L’installation de lignes télégraphiques à partir de 1878 permit de faciliter les communications entre les postes coloniaux et de mieux contrôler les territoires. Son installation fut source de conflits en outre.
Au Fuuta Tooro, le télégraphe était appelé « boggol tuubaak », « la corde de l’homme blanc ». La portée littérale et métaphorique de ce nom était lourde, car la pose et l’entretien du télégraphe furent synonymes de travail forcé et de réquisitions.
En 1880, la possibilité d’installer le télégraphe de Podor à Saldé fut source de divisions au Fuuta. Des consultations furent faites sur la portée de cette technologie par le Batu Fuuta.
Parmi les personnes consultées figurent Pèdre Alassane Mbengue (v.1821-1887), traitant saint-louisien et grand importateur de thé [d’où son surnom de « roi du thé »], et Cheikh Mamadou Mahmoud Kane (v.1848-1890) Sur la photo,
Khayar Mbengue (1875-1949), fils de Pedre Alassane Mbengue (v.1821-1887).
Dans cette lettre Cheikh Mamadou Mahmoud Kane (m.1890), parle du conclave des chefs du Fouta à Horndoldé, pour discuter du télégraphe. Et comment, il a été consulté (vu qu’il résidait en partie à Saint-Louis) et comment Ali Bokar Kane, l’a invité à se joindre à eux contre les Français
Dans les archives, le traitant Pèdre Mbengue tint au courant le gouverneur de toutes ces consultatations. Ould Heyba, allié Ould Aydi’ d’Abdoul Bokar, opposant à la ligne, fut soudoyé pour atténuer la position de celui-ci
Finalement, la brigade télégraphique qui avait reçu l’accord de l’Almaami, pour être installée, et qui était sécurisée par le Lam Tooro Mamadou Abdoul Djiby (r.1878-1883), fut battu et malmené par de jeunes Fuutankoobe menés par Mamadou Abdoul Bokar Kane, fils du jaggorgal, et Saidou, fils d’Elimane Boungou
Sur la photo, on peut voir la « brigade télégraphique » du commandant Borgnis-Desbordes, reliant Kayes à Kita (au Mali). Mademba Sy (v.1853-1918), en uniforme au centre, fut de l’équipe télégraphique entre Saldé et Bakel.
près l’hivernage 1880, la colonne Pons vint au Fuuta Tooro pour sécuriser l’installation des poteaux. Avec eux étaient les troupes du Tooro commandées par le Laam Toro Mamadou Abdoul (v.1850-1887 ; r.1878-1883). La colonne campa à Mbagne où elle réussit à rallier plusieurs chefs au projet télégraphique.
Le jaggorgal Abdoul Bokar leva des troupes, réussit à embarrasser plusieurs chefs à revenir sur leurs promesses aux Français. Les troupes du Bosséa attaquèrent les Français à Dirmbodya, tuant la moitié des troupes européennes avant de battre retraite
La colonne Pons en représailles, entra dans le Bosséa, brûla Thilogne, mais n’osant pas s’avancer davantage. Le Lam Tooro Mamadou Abdoul, craignant de s’exposer si loin de sa base du Tooro
ans leur retour vers l’ouest, les troupes françaises et leurs alliés du Tooro razzièrent plusieurs villages du Yirlaabe et du Laaw, emportant bétail, chevaux, biens, et personnes également. Suscitant l’ire de tout le Fuuta Tooro.
Les troupes coloniales qui campaient dans le Yirlaabe était nourries par les résidents, ce qui commençait à les agacer. Pire, le Lam Tooro se refusait à rendre son « butin »; il alla jusqu’à razzier 9000 moutons des Maures Tuwabir, avant de retourner avec toute sa smala au Tooro
Le Lam Tooro partait, laissant les troupes de Pons en mauvaise posture dans le Yirlaabe. Il montrait ainsi qu’il avait atteint ses « objectifs de campagane » et n’en avait rien à cirer du « boggol tuubaak ».
Ce furent les traitant Pèdre Alassane, le mulâtre saint-louisien Raymond Martin, l’émir du Brakna Sidi Ely [V.1835-1892 ; R.1858-1892] et son vassal Ould Heyba [m.1883] qui s’attelèrent à trouver un compromis alors que le gouverneur Brière de l’Isle était rappelé.
Compensations financières pour la campagne, restitution des biens razziés, pose de la ligne télégraphique et paiement des travailleurs. Les conventions de Gababé et de Horéfondé furent signées pour mettre fin au conflit
En 1881, le Lam Tooro Mamadou Abdoul Djiby Samba Sall fut déposé. Il était remplacé par Hammé Gaysiri Sall, un dynaste qui revenait de Nioro du Sahel où il s’était couvert de glore durant les campagnes omariennes. Hammé Gaysiri était soutenu par Abdoul Bokar et le Laamido Juulbe
Il devait mourir quelques mois plus tard (novembre 1881) et des soupçons d’empoisonnement furent très vite émis. Hammé Gaysiri Ali Samba Sall fut remplacé par Bokar Sidiki Sall, petit-fils du Lam Tooro Djiby Samba Sall, qui est resté dans la postérité, associé à Baydi Kacce Pam
En 1890, plusieurs villages du Boosoya dont les Agnam (Godo, Wuro Siré, Lidube, Barga, Siwol), Diowol et Dondou, furent brûlés par le colonel Dodds, pour avoir saboté/brûlé des lignes télégraphiques, dans le contexte de l’ultime résistance
Le Fantang, parfois orthographié Fantaŋ est un style poétique et musical très populaire au Fouta-Tooro, dans le Jolof et le Ferlo. Il est joué par les wammbaaɓe et les maabuɓe avec un accompagnement au hoddu (luth à 4/5 cordes) selon un air rapidement reconnaissable pour tout initié.
Selon Tène Youssouf Gueye : ”Le Fantaŋ est d’abord l’air dédié au pasteur, à la vache par l’intermédiaire de Ilo Yaladi Diadié (ancêtre mythique des Fulɓe représentant l’idéal du pasteur) […] les pasteurs peuls liés à leurs troupeaux par une “boomanie” que le permanent tête à tête avec la solitude sylvestre transforme parfois en “boolatrie”. On comprend ici que le Fantaŋ fait l’éloge des bovidés et de la vie pastorale, il accompagne les Fulɓe dans leurs longues transhumances à la recherche de pâturages pour leur bétail mais est également un moyen de transmettre un ensemble de valeurs qu’un vrai pullo doit avoir.
Constitué de longs passages généalogiques, et de descriptions très détaillées de tout élément pouvant être magnifié (une belle femme, une belle génisse, un beau paysage…) il est la fierté des clans peuls tels que les Yaalalɓe à qui les griots attribuent la phrase (jaalalo mo lummbaani liige wasaani mabbaare / le jaalalo qui n’a jamais traversé (le champs de) coton mais qui a quand même de quoi se vêtir), cette maxime nous apporte un élément supplémentaire sur le Fantaŋ qui est également une musique guerrière et évoque les razzias / contre-razzias (ruggooji) pour récupérer le bétail volé ou le ravir à ses ennemis.
A l’origine, le Fantaŋ était chanté par les femmes peules à différentes occasions, lorsque les hommes à la recherche de leur bétail volé se préparaient au combat, il arrivait qu’un groupe de femme chante pour un fils, un mari ou un frère, ces chants de femmes donnèrent naissance au Fantaŋ. Il est depuis la propriété exclusive de deux catégories de griots cités précédemment. Le récit par excellence de ce style est l’épopée de Amadou Sampolel (Samba Polel) et de Goumalo Samba Jam Jaalalo, deux héros du Ferlo, cousins en concurrence qui se sont violemment affrontés pour les yeux de la belle Egga Farisabo (Aamadu Sammba Poolel e Gumalo Sammba Jam jaalalo, anndu ko ɓe denɗiraaɓe, renndinii ɓe ko debbo biyeteeɗo Egga Farisabo / Amadou Sampolel et Goumalo, sache qu’ils sont cousins, ce qui les a brouillé c’est une femme nommée Egga Farisabo). Dans cette épopée (daarol), le bammbaaɗo de Amadou Sampolel joue un rôle prépondérant, comparable aux griots de héros d’épopées tels que Sewi Malal Layan, griot de Samba Gelaajo Jeegi, ou Galo Segene Maabo, griot de Boubou Ardo Galo du Macina. L’épopée de Amadou Sampolel et de Goumalo fut en grande partie popularisée par le bammbaaɗo Samba Demba Diadié Bah, grand interprète de Fantaŋ.
Aujourd’hui, ce style est présent dans les célébrations de mariages, les baptêmes ou d’autres rassemblements festifs. Air dédié aux pasteurs peuls, il est chanté pour tous les Fulɓe, qu’ils soient sédentaires ou non.
Voyons ensemble quelques vers de Fantaŋ récité par le maabo Silèye Dia tirés du livre de Siré Mamadou Ndongo et identifions les principaux thèmes évoqués.
LES VACHES
Les vers suivant évoquent la beauté des bovidés et leur utilité pour les Fulɓe
Ɗoo woni jege Sammba ñaamaa yaraa
Cet air s’intitule Diégué Samba-qui-n’a-ni-mangé-ni-bu
yeewti aynaaɓe e nder na’i
compagnon des bergers au milieu des troupeaux
Ko ɗo woni ɓokki na’i
Cet air a pour nom fanons des vaches
tallalɗi dimaaɗi
brides des pur-sang!
Ɗoo woni neene am ƴettam
Cet air s’appelle “mère soulève-moi”
Baaba am towam
Père, porte-moi sur tes épaules!
[…]
Ɗi kine kecce
Les vaches aux naseaux humides
Ɗi gallaaɗi joorɗi
aux cornes sèches
Ɗi ngalaa jawe
Elles n’ont pas de bracelets
Ɗi ngalaa lammbe,
ni de colliers d’ambre
ɗo ɗi mbaali foo mbeefeegu ñalla waala
Partout où elles passent (de jour ou de nuit) se crée un spectacle
Cayeeji jemma, buunnaaji wenndoogo!
Noires la nuit, grises au lever du jour
Pooli aljanna malaaɗi njuurotaako so wonaa ɗo jam woni
tourterelles bienheureuses du Paradis, ne se posent que dans endroits bénis!
Tammbiiɗi kiirimmeeje
Elles supportent le bois garnissant les tombes
ɗi ngacci jikke
Elles nourrissent l’espoir
ɗi mbelee nukureeji
Elles sont agréables au bât!
So pullo wii’ii yiɗaa na’i
Si un Peul déclare ne pas les aimer
woni ko e fuuntude yimɓe
ce n’est que tromperie
woni ko e yillaade
(car) il est en train d’en chercher
[…]
Na’i nguura ɓiree ñaamee
vivantes, on les trait, on en consomme le lait
na’i mbaata kirsee ñaamee
mortes, on en consomme la viande
[…]
Holgooji ɗi ne kaɗa deedi muusooji
Les lunules de leurs sabots sont un remède contre le maux de ventre
laaceeje ɗe ɓoree mbaɗee dahaaji
les poils de leur queue servent dans les préparation des encriers (dahaa, encre utilisée sur les planchettes coraniques)
sagataaɓe mbinndanee njara
on fabrique des élixirs, des hommes valides les boivent
mbinndanee lootoo mbakkoo
on fabrique des amulettes, des hommes valides les portent
(La vache comme source de richesse)
Ndesaa mo njiɗɗaa ko e na’i
Épouse qui tu aimes, les bovidés le permettent
Kaɗaa mo ngañɗaa ko e na’i
prive qui tu veux, les bovidés le permettent
Makka jaawɗo ko e na’i
Va à la Mecque sans attendre, les bovidés le permettent
ceeraa mo ngañɗaa ko e na’i
Divorce d’avec qui te rebute, les bovidés le permettent
ndokkaa mo njiɗɗaa ko e na’i
donne à qui tu veux, les bovidés le permettent
ILO YALADI DIADIE, l’ANCÊTRE
Ces vers évoquent la figure mythique de Ilo Yaladi Diadié sous la forme d’un dialogue fictif avec son fils Hammadi. Au-delà des enseignements, il permet de lier les Fulɓe à une origine commune, comme le dit le bammbaaɗo Samba Demba Diadié Bah :”ɓeeɗo fof ko Ilo Yalaaɗi Jaaƴe Saŋre Boɗeewal Makaama iwii, ko ɗo addani jettooɗe Fulɓe, ɓee njettaama Bah, ɓee njettaama Jallo, ɓee njettaama Soh, ɓee njettaama Jaw, ɓee njettaama Bari, ɓee njettaama Deh, ɓee njettaama Dem, ɓee njettaama Sal, ɓee njettaama Jah” (Tous (les Peuls) viennent de Ilo Yaladi Diadié, ce qui amené les patronymes des peuls : certains se nomment Ba, d’autres se nomment Diallo, Sow, Diao/Diaw, Barry, Deh, Dem, Sall, Dia…”
Ilo Yalaaɗi Jaaƴe Saadiga Saŋre Boɗeewal Makaama
Kanko yelaa e Yelo-Yelo
Fût conçu à Yélo-Yélo
o dañaa e Dañi-Dañi
et vit le jour à Danyi-Danyi
o jibinaa e Seede Jeeje,
à l’ombre du grand jujubier, séjour d’été de Diadié
o maayii wammbaaɓe maabuɓe Suudu Paate njawaaki mo
et mourut en conservant l’attachement des griots-guitaristes et des maboubé
O wi’ii : labbo dikko, sammba pullo, bammbaaɗo Demmba
Le Labbo [le boisselier] est l’ainé, Sammba le Peul (pasteur), Demmba le griot guitariste
[Cela fait référence aux trois premières castes de la société peule, selon les traditions orales il s’agirait de trois frères que la spécialisation professionnelle aurait séparé tout en maintenant entre eux des relations de dépendance. Le film documentaire Fantang les trois frères en parle en détail.]
Kanko Ilo Yalaaɗi Jaaƴe Saadiga
o meeɗii wiide
Ilo Yaladi Diadié Sadiga
dit un jour :
“Hammadi am janngu na’i!”
Hammadi mon fils étudie les vaches!
O wii : “baaboy am miin de mi janngataa na’i, mi annndaa ko woni e nder na’i”
il répondit : “père, je n’étudierai jamais les vaches, je ne connais pas le secret qu’elles renferment.”
[…]
ɗoon dee o wii :”Hammadi am”!
Il lui dit: “Hammadi mon fils”
O wii :” naam baaboy am!”
Il répondit “oui mon père”
O wii : “ala ko woppeete e na’i, gelooɗi Ilo Yalaaɗi Jaaƴe Saadiga Saŋre goonyolli mbille kooyno”
Le père dit: “rien n’est à laisser dans les vaches, chamelles de Ilo Yaladi Diadié, aux flancs dressés quand on les exhorte
kartee njaanyo
elles s’entêtent quand on veut les faire partir !
Nous remarquons que le récit revient à l’éloge des vaches et de leur utilité, thème central du Fantang.
LA GUERRE ET LA MORT
Le Fantaŋ évoque également en détail les combats/razzias, la bravoure des hommes peuls et leur crainte de l’humilation, ici les vaches et les chevaux sont souvent associés au champ lexical de la mort.
Saatu nde sagataaɓe nawii na’i
lorsque des hommes valides ont razzié les vaches
sagataaɓe ngabbii
et que d’autres sont partis à leur poursuite
taƴii arahmaane e nder na’i
l’irréparable se produit au sein des troupeaux
kure ngukka nguufaa
les balles ont été apprêtées
baaɗi tanngilaa
les lances brandies,
pittaali kalfinaa qul huwa Allahu
les armes confiées à la sourate :”Dis: il est Dieu l’Unique”
[…]
Guri ɗi keefe mbaɗee teefeji
Leurs peaux tannées servent de housses
pawee gay dimaaɗi
Posées sur des étalons pur-sang
jabboli gulli gaawooji genaale,
Qui creusent des sillons, les parsèment de morts,
nawooji cakaaɗe,
emportent les pioches
tammbiiɗi kiirimeeje,
et portent les garnitures tombales
nawooji wuurɓe,
étalons qui emmènent des hommes en vie
ngartira maayɓe
mais ramènent des cadavres
kaara mbakka taƴa ɓoggi,
l’étalon est l’animal, repu il regimbe et brise ses attaches
keyɗa njenna joomm en!
Affamé, il blâme son maître
Beede njaawri yawaare
l’étalon lave rapidement l’affront
Hakkunde pullo e banndum
Entre le Peul et son congénère
sabi ɗi noddata tan ko jokolɓe
car le coursier ne réclame qu’homme élégant
suusɓe tawa ko harbiyankooɓe
téméraire et bon cavalier
ɓokkotooɓe buubi
celui qui évite les mouches
ɓe ɓokkotaako gaawe,
mais n’évite pas les lances
hulɓe gacce
Celui qui redoute l’humiliation
nde cuusi saati!
mais ne craint pas la mort
[…]
gallaaɗi ɗii keefe,
on polit les cornes
mbaɗee conndi puutiri
pour les transformer en poudre
sagataaɓe paɗɗoo ngabbo way
les braves enfilent leurs chaussures et vont à la rescousse
saatu nde sagataaɓe nawii na’i
Lorsque des hommes valides ont razzié le bétail
sagataaɓe ngabbii
et que d’autres se sont lancés à leur poursuite,
taƴi arahmaani nder na’i
ils produisent l’irréparable au sein des troupeaux
O wii :”ko rawanta e gulli na’i koo
la bande blanche du bas-ventre des bovins
ko kasankaaji yummum sagataaɓe
n’est autre que le linceul des mères des pieux
worɓe fulɓe ɓee ndaroo ɓe timpoo
debout, les hommes peuls lancent leurs javelots
ɓe njooɗo ɓe pella,
assis, ils décochent des tirs
ɓe ndiccoo ɓe timpoo
agenouillés, ils lancent leurs javelots
ɓe pelle ɓe moosa
ils décochent leurs tirs le sourire aux lèvres
ɓe kartaaji bagiiji
ils portent des chemises en étoffe
ɓe tuubaaji sarleeji
ils portent des pantalon amples
ɓe taggaaji juuɗɗi
ils ont des longues écharpes
paandorteeɗi naange,
qui les protège du soleil
ɗi paandortaake gaawe!
et non des jets de lance!
[…]
O wii ko seeɓata e gallaaɗi na’i ko,
cañcorɗi yummum sagataaɓe
les bouts pointus de leurs cornes (les vaches)
servent à défaire les tresses des mères de pieux
Finissons sur ce qu’est le Fantaŋm selon ses chantres :
Ko ɗoo woni jege Sammba ñaamaa yaraa
Cet air a pour nom Samba-qui-n’a-ni-mangé-ni-bu
ndiiwoori na’i caakoori aynaaɓe,
il disperse les vaches, éparpille les bergers
nafooji pullo, lorlooji bellello,
Bovidé servent au Peul et n’épargnent point le démuni
keewɗi welammaaji
source de plaisirs
mettuɗi reende,
mais difficile à garder,
ko na’i dee timminta pulaagu!
Sache que c’est la vache qui confère au Peul son statut.
BIBLIOGRAPHIE
Abdoul Aziz Sow, La poésie orale peule(Mauritanie-Sénégal), Editions l’Harmattan
Siré Mamadou Ndongo, Le Fantang poèmes mythiques des bergers peuls, Karthala – UNESCO – IFAN. Paris 1986.
Samba Demba Diadié Bah, Enregistrement à Ourossogui, ETS Yero vol.1
Qacida al-Hajj Oumar (« La vie d’el-Hadj Omar ») de Elimane Muhammadu Aliou Thiam de Hayré-Laaw (1830-1911), traduite par Henri Gaden et Mamadou Ahmadou Ba (1891-1958) #Mali#Senegal
« Mohammadou Aliou Tyam (1830-1911), notre auteur, se présente lui-même à la fin de sa qasida.
Avec une grande discrétion, il se borne à donner son nom et celui de ses parents et à indiquer qu’il a grandi et fait ses études à Hayré (Aéré-Lao) du Lao (cercle de Podor). C’est là qu’il est revenu finir ses jours et qu’est conservé le souvenir des principales étapes de sa vie.
Mohammadou Aliou avait suivi le Cheikh Omar en même temps qu’Alpha Oumar Baila, lors du séjour de recrutement qu’en 1846 le Cheikh, alors installé au Fouta-Djalon, à Dyégounko, depuis son retour de La Mecque, était venu faire au Fouta-Toro. II était un disciple de la première heure. Originaire du Laaw, il avait, comme tous ceux de cette province, fait partie du corps des Yirlaabé. II n’avait jamais exercé aucun commandement.
Pour reprendre l’image qu’il emploie dans sa qacida (p. 13), il n’avait jamais été qu’un brin du balai que le Cheikh Omar avait, avec la vigueur que l’on verra, promené pendant dix ans, du Sénégal au Niger, sur les pays restés réfractaires à I’islam. II avait fait toutes les campagnes, de Tamba, capitale du Dyalonkadougou, la première conquête, à Hamdallahi, capitale du Macina, la dernière, en passant par Le Kaarta et le Segou.
En quittant Ségou-Sikoro pour la conquête du Macina, le Cheikh y avait laissé son fils ainé Ahmadou avec une garnison de huit cents homm devant tous, le proclama son successeur. Puis, comme il n’était pas prêt à reprendre immédiatement la guerre sainte, il le renvoya à Ségou-Sikoro en lui donnant quelques renforts. Mohammadou Aliou faisait partie de ses renforts et, lié désormais à la fortune d’Ahmad al-Madani.
Peu après avoir reçu la soumission des Peuls du Macina, il convoqua Ahmadou à Hamdallahi et il alla tenir garnison à Segou-Sikoro. C’est là qu’il a, pendant ses loisirs, rédigé sa qacida. Sans doute eut-il peu de loisirs ou cette rédaction lui fut-elle difficile, car, lorsque vingt ans plus tard, en 1884, Ahmadou quitta Ségou pour aller s’installer à Nioro, la qacida n’était pas encore terminée. Mohammadou Aliou avait été laissé à Ségou [avec le fils d’Ahmadou, Ahmad al-Madani al-Saghir et Ceerno Moustapha Dieilya Touré]; il y acheva sa qacida et y resta jusqu’à l’occupation française en avril 1890.
