓe) possédaient auparavant (tout le territoire) de Ndar (Saint Louis) jusqu’au Xaaso et de la montagne de l’Assaba, dans le pays des Baydan, jusqu’à la mer salée (al-bahr al malih) y compris le Nyaani, le Bunndu, le Gajaaga et d’autres entités politiques. On prétend que la raison pour laquelle les Konyaagi ne portent pas de vêtements, c’est que les percepteurs (les envoyés) des Deeniyankoobe venaient souvent chez eux et leurs prenaient tous leurs biens, y compris leurs vêtements qu’ils portaient : aussi ont-ils arrêtés de porter des vêtements et ce jusqu’à maintenant. On disait que tout le monde leur payait le tribut (al-kharaj), et Allah le Très-Haut est plus savant.”
Le royaume Deeniyanke garda son influence dans la sous-région jusqu’à la mort de Siree Sawa Laamu (r.1669-1702), l’héritage de Koli Tenguella survécut jusqu’à la révolte des tooroɓɓe qui déposa le dernier souverain deeniyanke Suley Buubu Gaysiri qui avait pris le titre d’almaami. La geste de Koli Tenguella est encore vivante, elle traverse les époques et les frontières. Les Wammbaaɓe et Maabuɓe chantent encore sa gloire d’antan, on évoque le nom de Koli dans les contes et les épopées. Il fut un exemple de bravoure, d’abnégation et de résistance pour les Fulɓe. Il réunit des populations différentes, parfois en conflit, par des alliances politiques et matrimoniales, il conquit un empire immense par sa ruse et ses armées aguerries. Il émancipa son peuple de l’oppression des entités politiques régionales. Son exil est un tournant de l’Histoire, il remodela l’ordre politique de cette partie de l’Afrique, les contemporains et traditionalistes se souviennent du Grand Pullo.
Bibliographie
La première hégémonie peule, Oumar Kane
Tarikh al-Fettach, Mahmud Kati
Zuhur al-Bastin, Cheikh Moussa Kamara
Figures peules, Roger Botte; Jean Boutrais; Jean Schimtz
Les mémoires de Maalaŋ Galisa sur le royaume confédéré du Kaabu, Cornelia Giesing; Denis Creissels
Cet article a été originellement publié le 22 octobre 2019
Ce poème fait partie du corpus de documents du Fonds Archinard de la Bibliothèque nationale de France (BNF). Ce fonds porte le nom du “pacificateur” du Soudan français (l’actuelle République du Mali) et est constitué en majorité des documents de la chancellerie de Ségou, prise par les Français en 1890. Ségou a été pendant 30 ans (entre 1860 et 1890) la capitale de ce que les auteurs ont appelé l’ “empire omarien” ou encore l’”empire toucouleur” suite au jihad du marabout foutanké Cheikh Oumar al-Fūti b. Sai’d (c.1797-12 février 1864). El Hadj Oumar Tall était à la fois un khalifa de la Tidjaniya dans le bilad as-Sūdan, un résistant anti-colonial à l’expansion française dans son Fouta natal, un conquérant et bâtisseur de royaumes dans le Sahel occidental (Mali actuel). De 1850 lorsqu’il défait le royaume de Tamba (Guinée actuelle) à sa “disparition” dans les falaises de Bandiagara face à la révolte des Macinankoobe, El Hadj Omar a taillé dans son sillage les prémisses d’un nouvel état sur les ruines du Kaarta Massasi, du Ségou fannga des Ngolossi, et de la Diina du Macina entre autres. Mais ce sera à son successeur désigné, Ahmad al-Madani Tall (21 juin 1836-15 décembre 1897) de consolider cet empire, ce qu’il fera à partir de sa capitale, Ségou. Une bonne partie des archives de ce projet politique (ainsi que de celui de la Diina du Macina; 1818-1862) fut saisie et rapatriée en France suite à la prise de la ville par le colonel Archinard le 6 avril 1890, ainsi que la conquête des autres places fortes omariennes dans le Mali actuel, comme Koniakary, Nioro du Sahel et Bandiagara.
Le poème ci-dessous répond à un contexte précis: celle de la “disparition” de Cheikh Oumar al-Fūti et des raids des Awlad Mūbarak (ou Awlad Mbarek) du Hodh sur Nioro qui était alors gouvernée par Mūstafa, un affranchi de Cheikh Oumar. Il est une traduction d’un extrait de After the Jihad: the Reign of Ahmad al-Kabir in Western Sudan (1991) par David Robinson et John Hanson. Cet ouvrage est une tentative de reconstitution du règne d’Ahmad al-Madani Tall, le successeur d’El Hadj Omar, à partir des documents du Fonds Archinard de la Bibliothèque Nationale de France.
Pour ces deux auteurs, l’auteur du poème pourrait être le cadi de Nioro de l’époque Fodé Bouyagui Kaba Diakhité ou un marabout proche de la tribu des Mashzūf. Le fait que l’auteur souhaite la bienvenue aux Mashzūf à Nioro renforce l’hypothèse qu’il soit de Nioro. Il commémore la victoire des Omariens de Nioro contre les révoltés et magnifie les actions de Samba Oumou Hani Sall, Moustapha et Ahmad Mahmūd ould Moktar, l’émir des Mashzūf. Samba Oumou Hani Sall (m.1878) a été Lam-Tooro (chef de la province du Fouta-Tooro) dans le Fouta sénégalais, soutenu en cela par l’Almaami Ahmadou Thierno Demba Ly (qui était en outre un muqaddam d’El Hadj Omar) et le jaggorgal (ministre-électeur) Abdoul Bokar Kane (m.1890).
La période entre 1857 et 1863 a été une période de conflits entre la colonie du Sénégal dirigée par Faidherbe (1818-1889) et le Fouta-Tooro en proie à de fortes dissensions internes. Le rival de Samba Oumou Hani au Tooro, Ciré Gelaajo Sall, était soutenu par Faidherbe, qui essayait de faire accepter l’annexion du Dimar et du Tooro, les deux provinces occidentales du Fouta-Tooro. L’Almaami Ahmadou fut élu en juin 1862 avec comme mission de recouvrir ces deux provinces. Un mois après (juillet 1862) eut lieu la première bataille de Dirmbodya (ou bataille de Thiew) entre Français et Fuutanké. En Janvier-Février 1863 le successeur de Faidherbe à la colonie du Sénégal, Jauréguiberry, mena une campagne de ravages contre les résistants foutanké comme l’Almaami Ahmadou et le jaggorgal Abdoul Bokar afin de les neutraliser. Cette campagne est restée dans la tradition sous le nom de Duppal Borom Ndar (“Le ravage du gouverneur de Saint-Louis”), eut peu d’impact sur la situation. Ciré Gelaajo Sall fut pris et exécuté par les Fuutanke qui subirent d’importants ravages avec la destruction de plusieurs villages (dont Diaba la résidence de l’Almaami) et champs. L’hégémonie française sur le Dimar et le Tooro se consolida avec l’exil de Samba Oumou Hani à Nioro; alors que la colonie subit d’importants coûts financiers suite à cette campagne sans pour autant neutraliser les résistants.