Il rejoignit alors Nioro [en compagnie d’Ahmad al-Madani al-Saghir] et put espérer remettre son poème à Ahmadou et recueillir le fruit du travail qui lui avait couté tant de peine. Le colonel Archinard ne lui en laissa pas le temps et Ahmadou était en fuite sur Bandiagara avant que Mohammadou Aliou eut pu l’approcher. Il ne le suivit pas et, déjà âgé de plus de soixante ans, résolut de prendre un repos définitif. Riche de sa qacida, il reprit le chemin du Fouta-Toro et rentra à Hayré où il avait un frère et des neveux.
Il y a vécu encore une vingtaine d’années et y est mort aveugle en 1911. La qacida de Mohammadou Aliou est, à notre connaissance, la seule biographie indigène du Cheikh Omar. Elle est, malgré sa forme, rédigée avec un souci évident d’objectivité et de précision.
Pour toutes les campagnes du Cheikh, l’auteur, qui les a faites, a noté consciencieusement toutes ses étapes et la date des évènements importants. De Dinguiraye a Hamdallahi, son récit est un journal de route bien tenu, mais c’est le journal de route d’un simple Talibé, un soldat du rang, et il y faut des éclaircissements.
Podor ou “Duwayra Wuro Ndiack”. Et si on revenait très vite et concisement sur l’origine de cette expression?
L’expression “Duwayra Wuro Ndiack” est un mélange de hassaniya et de Pulaar. Duwayra (forme mineure de Dëw) est traduite comme “chambrette” ou “petit village”. Wuro est du Pulaar et veut dire village. Ndiack fait référence à Ndiack Ba, fils de Mokhtar Boubou Fatim Diop, chef de l’escale de Podor [Bir Podor] au milieu du 19e siècle. Ndiack était aussi le percepteur des taxes pour l’émir du Brakna Ahmedou Ould Sidy Ely (r.1818-1841) lors de la traite à l’escale de Podor. Il avait des attaches au Fuuta, apparenté à l’Ardo Mbantou, et à Saint-Louis [le futur tamsir de Saint-Louis Hamat Ndiaye Anne, 1809-1878 et l’interprète Bou el Mogdad Seck, 1826-1880, étant ses parents proches], en plus d’avoir des liens avec le Brakna, dont était issu une de ses épouses, Maimouna des Ahel Tanak.
Les problèmes de Ndiack commencent en 1841 lorsque l’émir du Brakna meurt dans des circonstances extraordinaires. L’émir Ahmedou avait un frère Mohamed Sidi, qui était son héritier présomptif et semblait trop pressé de lui succéder.
Ahmedou avait un fils Sidi Ely (v.1838-1893), né de sa femme hartaniyya. Ahmedou se plaignait des présomptions de son « frère » Mohamed Sidy mais ne comptait rien faire. A la différence de Ndiack Mokhtar et de sa femme qui complotèrent contre Mohamed Sidy a l’insu d’Ahmedou.
Quand Mohamed Sidy arriva au camp de l’émir, il lui fut présenté une calebasse de lait en signe de bienvenue. Il est dit que pressentant un piégé, il demanda à son frère Ahmedou d’en boire d’abord. Ce que ce dernier fit ainsi que son frère utérin et fidèle lieutenant, Kradeuch/al-Kheddich.
Mohamed Sidy en but aussi. Mais tous les trois moururent quelques temps après, suscitant des rumeurs d’empoisonnement.
Il faut noter qu’il y’a deux versions sur la mort de l’émir Ahmedou et d’al-Kheddich et de Mohamed Sidi. Il y’a deux versions sur la mort de l’émir Ahmedou. Dans les deux ils sont empoisonnés par accident, mais le perpétrateur est différent. La version plus haut accuse Ndiack Mokhtar, et pourrait être liée au fait que le successeur d’Ahmeddou, Mokhtar Sidi, étaait un ennemi irréductible de Ndiack, qui était très influent et qu’il cherchait à évincer.
A la suite de ces décès, un cousin d’Ahmedou, Moctar Sidi fut proclamé émir. Sidi Ely, le fils d’Ahmedou était un enfant et n’avait aucune chance d’être émir à cet âge. Cette affaire fut catastrophique pour Ndiack qui méprisait Mokhtar Sidy et avec qui il ne s’entendait pas. L’autre version accuse implique toujours la femme mauresque [Leila Mint Rassoul, une Shrattit/Id Ou Aich] qui n’arrivait pas à enfanter et viserait l’enfant Sidi Ely (v.1838-1892; r.1858-1892), fils de Ahmeddou et sa femme hartaniyya, pour se venger de l’attitude condescendante de sa co-épouse à son égard. L’émir Ahmeddou et ses commensaux auraient bu la calebasse de lait par accident, toujours dans cette version.
Ndiack Mokhtar était malin. Il avait des connexions avec la colonie de Saint-Louis, sur qui Mokhtar Sidy comptait pour entretenir sa clientèle. Et malgré l’enturbannement de Mokhtar Sidy, Ndiack était toujours en dissidence, soutenant Sidi Ely l’enfant.
Mokhtar Sidy le démit comme ministre-percepteur et fit nommer à sa place, le propre frère de Ndiack, Abdoulaye Mokhtar Boubou. Ndiack Mokhtar en effet, était en froid avec ses demi-frères paternels [Birahim et Abdoulaye], et ses dissensions devaient lui coûter cher à terme; mais pas en 1844. Ce fut le début de la guerre. “Mokhtar Sidy bakk na Njak, té Njak ñew na”
Ndiack ne se laissa pas mener. Il se déclara contre l’émir et réunit tous les mécontents autour de Mohamed Rajel (r.1842-51), neveu de Mohamed Sidi, “sans préjudice pour Sidy Ely, fils d’Ahmedou (1818-1841) lorsqu’il sera adulte”.
Ndiack finança cette rébellion et eut l’appui de Mohamed El Habib, l’influent émir du Trarza (1827-1860)
Deux frères de Ahmedou, Bakar et El-Hiba soutenaient Mohamed Sidi cependant. Ils demandèrent de l’appui à l’Almaami du Fuuta Mamadou Birane Wane, qui envoya des troupes. Mais les partisans de Mohamed Rajel et de Ndiack avaient attaqué Mohamed Sidi bien avant
Lorsqu’el Hiba et Bakar arrivèrent avec les Fuutankoobe, ils furent attaqués eux aussi et vaincus. Bakr fut tué, el-Hiba s’enfuit au Fuuta avec les troupes de l’Almaami.
Ndiack réussit un coup de maître en 1844. Travaillant Caille, administrateur de Saint-Louis, il le convainquit que les intérêts français seraient mieux servis avec Mohamed Rajel qu’avec Mohamed Sidy. Lors de la saison de la traite en 1844, ils firent enlever l’émir Mohamed Sidy et son percepteur Abdoulaye Mokhtar Boubou, le frère de Ndiack. Les deux furent amenés à Saint-Louis et déportés au Gabon où ils moururent
C’est le début des internements au Gabon/Congo des récalcitrants à l’autorité française. Mokhtar Sidy, Abdoulaye et deux autres y furent déportés. Quelque temps après, Mokhtar Sidi et ses compagnons purent s’échapper du fort d’Aumale au Gabon, avec les gardes noirs. Mais ils étaient complètement perdus au Gabon et durent retourner au fort, face à l’hostilité des populations locales, avec qui ils ne pouvaient même pas communiquer. Il est dit que Mohamed Sidi devint marabout au bagne et y mourut des décennies après.
Mohamed Rajel régna tranquillement avec Ndiack Mokhtar à ses côtés. En 1848, il fut impliqué dans des querelles avec le Trarza et le Fuuta, suscité par Ahmed Leigat, frère aîné de Mohamed Habib, émir du Trarza, et dont la femme était une soeur de l’émir empoisonné Ahmedou [1818-1841].
Mohamed Rajel cherchait aussi à se débarrasser du jeune Sidi Ely qui grandissait et qui avait une prétention forte à l’émirat. À cette fin, il s’allie avec Mohamed Habib pour attaquer les Ould Seyyid ses propres parents, défenseurs de Sidi Ely
Mohamed Habib du Trarza envahit le Brakna en 1849, poussant les Ould Seyyid vers le fleuve, qu’ils traversèrent à Podor pour aller a Mokhtar Salam et Guédé chez les Lam Toro. L’escale de Podor fut brûlé à cette époque par les Fuutankoobe dans ce contexte de guerre.
Quand Mohamed El Habib retourna au Trarza, après l’arrivée des avisos français, Mohamed Rajel fut dans une position catastrophique. Il avait lâché ses alliés et attaqué ses parents pour se débarrasser d’un rival enfant.
Il fut déposé et remplacé par son cousin Mohamed Sidi (r.1851-1858). Mohamed Sidi aussi n’aimait nullement Ndiack pour le rôle qu’il avait joué dans la déportation de son oncle Mokhtar Sidi au Gabon
Ndiack, malin comme tout, fit courir le bruit qu’il savait où se trouvait enfoui, le trésor de l’émir Ahmedou (1818-1841), et qu’il ne le dirait au nouvel émir que si celui-ci lui garantissait sa vie, ses biens et sa position.
Ayant reçu cette information, l’émir Mohamed Sidi se demanda si l’amour de son oncle était supérieur à l’amour pour la richesse d’Ahmedou. Il sursit à sa décision de trucider Ndiack Mokhtar, malgré les protestations des demi-frères de celui-ci, Birahim et Mohamba.
Voyant que Mohamed Sidi trainait, Birahim frère de Ndiack prit les choses en main, avec ses neveux. Abdoulaye, neveu de Ndiack, prêt dit abandonner le parti de Birahim Mokhtar Boubou, et se rendit auprès de Ndiack lui demandant pardon pour tous ses outrages
Pour gagner sa confiance, il lui fit part des complots de Birahim et de son projet de l’assassiner (tout en prétendant ne pas faire partie du complot)
Comme Ndiack était Fuutanke, Birahim craignit que s’il était assassiné au Fuuta, les habitants feraient peu de quartier des conjurés. Mais Ndiack avait beaucoup d’ennemis. Beaucoup beaucoup d’ennemis. Et certains chefs du Fuuta promirent de fermer les yeux.
En 1854, Ndiack était à Donaye et avait envoyé son neveu Abdoulaye, faussement rallié, à Guede pour percevoir son argent.
Celui-ci sachant l’avarice de son oncle, fit traîner la commission. Son projet était de l’assassiner sur la rive gauche et de fuire à Dialmatch, demander l’asile. Quand Abdoulaye ne revint pas prestement, Ndiack se dirigea à Guédé pour voir ce qui se passe.
Tout était correct. L’argent était bien collecté. Il ne manquait pas un rond. Mais le projet funeste était en branle
Le lendemain sur la route entre Guede et Donaye, Ndiack et Abdoulaye étaient à cheval. En signe de déférence, Abdoulaye trottait à trois foulées derrière son oncle. Au niveau du marigot de Kotala, Abdoulaye tira à bout portant dans le dos de Ndiack, le tuant instantanément.
L’assassin manquait de bol car des cavaliers Fuutankoobe avaient vu la scène. L’un d’eux le poursuivit au galop dans sa fuite en passant le rattrapa. Abdoulaye pour se disculper lui dit. “Ce que j’ai fait ne vous regarde pas. Il est vrai que je viens de tuer Ndiack mais c’est pour venger ma famille. Laissez-moi continuer mon chemin: il vous en coûterait de vous mêler de nos affaires”. Le cavalier le laissa alors et la troupe transporta le corps à Podor.
Quand il apprit la mort de Ndiack, l’émir Mohamed Sidi (r.1851-1858) entra dans une grande colère, car il n’avait pas le tresor d’Ahmedou que Ndiack avait promis. Il fit nommer Hamet Ndiack, fils de l’assassiné comme percepteur, espérant qu’il saurait le secret du trésor.
Quand il se rendit compte que Hamet n’avait aucune idée d’où se trouvait le trésor, il le déposa prestement et le fit remplacer par Birahim Mokhtar Boubou, demi-frère et commanditaire de l’assassinat.
Hamet Ndiack Mokhtar ne fut rétabli comme percepteur de l’escale qu’avec l’avènement de Sidi Ely Ould Ahmedou (r.1858-1892) qui fit assassiner l’émir du Brakna Mohamed Sidi (r.1851-1858) en 1858, prétendant se soumettre à son autorité, avant de marier sa veuve Garmi, alors enceinte, et mère de son fils et hériter Ahmedou ould Sidi Ely [v.1860-192?], le dernier émir du Brakna indépendant [1893-1903]
Voilà le Ndiack derrière l’expression “Duwayra Wuro Ndiack” pour prler de Podor. Chef d’escale, ministre-percepteur, et homme politique avisé, tissant des alliances avec le Brakna, le Walo, Saint-Louis et le Fuuta. Ndiack était plus grand que nature.
Quelques notes sur la descendance de Ndiack Mokhtar Bouba
Ndiack Mokhtar Ba Boubou Fatim Diop est mort en 1854. Il avait laissé trois enfants au moins:
Son fils Hamet Ndiack fut ministre-percepteur à Podor comme son père pour l’émir du #Brakna Sidi Ely Ould Ahmedou Ould Sidy Ely, durant la seconde moitié du 19e siècle.
L’une de ses filles Léna Ndiack fut mariée au jaggorgal du Bossea et minister-électeur Bokar Ali Doundou Kane de Dabia Odeeji. De cette union fut issu Cheikhou Oumar, qui vécut à Podor, et qui fut tué a la bataille de Petogne (1869) opposant le Tooro aux Mahdiyankoobe.
Mbowba Ndiack était une autre fille de Ndiack, et fut sans doute la plus remarquable. Elle fut mariée en premières noces à son cousin Abdoul Djiby Sall, fils du Lam Tooro Djiby Samba Sall/Djiby Mborika [Ba] Fatim Boubou (m.1855).
De cette union sont nés les futurs Lam Tooro Mamadou Mbowba/Mamadou Abdoul Djiby (v.1850-1882; r.1878-1881) et Sidi Mbowba/Sidi Abdoul Djiby (v.1852-?; r.1889-1890). Mbowba était décrite comme l’éminence grise de ses deux fils.
A la mort d’Abdoul Djiby, Mbowba Ndiack se remaria avec Élimane Thioffi Ibrahim Racine Kane, de qui elle eut Buubakar Ibrahim Kane, mieux connu par la postérité comme Elimane Abou Kane (1859-1917), chef du canton des Seloobe.
Ibrahim Racine fut tué a la bataille de Petogne en septembre 1869, par les Mahdiyankoobe. Outre Ibrahim Racine et Cheikh Oumar Bokar Ali Doundou, Elimane Diatar, le frère d’Elimane Souyouma et le chef de Ngawle moururent aussi durant cette bataille.
Elimane Abou et ses demi-frères aînés, Mamadou Mbowba et Sidi Mbowba étaient à l’école des otages de Saint-Louis durant cette période. Elimane Abou sera Interprete, chef de canton, et fondera Dar El Barka en Mauritanie (appelé aussi Wuro Elimane) en Mauritanie dans les années 1890.
Ses dernières noces furent avec Ibra Almaami (m.1894) bës du Laaw, et fils de l’Almaami Mamadou Birane (m.1866). Mbowba était forte et influente. Accusée d’avoir empoisonné les rivaux de ses fils et d’être le pouvoir derrière eux, par les commandants de Podor. Elle fut assignée à Podor avec son fils Elimane Abou par les français en 1890. Accusés d’être une influence néfaste sur son fils le Lam Toro Sidi Abdoul Djiby, qui lui, résidait à Guede.
Elimane Abou eut plusieurs fils dont Mame Ndiack Kane Elimane Abou (1894-1976), chef de canton du Tooro-Halaybe, sur la rive mauritanienne. Mame Ndiack est bien sûr l’homonyme de son trisaïeul Ndiack Mokhtar Boubou (m.1854)
Bonus pour la lecture: Douwayra de Baaba Maal, natif de Podor,
Pour aller plus loin
Frédéric Carrère et Paul Holle. 1855. « De la Sénégambie française ». (Paris: Firmin Didot, Frères et Fils).
Paul Marty. 1917. Études sur l’Islam et les tribus maures: les Braknas (Paris: Ernest Leroux)
Koli Tengella (aussi orthographié Koli Teŋella) est un leader peul et un personnage mythique de l’histoire du Fouta Tooro, père de la dynastie deeniyanke et des satigi qui régneront deux siècles sur la moyenne vallée du Sénégal et au-delà. Bien qu’il soit connu de tous, il est difficile de séparer fables et faits historiques à son sujet. Son origine se confronte à différentes théories dont certaines sont rejetées aujourd’hui. Koli est présenté dans les traditions orales du Fouta Tooro comme le fils biologique de Sunjata Keita, fondateur mythique de l’empire du Mandé, son père Tenguella ne serait donc que son père nourricier. Sire Abbas Soh dans chroniques du Fouta sénégalais rapporte : “Ensuite arriva Koli, fils du roi du Manden Sundyata fils de Mohammadu fils de Kinana, d’origine himyarite, sa mère était Futa-Gay fille de Sigani Makam. Son ancêtre Kinana le Himyarite était parti de l’Orient et venu dans le pays du Manden, accompagné de vingt mille guerriers {…} se rendit maître du pays en question et y régna pendant quarante ans.” Ces affirmations sont cependant réfutées par des ouvrages tels que le Tarikh el-Fettach et le Tarikh al-Sudan et également des généalogiens comme Cheikh Moussa Kamara qui retrace les origines de Koli au sein de la fraction peule des Yaalalɓe, sous groupe des Uruurɓe (dont le yettoode est “Bah”) vivant à l’époque précédent la conquête du Fuuta par Koli dans le Jaara/Kingi (ouest du Mali actuel). Tout laisse à croire que les Deeniyankooɓe ont façonné de toutes pièces cette généalogie pour le prestige de Sunjata dans la région. Si l’on en croit les dates, Koli ne peut pas être le fils de Sunjata car plus de 2 siècles les séparent. Il est également mention d’une ascendance remontant à Bilal b. Rabah, compagnon abyssin du Prophète (psl) enterré à Damas dans le Levant, encore une fois c’est une invention généalogique imputée à Sunjata par les griots mandingues que Cheikh Moussa Kamara réfute et qui n’a aucune base historique. Oumar Kane déclare :”Il trouve absurde de faire de Koli le fils de Sunjata Keyta, car il y a au moins deux siècles et demi entre les deux personnages. Si son père était mandingue, ce serait chez les Malinke qu’il chercherait refuge en cas de difficultés. Il semble au contraire que Tenguella a combattu les Malinke et a été combattu par eux, parce que le royaume jaalaalo, en s’étendant vers le sud, s’est constitué à leur dépens. Koli, fils ainé de Tenguella, a reçu la mission de conquérir et d’organiser ce que Arcin (1911) appelle la confédération wassulunke. Koli est bien le fils de Tenguella, même si sa mère est paddo, c’est-à-dire non peule, donc wolof, soose, ou malinke. Même si sa mère n’est pas malinke, Koli avait fait ses premières armes en milieu malinke ; il a gouverné les Malinke du Bajar, du Kade et du Ngabu. En d’autres termes, Koli, fils de Tenguella, est un Jaalalo, comme le confirment l’Anonyme de 1600 ou Tarikh es-Sudan. Koli est donc le second roi des Fulos Galalhos ou Gagos, c’est-à-dire des Fulbe Yaalalbe”. Cheikh Moussa Kamara dans son Zuhur al-basatin en se basant sur tarikh al-Sudan s’exprime en ces termes au sujet de la généalogie des deeniyankooɓe :”Tenguella Gedal, le père de Koli, avait un frère qui s’appelait Maaliga Gedal, ancêtre des Yalalbe. Il était le père de Mori Maaliga qu’on appelait Mooli Maaliga, d’Aali Maaliga, de Sammba Maaliga, de Fodé Maaliga, de Pateeri Maaliga, de Debe Maaliga et de Cerno Maaliga. “…”Quand il dit dans Tarikh al-Sudan “Tenguella est le Silatigi des Yaalalbe et Niima Silatigi celui des Uururbe, etc.” cela montre que ce sont des Fullani (Peuls) d’origine et pas autre chose car ces clans, les Yaalalbe, les Uruurbe, les Feroobe et les Worlabe sont des clans peuls pour nous, et que Silatigi est le titre du chef de l’armée des Fullani nomades (badawiyyun) et pilleurs de bétails.”
Cet extrait nous montre bien la parenté entre Yaalalɓe et Deeniyankooɓe qui sont tous deux issus de la grande fraction des Uruurbe. La parenté entre Yaalalɓe et Deeniyankooɓe serait d’autant plus confortée par le fait que les deux revendiquent descendre du même ancêtre, Geɗal Deeny, père de Tenguella (père de Koli) et de Maaliga Geɗal. Les Deniyankooɓe seraient donc uniquement des Yaalalɓe ayant conservé le pouvoir politique pendant quasiment 250 ans. On dit que c’est lors du séjour à Deeni que cette fraction des Yaalalɓe prirent le nom de Deeniyankooɓe, une autre version lie tout simplement le nom Deeniyanke à Deeny, père de Geɗal. Les traditions sont nombreuses et se contredisent, mais les deux permettent d’affirmer sans nul doute que les Deeniyankooɓe et les Yaalalɓe sont liés par la parenté. Encore dans son Zuhur Cheikh Moussa Kamara rajoute : “Le patronyme des hommes adultes parmi les descendants de Sunjata est KEITA qui veut dire “celui qui a hérité” ou “celui qui a pris l’héritage”, c’est-à-dire “o ɓami ndonu” dans notre langue (pulaar). On dit aussi que Keita veut aussi dire le lion; et Allah est plus savant. Quant à celui des jeunes garçons, c’est Konaate qui veut dire aussi le lion ou Keita pour les chefs parmi eux plus particulièrement. {…} Quant à ceux qui sont au Fouta (les Deeniyanke) leur patronyme est BAH uniquement. Le Tarikh al-Sudan et le Tarikh al-Fettach ont démenti la prétention des Deniyankoobe à descendre de Sunjata et ont confirmé qu’il sont seulement des Peuls mais qu’ils aiment beaucoup se rattacher à Sunjata et un peu moins aux autres souverains.”
Fergo (exil) de Koli
Comme évoqué précédemment, Tenguella est le père biologique et nourricier de Koli et son histoire est intimement liée à leur relation de parenté, ils sont même souvent à tort confondus dans les récits. Traditionalistes et écrivains coloniaux ont tous deux évoqué la migration (fergo) de Tenguella et Koli et de leurs contingents. Selon Siré Abbas Soh auteur de chroniques du Fouta sénégalais Koli et son père aurait tout deux migrés ensemble et se seraient séparé à la confluence du Falémé, l’un allant vers le Fouta Tooro et l’autre vers le Kingi, ils auraient tout deux émigré depuis le Mandé selon cette même version. La version d’Arcin nous donne un peu plus de détails sur cette supposée migration de Koli, cette fois seul : “ce fut un fils de Teŋella Yaye qui paraît être venu de l’ouest du Wassolou qui sut grouper toutes les énergies mises en mouvement. Koli Tenŋella ou Tengrella était de cette famille des Bâ qui dominait au Ouassolou comme les Sankhare (Barry) vers le Fouta Dialo actuel et les Dialo dans le Nord.” Ici Koli est le seul à avoir migré depuis l’ouest du Ouassolou, donc la région occidentale du Mali actuel, Arcin ajoute plus loin : “Les Ouassoulounke étaient appelés par leurs frères de l’ouest, et c’est ce qui explique la marche de leur invasion. Koli Tenelé avait réussi à acquérir une solide armée à laquelle il a joint des auxilliaires pris parmi les primitifs du sud et notamment les Koniagui et Bassari…Il s’avança vers le Fouladou mais n’entre pas dans le Manding. Soutenu par tous les Soso de l’est répandus dans les vallées du Tinkisso et du Bafing, il entre dans le massif montagneux du Fouta-Dialo et s’établit à l’ouest dans le Kébou où il fonda sa capitale Gueme Sanga {…} il organisait un vaste royaume sur le plateau de Labé, soumettant les Baga et les Landouma ou s’alliant avec eux.”
Les détails donnés par Arcin nous indiquent une migration progressive de Koli depuis son lieu de départ, c’est-à-dire tantôt le Mande, tantôt le Ouassolou occidental vers le Fouta Djallon actuel passant par le Fouladou. Ce sont les traditions orales du Fouta Djallon qui évoquent cette migration et le passage de Koli dans la région, on affirme même que son tâtâ (forteresse) est encore présente dans la préfecture de Télimélé (Guinée).
Dans Les mémoires de Maalaŋ Galisa sur le royaume confédéré du Kaabu, il est dit au sujet de ces migrations peules : “Le premier grand mouvement peul daté selon les sources portugaises, est celui de Dulo Demba vers 1460. Venant du Sahel il aurait traversé le ‘passo dos Fulos’ sur le fleuve Gambie d’où il aurait atteint le pays biafada de Kinara et le fleuve Korubal. Dans l’ensemble, les mouvements de Teŋella et de son fils Koli Teŋella couvrent toute la région du Haut Sénégal, du Fuuta Tooro, du Bajar, du Tenda, du Ñaani et Wulli au nord du fleuve Gambie, du Kaabu jusqu’au Fuuta Jallon. Geme Sangan, sur le plateau du Labé, vers Télimélé, aurait été un point stratégique entre 1460 et 1474.”
Dans Figures peules, Sylvie Fanchette dit également à ce sujet : “A la fin du XVe siècle, des Peuls entrèrent en grand nombre dans les provinces septentrionales du Gabou et au Fouta Djallon où Koli Tenguella essaya de créer un royaume avec pour capitale Guémé Sangan, à la lisière du plateau. Au début du XVIe siècle, il traversa le Gabou pour conquérir de nouveaux espaces dans la région du Fouta Toro.”
Ces Fulɓe qui ont suivi Koli sont probablement à l’origine des premiers peuplement peuls du Fouta Djallon et ce que les Fulɓe islamisés nommeront plus tard les pulli. Tenguella, son père, est mentionné dans d’autres récits évoquant le Kingi comme lieu où il fut tué par l’empire Songhay pour s’être rebellé contre Gao. Le Tarikh el-fettach évoque cet épisode : “C’est en 918 (19mars 1512-8 mars 1513) que fut tué l’imposteur, c’est-à-dire Tenguella, qui prétendait être prophète et envoyé de Dieu (la malédiction divine soit sur lui!). C’est le kanfari (kurmina fari : gouverneur militaire de province et frère de l’askia Mohammed) Amar-Komdiago qui le tua, sans que l’askia lui eu eut donné l’ordre et sans que ce prince en ait eu connaissance, partant de Tendirma, Amar marcha contre Tenguella et Dieu lui accorda la victoire : étant donné que son adversaire avait des troupes plus nombreuses {…} le kanfari Amar ne put arriver à le vaincre que grâce à la protection divine. {…} Ce Tenguella était chef du Fouta appelé Fouta-Kingi, c’était un prince puissant, valeureux, brave, doué d’énergie et enclin à la révolte. Ayant quitté le royaume du Fouta, il était venu au Kingui, s’y était installé et s’y était fait proclamer roi.” Il est utile de préciser ici que bien que l’auteur affirme que Tenguella se déclarait prophète, il n’y a en réalité que très peu de chance que ce soit vrai. Il est dit que Tenguella aurait lui-même provoqué l’émigration de différents Fulɓe vers le Songhay et le Xaañaga. L’évocation du nom Fouta comme d’un royaume différent du Kingi, quant à elle, est quelque peu troublante et laisse planer le flou sur l’origine de Tenguella. Cheikh Moussa Kamara dans son Zuhur en commentant ce passage expliquera que le nom Fouta était donné pour toute région abritant des Fulɓe. Il est donc possible que Tenguella soit parti d’un lieu différent du Fouta Tooro actuel qui sera conquis par son fils pour s’installer dans le Kingi et démarrer sa révolte. Est-ce donc la mort de Tenguella qui a poussé Koli à l’exil? Encore une fois l’histoire nous donne peu de détails sur cela. On est certains en tout cas que Koli a migré avec d’autres fractions peules en nombre relativement important dont ses propres cousins Yaalalɓe, Cheikh Moussa Kamara nous informe dans son Zuhur al-Basatin :
“Parmi les fils de rois qui avaient migré avec Koli, il y avait Niima, Mori Maaliga, Aali Maaliga et Sama Maaliga, fils de Maaliga Gedal et parents de Koli, puisqu’il était le fils de Tenguella Gedal. Et Allah le Très-Haut est le plus savant. Avaient émigré aussi avec eux Jey Bolaaro “bolaaro” est le singulier de Wolarbe, Jey Jaalo Gaynaako Dimaadi (le berger de pur-sangs), Albagha ou Alfagha ou Aali Baka et enfin Soriyaa. Avait aussi émigré avec lui, Malal Sewdu chef des Mahinaabe dont l’origine est peut-être Makha KAMARA. Avait aussi émigré avec lui ‘Abbas Jambel chef des Soowonaabe. Plusieurs Fullani avaient aussi émigré avec lui mais je ne sais pas ce qu’étaient devenus la plupart d’entre eux. Ils avaient habité au Bajar pendant un certain temps, puis ils étaient partis au Fuuta (Tooro). Koli tua les rois de ces pays et s’empara de leurs royaumes.”
L’importance du commerce de l’or dans la région est aussi à lier avec la présence des Portugais qui bénéficient eux aussi de ce commerce qui traitaient notamment avec ce qu’il restait du Mande et de ses vassaux. Si l’on sait que Tenguella s’est attaqué au Mande entre 1481 et 1495, ce qui a provoqué l’intervention du roi du Portugal Dom Joao II. Il est également possible d’affirmer que les différentes conquêtes orchestrées par Koli ont également dérangé les Portugais dans le commerce de l’or avec les royaumes vassaux du Mandé et le Songhay. Oumar Kane émettre comme hypothèse à propos du mande mansa : “Il a, selon toute vraisemblance, en accord avec le Songhay et les Portugais, décidé de chasser Koli qui constitue un réel danger pour la sécurité des relations commerciales et des routes de l’or.”
“Il mène une guerre incendiaire contre les Malinke et les Songhay. Il inquiète par ses activités les Portugais. Évidemment ces derniers poussent leurs clients à la résistance contre Tenguella. Il y a donc conjugaison d’efforts des Songhay, des Malinke et des Portugais pour faire chuter l’impérialisme des Fulɓe Yaalalɓe.”
Il soutient également la thèse qui affirme que les migrations de Koli et la dispersion des Yaalalɓe sont une conséquence des guerres de son père Tenguella contre le Mandé et le Songhay. Les évènements de 1481-1495 rapportés dans les sources portugaises par Joao de Barros concernent donc uniquement Tenguella. Selon cet historien.
Du Bajar au Fouta
Koli Tenguella dans les récits est décrit comme un chef tribal, allié des Fulɓe de ces pays et conquérant les royaumes de la sous-région lors de ses migrations. Il aurait donc quitté son lieu d’origine avec ses parents Yaalalɓe à la mort de son père. Ce qui a réellement motivé Koli Tenguella dans ses conquêtes reste incertain mais il n’est pas insensé de supposer qu’il fut également animé par une certain “nationalisme” avant l’heure, combattant pour la liberté des Fulɓe dans les différents royaumes où ils étaient assujettis. C’est en tout cas ce que rapportent les traditions orales recueillies par Arcin qui affirme que Koli n’a fait que répondre “à l’appel de ses frères opprimés et persécutés.” Oumar Kane rapporte les versions des écrivains coloniaux tels que Arcin, Tauxier et Delafosse dans la première hégémonie peule et s’exprime en ces termes : “Après avoir vaincu la confédération Sereer-Jola, Koli se prépara à attaquer les royaumes du nord, appelé par ses frères qui vivaient en nomades dans tout le Bas-Sénégal, ou qui avaient formé des États tels que celui du Khasso, soumis à la tyrannie des empires malinké ou songhoy…”.
“Il attaqua les Soose (Mandingues) qui dominaient les Fulɓe du Bundu et du Damnga. Les Wolof sont soumis ou refoulés à l’ouest, et les Fulɓe du Ferlo (Sénégal central) sont affranchis de leur tutelle. Tout se passe comme si Koli mène une guerre de libération de la nation pullo où qu’elle se trouve. Il est possible que Koli ait été guidé par un certain nationalisme, ce qui était incontestablement le cas pour son père. Sa guerre contre les Songhay, le Mali (Mandé) et les principautés mandingues de la Gambie a revêtu un caractère politique, mais aussi économique, visant à contrôler les routes de l’or tout en libérant les Fulɓe de la tutelle des tyrans. Mais il n’est pas sûr que Koli ait toujours été appelé, car dans le Fuuta, il a combattu des Fulɓe.”
Il continue ensuite : “Dans ses conquêtes, Koli a toujours pris le soin d’associer des minorités non fulɓe, Koniagui et Basari, Soso de l’est, Tenda et Sadioko malinke, Baga et Landuma, Sereer et Joola, après sa victoire sur leur confédération. Cette conciliation vis-à-vis des populations conquises semble rejoindre les traditions du Fuuta Tooro d’après lesquelles Koli épousait toujours les filles ou les veuves de ses victimes. Cette conciliation vis-à-vis des populations non-conquises rend moins lourde la domination des Fulɓe, et fait participer effectivement au pouvoir les vaincus par l’intermédiaire de leur enrôlement dans l’armée.”
La politique de Koli à ce moment installé dans le Bajar se basait sur la conquête et l’alliance avec les populations locales, par le mariage et l’enrôlement dans les forces armées. On sait que ces auxiliaires Bassari et Koniagui rejoindront en nombre l’armée de Koli, seront nommés par la suite les ‘Seɓɓe Koliyaaɓe” et seront décisifs dans la conquête du Fouta Tooro lors de la migration vers le nord. Les raisons des conquêtes de Koli semblent elles être aussi bien politiques, ethniques qu’économiques. Il est vrai que tous les pays supposément conquis par Koli et ses armées (Ngabu, Firdu, Wuli, Ñaani, Jolof, Ɓunndu) contenaient de grandes minorités de Fulɓe mais il est semble que la tradition a parfois exagéré l’importance de certaines de ces conquêtes. Le royaume Bajar (région frontalière entre l’actuel Sénégal et l’actuel Guinée) ainsi formé et dirigé par Koli était à ce moment situé sur une route commerciale reliant le Fouta Djallon (précisons ici que le plateau du Fouta Djallon ne sera conquis qu’au 18e siècle par les Fulɓe, nous utilisons ce terme pour indiquer une zone géographique uniquement) au Fouta Tooro comme le souligne Gilbert Vieillard. Les Fulɓe du Bajar seraient les intermédiaires entre les Fulɓe du Fouta Djallon et du Fouta Tooro.
Le Bajar est décrit comme “une vaste plaine sablonneuse, avec des roniers bordant les rivières. On y cultive le riz, le sorgho et le mil.” On dit aussi que le riz flotté (maaro) du Fouta Tooro aurait été introduit par les Fulɓe du Bajar. La présence de Koli au Bajar est sans nul doute véridique, confortée par les traditions orales et les écrits de Sire Abbas Soh, qui, suivant la tradition du Fouta Tooro dira :”qu’il habitait un pays appelé Badyar et que, partant de là, il se rendit au Nyaani, y fit la guerre au roi de ce pays nommé Sammbo-Dabbel et le tua. Reprenant ainsi sa route il se rendit à Badon-Tyolli puis traversa la rivière de Keve, passa par Beli-Badon et par le Nyokolo-Koba, traversa la rivière de Farako, passa par Wutufere-Lengedye puis par Hoore-Mawba puis par Galo, puis par la mare de Nomi, puis par Bulel, puis par Tyipi, puis par Sututa, puis par Kaparta, puis par Kusan-Tunke, puis par le village de Gambi, puis par Kodde-Koli, qui fut appelé ainsi parce qu’il y avait renversé ses provisions de route, chose qui se dit ainsi dans la langue des étrangers (al ‘ajamiyyun parlant toute langue africaine non-arabe), ce dernier endroit se trouve entre Gambi et Nammarde. C’est la que Tenguella fils de Gedal son père nourricier (ici il reprend la version fuutaanke qui dit que Tenguella n’est pas le père biologique de Koli), passa au bord du fleuve pour aller résider à l’est de Nyoro en une localité appelée Dyara.”
Koli Tenguella entreprit la conquête du Ñaani et du Ñammandiru en quittant le Bajar. Il combattu le chef des Fadduɓe du Nyaani Sammba Daɓɓel comme cité plus haut et le tua. L’historien Yero Booli Diao rapporte également que Koli tua le berlab Weli Mberu Mbake Teedyek et “que son peuple se dispersa en direction du Jolof, du Siin et du Saalum”. On voit ici que la supposée conquête d’une confédération sereer-joola concernait plutôt le Nammandiru où cohabitaient Sereer, Soose (Mandingues) et Fulɓe. On comprend ici que les migrations de Koli se sont faites du sud vers le nord, du Fouta Djallon au Bajar, en traversant la Sénégambie, bouleversant l’équilibre géopolitique préexistant et conquérant les entités politiques environnantes.
Des migrations similaires ont eu lieu, des contemporains de Koli comme l’arɗo mbaal du Ferlo Sammba Moɗam, qui selon les traditions orales et les propos reccueillis auprès de Ali Ba, bammbaaɗo (griot-guitariste) des Fulɓe Mbaal aurait également migré vers le nord d’où il rapporta ensuite des échantillons de toutes les cultures du pays (mil, maïs, haricots, pastèques, patates, coton etc.). On retrouve des traditions similaires dans l’histoire de Jambel Ali qui aurait découvert “une terre bénie (le Fouta) qui ignore la faim et la soif grâce à ses plantureuses récoltes, grâce à son fleuve aux eaux fécondes et poissonneuses, une terre propice à l’élevage grâce à ses riches pâturages.”
On peut toutefois se demander ce qui a poussé Koli à quitter le Bajar, à ce moment où son pouvoir était stable et accepté de tous. Était-il menacé par ses voisins? Ou la situation économique était-elle devenue préoccupante au point de devoir migrer? C’est ce qu’affirme une tradition recueillie par Steff :”Koli Tenguella, roi de Badiara, guerrier par essence fatigué de vivre dans un pays où personne ne lui cherchait querelle et où les terrains devenus vieux produisaient mal, après avoir exercé vigoureusement ses guerriers, se décida à quitter son royaume pour en chercher un plus prospère.”
La situation particulière du Fouta Tooro, situé en pleine vallée du fleuve Sénégal a attiré les convoitise de plus d’un et surtout des Fulɓe vivant dans le Jeeri à ce moment complètement frappée par la sécheresse. Encore selon Steff, c’est lors de son passage dans le Jolof que Koli découvre les richesses du Fouta. La migration de Koli du Bajar vers le Fouta semble donc principalement motivée par des raisons économiques et la recherche d’un avenir plus prospère pour lui et ses administrés. La conquête du Fouta Tooro se déroula en plusieurs étapes, il est important pour le comprendre de mentionner l’itinéraire emprunté par celui-ci, mais également l’état des lieux politique de la moyenne vallée du Fleuve à ce moment précis.
Conquête du Fouta Tooro
L’extension du Jolof aurait poussé à l’exil des fractions fulɓe telles que les Uruurɓe, les Wolarɓe, et les Yaalalɓe. La colonne de Dulo Demmba dirigée vers le sud-est finit exterminée dans la Guinee-Bissau actuelle. Dans son sillage et sans doute tirant les leçons de son échec, un autre fergo dirigé par Teŋella Geɗal se consolide dans le sud de la Sénégambie avant de marcher vers le nord-est, et de fonder l’état éphémère du Fouta Kingi dans le Jaara vers 1464-1470. Cette version semble plus juste et contredit la version de Sire Abbas Soh et d’autres écrivains qui font se séparer Koli et Tenguella au Falémé. Il est plus logique d’affirmer que Koli a migré suite à la désintégration du Kingi et la mort de son père. Le Jolof étant donc l’une des puissances en place dans la vallée du fleuve, Koli Tenguella dut se heurter au pouvoir des farba et des seɓɓe (guerriers), percepteurs des impôts depuis la suzeraineté du buurba Djolof sur le Fuuta occidental. Il a dû également affronter les pouvoirs fulɓe locaux, ainsi que les faren Jawara du Kingi qui régnaient sur les provinces orientales du Fouta (Damnga). Les itinéraires associés à la conquête progressive du Fouta sont nombreux et ils seraient long de tous les évoquer ici, selon Steff reprenant ici les traditions du Fouta Tooro : “Tour à tour sont battus les rois du Saluum, du Baawol; du Kajoor et du Jolof. Après la défaite de ce dernier, Koli et ses troupes s’enfoncent dans la vallée du Pute pour aboutir dans le waalo de Joŋto, en plein Booseya (Fouta central) soumis après la défaite de son principal chef farmbaal; le Ngeenar subit le même sort après la défaite du farba Jowol, suivi du Law après la défaite du farba Waalalde, et enfin se soumet le Tooro (Fouta occidental) d’Ali Eli Bana et la confédération des Jaawɓe (clan pullo) du Tagant après la mort d’Arɗo Yero Diide. Le Fuuta une fois conquis et organisé, Koli ayant une nouvelle base part à la conquête de l’est, du Kingi probablement. Il meurt à Lambedu.”
Il est dit que c’est seulement en 1529-32 que Koli Tenguella soumis entièrement le Fouta, fruit de longues batailles entre les farba soumis au Jolof, les faren jawaranke et les pouvoirs fulɓe indépendants (jaawɓe de Girmi, Laam Tooro Geɗe). La conquête fut longue et les résistances nombreuses, les notables pour beaucoup ne voulaient pas se soumettre à Koli malgré ses impressionnantes forces selon la tradition orale (9999 hommes dont 3333 archers dit-on) composées de Fulbe et d’auxiliaires (Seɓɓe Koliyaaɓe) aguerris par des années de combat partant du Bajar et dans le reste de la Sénégambie. Selon Oumar Kane, pour la conquête Koli utilisa massivement des auxiliaires venus du sud, recrutés parmi les Koniagui, les Bassari, les Tenda, les Baga, les Landouma et les Sadioko malinke lors de son passage au Fouta Djallon et dans le Bajar. Tauxier affirme qu’il y avait également des contingents sereer. Koli s’attaqua au Damga (Fouta oriental) et le Bunndu et y combattit les faren dépendants du royaume Jawara.
Selon les sources traditionnelles, Il tua à Wawnde le faren Mahmuudu Dama Ngille et son frère Samba. Il combattit le faren Ndumaan-Fegge à Fajar, le faren Coŋollo à Foora, Dibeeri et Jaaye Dibeeri à Nabbaaji, et le faren de Daaru à Bokkijawe. Les différents faren vaincus par Koli et son armée, ce qui restait des troupes soninké se replièrent vers l’est, le Bunndu et le Bambuk.
Selon Sire Abbas Soh dit: “Quant à Koli, il poursuivit sa route par Gurel-Hayre, Dyekulani, Gawde-Bofe et Fadyar, où il tua le faren ainsi que le fils de celui-ci, Ndumman-Fege. Puis il fit halte à Foora, et y tua Tyongolo et son fils Dyadye-Tyongolo. Ensuite il fit halte à Nabbaaji et tua un roi appelé Dibeeri ainsi que son fils Dyadye Dibeeri {…} ensuite il fit halte auprès de Daaru chez le Daaru-faren en village appelé depuis Bokkijawe et y tua un kokkoren-faren surnommé “le premier”. Ensuite il fit halte à Anyam-Godo, où il tua un faren qui avait le pas sur les deux tués déjà dont mention vient d’être faite en cet écrit. Ce village d’Anyam-Godo et celui qui le remplaça était alors le séjour d’une tribu appelée Wodaabe. Il y résida vingt-sept ans environ. Au cours de cette période il tua le faren Mahmuudu fils de Dama-Ngille fils de Mori fils de Musa fils de Mumin Ta’im fils de Da’im. Koli tua aussi son frère Dyambere fils de Dama-Ngille. Il le tua grâce à l’arc de Niima, fils de Tenguella, fils de Gedal…”.