En aout 1863, le Lam Tooro Samba Oumou Hani (m.1878) s’exilera à la tête de 150 combattants et de leurs familles à Nioro du Sahel. Les positions omariennes étaient alors menacées depuis juin 1863 par une grande révolte dans le Macina, Ségou et dans le Kaarta, qui entravait les communications entre ces différentes places fortes. Nioro était dans l’insécurité puisque les raids des Awlad Mubarak menaçaient mêmes les murs de la ville. Ces raids ne prendront fin qu’avec leur défaite suite à des combats menés par Samba Oumou Hani et Ahmad Mahmūd en juillet 1865. Cette défaite marque aussi le déclin de l’influence des Awlad Mūbarak dans le Hodh, au profit des berbères Mashzūf d’Ahmad Mahmoud ould Moktar, qui devinrent la principale force tribale, sous l’allégeance de Moustapha, gouverneur du Kaarta et du successeur d’El Hadj Omar, Ahmad al-Madani al-Kabir (1836-1897) de Ségou. Le déclin des Awlad Mubarak est mentionné dans les Chroniques de Néma et de Oualata mais le rôle du gouverneur Mūstafa, de Samba Oumou Hani et d’Ahmad Mahmoud n’y apparait pas. Cependant cette victoire est notée par le commandant de Bakel dans sa correspondance au gouverneur de Saint-Louis sur la situation politique dans le Kaarta. Le déclin des Awlad Mubarak marqua aussi l’expansion commerciale de Nioro du Sahel et du comptoir français de Médine, dans le Khasso. Les caravanes de gomme arabique venant du Sahel étaient protégées par les Mashzūf jusqu’à Nioro puis par les Omariens jusqu’à Médine, assurant la prospérité de ces deux pôles. En outre, ce nouvel état de fait dans le Hodh aurait favorisé l’installation de lettrés maures à Nioro du Sahel, actifs dans ce commerce, à partir de cette date.
Voici le poème traduit:
« Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux. Oh Dieu, priez sur notre bien-aimé Prophète (PSL) Ce poème vous informe sur les évènements concernant les Awlad Mubarak qui commirent des actes d’apostasie. La majorité de la population du Bakhounou, comme les Kagoro et les autres, se joignirent à eux, de même que les gens de Fata et de Shita. Parmi eux, certains devinrent apostats et s’agitèrent.
D’autres cachèrent leurs intentions tout en protégeant les licencieux et les infidèles, en attaquant les musulmans qu’ils firent prisonniers et dépouillèrent de leurs biens, qu’ils mangèrent et burent avec eux [les Awlad Mubarak], en prenant plaisir à causer du mal aux fidèles. Ces gens étaient les Diawara et d’autres groupes qui leur ressemblent. Leur but était de détruire la religion de Dieu. Mais Dieu n’accorda pas grâce à leurs desseins et voulut que sa Lumière les éclaire, même si les infidèles détestaient cela. Dieu leur fit goûter à la honte par la main des musulmans. Les Musulmans se mirent en campagne quand le feu [de leurs actes] brûlait fort et que leur iniquité devint célèbre. Ils croyaient qu’ils pouvaient gouverner sur eux, de par leur propre pouvoir. À cause de cela, Dieu ruina leurs fortunes militaires ainsi que leurs stratagèmes. Avec les musulmans [omariens], marchèrent les jeunes des Ould Muhaymid, branche seigneuriale de la tribu des Mashzūf. À ce moment, il [le chef des Mashzūf Ahmad Mahmoud ould Moktar] se dirigea à Nioro où il campa. Il prêta allégeance à Moustapha et à ces disciples qui étaient avec lui. Nous nous joignîmes à lui [Moustapha] pour les discussions et la planification de la campagne. Dieu nous assista, par notre victoire et par Son appui. Nous sommes humbles et c’est Dieu l’Unique qui a vu son plan triompher.