Dans le Ngeenar, il est dit que Koli affrontit les farba vassaux du Jolof, il tua le farba Erem, le farba Njum et bummuy Hoorefoonde. Il affrontit également les Jaawɓe à Njorol près de Demmbankani (Sénégal oriental). Continuant vers l’ouest, Koli s’attaqua au Booseya dans le Fouta central et attaqua le farmbaal Mbenyi Legetin à Haayre Mbaal en soudoyant son frère Kerkumbel, il blessa le farmbaal mortellement d’un flèche empoisonnée. Kerkumbel persuada ensuite les guerriers du Booseya de déposer les armes et le Booseya fut soumis à Koli. On voit dans cet épisode que Koli savait user des luttes intestines et des divisions internes entre les notables locaux à son avantage. Le Ngeenar et le Booseya une fois soumis, Koli se dirigea vers le Laaw plus à l’ouest, il vainquit le fameux farba Waalalde Weynde Jeng et Ali Eli Bana du Tooro (Fouta occidental). Koli et ses koliyaaɓe vainquirent les troupes du farba et le tuèrent; son armée préférant la mort à l’humiliation préféra mourir également. L’armée de Koli perdit énormément d’hommes lors de la conquête du Tooro d’Ali Eli Bana, il y eut plusieurs batailles dont beaucoup furent repoussée par le Laamtooro Geɗe. Koli proposa alors des pourparlers et esssaya de soudoyer le Laamtooro comme il le fit avec le farmbaal, le Laamtooro refusa catégorique. Koli assassina le Laamtooro dit mois plus tard et annexa le Tooro, il épousa par la même occasion la fille du laamtooro Faayol Ali Eli Bana dont il eut deux filles : Lalla Faayol et Sira Faayol. Ce ne fut qu’à la mort du laamtooro Ali Eli Bana qu’il devint maitre du Fouta. Il décida ensuite de s’attaquer au Laam termes qui gouvernait les Fulɓe Jaawɓe qui était replié dans le Tagant (Mauritanie centrale), il parti pour Lacci-Weendu (Ksar el-barka), la capitale de l’arɗo Yero Diide. Il s’attaqua aux troupes de l’arɗo et perdit un nombre important de soldats. Koli réussit à soudoyer l’épouse d’Arɗo Yero, Mali Demmba Mali et à la séduire en lui donnant une somme importante d’or. C’est ainsi qu’elle trahit son mari et le fit tuer par certains de ses hommes. La tradition rapporte qu’après la mort d’Arɗo Yero, Koli fit décapiter la tête de Mali Demmba Mali, “une mauvaise femme qui ne peut être qu’une mauvaise épouse.” Oumar Kane dit à propos de cet épisode :”la défaite des Jaawɓe, qui étaient les maîtres de la partie orientale du pays sur les deux rives, met fin à la pacification du Fuuta Tooro. Koli fait alors de la plaine de Fori (Gorgol, actuel Mauritanie) le centre de son pouvoir dont dépendent les chefs qu’il a nommé à la tête des différentes provinces.”
Il est difficile d’évaluer avec exactitude la durée des guerres de Koli, il aurait passé sept ans de 1512 à 1519 à soumettre le Nyaani, le Wuli, les Sereer et les Joola, à combattre le Baawol, le Kajoor et le Jolof. Il aurait ensuite pénétré le Fouta à partir de 1519-1520, heurté à de nombreuses résistances des faren, des farba, des Arɓe (sing. Ardo) et du Laamtooro la conquête se serait terminée entre 1529 et 1532, toujours selon Oumar Kane. Les sources portugaises de Barros, Alvares d’Almade, Donelha et Lemos Coelho font elles références à un nombre important d’individus accompagnant Koli, aussi bien combattants que non-combattants. Ils notent également l’importance des archers qui constituaient le gros des armés. Beaucoup d’entre eux étaient montés sur de bœufs porteurs (coweeji), ce qui n’est pas étranger à la région, le Songhay de l’askia Ishaq II quelques décennies plus tard affrontera de la même manière les canons marocains à Tondibi. On dit que ce n’est qu’après la conquête du Fouta Tooro que Koli put acquérir des chevaux en grand nombre. Le butin pris sur l’Arɗo Jaawɓe s’élèverait à 40447 chevaux de race (ɗimaaɗi). L’élevage des chevaux, bien qu’attesté bien avant les conquêtes de Koli (Sunjata aurait lui-même acquis des chevaux lors d’une mission chez le “Jolofin Mansa) se serait grandement développé par la suite. Alvares d’Almada affirme : “Le Grand Fulo, roi des Fulos, a une importante cavalerie, et sur ses terres, il y a beaucoup de chevaux. Les Jalofos, Barbacins [Sereres], les Mandingues, ceux de l’intérieur comme ceux des côtés viennent s’approvisionner chez lui. Par suite du grand nombre de chevaux qu’il détient, le Grand Fulo ne reste jamais plus de trois jours dans un même endroit. Il se déplace continuellement dans son royaume, à la recherche d’herbe et d’eau si rares dans son pays et celui des Jalofos.” On remarque dans cet extrait l’aspect nomade de la gouvernance du Fouta sous Koli Tengella, se déplaçant à la recherche des pâturages, ce qui explique la multiplicité des capitales. L’importance du cheval ici n’est pas sans rappeler le vieil adage fuutaanke disant que les Yaalalɓe et Deeniyankooɓe sont passés d’aynaaɓe na’i (bergers de vaches) à aynaabe ɗimaaɗi (bergers de chevaux). La conquête militaire du Fouta n’aurait également pas eu lieu sans l’appui de l’aristocratie guerrière des Saybooɓe (sing. Cayboowo), chefs de guerres et conseillers à a la cours, les Sayboobe sont une confédération de clans (leƴƴi) Fulɓe, les Woɗaaɓe de Sawaadi Jaaƴe Sadiga qui portent le yettoode SOH, les Saybooɓe Niima et Saybooɓe Sawa Donde qui ont pour yettoode BAH, et les Saybooɓe Jalluɓe qui ont pour patronyme JALLO. À l’origine de ces Saybooɓe il y aurait sept commandants de l’armée de Koli Tenguella (Ali Baga, Gata Kummba, Kata Waali, Niima, Jey Jaalo Gaynaako, Yero Jeeri Jibril, Abdullah Haby), rappelons-nous que certains de ces noms ont été cités tantôt quand on évoquait le premier exil de Koli. Ses cousins Yaalalɓe dont Mooli Maaliga, Aali Maaliga et Sammba Maaliga ont également joué un rôle décisif, les Yaalalbe seront dit-on les percepteurs d’impôts dans les royaumes vassaux à l’apogée de l’empire deeniyanke.
Le Fouta et le royaume deeniyanke
Ayant achevé la conquête du Fouta et d’une grande partie de la Sénégambie et ses alentours, Koli Tenguella installa sa dynastie, les Deeniyankooɓe. Le roi portait le titres de satigi, emprunt mandingue du terme silaa tigi (maître de la voie). Le modèle de succession exclusivement patrilinéaire se basait sur un droit d’aînesse parmi les fils du satigi. Le roi en devenir portait le titre de kamalenku (prince héritier). Les conquêtes de Koli refaconnerent l’équilibre politique de la sous-région, de nombreux royaumes furent soumis à l’autorité du satigi, ce qui fit de ce nouvel empire un empire multinational. Selon Arcin l’empire deniyanke s’étendait “du Haut Niger au Bas Sénégal”.
On dit que 18 royaumes auraient été vassaux du satigi à l’apogée de l’empire, dont le Jolof, le Waalo et le Kajoor, dont les rois étaient investis par le satigi auquel ils donnaient en tribut esclaves et chevaux. Oumar Kane dit:
”Ainsi tous les Etats wolofs de la Sénégambie étaient dépendants du satigi du Fuuta, en particulier le Jolof, le Waalo et le Kajoor. La dépendance plus nominale et formelle que réelle était matérialisée par le fait que le roi devait être investi par Sawa Laamu. L’investiture consistait en la collation d’un bandeau, sorte de diadème en étoffe blanche qu’on enroulait autour d’un bonnet conique, généralement rouge. Il recevait à cette occasion un tribut en chevaux et en esclaves; l’autorité des satigi s’étendait à la rive droite (actuelle Mauritanie) et le kamalenku ou l’héritier présomptif avait la charge d’administrer les populations de la rive droite, y compris les Maures. Al-Yadali, dans son Chiam-az-Zaouia, parle de l’oppression des ‘Oulad Tenkella’ sur les tribus maraboutiques de Mauritanie. Cela en explique en partie le mouvement de Nasr el-Din, qui est en quelque sorte un mouvement d’émancipation des Maures”.
Des populations mandingophones dans la partie sud-orientale de l’empire était également soumises à l’autorité des satigi. Cheikh Moussa Kamara dit :
“On dit qu’ils (les Deniyankooɓe) possédaient auparavant (tout le territoire) de Ndar (Saint Louis) jusqu’au Xaaso et de la montagne de l’Assaba, dans le pays des Baydan, jusqu’à la mer salée (al-bahr al malih) y compris le Nyaani, le Bunndu, le Gajaaga et d’autres entités politiques. On prétend que la raison pour laquelle les Konyaagi ne portent pas de vêtements, c’est que les percepteurs (les envoyés) des Deeniyankoobe venaient souvent chez eux et leurs prenaient tous leurs biens, y compris leurs vêtements qu’ils portaient : aussi ont-ils arrêtés de porter des vêtements et ce jusqu’à maintenant. On disait que tout le monde leur payait le tribut (al-kharaj), et Allah le Très-Haut est plus savant.”
Le royaume Deeniyanke garda son influence dans la sous-région jusqu’à la mort de Siree Sawa Laamu (r.1669-1702), l’héritage de Koli Tenguella survécut jusqu’à la révolte des tooroɓɓe qui déposa le dernier souverain deeniyanke Suley Buubu Gaysiri qui avait pris le titre d’almaami. La geste de Koli Tenguella est encore vivante, elle traverse les époques et les frontières. Les Wammbaaɓe et Maabuɓe chantent encore sa gloire d’antan, on évoque le nom de Koli dans les contes et les épopées. Il fut un exemple de bravoure, d’abnégation et de résistance pour les Fulɓe. Il réunit des populations différentes, parfois en conflit, par des alliances politiques et matrimoniales, il conquit un empire immense par sa ruse et ses armées aguerries. Il émancipa son peuple de l’oppression des entités politiques régionales. Son exil est un tournant de l’Histoire, il remodela l’ordre politique de cette partie de l’Afrique, les contemporains et traditionalistes se souviennent du Grand Pullo.
Bibliographie
La première hégémonie peule, Oumar Kane
Tarikh al-Fettach, Mahmud Kati
Zuhur al-Bastin, Cheikh Moussa Kamara
Figures peules, Roger Botte; Jean Boutrais; Jean Schimtz
Les mémoires de Maalaŋ Galisa sur le royaume confédéré du Kaabu, Cornelia Giesing; Denis Creissels
Le poème qui suit a pour auteur Ba Hamma un personnage qui a vécu durant la première moitié du XXe siècle dans le Macina, entre Mopti et Bandiagara, et qui est plus connu sous le nom de Maabal. La vie de Maabal a drastiquement changé après sa rencontre avec Tierno Bokar Salif Tall (v.1875-1940), selon Amadou Hampaté Ba (1900-1991). Maabal menait une vie dissolue de troubadour à Mopti, Selon Hampaté Bâ, Maabal menait à Mopti, “une vie dissolue passait ses nuits dans les bouges à chanter et à boire, était presque toujours ivre et fréquentait les mauvais garçons. Les gens de Mopti l’appelaient « ce voyou de Maabal »”. Sa rencontre fortuite avec Tierno Bokar constituera un tournant pour lui; le poème Sorsorewel est le résultat de cette aspiration spirituelle et de la transformation de la vie de l’auteur, dans cette seconde partie de sa vie.
Il y’a très peu d’informations sur Ba Hamma. Maabal pourrait être un surnom dérivé de son groupe statutaire [Maabo] et le peu qu’on sait de lui vient des écrits d’Amadou Hampaté Bâ et de Théodore Monod. Ce dernier, dans son analyse du poème à l’étude ici, le décrit comme une figure qui a marqué la vie de ses contemporains de Mopti et qui était remarqué par son attachement à Tierno Bokar. Cet attachement était particulièrement remarquable vu les persécutions et l’ostracisme que Tierno Bokar a subi de ses pairs de Bandiagara, après son changement d’affiliation, de la voie omarienne à celle de Cheikh Hamallah (v.1880-1943). Apportant plus d’éléments biographiques, Monod décrit Mâbal comme né vers 1884, et le ” fils d’une potière du Kounari (région de Mopti). Il s’est attaché à Tierno Bôkar dont il allait devenir « le plus ivre des élèves »”.
La rencontre avec Tierno Bokar eut lieu durant une visite de ce dernier à Mopti. Toujours d’après Hampaté Bâ, “Tierno Bokar ne quittait presque jamais son centre spirituel de Bandiagara. Cependant une ou deux fois par an, surtout avant les grandes fêtes, il se rendait à cheval dans la grande ville de Mopti pour s’y approvisionner… Ce soir-là, Maabal, qui revenait du fleuve aperçut au loin Tierno. Intrigué par cette présence inhabituelle, il le suivit jusque dans la cour de son logeur, l’aida à descendre de cheval, dessella l’animal et le prit pour aller le laver au bord du Niger. Après l’avoir bouchonné et pansé comme il convient, il le ramena dans la cour, lui donna à manger une botte d’herbe qu’il avait ramassé en route et vint s’installer spontanément non loin de Tierno. Celui-ci, qui était assis sur une natte en peau, lui offrit la place située à sa droite.
Dès que les disciples de Tierno habitant Mopti accoururent pour le saluer, des exclamations fusèrent aussitôt : « Mais comment, Tierno ! Tu acceptes que ce Maabal, ce voyou qui passe toute la journée à boire et qui est le garçon le plus dévergondé de Mopti, s’asseye là, à ta droite ? Ah ! Si nous avions été là, jamais il ne serait rentré chez toi ! ». Tierno les regarda tous longuement. Maabal n’avait émis aucune réaction : il était là, impassible, comme s’il s’agissait de quelqu’un d’autre. « Mes chers amis, dit alors Tierno, permettez-moi de vous dire que vous faites erreur ! Cet homme qui est à mes côtés, je ne le vois pas comme vous. Pour moi, Maabal est un morceau d’or pur enveloppé dans un chiffon sale qui a été jeté sur un tas d’ordures. Ni ce qui enveloppe l’or, ni le lieu où il se trouve ne peuvent diminuer sa valeur, car ce sont des éléments extérieurs à lui-même ».
La parole de Tierno n’était pas tombée dans l’oreille d’un sourd. Maabal en avait été profondément remué…
Quelques jours plus tard, alors que Tierno était rentré chez lui à Bandiagara, Maabal sentit en lui un appel irrésistible et se mit en route pour rejoindre celui qui occupait toutes ses pensées. En quelques jours, il parcourut à pied les cent kilomètres séparant Mopti de Bandiagara et se présenta chez Tierno peu après la prière de l’après-midi. Le maître était dans son vestibule, entouré de ses disciples, en train d’enseigner. Après l’échange des salutations d’usage, Tierno engagea la conversation :
– Hé, Maabal ! Sois le bienvenu ! Et merci encore d’avoir si bien soigné mon cheval l’autre jour !
– Tierno, répondit Maabal, je suis venu te voir avec une intention bien précise. Je ne voudrais plus vivre là où tu n’es pas. Je veux vivre à tes côtés, être avec toi constamment. Parce que seul l’homme dont l’œil a su discerner le morceau d’or pur sous un chiffon sale jeté sur un tas d’ordures aura la main capable de déchirer le chiffon et de faire apparaître l’or. C’est pour cela que je suis venu vers toi.
– J’en suis heureux, mon fils, et j’accepte ta demande. Sois le bienvenu ! Nous vivrons donc ensemble… Toutefois, ce n’est pas moi qui ferais le travail : c’est à Dieu de déchirer le chiffon pour que l’or apparaisse. Je sais seulement qu’il y a de l’or, mais pour qu’il apparaisse, c’est une question de temps… As-tu un métier traditionnel ?
– Oui, je suis tisserand, et même un bon tisserand…
Tierno envoya alors quelqu’un chercher un métier à tisser. Il le fit installer dans la cour, contre le mur qui faisait face à sa propre case de prière de telle sorte que chaque fois que Maabal levait la tête, il voyait Tierno, et que chaque fois que Tierno levait la tête, il voyait Maabal.
Trois mois passèrent. Maabal travaillait à son métier, priait, regardait Tierno et écoutait son enseignement. Et un matin, Maabal l’illettré, Maabal qui n’avait même jamais fréquenté l’école coranique, Maabal qui n’avait jamais rien lu, se mit à chanter et ne s’arrêta plus. Visité par une inspiration irrépressible, il improvisait en langue peul de longues odes mystiques dont la splendeur poétique et l’élévation de pensée stupéfièrent tous ceux qui les entendaient, à commencer par les marabouts de Bandiagara. Et ses poèmes, sitôt chantés, étaient repris et colportés à travers la ville…
Une nouvelle ivresse s’était emparée de Maabal, celle de l’Amour de Dieu : « L’Amour de Dieu a pénétré en moi. Il est allé se loger jusqu’à l’intérieur de mes os et en a tari la moelle, si bien que je suis devenu aussi léger qu’une feuille que le vent balance entre terre et ciel… » De ce jour, Maabal n’a plus cessé de composer. Il était ainsi devenu l’un des plus grands poètes peuls de son temps…
La transformation fulgurante de Maabal et les hautes connaissances spirituelles dont témoignaient ses poèmes emplissaient les marabouts d’étonnement : comment un homme qui n’avait jamais étudié pouvait-il connaître, ou pressentir, de telles réalités d’ordre supérieur ? En fait, Maabal faisait mieux que les pressentir : comme disent les soufis, il les « goûtait ».
En moins de trois années, Maabal avait été tellement consumé de l’intérieur que toute enveloppe matérielle était devenue pour lui transparente. Couché dans sa case, il pouvait voir l’état du ciel à travers la toiture. Il pouvait aussi voir les gens approcher de sa case comme si les murs n’existaient pas. Il était bien devenu « aussi léger qu’une feuille que le vent balance entre terre et ciel ».”
Maabal fut touché par la grâce après sa rencontre avec Tierno Bokar. Le poème “Sorsorewel” fut composé durant un voyage que Maabal fit avec Tierno Bokar à Mopti, selon Théodore Monod.
” Après un voyage à Mopti, Tierno et Mâbal passent la nuit à Goundaka, sur le chemin du retour à Bandiagara. Des femmes peules en transhumance se trouvent là. Elles chantent. Mâbal écoutent. La mélodie lui plaît. Il l’adoptera pour son poème, le Sorsorewel. Sorsorewel est un substantif tiré du fréquentatif peul sorsortude, verbe exprimant l’idée d’entrer partout comme le jeune chien. Le sorsorewel est, avec une nuance légèrement péjorative, de subtilité mentale ou de petitesse physique, l’indiscret qui « met son nez partout ». Je n’en trouve pas de meilleure traduction que celle de : « fouinard ». Mais, naturellement, un « fouinard » qui pourra symboliser, dans un contexte religieux, l’inlassable quête de l’âme à la recherche de Dieu, à la poursuite du rassasiement. Le poème de Mâbal a été conservé, par la tradition orale d’abord, car on le chante encore à Bandiagara. Il a enfin été transcrit en peul, et traduit par mon collaborateur et ami Amadou Hampaté Bâ, disciple lui-même de Tierno Bôkar et dont l’âme humble et fidèle est ouverte à toutes les voix inspirées, d’où qu’elles viennent. Nous avons revu ensemble le premier état du texte en français et j’ai pu, à partir de ce travail, établir la traduction que l’on trouvera ici, et qui a tenté de concilier l’inconciliable : la nécessité d’être intelligible et l’extrême laconisme du texte peul”.
Le poème qui suit est donc la traduction du fulfulde, que firent Théodore Monod et Amadou Hampaté Ba en 1948. Nous n’avons pas trouvé la version en fulfulde où Maabal célèbre le Prophète Muhammad (PSL) et glorifie son Créateur.
1. Notre Seigneur ! Combien nous fût-il providentiel ! Lui qui par amour nous a créés. Il ne [nous] a pas égarés, [mais] nous a fait reconnaître Son Prophète, l’Eminent par-dessus tous.
2. Que ma prière constante soit En faveur de l’ami de ce Puissant Seigneur réalise notre rencontre Amen sur toute invocation
3. Daigne de plus consentir que je réalise Ma résolution ; que mon cœur parvienne A chanter l’Envoyé comblé De dons et exaucé en toutes ses prières.
4. Tu as créé. Tu as dit : J’aime, Dans les cœurs de ceux que tu aimes tu as introduit, Dedans a été semé et a poussé L’amour de Celui que tu as préféré à tout.
5. Tu as créé le ciel et la terre. Tu as semé les êtres en pourvoyant A leur nourriture. Oh ! racle la rouille De mon cœur, toutes ses souillures.
6. Ahmed! Tes mérites surpassent, Les cieux, les montagnes, les plantes,, Et cette terre qu’à étendue Dieu :, Inutile de citer tout ce qu’elle supporte.
7. Celui qui a cité les plantes est un insensé, Un homme ivre dont la raison s’est envolée. Ne le blâmez pas pour ce qu’il a décrit, Il est ivre sans cesse
8 .L’amour l’a vanné, et émacié, Il l’a scellé, lui ravissant son esprit, Il a pénétré dans son cœur, s’y est caché, Comme dans les organes et les os de tout son corps sourd
9. Fais durer cet état jusqu’à ce qu’il devienne complètement, Et qu’il tourne le dos au monde matériel malodorant, Jusqu’au jour où la mort fondra sur lui subitement, Mort qui a fait « retourner » toutes les génération précédentes
10. J’ai brisé le lien de l’ennemi de Dieu, Ahmed! Te voir est mon seul souci, Qui me presse plus que le désir de la nourriture, Et de toutes friandises.
11. Un « fouinard » dévia de sa route, il se glissa, Sous des arbres mûrs aux fruits répandus. Il se mit à en ramasser mais, accablé, Perdit la tête ne sachant lesquels choisir parmi tant.
12. Ils sont savoureux et sans égaux :, Du miel! Il saisit et fait palpiter le cœur… , Tes Mérites surpassent la finesse d’un parfum, Tout suavité et douceur.
13. Je suis submergé par une mer., Mon amour guette l’apparition de la lune, Puissé-je gagner et m’écrier : « Croissant, Apparu chargé de toute beauté. »
14. À l’instant où tu ordonnas un scintillement,, La tente des ténèbres fut arrachée, La forteresse de la débauche s’écroula , Et un feu brillant jaillit, de tous côtés.
15. Mes yeux ont clignoté, Alors que j’étais enivré, Mon esprit s’est détourné, En les abandonnant de toutes les voies de ce monde.
16. Dès lors l’Ennemi de Dieu s’est enfui, Me laissant en paix. Mes péchés tombés, je suis dans la joie, Loué sais-Tu pour tous tes dons !
17. Je m’abattrai, prosterné, Pour rendre grâces à l’Aimant, Le Secourable, l’Unique, Quand Il voudra me faire entièrement revenir à moi.
18. Un bienfait a été répandu, Les ténèbres ont été dissipés, Mâbal a été « rapproché », Avec tous les amis de Dieu lot les croyants.
19. Ma poitrine est chargée, Du poids de mon amour pour Ahmed., Un parfum soudain s’est exhalé, Que je ne puis comparer à rien d’autre.
20. O Roi Très-Haut, , Prompt à la miséricorde, Le Savant et le Sage, Habile à tous travaux.
21. Fais-moi sortir de cette forteresse de pierre, , Fais-moi entrer dans la « barque qualifiée », Fais-moi dépouiller la tunique « marquée », Purifie totalement mon être intérieur.
22. Tu as appelé, nous avons répondu ; Je ne dis pas que ce fut par un son articulé, Mais par un effet de ta volonté, Créateur de toutes les créatures.
23. Les uns ont accepté disant : Nous sommes décidés , D’autres, d’abord récalcitrants, se sont repentis, D’autres encore, qui avaient cru, ont apostasié, Pour aller rejoindre tous les incrédules.
24. Place-nous parmi les croyants. Eloigne-nous des méchants. C’est Toi qui as donné à ceux qui ont reçu, Toi qui as frustré ceux qui n’ont rien eu.
25. Tu as méprisé la demeure périssable,, Tu as prédestiné des têtes à la bonne chance,, Qui demain entreront dans la cité, De toute grâce et privilège.
26. J’implore pour cette Chose mystérieuse, , Celle que tu as placée dans un étui, Et qui nous a transmis le message, Nous te rendons grâce de tout.
27. Veuille me guérir de mon mal,, Daigne garantir mon affaire, Fais pleuvoir sur moi, La grande averse de tous tes bienfaits.
28. Que je rencontre une récompense. Veuille accorder une réponse favorable, Pour la Tradition et pour le Livre, Et pour tous ceux qui ont cru.
29. Tu es silencieux, tu as des silences qui suffisent, Toi qui as fait couler les fleuves sur la terre. Accorde-moi la qualité du « bien intentionné », Toujours sur le droit chemin de la dévotion pour Toi.
30. Dirige-moi bien par égard pour ta droiture. J’implore par le Véridique successeur, Ton compagnon, adorateur du Dieu munificent, Excellent sur tous les croyants.
31. J’implore par les trois portés à quatre, Les six portés à dix, Par leurs enfants et petits-enfants,, Tous de noble race.
32. J’implore par tous les Compagnons, Ansar et Muhajirîn, Ceux de la première heure comme ceux qui ont suivi, Hommes et femmes tant qu’ils sont.
33. Je n’omets point les mères, Qui sont aussi les nôtres bien-aimées, Certes elles sont pures, De toute souillure.
34. Oh, donne jusqu’à ce que j’aie en abondance, Oh, montre jusqu’à ce que je trouve. Oh, fais-moi me conformer à ce qui est droit jusqu’à ce que je sorte, Et que je quitte toutes les voies illicites !
35. Omnipotent, tu es glorieux ; Tu as donné : nous avons obtenu, Tu as dit : « Demandez ». Tu en as rassasié. , C’est pourquoi nous te demandons tout.
36. Par la louange nous le remercions, O Dieu, de tes grâces. Accrois pour nous tes munificences, Créateur de toutes les créatures.
37. Oh, Omniprésent par ta puissance, Qui a fait paraître le ciel : Exauce doublement nos vœux, Protège-nous de tout mal.
38. Oh, toi qui as semé les astres, Et imposé la mort aux vivants, Mais qui, Toi, ne cesses de vivre, Et de rendre la vie à tout ce qui est mort.
39. Oh, Toi qui as répandu les nuages,, Oh, Toi qui agis suivant Ta volonté, Doué d’ouïe et de vue, Auquel rien n’est semblable.
40. Que ma prière, semblable aux fleuves, Et aux averses, Soit sur le Maître des sceaux, Modèle de toute créature.
41. Que soit comblé le groupe, Qui a accepté de mourir, Quand la guerre l’a menacé , Et où l’on rivalise en tout bien.
42. Notre Seigneur fasse miséricorde, A celui qui a épousé Marie, La Copte de l’Euphrate, Deuxième des précédentes.
Sources:
Théodore Monod. 1947. “Un poème mystique soudanais: Sorsorewel (Le fouinard0 du poète Mâbal traduit du peul en français par Amadou Hampaté Bâ”, Le Monde non-chrétien, no. 2 (avril-juin), pp.217-228
Cet article a été originellement publié le 22 octobre 2019
Ce poème fait partie du corpus de documents du Fonds Archinard de la Bibliothèque nationale de France (BNF). Ce fonds porte le nom du “pacificateur” du Soudan français (l’actuelle République du Mali) et est constitué en majorité des documents de la chancellerie de Ségou, prise par les Français en 1890. Ségou a été pendant 30 ans (entre 1860 et 1890) la capitale de ce que les auteurs ont appelé l’ “empire omarien” ou encore l’”empire toucouleur” suite au jihad du marabout foutanké Cheikh Oumar al-Fūti b. Sai’d (c.1797-12 février 1864). El Hadj Oumar Tall était à la fois un khalifa de la Tidjaniya dans le bilad as-Sūdan, un résistant anti-colonial à l’expansion française dans son Fouta natal, un conquérant et bâtisseur de royaumes dans le Sahel occidental (Mali actuel). De 1850 lorsqu’il défait le royaume de Tamba (Guinée actuelle) à sa “disparition” dans les falaises de Bandiagara face à la révolte des Macinankoobe, El Hadj Omar a taillé dans son sillage les prémisses d’un nouvel état sur les ruines du Kaarta Massasi, du Ségou fannga des Ngolossi, et de la Diina du Macina entre autres. Mais ce sera à son successeur désigné, Ahmad al-Madani Tall (21 juin 1836-15 décembre 1897) de consolider cet empire, ce qu’il fera à partir de sa capitale, Ségou. Une bonne partie des archives de ce projet politique (ainsi que de celui de la Diina du Macina; 1818-1862) fut saisie et rapatriée en France suite à la prise de la ville par le colonel Archinard le 6 avril 1890, ainsi que la conquête des autres places fortes omariennes dans le Mali actuel, comme Koniakary, Nioro du Sahel et Bandiagara.
Le poème ci-dessous répond à un contexte précis: celle de la “disparition” de Cheikh Oumar al-Fūti et des raids des Awlad Mūbarak (ou Awlad Mbarek) du Hodh sur Nioro qui était alors gouvernée par Mūstafa, un affranchi de Cheikh Oumar. Il est une traduction d’un extrait de After the Jihad: the Reign of Ahmad al-Kabir in Western Sudan (1991) par David Robinson et John Hanson. Cet ouvrage est une tentative de reconstitution du règne d’Ahmad al-Madani Tall, le successeur d’El Hadj Omar, à partir des documents du Fonds Archinard de la Bibliothèque Nationale de France.
Pour ces deux auteurs, l’auteur du poème pourrait être le cadi de Nioro de l’époque Fodé Bouyagui Kaba Diakhité ou un marabout proche de la tribu des Mashzūf. Le fait que l’auteur souhaite la bienvenue aux Mashzūf à Nioro renforce l’hypothèse qu’il soit de Nioro. Il commémore la victoire des Omariens de Nioro contre les révoltés et magnifie les actions de Samba Oumou Hani Sall, Moustapha et Ahmad Mahmūd ould Moktar, l’émir des Mashzūf. Samba Oumou Hani Sall (m.1878) a été Lam-Tooro (chef de la province du Fouta-Tooro) dans le Fouta sénégalais, soutenu en cela par l’Almaami Ahmadou Thierno Demba Ly (qui était en outre un muqaddam d’El Hadj Omar) et le jaggorgal (ministre-électeur) Abdoul Bokar Kane (m.1890).
La période entre 1857 et 1863 a été une période de conflits entre la colonie du Sénégal dirigée par Faidherbe (1818-1889) et le Fouta-Tooro en proie à de fortes dissensions internes. Le rival de Samba Oumou Hani au Tooro, Ciré Gelaajo Sall, était soutenu par Faidherbe, qui essayait de faire accepter l’annexion du Dimar et du Tooro, les deux provinces occidentales du Fouta-Tooro. L’Almaami Ahmadou fut élu en juin 1862 avec comme mission de recouvrir ces deux provinces. Un mois après (juillet 1862) eut lieu la première bataille de Dirmbodya (ou bataille de Thiew) entre Français et Fuutanké. En Janvier-Février 1863 le successeur de Faidherbe à la colonie du Sénégal, Jauréguiberry, mena une campagne de ravages contre les résistants foutanké comme l’Almaami Ahmadou et le jaggorgal Abdoul Bokar afin de les neutraliser. Cette campagne est restée dans la tradition sous le nom de Duppal Borom Ndar (“Le ravage du gouverneur de Saint-Louis”), eut peu d’impact sur la situation. Ciré Gelaajo Sall fut pris et exécuté par les Fuutanke qui subirent d’importants ravages avec la destruction de plusieurs villages (dont Diaba la résidence de l’Almaami) et champs. L’hégémonie française sur le Dimar et le Tooro se consolida avec l’exil de Samba Oumou Hani à Nioro; alors que la colonie subit d’importants coûts financiers suite à cette campagne sans pour autant neutraliser les résistants.
En aout 1863, le Lam Tooro Samba Oumou Hani (m.1878) s’exilera à la tête de 150 combattants et de leurs familles à Nioro du Sahel. Les positions omariennes étaient alors menacées depuis juin 1863 par une grande révolte dans le Macina, Ségou et dans le Kaarta, qui entravait les communications entre ces différentes places fortes. Nioro était dans l’insécurité puisque les raids des Awlad Mubarak menaçaient mêmes les murs de la ville. Ces raids ne prendront fin qu’avec leur défaite suite à des combats menés par Samba Oumou Hani et Ahmad Mahmūd en juillet 1865. Cette défaite marque aussi le déclin de l’influence des Awlad Mūbarak dans le Hodh, au profit des berbères Mashzūf d’Ahmad Mahmoud ould Moktar, qui devinrent la principale force tribale, sous l’allégeance de Moustapha, gouverneur du Kaarta et du successeur d’El Hadj Omar, Ahmad al-Madani al-Kabir (1836-1897) de Ségou. Le déclin des Awlad Mubarak est mentionné dans les Chroniques de Néma et de Oualata mais le rôle du gouverneur Mūstafa, de Samba Oumou Hani et d’Ahmad Mahmoud n’y apparait pas. Cependant cette victoire est notée par le commandant de Bakel dans sa correspondance au gouverneur de Saint-Louis sur la situation politique dans le Kaarta. Le déclin des Awlad Mubarak marqua aussi l’expansion commerciale de Nioro du Sahel et du comptoir français de Médine, dans le Khasso. Les caravanes de gomme arabique venant du Sahel étaient protégées par les Mashzūf jusqu’à Nioro puis par les Omariens jusqu’à Médine, assurant la prospérité de ces deux pôles. En outre, ce nouvel état de fait dans le Hodh aurait favorisé l’installation de lettrés maures à Nioro du Sahel, actifs dans ce commerce, à partir de cette date.
Voici le poème traduit:
« Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux. Oh Dieu, priez sur notre bien-aimé Prophète (PSL) Ce poème vous informe sur les évènements concernant les Awlad Mubarak qui commirent des actes d’apostasie. La majorité de la population du Bakhounou, comme les Kagoro et les autres, se joignirent à eux, de même que les gens de Fata et de Shita. Parmi eux, certains devinrent apostats et s’agitèrent.
D’autres cachèrent leurs intentions tout en protégeant les licencieux et les infidèles, en attaquant les musulmans qu’ils firent prisonniers et dépouillèrent de leurs biens, qu’ils mangèrent et burent avec eux [les Awlad Mubarak], en prenant plaisir à causer du mal aux fidèles. Ces gens étaient les Diawara et d’autres groupes qui leur ressemblent. Leur but était de détruire la religion de Dieu. Mais Dieu n’accorda pas grâce à leurs desseins et voulut que sa Lumière les éclaire, même si les infidèles détestaient cela. Dieu leur fit goûter à la honte par la main des musulmans. Les Musulmans se mirent en campagne quand le feu [de leurs actes] brûlait fort et que leur iniquité devint célèbre. Ils croyaient qu’ils pouvaient gouverner sur eux, de par leur propre pouvoir. À cause de cela, Dieu ruina leurs fortunes militaires ainsi que leurs stratagèmes. Avec les musulmans [omariens], marchèrent les jeunes des Ould Muhaymid, branche seigneuriale de la tribu des Mashzūf. À ce moment, il [le chef des Mashzūf Ahmad Mahmoud ould Moktar] se dirigea à Nioro où il campa. Il prêta allégeance à Moustapha et à ces disciples qui étaient avec lui. Nous nous joignîmes à lui [Moustapha] pour les discussions et la planification de la campagne. Dieu nous assista, par notre victoire et par Son appui. Nous sommes humbles et c’est Dieu l’Unique qui a vu son plan triompher.
J’ai composé ce poème sur ce qui est arrivé à cette armée, durant la campagne qui a pris fin avec la déroute de l’ennemi. Je commence par mentionner le Sultan des Mashzūf et je dis : Ô cavalier au cheval distingué qui vient et part, Celui qui est loué parmi ses gens De la descendance de Muhaymid et dont le nom est Muhammad Et dont la préséance est reconnue parmi ses gens. Il est l’intime et l’ami de Moustapha, L’allié et le fidèle à la religion Comme un lion, il blesse son ennemi mais il soigne, Par sa médecine qui apporte de la joie. Il est venu à nous avec ses gens et sur ses chevaux Pies, beaux, nobles et sveltes. Bienvenue, bienvenue, salutations à notre bien-aimé, Tu as combattu pour nous et nous avons triomphé, et la joie se répandit. Avant cela, tu étais dans l’incertitude et la tristesse Concernant nos rapport et notre sécurité [mutuelle] était fragile. Mais aujourd’hui, tu es passé sur nos terres Et tu as vu comment nos maisons et lieux étaient désertés [dûs aux raids des Awlad Mubarak] Ta venue nous a été bénéfique, et ta présence parmi nous Nous a renforcés, et notre ennemi a été défait. Les Awlad Mubarak, les Kagoro et les gens de Fata, Le jour de la bataille, il les a laissés morts et en déroute Leurs femmes, enfants et esclaves, Ont tous été faits prisonniers. La religion abhorre ceux qui sont comme eux, Répondre par une telle manière est la plus appropriée. Avant que tu ne les réduises à la ruine, ô Moustapha, Tu as dû subir leurs insultes et autres libertinages. Vraiment leur conduite a été honteuse et disgracieuse, Le jour de la Résurrection, ils seront rassemblés Ils seront comptables de ce qu’ils ont faits et compté faire Ils feront face au désastre et à la destruction, ce jour de Punition. La religion, Dieu l’a renforcée par Sa victoire Et par Ses hommes dont les péchés sont absous. Leur commandant, Lam-Tooro Samba, à leur tête Un brave lion, voyez-le à la bataille, Béni par sa jeunesse, sa bonté et les mérites du jeune âge, Il a une conduite digne, il n’est jamais injuste Quand son armée s’approcha de celle de l’ennemi, Il fit lever ses étendards et s’apprêta à l’envol, Ils attaquèrent l’ennemi comme le faucon fond Sur les poules qui rasent les murs. Ils les rencontrèrent avec une attaque soudaine, Et brisèrent leurs rangs, les firent fuir immédiatement. Leur conclave se termina et leur cause s’effondra, Ils détalèrent sans regarder derrière eux, toujours en avant Sur leurs talons étaient nos jeunes hommes, Et ils en firent tomber et prisonniers, et leur déroute augmenta. Le feu et la peur léchaient leurs dos, Ils abandonnèrent leurs familles et furent sans soutien. Il satisfit sa soif de vengeance et les cœurs se purifièrent, Le jour de la bataille, la joie et le bonheur furent notre En vérité, la Victoire de Dieu et de Sa religion vinrent à nous, Par Sa Faveur et Son Pouvoir. Il fait ce qu’Il veut. Les gens des villages qui vous savez, voulaient tester le déterminé Mais leurs plans faillirent, et leur iniquité fut contenue. Les gens des villages, dans leur malice, voulurent se regrouper Mais ils ne furent que quelques-uns, qu’on pouvait aisément compter. L’ennemi a voulu éteindre la Lumière de Dieu [Nioro, Nouroullahi pour les omariens] Mais Dieu les rejeta et La rendit encore plus vive. D’autres comme eux, cachèrent leur apostasie, Dans l’est et dans l’ouest, comme il était dit, Mais Dieu renforça Sa religion et avec cela Bénit cette armée dont la supériorité était fort reconnue Désirant son temple, vous le voyez faiblement Comme la poussière soulevée par le jouet d’un enfant Son compagnon ressemble au Faucon, parmi les oiseaux, lorsqu’il s’envole Vous le voyez voler devant eux, en haut d’eux, Et soudain, il est derrière eux, parmi eux Il se déplace à travers, en avant et en arrière, planifiant, remplissant sa promesse Et causant la fuite parmi ses ennemis le jour de la bataille. Dieu soit Loué, Qui a mis en déroute ses ennemis et à genoux, Louanges à Dieu, support de la religion En décrivant cette armée, l’auteur Et poète ne peut pas capturer parfaitement ce qui est arrivé Paix et Salutations sur le prophète Muhammad comme La pleine lune perce les ténèbres des nuits.”
After the Jihad: the Reign of Ahmad al-Kabir in Western Sudan (1991) par David Robinson et John Hanson.
Le 16 mai 1862, le marabout foutanké Cheikh Oumar Tall pénétrait la silencieuse cité de Hamdallahi (“louange à Dieu’), capitale du royaume théocratique du Macina dans la boucle intérieure du Niger. Hamdallaye avait été fondée quelques décennies plus tôt, suite à la victoire du marabout Ahmad b. Muhammad Lobbo (v.1776-1845), plus connu sous le nom de Sékou Ahmadou, sur les arBe du Macina et sur leurs suzerains de Ségou. Hamdallaye reflétait l’ambition spirituelle de ceux qui l’ont fondé,et leur projet théocratique qui contrastait avec les états qui leur étaient contemporains, mais aussi avec la vision du rôle du “clerc” dans la gestion des affaires politiques. La réunion des rôles d’émir, de sultan et de Cheikh en la personne de Sékou Ahmadou tranchait avec les rapports reliant marabouts et souverains depuis la chute de l’empire de Gao en 1591. Le 16 mai 1862, Cheikh Oumar al-Fouti entrait dans une ville sans mur d’enceinte, abandonnée par ses habitants suite au désastre de Cayawal où la cavalerie macinanké céda le terrain aux fusils fuutanké. Son entrée marquait sa victoire sur le Macina après près d’une dizaine d’années de correspondances et de polémiques, d’accusations mutuelles et de combats isolés tels qu’à Kassakéri en 1856, où les prétentions macinanké sur le Bakhounou furent réglées à la suite d’une bataille. La campagne du Macina (1862-1864) est un épisode incontournable de l’épopée omarienne en grande partie à cause du conflit fratricide qui le caractérise:deux entités musulmanes et peules se sont affrontées sur le territoire de l’actuel Mali.
Cette campagne est caractérisée par la lourde défaite des Macinanké à Cayawal, bataille durant laquelle le roi Ahmadou mo Ahmadou (v.1830-1862) réussit à s’échapper avant d’être capturé et tué par Alfa Oumar BailaWane (m.1862). Les racines de ce conflit remontent à la déclaration du jihad faite par Cheikh Oumar sur des territoires jugés païens alors vassaux du Macina. Mais également d’une opposition dogmatique et de tensions entre Tijaniya et Qadiriya dans le delta intérieur du Niger, bien que décrit comme d’obédience qadirie, le pouvoir macinanké doit être vu comme un soufi, mais sans attachement direct avec une obédience. Le règne d’Ahmadou mo Ahmadou constituait aussi une transition générationnelle entre ceux qui ont connu Sékou Ahmadou et ont participé à son jihad et ceux qui sont nés et sont devenus adultes alors que le Macina était déjà un État consolidé. Une illustration de cette transition est la consolidation progressive du pouvoir de décision, qui était quelque peu partagé entre l’Émir et le Conseil des Quarante Marabouts [Batu Mawdo] qui siégeait au Jedidiwal [Salle aux 7 portes]. Le Grand Conseil était composé des marabouts qui s’étaient joints au jihad ou avaient rejoints la cause de Sékou Ahmadou Lobbo juste après Noukouma. Sous Sékou Ahmadou et son successeur Ahmadou Sékou (v.1800-1853; r.1845-1853), ce Conseil exerçait des fonctions législatives et exécutives, en validant toutes les nominations administratives de la Dina et en exerçant un droit de remontrance sur l’Émir. La démission de plusieurs de ses membres après 1853 et leur exil hors de Hamdallaye lui avait fait perdre son poids, perte facilitée par le caractère affirmé du nouvel émir, entouré de sa cour de jeunes guerriers et thuriféraires. La volonté du jeune émir Ahmadou mo Ahmadou [1833-1862 ; r.1853-1862] de contrôler les marabouts ainsi que et par les restrictions imposées par aux marabouts tijjanis, accusés de connivence avec El Hadj Oumar va créer un fossé au plus haut sommet de l’État, divisant les marabouts par rapport à l’action du marabout foutanké.. Cette volonté contrastait par exemple avec les écrits et le prosélytisme du Cheikh Sidi Mukhtar b. Yirkoy Talfi (v.1800-1864), disciple de Sékou Ahmadou et membre du Grand Conseil, devenu l’un des plus importants disciples de Cheikh Oumar au Macina. Cheikh Sidi Mukhtar b. Yirkoy Talfi s’est distingué par ses querelles avec le marabout qadri Sidi Ahmed Bekkay al-Kounti (v.1803-1865) sur la Tijaniyya. Les rapports entre l’émir du Macina avec le marabout kounti ont été froids voire hostiles au début de son règne, mais les deux figures vont se rapprocher face à l’avancée devant le Kaarta et Ségou, et aux prétentions de Cheikh Oumar al-Fouti.
Bien avant l’entrée de Cheikh Oumar à Hamdallaye, une querelle l’opposant à l’émir Ahmadou Ahmadou suite à sa conquête de cette région et du rôle joué par un dissident de Hamdallaye, l’ardo Sambouné Boly (m.1862), chef des Peuls Wolarbe. Cette querelle se poursuivra, portant soit sur la conversion supposée du faama de Ségou, Ali Diarra (r.1856-1861), ou sur des points de droit islamique. Elle trouvera un écho à Hamdallaye parmi les marabouts sensibles à l’érudition de Cheikh Oumar al-Fouti. En prélude à la bataille de Cayawal [1862] qui marquera la fin de l’empire peul du Macina, plusieurs marabouts membres du Batou Mawdo [Conseil des Quarante] du Macina dont Sidi Mukhtar ibn Yirkoy Talfi et Hammadi Sanfouldé firent défection et rejoignirent les Foutanké.