J’ai composé ce poème sur ce qui est arrivé à cette armée, durant la campagne qui a pris fin avec la déroute de l’ennemi. Je commence par mentionner le Sultan des Mashzūf et je dis : Ô cavalier au cheval distingué qui vient et part, Celui qui est loué parmi ses gens De la descendance de Muhaymid et dont le nom est Muhammad Et dont la préséance est reconnue parmi ses gens. Il est l’intime et l’ami de Moustapha, L’allié et le fidèle à la religion Comme un lion, il blesse son ennemi mais il soigne, Par sa médecine qui apporte de la joie. Il est venu à nous avec ses gens et sur ses chevaux Pies, beaux, nobles et sveltes. Bienvenue, bienvenue, salutations à notre bien-aimé, Tu as combattu pour nous et nous avons triomphé, et la joie se répandit. Avant cela, tu étais dans l’incertitude et la tristesse Concernant nos rapport et notre sécurité [mutuelle] était fragile. Mais aujourd’hui, tu es passé sur nos terres Et tu as vu comment nos maisons et lieux étaient désertés [dûs aux raids des Awlad Mubarak] Ta venue nous a été bénéfique, et ta présence parmi nous Nous a renforcés, et notre ennemi a été défait. Les Awlad Mubarak, les Kagoro et les gens de Fata, Le jour de la bataille, il les a laissés morts et en déroute Leurs femmes, enfants et esclaves, Ont tous été faits prisonniers. La religion abhorre ceux qui sont comme eux, Répondre par une telle manière est la plus appropriée. Avant que tu ne les réduises à la ruine, ô Moustapha, Tu as dû subir leurs insultes et autres libertinages. Vraiment leur conduite a été honteuse et disgracieuse, Le jour de la Résurrection, ils seront rassemblés Ils seront comptables de ce qu’ils ont faits et compté faire Ils feront face au désastre et à la destruction, ce jour de Punition. La religion, Dieu l’a renforcée par Sa victoire Et par Ses hommes dont les péchés sont absous. Leur commandant, Lam-Tooro Samba, à leur tête Un brave lion, voyez-le à la bataille, Béni par sa jeunesse, sa bonté et les mérites du jeune âge, Il a une conduite digne, il n’est jamais injuste Quand son armée s’approcha de celle de l’ennemi, Il fit lever ses étendards et s’apprêta à l’envol, Ils attaquèrent l’ennemi comme le faucon fond Sur les poules qui rasent les murs. Ils les rencontrèrent avec une attaque soudaine, Et brisèrent leurs rangs, les firent fuir immédiatement. Leur conclave se termina et leur cause s’effondra, Ils détalèrent sans regarder derrière eux, toujours en avant Sur leurs talons étaient nos jeunes hommes, Et ils en firent tomber et prisonniers, et leur déroute augmenta. Le feu et la peur léchaient leurs dos, Ils abandonnèrent leurs familles et furent sans soutien. Il satisfit sa soif de vengeance et les cœurs se purifièrent, Le jour de la bataille, la joie et le bonheur furent notre En vérité, la Victoire de Dieu et de Sa religion vinrent à nous, Par Sa Faveur et Son Pouvoir. Il fait ce qu’Il veut. Les gens des villages qui vous savez, voulaient tester le déterminé Mais leurs plans faillirent, et leur iniquité fut contenue. Les gens des villages, dans leur malice, voulurent se regrouper Mais ils ne furent que quelques-uns, qu’on pouvait aisément compter. L’ennemi a voulu éteindre la Lumière de Dieu [Nioro, Nouroullahi pour les omariens] Mais Dieu les rejeta et La rendit encore plus vive. D’autres comme eux, cachèrent leur apostasie, Dans l’est et dans l’ouest, comme il était dit, Mais Dieu renforça Sa religion et avec cela Bénit cette armée dont la supériorité était fort reconnue Désirant son temple, vous le voyez faiblement Comme la poussière soulevée par le jouet d’un enfant Son compagnon ressemble au Faucon, parmi les oiseaux, lorsqu’il s’envole Vous le voyez voler devant eux, en haut d’eux, Et soudain, il est derrière eux, parmi eux Il se déplace à travers, en avant et en arrière, planifiant, remplissant sa promesse Et causant la fuite parmi ses ennemis le jour de la bataille. Dieu soit Loué, Qui a mis en déroute ses ennemis et à genoux, Louanges à Dieu, support de la religion En décrivant cette armée, l’auteur Et poète ne peut pas capturer parfaitement ce qui est arrivé Paix et Salutations sur le prophète Muhammad comme La pleine lune perce les ténèbres des nuits.”
After the Jihad: the Reign of Ahmad al-Kabir in Western Sudan (1991) par David Robinson et John Hanson.