Suite à sa mort Ahmadou mo Ahmadou est devenue une figure étrange. Les historiens et hagiographes tendent à l’accabler pour tous les maux qui ont amené à la destruction de la Dina. Il est aussi défendu par ceux qui voient en El Hadj Oumar un conquérant, responsable de la destruction d’une autre théocratie et des troubles qui caractériseront le delta intérieur de Cayawal jusqu’à la colonisation française. Ahmadou mo Ahmadou est devenu émir un peu par effraction, suite à la mort prématurée de son père Ahmadou Sékou (v.1800-1853), le 27 février 1853, qui a amené des querelles de succession entre ses oncles Balobbo (v.1800-v.1880), le puissant amirou du Fakala et du Macina soutenu par ses troupes, et Abdoulaye Sékou Ahmadou (v.1810-v.1858), le gouverneur civil de Tombouctou soutenu par les marabouts. Ahmadou Hampaté Ba et Jacques Daget notent aussi la candidature de Muhammad Sékou Ahmadou, qui commandait le Hayré avec pour résidence Douentza; sa candidature a pu diviser les chances de son ainé Abdoulaye Sékou dont la science était reconnue.
C’est la candidature d’Ahmadou mo Ahmadou qui réconcilia ces parties, et en quelque sorte la famille émirale. Dans un souci de raffermir ces liens, il épousa très vite trois de ses cousines:
Aissata, fille de Balobbo;
Fanta, fille d’Abdoulaye Sékou
et Fanta, fille d’un autre oncle Mahmoud Sékou Ahmadou, qui mourra à Cayawal en 1862.
Selon Hiénin Ali Diakité, Ahmadou mo Ahmadou “a fait ses études auprès de son grand-père le fondateur de la Dīna Sékou Amadou. Il aurait suivi une partie de sa formation chez Alfa Souleyman al-Fūtī, qui sera l’un de ses conseillers. Parmi ses instructeurs on cite Alfa ‘Abd al-Raḥmān Dieta et Alfa Bokari Karabenta. Certainement Ahmadou Ahmadou avait les connaissances islamiques de base comme de la majorité des personnes de sa génération. Cela dit, son niveau d’instruction n’est pas connu. Il était plus passionné par l’exercice militaire que par la quête du savoir. À l’âge de 15 ans il suivait déjà son oncle, le lieutenant Ba Lobbo, dans ses expéditions militaires. Sa bravoure et son courage ne font aucun doute”.
Ahmadou mo Ahmadou n’a pas de biographe et les sources sur ces évènements tendent à émaner de sources proches du monde foutanké. On entend sa voie et sa vision un peu dans le “Bayyan ma waqa’a ma bayna Cheikh Oumar wa ila Amir Ahmad” (Voilà ce qui est arrivé entre le Cheikh Oumar et l’émir Ahmad) rédigé par Cheikh Oumar (ou sous sa direction) pour décrire sa querelle avec l’émir Ahmadou et justifier la guerre menée contre lui. L’histoire ne lui a pas toujours fait justice en ce sens. La plupart des érudits de l’époque militèrent pour la médiation entre les parties; l’enthousiasme suscité par les campagnes contre le Kaarta (1854) et Ségou (1859-60) fut absent cette fois-ci.
Toujours est-il que bien avant Cayawal, une longue correspondance a eu lieu entre ces deux figures et des tentatives de médiation.
La chronique du marabout Abdoulaye Ali décrit ainsi une mission macinanké à Sansanding un peu avant la campagne de Ségou (1859-1860).
“À Sansanding, le Cheikh [Cheikh Oumar] fut visité par des messagers qui avaient avec eu une lettre de la part d’Ahmadou Ahmadou. Le roi du Macina informa Cheikh Oumar qu’il n’avait pas le droit d’attaquer Ali Oïtala [roi de Ségou entre 1856 et 1860], son vassal. Le Cheikh répondit en retour que cette affirmation était fausse, car le roi de Ségou n’était en aucun cas sous l’autorité du roi du Macina. Il indiqua également qu’il continuerait de considérer ce prétendu vassal comme son ennemi, car il (le roi de Ségou) avait à plusieurs reprises envoyé des troupes pour l’attaquer au Kaarta. Il informa les messagers du Macina qu’il poursuivait ses troupes dans un but de vengeance personnelle, qu’il continuerait d’agir de la sorte, tout en affirmant que c’était l’unique raison de sa présence dans ce pays. “De plus, ajouta Cheikh Oumar, tu as toi-même, Ahmadou Ahmadou, montré une hostilité évidente envers ma personne par tes actes d’agressions. En effet, tu as envoyé Abdullahi Bori Hamsala [Abdoulaye Bokari Hammadoun Sala commandait l’armée macinanké battue dans le Bakhounou à Kassakéri en 1856. Il était l’un des principaux généraux du Macina] avec une armée contre moi dans le Bakhounou, Dieu seul a détruit son armée et l’a empêché de mener à bien sa mission.” Le Cheikh Oumar confia ce message à un disciple nommé Thierno Haimoutou qui parla en privé avec les messagers du roi du Macina. Thierno Haimoutou revint de sa mission sans pour autant rapporter de réponse claire de la part d’Ahmadou Ahmadou. Peu de temps après, le roi du Macina envoya son oncle Balobbo [v.1800-v.1880] à sa tête d’une armée à Diolume. Un homme nommé Nouhou qui accompagnait également cette armée apporta une lettre à Cheikh Oumar qu’il lui donna à Sansanding. Voici le contenu de cette lettre:
“Je te donne le choix entre te soumettre à moi, ce qui est la chose la plus appropriée que tu puisses faire, ou de retourner dans le pays d’où tu es venu. Je vous accorderai trois jours pour vous soumettre ou pour faire vos bagages, seller vos chevaux les plus rapides et préparer vos meilleurs guerriers, car j’enverrai une armée de jeunes hommes âgés de 20 à 25 ans pour vous combattre. C’est en faisant référence à des gens comme vous que le Prophète (le salut éternel de Dieu soit sur lui) a une fois ordonné de tuer tout le monde.”
Lorsqu’il a entendu cet ultimatum, Cheikh Oumar répondit: “Je peux à présent voir que tu es devenu un infidèle, car tu n’es pas si loin de calomnier le Prophète (Paix et Salut sur lui). Contrairement à ce que tu prétends, le Prophète a dit qu’il était licite de répandre le sang des calomniateurs comme vous dans des torrents. Dans son Idhata Dujina, l’auteur a écrit les versets suivants: “Quiconque nie les faits se ment à lui-même devient un infidèle.” “Quiconque affirme ce qui est interdit, comme si cela était permis, devient un infidèle, car les choses formellement interdites ne sont un mystère pour personne.”
Nouhou partit pour Ségou après cette réponse.
Le lendemain matin de cette opposition El Hadj Oumar mit Ardo Ali [Ardo Aliou Ndiérébi] à la tête de ses troupes qui marchèrent contre les guerriers du Macina qui avaient unis leurs forces à celles de Ségou chaque section divisée en fonction de son origine. La bataille battu son plein jusqu’à la tombée de la nuit. El Hadj Oumar ordonna à ses soldats d’attendre de l’autre côté du fleuve jusqu’à la levée du jour. Le matin venu, les Foutanké poursuivirent les habitants de Ségou jusqu’à Kirango. Ils les combattirent dans la partie la plus chaude de la journée. Puis un messager du Cheikh nommé Ahmadou Tafsirou arriva et leur ordonna de retourner à Sansanding. Quand ils revirent à Sansanding, ils allaient traverser le fleuve lorsqu’un autre messager arriva de la part d’El Hadj Oumar muni de son fusil leur ordonnant de ne pas retraverser le fleuve. Ardo Ali a ensuite conduit les guerriers foutanké à Diolume, où l’armée du Macina s’était regroupée. Ils combattirent et vainquirent les soldats du Macina, tuant un grand nombre d’entre eux et prenant aussi grand nombre de captifs. Ardo Ali retourna ensuite Kirango chargé du butin. Dix jours après ce succès, Cheikh Oumar rejoint ses troupes à Kirango. Il y resta trois jours puis partit pour Mbebala, non loin de Ségou (5 à 6 kilomètres). Il y campa pour la nuit. Cette même nuit, Ali Oïtala (roi de Ségou) s’enfuit vers l’Ouest. Le lendemain matin, un samedi correspondant au 27e jour du mois de Sha’ban en l’an 1277 de l’Hégire [10 mars 1861]. El Hadj Oumar se rendit à cheval en direction de Ségou-Sikoro.
El Hadj Oumar les a poursuivis pendant trois jours complets. Ahmadou Yero Ba reçu ensuite le commandement des troupes. Il tomba sur Ali Oïtala à Toura où il attaqua le village en tuant de nombreux hommes et faisant un grand nombre de prisonniers, dont toutes les femmes et les enfants du village. Cependant, Ali Oïtala lui-même réussit à s’échapper. Il est dit que le butin était si grand qu’il fallut une semaine entière pour le distribuer aux Foutanké.
El Hadj Oumar donna ensuite le commandement des troupes à l’un de ses meilleurs disciples, nommé Muhammad Seydiyanke. Il traversa la rivière Bani à et se rendit à Diebe où Ali Oïtala s’était réfugié. Il attaqua le village, tua de nombreux habitants et prit beaucoup de captifs. Il saisit également une grande quantité de marchandises dont des pièces d’or et d’argent. Pourtant, Ali Oïtala réussit à se sauver une fois de plus. Le Cheikh envoya ce même disciple pour le retrouver, cette fois ci au village de Fofana qui fut également attaqué, et plusieurs de ses habitants tués ou asservis. Mais l’insaisissable Ali de Ségou s’échappa encore. Muhammad Seydiyanke le poursuivi avec ardeur pendant trois jours entiers, le suivant au-delà de Ségou jusqu’aux portes du Macina. Au cours de cette extraordinaire chasse à l’homme, Muhammad Seydiyanke saisit le cheval d’Ali Oïtala, ainsi que sa couronne royale ornée d’amulettes en or. En outre, il prit douze autres objets en or ou en argent. Il réussit également à prendre 2 000 bovins avant de retourner auprès d’El Hadj Oumar à Ségou-Sikoro.
Ahmadou Ahmadou ne pouvant plus tolérer ces attaques répétées sur les villages de Ségou et son vassal Ali Oïtala renvoya un de ses ambassadeurs auprès d’El Hadj Oumar pour lui proposer de conclure leur conflit dans des conditions mutuellement acceptables. El Hadj Oumar refusa son offre en ces termes: “Je ne pardonnerai jamais les attaques et les provocations multiples que j’ai subies de votre part, et je n’oublierai jamais le sang musulman qui a été versé à ces occasions. En la matière, je ne me soumettrai qu’à la décision souveraine du prophète. Lui seul peut juger entre nous et déterminer s’il est possible d’annuler vos nombreux délits contre moi. Lui seul peut décider lequel d’entre nous vivra et lequel d’entre nous mourra. Cette affaire doit donc être jugée par un tribunal qui nous jugera selon la loi du Prophète.” Cette réponse fut donnée à Thierno Khalidou qui accompagna les ambassadeurs d’Ahmadou Ahmadou”
Il semble probable qu’une autre médiation ait été essayée entre les parties avant la campagne du Macina. La sélection des ambassadeurs répondait à plusieurs critères: impressionner les guerriers d’Hamdallahi, montrer la force des Foutanké et séduire les marabouts macinankobé et les amener à militer pour la paix. En effet durant cette mission, plusieurs copies de la Safinatu-Saada, un poème écrit par Cheikh Oumar célébrant le Prophète fut distribué aux marabouts macinankoobe. La sélection des ambassadeurs est décrite d’une manière très imagée dans le Daarol de Kalidou Ba recueilli par Samba Dieng
747. Ali courut et se dirigea vers Hamdallahi.
748. Il y trouva Ahmadou Ahmadou,
749. Entouré par les griots musiciens jouant le “Seygalaré”,
750. Lui disant: Ahmadou Ahmadou!
751. A la paresse de fuir, à la paresse de se cacher.
752. Possesseur des boeufs et des flèches rouges.
753. A ce moment, Ali arriva.
754. Ali Woytêla dit: Peul
755. Ahmadou Ahmadou lui répondit: oui.
756. Il dit : « A Bori kana »
757. Il lui dit: qu’est-ce que tu racontes?
758. Il lui dit: “A bori kana “
759. Il lui dit : j’ai combattu un marabout, il m’a chassé, je viens me réfugier auprès de toi
760. Il dit: Peul?
761. Ahmadou Ahmadou lui dit: oui.
762. Il dit: Allah. C’est un ou deux?
763. Il dit: Allah. C’est deux ou un ?
764.Ahmadou Ahmadou lui dit: Allah, c’est un seul Dieu.
765. Il n’a point enfanté. Il n’est point enfanté.
766. Il n’a pas de petit frère. Il n’est pas le petit frère de quelqu’un.
767. Il lui dit: donc puisqu’Allah est unique.
768.Il lui dit: oui.
769. Il lui dit: Dieu seul sait celui que tu adores.
770. Mais c’est le marabout à la gourde qui est avec Allah.
771. Cela m’est évident.
772. Il dit: Ahmadou Ahmadou?
773. Ahmadou Ahmadou lui dit: oui.
774. Il dit: mais s’il y a deux Allah
775. Il lui dit: oui.
776. Il dit : vous vous courbez là en priant.
777. Mais vous n’adorez que le petit frère.
778. Le grand frère est avec le marabout toucouleur.
779. Ahmadou Ahmadou lui dit:
780. C’est ce petit habitant du Fouta qui t’a chassé.
781. Tu fuis comme une gazelle au milieu de la plaine, abandonnant ta
famille.
782. Par Allah, reste ici, je te protégerai contre Cheikh Omar.
783. S’il te dit un mot, je le renverrai jusqu’au Fouta-Toro.
784. C’est là que le cadet de Adama Aysé Elimane Ciré
785. Samba Demba Ali Moutar Saïdou Boubou Ndiagnou
786. Quand arriva la nuit, il leur dit: Ô gens du Fouta!.
787. Ils-lui–répondirent : « Oui »
788. Il dit: vous avez chassé un païen. il est entré à Hamdallahi.
789. A présent qu’avez-vous décidé?
790. Ils dirent: puisqu’il est entré à Hamdallahi, allons-y.
791. Le souverain de Hamdallahi va le convertir. sinon nous allons l’égorger.
792. Il leur dit: Ô Fouta
793. Ils lui répondirent: oui.
794. 11 leur dit: un Imam n’attaque pas son homologue sans l’avertir.
795. Le soleil se coucha. le cadet d’Adama Aysé Elimane
796. Ciré Samba Demba Ali Moutar organisa une séance de prédication.
797. Tout le Fouta s’y rassembla.
798. 11 dit : Ô Fouta ! Ô fils du Fouta !
799. Je recherche ici un preux hors pair,
800. Pour l’envoyer auprès de Ahmadou Ahmadou,
801. Qu’il parte pour mourir. qu’il ne parte pas pour vivre.
802. J’ai là une lettre, qu’il la porte pour moi à Ahmadou Ahmadou.
803. Mais si la personne se décide à partir,
804. Qu’elle parte pour mourir, qu’elle ne parte pas pour vivre.
805. Alpha Oumar Thierno Baïla [Wane] de Kanel se leva brusquement.
806. Il lui dit: Homonyme?
807. Cheikh Omar lui dit: oui!
808. Il lui dit: si tu rédiges une lettre pour l’au-delà et que tu me vois, tu as qui envoyer.
809. Il dit : le jour où je fis mes adieux à Kanel.
810. J’avais cent disciples à former.
811. J’avais cent personnes à nourrir.
812. Il dit: si tu me vois abandonner une telle maison pour te suivre.
c’est que je te suis par Allah; si je meurs j’entre au paradis.
813. Ecris mon nom. demain matin je verrai Ahmadou Ahmadou.
814. Il écrivit son nom et il s’assit.
815. Il dit: Ô Fouta ! Ô enfants du Fouta
816. Je recherche parmi vous un Torodo qui a mémorisé le Coran, pour
l’envoyer auprès d’Ahmadou Ahmadou?
817.Qu’il lise le Coran en sa présence et qu’il traduise ce qu’il a lu.
820. Qu’il ne troque pas la religion contre l’idolâtrie, le paganisme.
821. Mais que le candidat parte
822. En se disant qu’il va mourir,
823. Qu’il ne parte pas pour vivre.
824. Un Torodo appelé Ahmadou Almamy Alassane [Barro] se leva droit.
825. Il lui dit: oh Cheikh Omar ?
Cheikh lui dit: oui.
826. Il lui dit: tu es sûr et certain que d’entre tes trois cents marabouts
qui font la retraite spirituelle …
827. Il lui dit: oui.
828. Il lui dit nul ne me surpasse en Coran.
829. De grâce, écris mon nom. Demain matin, je verrai Ahmadou Ahmadou.
830.Parce que je ne t’ai suivi qu’à cause de la guerre sainte, si je meurs, j’entre au paradis.
831. Celui là aussi, il écrivit son nom.
832. Il leur dit: Ô Fouta ! Ô fils du Fouta !
833. Il dit: je cherche quelqu’un qui va pour mourir qui ne va pas pour vivre;
834. Capable de faire de la parade gymnique
835. Jeter son fusil en l’air, le reprendre avant qu’il ne tombe à terre.
836. Pour que je l’envoie auprès d’Ahmadou Ahmadou.
837. Pour que j’apprenne à Ahmadou Ahmadou que,
838. Ce n’est pas parce que je n’ai pas de combattants, que je ne lui ai pas livré bataille.
839. Qu’il n’échange pas la religion contre l’infidélité.
840. Bôtol Sawa Hako se leva bien droit.
841. Son coup de fusil tonna.
842. Il jeta son fusil en l’air.
Le bonhomme fit une parade, puis se posa à terre.
843. Le fusil vint, il l’attrapa au vol, du revers de la main.
844. Il dit: Ô Cheikh Omar
845. Cheikh lui dit : Oui Bôtol
846. Il dit : Mon Cheikh, tu veux simplement avoir une confirmation.
847. Mais si tu as quelqu’un de ma trempe, tu as qui envoyer.
848. Il dit: puisque la nuit que tu passas chez moi au Fouta, tu m’as trouvé avec quatre épouses peules,
849. Chacune d’entre elles étant plus belle que l’autre,
850. Recevait chaque fois plusieurs écuelles de lait dans sa case.
851. J’ai répudié toutes ces femmes.
852. J’ai offert à chacune sa dot.
853. C’est moi qui t’ai suivi à cause d’Allah.
854. Allah sait que celui qui a abandonné une telle maison
855. Est celui qui te suit [par Allah] sincèrement plus loyalement.
856. Par Allah écris mon nom.
857. Demain matin je verrai Ahmadou Ahmadou.
858. Il écrivit le nom de celui-là aussi.
859. Il leur dit: ô Fouta ! Ô enfants du Fouta !
860. Je cherche parmi vous un homme qui maîtrise le cheval,
861. Qui sait faire une belle démonstration sur son cheval.
862. Jetant son fusil en l’air, puis le rattrapant au vol,
863. Cheval au galop.
864. Jetant à la fois son pied gauche et son pied droit, les traînant.
tandis que son fusil ne tombe pas.
865. Montrant à Ahmadou Ahmadou
866. Que j’ai des combattants au sol,
867. Que j’ai des combattants à cheval.
868. Qu’il ne troque pas la religion contre l’infidélité.
869. Koly Mody Sy du Boundou se leva net.
870. Il lui dit: Ô Cheikh Omar !
871. Cheikh lui dit: oui.
872. Il lui dit : écris mon nom,
873. Demain, je verrai Ahmadou Ahmadou.
874. Il dit : quand tu vins au Boundou,
875. Tu trouvas que mon pére était roi.
876. Il attachait, emprisonnait, humiliait.
877. Tu sais, par conséquent, que celui qui a abandonné la royauté pour te suivre.
878. C’est celui qui t’a suivi loyalement par Allah.
879. Puisqu’il n’y a rien de plus délicieux que le pouvoir.
880. De grâce, écris mon nom.
881. Demain matin, en vérité.
Je verrai Ahmadou Ahmadou.
882. Il écrivit le nom de celui-là aussi.
883. Il dit: Ô Fouta ! Ô fils du Fouta !
884. Je cherche qui envoyer.
885. Qui va pour mourir.
886. Qui ne va pas pour vivre.
887. Qui ne regardera pas les lances rouges.
888. Qui traverse l’assemblée jusqu’à Ahmadou Ahmadou.
892. Si celui qui doit mourir tient celui qui doit vivre,
893. Celui qui doit mourir mourra, celui qui doit vivre vivra.
894. Qui est décidé à faire cela?
895. Alpha Oumar se leva, saisit violemment le col du boubou de Cheikh Omar.
896. Cheikh lui dit: Alpha, il ne s’agit pas de moi.
897. Il s’agit d’Ahmadou Ahmadou.
898. Il dit: mon Cheikh, quiconque te traite ainsi.
899. Ne craindra pas d’en user autant avec une autre créature.
900. Si quelqu’un craint Dieu, il ne saurait craindre la mort.
901. De grâce, écris mon nom.
902. Il écrivit le nom de celui-là aussi.
903. Il leur dit: je cherche quelqu’un qui sait bien parler.
904. Qui sait dire des choses agréables,
905. Pour qu’il suive ces fils du Fouta, volontaires.
906. Candidats à la mort pour demain matin,
907. Que l’orateur les exalte.
908. Car. même si un homme doit mourir, il est bon de le flatter
909. Qui peut exécuter une telle tâche?
910. Qui accepte de les exalter et d’affronter également la mort?
911. Farba se tut un bon moment.
912. Farba lui dit: dans ce cas, ton fils surpasse tout le Fouta en science
913. Envoie ton fils Ahmadou.
914. De tout le Fouta, ton fils est plus savant.
915. Car il est saint, fils de saint.
916. Il connaît tout ce qui est écrit
917. Il connaît tout ce qui n’est pas écrit.
918. Si tu recherches réellement quelqu’un, envoie-le.
919. C’est lui qui peut transmettre un tel message.
920. Cheikh Omar se tut.
921. Un bon moment après. Cheikh dit:
922. Ô Fouta ! Ô enfants du Fouta !
923. Je cherche quelqu’un qui sait bien parler,
924. Qui sait ce qu’il dit.
925. Qu’il suive ces enfants du Fouta volontaires;
926. Demain, qu’il les exalte afin que les poils de leur corps se lèvent,
927. Même si un homme doit mourir que ses poils se lèvent.
928. Je vais lui donner une mesure d’or.
929. Alors Farba Gouwa dit: écris mon nom.
930. Tu sais bien que je surpasse tout le Fouta en parole.
931. Tu sais bien que je parle mieux que tout le Fouta.
932. Ecris mon nom, demain matin je les verrai.
933. Il écrivit aussi le nom de celui-ci.
La mission fut un échec. La confrontation entre les deux parties fut inévitable comme le décrit Abdoulaye Ali,
“Le roi du Macina refusa de régler le conflit de cette manière. Alors El Hadj Oumar rassembla son armée, qui était alors composée de dix corps distincts et marcha en direction d’Ahmadou Ahmadou. Après dix-sept jours de marche, il tomba sur l’armée de Balobbo [Amirou du Fakala et du Macina, et oncle de l’émir Ahmadou du Macina] à Koningo. Il les mit en fuite et les poursuivis jusqu’à arriver dans un village nommé Poromani que Balobbo avait déjà quitté. Dans ce village, Ibrahim Ibn Hamma Maliki, qui était un autre des généraux d’Ahmadou Ahmadou, tenta également sans succès d’attaquer Cheikh Oumar qui passa deux nuits à Poromani.
Balobbo fut blessé lors du bref mais vif combat de Koningo [mercredi 7 mai 1862]. Après sa victoire, Cheikh Oumar marche à pas forcés, même durant la nuit, derrière la cavalerie macinanké afin d’occuper Hamdallahi. Ahmadou mo Ahmadou qui avait établi son camp à Djenné dépêcha son oncle Mahmoudou Sékou afin de stopper l’avancée sur Hamdallahi des Foutanké.
C’est dans un gorge boisée arrosée d’une mare issue de la dernière crue du Bani que les troupes de Mahmoudou Sékou trouvent les Foutanké ce vendredi 9 mai 1862. Selon Henri Gaden, Mahmoudou Sékou avait avec lui le Lam-Toro Hammé Ali Sall, qui s’était joint au jihad d’El Hadj Oumar avant de faire défection pour des raisons mystérieuses après la prise de Ségou. Les Foutanké se reposaient dans ce “Cayawal” arrosé après une marche de 40 kms mais lorsqu’ils furent reconnus, ils se mirent en ordre de bataille pour se préparer au combat.
C’est le matin du samedi 10 mai 1862 que le gros des troupes macinanké commandé par Ahmadou mo Ahmadou arriva en ce lieu. La bataille aura lieu peu après la prière de Zohr. Elle s’étalera sur plusieurs jours et fut coûteuse pour les deux parties. L’armée foutanké était composée de 30000 soldats alors que de Djenné, le Macina mobilisait près de 50000 soldats et fantassins pour contrer l’avancée foutanké, selon David Robinson. L’avantage des Foutanké est qu’il disposaient d’une armée aguerrie par dix ans de campagnes et disposant de fusils. Les Macinanké avaient une cavalerie de choc et une meilleure connaissance du terrain. Le combat commença le samedi 10 mai 1862, près du Bani, dans une dépression géographique ou “Cayawaal” en fulfuldé, nom qui servira à désigner la bataille pour la postérité. Elle fut marquée par les exploits de Kouroubatou “Batou” Dembelé, un sofa de l’armée toucouleur, qui mourut en duel au début de la bataille face à Yemgha du Macina. Les sofas perdirent beaucoup de leur membre en voulant récupérer son corps pour l’enterrer. Mais le héros de la bataille fut sans conteste Ahmadou mo Ahmadou aux furieuses attaques, qui couvrit le flanc ouest de son armée et qui faucha de sa main plusieurs soldats futanké. Pendant un moment, il fit pencher la bataille en sa faveur et par cela, le cours de l’histoire.
Selon Abdoulaye Ali,
[Cheikh Oumar] partit samedi en direction d’Hamdallahi. Ahmadou Ahmadou avait lui quitté Djenné pour rencontrer son adversaire au combat, se heurtant à lui vers deux heures de l’après-midi. Une terrible bataille s’ensuivit qui ne fut suspendue que par la tombée de la nuit. Du dimanche soir au lundi matin, Ahmadou Ahmadou envoya tous ses hommes avec des fusils dans le but d’essayer de surprendre les forces du Cheikh. Ils attaquèrent et causèrent la mort de beaucoup de Foutanké.
Lorsque les assaillants fuirent, El Hadj Oumar ordonna à Ardo Ali de se mettre à la tête des contingents du Tooro et de les attaquer. Le lendemain matin [dimanche 11 mai 1862], les deux camps se combattirent avec acharnement toute la journée avant de se séparer et de retourner à leurs camps respectifs.”
Après deux jours de bataille, les deux armées restèrent dans leurs camps pour lécher leurs blessures. Les Foutanké en manque de munitions, renforçaient leur camps et se pressaient de fabriquer des balles pour leurs fusils. Les Macinanké aussi éprouvés, léchaient leurs blessures; Ahmadou mo Ahmadou aurait fait appel à plus de renforts pour achever les Foutanké qu’il commençait à encercler dans leurs camps, en construisant une zériba autour d’eux. Ce fut une erreur stratégique. Selon Eugène Mage qui a parlé à des témoins de la bataille lors de son séjour à Ségou, les Foutanké manquaient de munitions et des attaques vigoureuses durant les journée du lundi 12 et mardi 13 mai, auraient pu faire pencher la balance. Le répit de trois jours leur fut bénéfique: le gros des troupes se reposa pendant que les forgerons construisaient des balles.
Selon Henri Gaden se basant sur les écrits de Muhammadu Aliou Thiam (v.1830-1911), un participant de la bataille, lors de l’assaut du 15 mai 1862, les Talibés avaient reçu l’ordre de tous se battre à pied, armés de leurs fusils, dans le but de mieux résister aux charges de la cavalerie macinanké. La tradition rapporte que seuls deux Talibés combattirent à cheval, refusant d’obéir: Ibra Bokar Thierno Mollé [Ly] de Thilogne et Koli Modi [Sy] du Boundou.
Eugène Mage rapporte qu’Ahmadou mo Ahmadou avait placé sa cavalerie derrière ses fantassins couchés en avant. Les Foutanké avancèrent sur ceux-ci jusqu’à cinquante pas avant de tirer une volée. L’infanterie macinanké peu habituée à faire face à des fusils fut vite culbutée alors qu’une bonne partie de la cavalerie lâchait prise. Les tentatives d’Ahmadou mo Ahmadou de rallier la cavalerie n’y firent rien: il fut blessé durant sa dernière charge avant de replier avec l’aide de ses rimaïbé (serviteurs). Son oncle et beau-père Mahmoudou Sékou voyant la défaite arriver et l’imminence de l’occupation de Hamdallaye, fonça devant l’ennemi pour y mourir.
La dernière phase de la bataille se déroula ainsi selon Abdoulaye Ali:
“El Hadj Oumar se reposa ensuite pendant trois jours et trois nuits. Le matin du quatrième jour, qui était un jeudi [15 mai 1862], il organisa son armée pour la bataille et continua sa marche vers Hamdallahi. L’armée peule du Macina battit en retraite devant lui, repoussée dans la même direction. Le Cheikh Oumar continua à avancer jusqu’à rencontrer l’ennemi macinanké. Au cours de ce combat, le roi Ahmadou Ahmadou fut blessé et placé dans une pirogue pour le transporter. Les Foutanké passèrent la nuit du jeudi au vendredi à Dio. Le lendemain matin, il entra à Hamdallahi. Les Nguenarbe (du Ngenar) marchèrent devant lui dans la ville. Vinrent ensuite les Yirlaabe, suivis de loin par les Tooroobe (gens du Tooro) puis les contingents de Murgula. Le Cheikh lui-même entra à la fin de la procession avec ses serviteurs personnels et diverses troupes. Il ne s’arrêta que lorsqu’il arriva à la maison d’Ahmadou Ahmadou où il logea. Cela se produit au cours de l’année 1278 de l’Hégire. Sans perdre de temps, El Hadj Oumar envoya un commando mené par Alfa Oumar Baila à la poursuite d’Ahmadou Ahmadou. Il était constitué de 1 600 cavaliers et fantassins. Alfa Oumar marcha toute la journée et la nuit sans s’arrêter. Il croisa le roi Ahmadou Ahmadou au village de Diré. Alfa Oumar le tua et a saisi tout ce qu’il avait avec lui, y compris son or et ses domestiques. Alfa Oumar revint sain et sauf, chargé de butin, louant et remerciant Dieu. Ce fut la soumission du Macina à El Hadj Oumar.”
Cayawal marque la fin de la Dina et le début de la gouvernance foutanké, qui ne fut jamais stable cependant. La mort d’Ahmadou mo Ahmadou en mai 1862 n’avait pas suscité de révoltes; au contraire, beaucoup de dignitaires macinanké dont Balobbo firent leur soumission au nouveau pouvoir publiquement à Hamdallaye peu après. Mais un an plus tard, lorsque Cheikh Oumar désignera son fils comme son successeur et montra sa volonté de ne pas restaurer les “Cissé” (nom maraboutique pris par la famille de Sékou Ahmadou) au pouvoir, une rébellion commença initiée par Balobbo (v.1800-v.1880) et Abdessalam (v.1820-1864) b. Sékou Ahmadou , oncles d’Ahmadou mo Ahmadou.
En effet en 1860 à Markoya et en 1862 à Hamdallahi, El Hadj Oumar désigne ensuite son fils ainé Ahmad al-Madani (v.1836-1897) ou Ahmadou Cheikhou comme son khalife et successeur et demande à tous ceux qui lui ont prêté allégeance de la renouveler auprès d’Ahmadou. Les habitants du Macina menés par le Cheikh de la voie soufie qadiriyya Ahmad el-Bekkay se révolteront contre El Hadj Oumar Tall le forçant à quitter Hamdallahi et de trouver refuge dans des falaises situées à l’est de la ville où il prophétisa néanmoins que le Macina sera gouverné par un homme lié à la Tijjaniya et non la Qadiriyya, et ce malgré leur rébellion. Il mourut à Deguembéré dans les falaises de Bandiagara en tentant de rejoindre son neveu Ahmed Tidiani Tall (1840-1888) qui levait une armée de secours pour mater la rébellion macinanke.
Les héritiers de Cheikh Oumar gouverneront le Macina jusqu’à la conquête de l’Empire omarien par Louis Archinard (1850-1932) lors de l’entreprise coloniale de “pacification” du Soudan occidental. L’héritage de la rejoint témoigne de ce conflit et en garde les marques, les relations entre Foutanké et Peuls et Kounta du Macina bien que relativement apaisées après un siècle de cohabitation n’étaient pas totalement cordiales entre les différents acteurs et clans.
“Les paroles du marabout Kounta m’avaient profondément remué. C’est à partir de ce jour que commença à se former vaguement en moi le souhait d’une réconciliation entre les trois grandes familles maraboutiques de mon pays, déchirées par trop de souvenirs de guerre, de massacres et de malédictions mutuelles : les Kounta de Tombouctou, les Peuls Cissé du Macina, et les Tall descendants d’El Hadj Omar. Cet espoir ne trouvera son accomplissement que cinquante-cinq ans plus tard dans la nuit du 20 au 21 juin 1977. En cette nuit mémorable, consacrée à la prière et à la lecture du Coran, les délégations représentatives des trois grandes familles maraboutiques, en présence de milliers de personnes et du chef de l’Etat lui-même, se rencontreront sur les ruines de la grande mosquée de Hamdallaye, l’ancienne capitale dévastée de l’empire peul du Macina, et s’y donneront la main en gage de réconciliation et de pardon solennel…”
Le témoignage d’Amadou Hampaté Ba (1901-1991), fils du Macina par son père biologique Hampaté Ba [apparenté à Allaye Bori Hamsala, un des généraux d’Ahmadou mo Ahmadou] et par sa grand-mère maternelle, mais également lié au Fouta Tooro par sa mère Kadidia Pullo, son grand-père maternel Paté Pullo Diallo et surtout par son beau-père et père adoptif, le toucouleur Tidjani Amadou Ali Thiam. Dans son livre “Oui mon commandant” est extrêmement enrichissant. Alors qu’il se trouvait à Mopti en 1920 en voyage pour prendre fonction à Ouagadougou, il fut demandé à Amadou Hampaté Ba de transporter à pirogue un marabout de la tribu des Kounta nommé Sidi Mohammed Lamine Kounta. Les Kounta, grande famille maraboutique de l’ethnie maure étaient sous la protection de Cheikh Ahmed el-Bekkay, seigneur de Tombouctou, que les Français ménageait. Après avoir transporté ce noble visiteur, ils campèrent dans un village non loin de là nommé Moura, où le Cheikh fut accueilli chaleureusement par les habitants. Sidi Mohammed invita ensuite Amadou Hampaté Ba ainsi que d’autres personnes du village à procéder avec lui à la visite d’un saint martyr (‘Abidine b. Ahmed el-Bekkay) enterré non loin de ce lieu. ‘Abidine b. Ahmed el-Bekkay (1848-1889) fut un farouche ennemi des Toucouleurs de Bandiagara auxquels Amadou était lié par le biais de son beau-père mais également de son Cheikh tijani Thierno Bokar Salif Tall (1875-1939) Sidi Mohammed s’adressa à lui en ces termes: “Bien que te sachant originaire de Bandiagara, j’ai accepté de prendre place dans ta pirogue. Certains membres de ma famille n’y auraient consenti pour rien au monde, mais je ne partage pas leur attitude. Pour moi, les différends qui nous opposent, et qui n’ont d’autre source que les conflits et convoitises de ce bas monde – conflits que l’on maquille, pour les justifier, aux couleurs de l’honneur ou de la piété religieuse – sont des erreurs regrettables qui ne devraient jamais opposer des croyants entre eux, Dieu a dit dans son saint Coran: “Les croyants sont des frères”. Pour moi, tu ne peux donc être un ennemi. Je te considère comme un ami, et cela d’autant plus que par ton père naturel Hampâté tu es du Fakala, dont les habitants sont traditionnellement amis et adeptes des Kounta.” Le jeune Amadou médita ces paroles pendant longtemps, pendant qu’ils se rendirent tout deux à Saré Dina où se trouvait la tombe du Cheikh Ahmed el-Bekkay, père de ‘Abidine. Sidi Mohammed resta quelques jours auprès de la tombe de son grand-père tandis qu’Amadou Hampaté Bâ et ses compagnons rentrèrent pour Mopti sans lui.
Cette rencontre marqua à jamais l’esprit d’Amadou Hampâté Ba, qui, soucieux de régler les différends du passé entre Toucouleurs, Peuls du Macina et Kounta décida d’oeuvrer en faveur de la réconciliation. Il s’exprime ensuite dans le livre en ces termes:
Pour aller plus loin
Amadou Hampaté Bâ et Jacques Daget. 1955. L’empire peul du Macina. (Les Nouvelles Éditions Africaines).
David Robinson. 1988. La guerre sainte d’al-hajj Umar. Paris: Karthala
Bintou Sanankoua. 1990. Un Empire peul au XIXe siècle : la Diina du Maasina. — Paris: Karthala et A.C.C.T.
Samba Dieng. 2018. “La Geste d’El Hadj Omar et l’Islamisation de l’épopée peule traditionnelle”. Thèse de doctorat d’état, Université Cheikh Anta Diop de Dakar).
Christopher Wise. 2017.”Archive of the Umarian Tijjaniyya” (Sahel Nomad Books).
Hiénin Ali Diakité. 2015. “Á propos d’une controverse inter-confrérique entre al-Mukhtār b. Yerkoy Talfi (1800-1864) et Aḥmad al-Bakkay (1800-1866).” Thèse de doctorat en histoire (École normale supérieure de Lyon).
Parler de caste peut paraitre incongru tant le terme est porteur de connotations. Si le terme caste est souvent utilisé pour décrire les sociétés sahéliennes, il est important de noter que les connotations de pureté et d’impureté qu’on peut trouver dans d’autres civilisations, y sont absentes. Dans le Sahel, il s’agit plus d’une hiérarchisation socioprofessionnelle, plus ou moins rigide selon le temps et l’époque; une stratification qui perd de son sens avec la modernité mais structure toujours les relations entre les membres. Ainsi pour Cheikh Moussa Kamara de Ganguel, “l’appartenance statutaire (al-asl), au Fuuta Tooro, se définit (d’abord) par l’activité (al-hīrfa). C’est elle qui désigne le rang social et pas autre chose. Aussi celui qui exerce une profession et est connu comme tel ainsi que ses fils et ses petits-fils appartiennent au groupe statutaire qui correspond à cette profession.“
Les sociétés organisées en classe socio-professionnelles héréditaires sont communes à plusieurs peuples de la sous-région sahélienne et de l’Afrique de l’ouest. La société peule du Fuuta Tooro ne déroge pas à la règle, elle connait une organisation extrêmement stratifiée et hiérarchisée qui peut être difficile à assimiler aussi bien pour un étranger que pour un natif. L’idée de cet article est de présenter une vue d’ensemble de ces groupes socio-professionnels qui composent à eux tous la société Foutanké.
Limites théoriques du Fuuta-Tooroà son apogée par Oumar Kane
Le Fuuta Tooro est un ancien Etat et une zone de peuplement de l’ethnie peule située à cheval entre la Mauritanie et le Sénégal dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal comme présenté sur la carte ci-dessus. Le Fouta est entouré des émirats maures au nord, du Guidimakha soninké à l’est et des Etats wolofs au sud et à l’ouest ce qui fait de lui un carrefour culturel et ethnique mais également une zone tampon aux influences multiples.
Il est important de comprendre la souche de peuplement du Fouta avant d’aborder le sujet des castes. Les natifs du Fuuta Tooro se nomment eux-même « Fuutaankooɓe » (sing. Fuutaanke) et bien que d’origines diverses partagent aujourd’hui le pulaar (nom de la langue peule à l’ouest de l’Afrique), la culture peule et l’islam en commun.
Si l’origine du terme “Fouta” fait débat chez les historiens (cf. précédent article), le terme “Tooro” lui pourrait selon Oumar Kane venir du verbe “toorde” qui signifie le fait d’homogénéiser une bouillie de mil en pulaar. Cette homogénéisation d’un ensemble à la base hétérogène témoigne des origines ethniques diverses des habitants du Fouta.
En effet, bien que nous parlons de société peule il est important de préciser que les habitants du Fouta sont issus d’un melting-pot plus ou moins ancien et ne sont pas forcément tous initialement d’origine peule. Nous pouvons aisément distinguer deux grands groupes selon l’ascendance que les Foutanké distinguent eux-mêmes : les Peuls ou Fulɓe (sing. Pullo) et les Haalpulaaren (“ceux qui parlent pulaar”) ou dans la version française “Toucouleurs “, dérivé du nom de l’ancien royaume du Tekrour et de l’appelation wolof “Tukulor” comme vu dans l’article précédent.
Les Haalpulaaren sont issus d’un métissage culturel entre Peuls, Wolof, Sèrères, Soninké habitant dans la vallée du fleuve et partageant l’Islam et la culture peule comme identité. La foulanité de toutes ces populations ne faisant aucun doute, du moins culturellement parlant, nous conserverons le terme de société peule pour désigner celle du Fuuta Tooro.
Les castes sont appelés en pulaar Kinɗe (sing. Hinnde) et correspondent à des corps de métiers bien définis qui s’héritent par le père. Il est plus judicieux de distinguer les trois grands groupes qui forment ces castes avant de les aborder en détail.
Les Nobles : Rimɓe (sing. Dimo)
Les Artisans : Ñeeñɓe (sing. Ñeeño)
Les Captifs : Jiyaaɓe (sing. Jiyaaɗo) ou Maccuɓe (m) / Horɓe (f)
Les Nobles sont en haut de l’échelle, ils sont subdivisés en 5 castes :
Fulɓe ou Fulɓe Jeeri : Les Peuls (éleveurs)
Tooroɓɓe: les Chefs religieux / Marabouts
Seɓɓe: les Guerriers
Subalɓe: les Pêcheurs
Jawaanɓe: les Courtisans / Diplomates
FULƁE (sing. Pullo): Les éleveurs peuls au Fuuta Tooro sont un corps de métier d’origine peule et portent des patronymes tels que : Diallo, Ba, Sow, Dia, Ann, Ka, Barry… Ils sont les praticiens de l’élevage de bovins et d’ovins et sont originellement nomades ou transhumants dans la savane du Jeeri.
Une bonne partie d’entre eux sont des « Fulɓe Waalwaalɓe », aujourd’hui sédentarisés près du fleuve à proximité des terres cultivables où ils pratiquent l’agriculture et l’élevage en enclos. Ils sont islamisés et ont délaissé le nomadisme pour s’adonner à l’apprentissage de la religion et d’autres activités de la vie citadine.
Les Fulɓe même sédentarisés restent néanmoins très attachés à la vache et à la tradition pastorale, et surtout à la consommation du lait. L’adage dit : « Pullo kaarɗo kosam biraɗam » (“Le Peul nourri au lait frais”). L’élevage étant le métier par excellence en accord avec le Pulaagu il est considéré comme un idéal dans toutes les sociétés peules, sédentarisées ou non.
TOOROƁƁE (sing. Tooroɗo): Cheikh Moussa Kamara décrit cette caste comme un groupe d’agriculteurs sédentaires d’origines diverses (Peuls, Wolofs, Soninkés, Maures..) voués aux sciences islamiques qui en font une profession héréditaire dans la famille. Certains comme Oumar Kane remontent l’origine du mot « Tooroɗo » au verbe pulaar « toraade » (supplier/quémander/demander l’aumône). Surnom donné par les Fulɓe aux élèves des écoles coraniques qui disaient d’eux: « Tooroɗo ko torotooɗo » (“le Tooroɗo est un quémandeur”). Ce groupe est le dernier à émerger parmi ceux qui composent la société fuutanke
Originellement inclusif suite à la révolution des Marabouts, basé sur le mérite et l’apprentissage des sciences islamiques, ce groupe social est avec le temps également devenu un groupe statutaire fermé et héréditaire qui se transmet de père en fils. Les Tooroɓɓe enseignent l’islam aux enfants, le Coran, à lire et à écrire mais également aux adultes. Ils traduisent et commentent les versets du Coran et les hadiths (paroles prophètiques) en pulaar et dirigent la prière le vendredi et celle des fêtes de l’Aïd. Pour Cheikh Moussa Kamara, “l’activité spécifique des Tooroɓɓe [qui définit le groupe] est la science et la religion (al-‘ilm wa al-dīn)“
Les djihads d’El Hadj Oumar Tall au 19ème siècle en Afrique occidentale vont pousser certains groupes Tooroɓɓe à s’installer dans différentes régions, notamment les régions de Kayes et du Macina dans l’actuel Mali, dans la région de Dingiraye en périphérie du Fouta Djallon en actuelle Guinée mais également dans certaines régions du Niger et du Nigéria en pays haoussa et en pays peul.
SEƁƁE (sing. Ceɗɗo): Selon Cheikh Moussa Kamara : « le Ceɗɗo du Fuuta Tooro est un individu noir, non pullo mais parlant pulaar ». Le terme pulaar « ceɗɗo » est originellement utilisé pour désigner l’étranger, il sert à désigner les Soninké chez les Peuls du Guidimakha ou les Malinkés chez les Peuls du Fouta Djallon. Au Fuuta Tooro ils représentent la caste des praticiens des métiers de la guerre, ils sont d’ascendance diverse (Wolofs, Peuls, Soninkés, Malinkés) mais seraient principalement d’ascendance wolof au vu de leurs noms patronymiques et descendraient des farba mis en place par les burba lors de la domination du Djolof sur le Fouta (sous le Bourba Cukuli Njiklan entre 1450 et 1500). Certains Seɓɓe ont néanmoins une probable origine soninké par le Wagadou (Ghana) d’où le terme « ceɗɗo mbeñu ghana », et d’autres sont d’origine peule, anciens partisans de la famille de Koli Tenguella. Traditionnellement, ils sont élevés dès le plus jeune âge dans les arts de la guerre.
Ils sont subdivisés en différents clans dont les chefs détiennent chacun un tam-tam de guerre avec lesquels ils prêtent serment les veilles de bataille dans des chants que l’on nomme « daaɗe ƴiiƴam » (“Les voix du sang”).
Les griots encouragent les seɓɓe par leurs compositions musicales et poétiques, ils rappellent leur bravoure au retour des combats. Le chant guerrier le plus connu est le « Yela », il econstitue le style musical le plus populaire au Fouta et repris par bon nombres d’artistes comme Baaba Maal ou Farba Sally Seck.
SUBALƁE (sing. Cuballo): Selon Cheikh Moussa Kamara il est: « un individu Noir, non peul, mais parlant la langue pulaar, de religion musulmane et pratiquant comme métier la pêche et l’agriculture ». Les guerriers et le pêcheurs sont proches et les alliances maritales fréquentes entre ces deux groupes. Ce groupe est également issu de gens d’origine diverses selon les migrations et métissages. Ils seraient néanmoins en majeure partie descendants d’anciennes communautés serères et wolofs. Ils portent souvent des patronymes typiquement sereres tels que : Sarr, Thioub, Faye ou Diop. Ils habitent en bordure du fleuve (dannde maayo) où ils pratiquent leur activité professionnelle, véritable maîtres des eaux, leur activité et leurs pirogues sont indispensables à tous.
JAAWANƁE (sing. Jawaanɗo): Les Jaawanɓe sont une caste hétérogène au niveau des origines (bien qu’une partie soit d’origine peule), très endogames et assez limitée en nombre. Le Jawaanɗo est un négociateur, médiateur & courtisan à la cour royale, reconnu pour ses qualités oratoires et son intelligence il intercède auprès des rois pour demandeur des faveurs mais également transmettre les demandes de la collectivité et conseiller la classe dirigeante. Les patronymes Jawaanɓe au Fuuta Tooro sont au nombre de dix : Bassoum, Bocoum, Daff, Kaam, Lah, Ndiade, Ndjim, Niane, Saam, Thiene. Au Macina (centre du Mali) ils sont souvent associés aux Peuls on parle par de « Fulɓe Jawaanɓe »
Ces cinq castes constituent la noblesse du Fuuta Tooro, les mariages entre elles sont fréquents et tous bénéficient de certains privilèges dus à leur statut social. La deuxième groupe de la société Foutanké est celui des Artisans ou Ñeeñbe. Les Ñeeñbe au Fuuta Tooro peuvent être assimilés à la caste des Nyamakala dans la région du Fouta Djallon. Ce terme désigne l’ensemble des artisans et travailleurs manuels spécialisés dans la transformation des matières premières (bois, métaux, peaux..).
Selon Yaya Wane les Ñeeñɓe peuvent être divisé en deux catégories : ceux caractérisés par la spécialisation professionnelle (“fecciram golle“) et au sens plus large les divertisseurs et laudateurs (Nalaŋkooɓe) à savoir : musiciens, chanteurs, danseurs, poètes, historiens etc.
Pour simplifier, nous les diviserons en:
Maabuɓe : Tisserands
Wayilɓe: Forgerons
Sakkeɓe: Cordonniers / Savetiers
Lawɓe: Boiseliers / Menuisiers
Wammbaaɓe: Conteurs / Généalogiens
Awluɓe: Griots
MAABUƁE (sing. Maabo)
Les Tisserands du Fuuta Tooro sont un groupe d’origines diverses (wolofs, serrères, malinkés ou soninkés) même si la tradition orale attribue aux Malinkés la tradition du tissage et que la plupart de leurs patronymes ont une consonnance mandingue. Les tisserands s’occupent à l’origine exclusivement de tisser les pagnes, vêtements, les voiles colorés des femmes et les gazes, quant à certaines de leurs femmes, elles étaient spécialisées dans la poterie.
Avec le contact avec l’aristocratie et les débuts la mondialisation qui a conduit à l’importation d’étoffes venus de l’étranger, un nombre important de Maabuɓe se sont spécialisés dans la généalogie des Fulɓe, des Jaawanɓe ou des Tooroɓɓe délaissant ainsi le métier de tisserands pour exercer celui de Griots*.
WAYILƁE (sing. Baylo)
Les Wayilɓe ou forgerons sont les artisans des métaux, leur activité est appelée « mbaylaandi » en pulaar. Ils sont comme les autres castes également d’origines ethniques diverses (Wolofs, Peuls, Soninkés ou Maures..) et pratiquent un corps de métier héréditaire. Ils se subdivisent en trois principaux groupes:
Les Haɓerɓe issus des familles Mbow, Diop, Thiam ou Sy qui revendiquent une origine maure voire orientale. Leur principal rôle est de fabriquer les accessoires pour la cavalerie (fers et chaines d’entraves, éperons, appliques de harnais, mors, pectoraux etc.). Ils fabriquent également les lances, sabres, poignards et autres matériaux de guerre, ce qui leur donne un statut supérieur aux autres groupes de forgerons.
Viennent ensuite les Wayilɓe Sayakooɓe, des bijoutiers qui travaillent l’or, l’argent, le cuivre et le laiton pour fabriquer bracelets, anneaux de chevilles, anneaux d’orteil, chaines en argent, boucles d’oreilles etc. Ils sont sollicités par les riches et surtout les femmes qui portent leurs ornements dans les différentes cérémonies ou la vie de tous les jours.
Enfin, le troisième sous-groupe nommé Wayilɓe waleeri (métal noir) travaillent le fer et fabriquent les objets de consommation courante tels que : houes, haches, coupe-coupe, couteaux, poignards, harpons, hameçons etc. Des superstitions ont longtemps accompagné le statut de forgeron dans les croyances populaires, leur maîtrise des secrets du fer et du feu ont fait croire qu’ils étaient des jeteurs de mauvais sort pour nuire à leur ennemis. Ils cohabitent néanmoins avec les autres, non sans parfois subir certaines critiques.
SAKKEEƁE (sing. Sakke): Les Sakkeeɓe du Fuuta Tooro sont également une caste aux origines diverses (Wolofs, Soninkés, Peuls..). Ils représentent le corps de métier des tanneurs, cordonniers, bourreliers et travailleurs du cuir fabriquant sandales, chaussures, sacs de voyages ou gourdes pour le lait.
L’Histoire montre qu’il a existé une passerelle entre ce groupe et celui des forgerons (Wayilɓe) par l’intermédiaire des Sakkeeɓe Aalawɓe de patronymes Mbow et Thiam. Selon Cheikh Moussa Kamara ces deux familles étaient à la base des forgerons qui pour des raisons diverses ont suivi le statut de leurs mères. Le contact des Sakkeeɓe avec les Fulɓe est très ancien et historique. Les mariages entre les cordonniers et les tisserands sont également assez fréquents.
LAWƁE (sing. Labbo): Les Lawɓe s’occupent de la transformation du bois, ils fabriquent entre autres canots, gamelles, mortiers, pillons etc. Ils sont également d’origines ethniques diverses, certains sont d’origine soninké de patronymes : Bathily, Kebe, ou Tounkara. D’autres sont d’origine peule avec comme patronymes : Sow, Ndioum, Tall, Dia, Ba.. ou d’origine wolof avec comme patronymes : Niang, Diop, Wade.. Les Lawɓe peuvent être divisés en deux catégories :
Les Lawɓe Laaɗe (sing. Labbo Laana) et les Lawɓe Worworɓe (sing. Labbo gorworo).Les premiers ont préséance sur les seconds par leur activité. Le Labbo Laana fabrique les pirogues et prétend que la Labbo gorworo, qui fabrique les objets de bois courant était à l’origine son esclave. Les Lawɓe laaɗe sont sédentaires et habitent au bord du Fleuve à proximité des pêcheurs (Subalɓe), et cotoient également les guerriers (Seɓɓe) tandis que les worworɓe, nomades, sont plus en relation avec les Fulɓe Jeeri (Peuls transhumants) dont ils suivent les migrations. Ils fabriquent mortiers et pillons qui servent à séparer le mil et le son mais également des louches, des cuillères en bois, des manches pour les haches ou les houes etc.
Les Lawɓe de patronymes Sow, Gajaaga, Ndioum et Wele sont considérés comme les Lawɓe ayant la même origine que les Fulɓe et les Wammbaaɓe*. Leur parenté résulte de l’histoire connue au Fuuta sous le nom de : « Dicko Labbo, Sammba Pullo, Demmba Bammbaaɗo » (selon les versions). Dicko, Sammba et Demmba auraient été trois frères Peuls éleveurs que la spécialisation professionnelle aurait séparés. Les Lawɓe nomades étaient également réputés grands chasseurs d’éléphants et seraient à l’origine de la disparition de ceux-ci de cette région.
WAMMBAAƁE (sing. Bammbaaɗo): Les Wammbaaɓe, comme les Lawɓe sont attachés de manière exclusive aux Fulɓe. Ils sont leurs musiciens, guitaristes et généalogistes. Dans les villes sédentaires ils sont toujours installés auprès des Fulɓe Saare (Peuls sédentaires/des villes). Des villes, ils se déplacent en caravane pour rendre visite aux Fulɓe Jeeri (Peuls transhumants) peu importe où ils se trouvent en brousse. Ces derniers leurs accordent l’hospitalité et leur donnent des cadeaux importants. La spécialité du Bammbaaɗo est d’apprendre la généalogie des clans peuls (Ururɓe, Woɗaaɓe, Yaalalɓe, Ferooɓe etc.) ils sont spécialisés chacun dans la généalogie des clans et de la préservation des lignages.
AWLUƁE (sing.Gawlo): Les Griots sont des musiciens chanteurs, généalogistes et compagnons de tous les jours. En temps de guerre ils encouragent les Guerriers (Seɓɓe) aux rythmes des tambours en chantant le chant le “Yela”, célèbre chant de guerre fuutaanke. En temps de paix ils sont conservateurs de la tradition généalogique de chaque membre du groupe, ils font l’éloge des ancêtres de chacun et rappellent leurs exploits. Les griots s’attachent généralement à une famille ou à un chef de clan il apprend les tables généalogiques et les conserve, il est le préservateur de l’histoire de chacun.
Lors des cérémonies il chante en l’honneur des hôtes en échange de redevances. Tout personnage historique avait à son service son griot attitré. Dans la vie de tous les jours ils égayent les gens dans les réjouissance publiques ou privées dans la famille, les mariages, les baptêmes, la circoncision des garçons, les séances de lutte mais également les fêtes religieuses.
Bien qu’ayant les moyens de s’habiller richement et gagnant bien leur vie ils restent dans une position inférieure et ne peuvent se marier qu’à l’intérieur de leur groupe, cependant il n’existe au Fouta, à l’encontre des griots, aucune discrimination, dans l’habitat, ni dans la sépulture.
Les groupes socio-professionnels des nobles ou des artisans ont en commun le fait d’être considérés comme des hommes libres et de jouir d’une autonomie sur tous les points. Le troisième groupe qui constitue la société foutanké est celui des serviles. Il semble en premier lieu nécessaire de préciser que ce statut a connu une évolution non-négligeable au fil du temps, bien que l’on continue de désigner une personne “servile” de manière statutaire et que de nombreux réflexes féodaux persistent.
JIYAAƁE (sing. Jiyaaɗo) ou MACCUƁE (sing. Maccuɗo) : Les Captifs
Les captifs du Fuuta Tooro constituent un groupe dont le statut est définit par l’absence de liberté. Ils sont appelés « Jiyaaɓe » (« ceux qui sont asservis ») et sont considérés comme des biens meubles. L’esclave mâle est appelé Maccuɗo tandis que la femme servile est nommée Korɗo. Dans la société fuutaanke, les esclaves peuvent exercer n’importe quel métier selon la volonté du maitre sans pour autant changer de statut.
Dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal nous pouvons distinguer historiquement deux types d’esclavages : celui de transit, qui consistait à razzier puis revendre les esclaves aux nations étrangères, et l’esclavage local ou domestique d’esclaves achetés ou reçus en tribut par d’autres royaumes. Dans sa Muqqaddima Ibn Khaldoun reprend d’Al-Idrisi dans ces termes : « les gens du Takrur et du Ghana razzient et font des captifs qu’ils vendent aux commerçants. Ceux-ci les transportent au Maghrib, où ils forment la masse des esclaves. »
L’esclavage au Fuuta Tooro a pris une dynamique différente lors de la domination de la dynastie Deniyanké depuis l’accession au pouvoir de Koli Tenguella et la vassalisation de plusieurs royaumes de la sous-région à partir de la seconde moitié du 16e siècle.
Le Fouta Deniyanké qui dominait à l’époque la rive droite jusqu’aux frontières du Tagant, recevait le aussi bien le tribut de certaines tribus maures de la région que celui des États voisins de Sénégambie. Ainsi, le Fuuta ne faisait esclaves que les étrangers issus d’autres nations d’où l’hypothèse de l’origine linguistique de « maccuɗo » qui serait dérivé de « majjuɗo » (« le perdu »).
Ces captifs venus de l’étranger étaient généralement donnés en tribut par les royaumes vassaux du Fouta ou vendus par l’intermédiaire des marchands du Gunjuru, du Gajaaga et d’autres royaumes de la sous-région. Les Fulɓe ne se font traditionnellement pas esclaves entre eux mais achètent les captifs issus d’autres peuples sur les marchés et les utilisent pour garder leur bétail.
La seule occasion qui permettait au Jiyaaɗo d’accéder à la liberté est d’apprendre le Coran et de le mémoriser dans sa totalité, ce qui est néanmoins très rare car beaucoup de maitres refusaient volontairement de les instruire et de leur faire fréquenter les madrassas.
Si certains captifs ont pu acceder à la liberté suite à la révolution Tooroɗo de 1776 qui avait pour ambition de mettre tout les croyants sur un pied d’égalité, le Fouta n’a pas pour autant cessé de s’approvisionner en esclaves chez les populations non-musulmanes de la région et d’échanger avec le comptoir de Saint-Louis. Toutes les sources historiques laissent ressortir l’idée que l’interdiction de la traite au Fouta par l’almamy Abdulqadir Kane ne concernait que celle des esclaves musulmans.
Ces esclaves habitaient traditionnellement les « wurooji » ou « ruunde » au Fouta Jallon, des habitations en dehors des villes proches à proximité des enclos à bétail. Les esclaves travaillaient ainsi sur la propriété de leurs maitres, gardaient les troupeaux, réparaient les toits des cases et étaient très attachés aux familles maitresses, la situation de ce captifs domestiques était vue meilleure en comparaison à celle des captifs capturés lors des guerres ou batailles. Certains de ces esclaves domestiques travaillaient également pour leur propre compte, et avaient le droit de posséder une parcelle pour cultiver, en alternant le travail dans leurs propres champs et dans ceux de leurs maitres.
La pénétration coloniale européenne à la fin toute fin du 19ème vient mettre fin officiellement à la pratique l’esclavage dans la région. Le Maccuɗo de ce jour n’est plus soumis à toutes les volontés du maitre. Cependant, des rapports de dépendance peuvent exister entre les personnes de statut servile et leurs familles maitresses, en milieu rural mais aussi en milieu urbain. Le Maccuɗo pourra être appelé pour exercer des services pour ses anciens maitres en ayant une rémunération symbolique (en nourriture, en tissu, et parfois en argent). Il est généralement celui qui, traditionnellement, s’occupe des taches et corvées ménagères dans les cérémonies ou les fêtes. Il est par exemple fréquent que le captif sacrifie une bête pour une famille et reparte avec une partie de la viande.
Malgré l’évolution du statut de Maccuɗo avec le temps, les séquelles de l’esclavage se font sentir, et l’ancien esclave même affranchi est marginalisé, que ce soit dans les unions maritales, ou dans l’ascension sociale comme l’accès à un poste important. Les Maccuɓe en milieu rural sont généralement encore à proximité de leurs « maitres » et certains cultivent encore sur leurs terres sans réelle rémunération, ce qui pourrait s’apparenter à de l’esclavage foncier ou du servage. En milieu urbain le captif va vivre une ville totalement normale mais dans sa contrée d’origine on ne manque pas de lui rappeller son statut d’esclave statutaire, peu importe sa richesse ou l’étendue de ses biens. Bien qu’on ne puisse pas à proprement dit, le forcer à travailler, le captif se retrouve souvent aliéné par son statut et la marginalisation qu’il subit nous laisse nous poser la question de l’étendue des séquelles du système esclavagiste dans la société du Fuuta Tooro.
Les 3 grands groupes statutaires du Fuuta Tooro se retrouvent à des degrés divers et sous différentes appellations, dans la majorité des sociétés sahéliennes. Tout comme celles du Fuuta Toro, ces hiérarchies statutaires subissent de profondes mutations et renégociations avec l’éducation universelle, les politiques de réformes agraires, la décentralisation et en général avec le jeu politique des États postcoloniaux. Ainsi, l’acte de décentralisation (acte II) de 2008 au Sénégal a amené à la création de multiples communes avec des compétences en matière de polique locale. L’élection des maires de ces communes au suffrage universel en 2009 a été l’occasion de luttes farouches pour le contrôle de la gouvernance locale, amenant parfois à des contestations sur des bases statutaires (groupes subalternes contres groupes nobles) à Mboumba, à Kanel et à Thilogne entre autres. Si beaucoup de ces élections ont connu une suite judiciaire, elles ont montré les limites des hiérarchies statutaires, ainsi que les changements induits par l’éducation, les opportunités économies, la décentralisation et la démocratisation.
Plutôt que d’exister depuis la « nuit des temps », cette stratification sociale est le résultat d’un processus historique marqué par des ruptures et des continuités, entrainant par moments la renégociation de ces relations statutaires comme au Fouladou sous Moussa Molo Baldé, voire la formation de nouveaux groupes comme celui des « Torooɓɓe » avec la révolution maraboutique de 1776. En effet au Fouladou, l’émancipation de la vassalité des Fulbe envers le Gaabu fut d’abord l’action des groupes subalternes et serviles, amenant un nouvel état de fait entre les dynamiques de ces groupes. Dans d’autres contrées où des révolutions de clercs musulmans ont eu lieu comme à Sokoto, il y’a eu un effort politique d’abolir cette stratification marquée par la spécialisation professionnelle et l’endogamie pour la fondre dans une identité islamique partagée. Cette volonté politique, à Sokoto contraste avec la neutralité du fondateur de la Dina, Sékou Ahmadou, sur l’abolition des Kinɗe (cf. Ahmadou Hampaté Ba et Jacques Daget. L’Empire peul du Macina) lorsque ce désir lui fut soumis par certains membres du Batu Mawdo du Macina, même si ce régime a été l’un des plus entreprenant au niveau politique et aussi au niveau économique.
Il est difficile de définir le futur de cette stratification mais il est évident que la spécialisation professionnelle qui était l’un de ces critères, n’est plus aussi pertinent qu’il ne l’était. Les sociétés évoluent, et leur organisation sociale avec. L’importance de cette stratification reste contextuelle mais il est difficile de prévoir ce qu’il en sera, dans le futur.
Sources:
[1] La première hégémonie peule, Oumar Kane, 2004
[2] Les Toucouleurs du Fouta Tooro, Yaya Wane, 1969
Cet article a été originellement publié le 6 octobre 2019
Tékrour, Peuls, Fouta, Toucouleurs, Haal-Pulaar, Foutankoobe. Ces termes utilisés souvent de manière interchangeable pour parler de la vallée du fleuve Sénégal et de ses habitants, désignent des choses différentes et sont l’héritage de différentes perspectives pour parler de cette région.
Tékrour était le nom de la capitale de l’État, également connu sous le même nom, qui a prospéré sur le bas fleuve Sénégal pendant autour de l’an 1000. Il est important de noter que le terme “Tekrour” nous vient des lettrés arabes; on ne sait pas par quel nom les habitants de cette ville et de royaume s’appelaient eux-mêmes. C’est à partir du nom de cette capitale que les écrivains médiévaux ont désigné le nom du royaume. Ce procédé est par ailleurs récurrent chez ces auteurs; dans les écrits d’al-Bakri, de Mahmud Kati ou d’Abderrahmane es-Saadi, Ghana [Koumbi Saleh], Gao ou Mali servent autant à désigner les royaumes en question, que les capitales où résident leurs souverains.
À partir de « Tekrour » est établi le démonyme « Tekrouri » pour désigner les habitants de ce royaume. Ce terme serait encore utilisé par les Maures et les Arabes de la rive nord du Sénégal selon Umar al-Naqar, alors que les Wolofs désignent les habitants de cette région comme “Tukulor”. Ce terme « Tukulor » a été transcrit par Ca da Mosto, le navigateur portugais sous la graphie de « Tuchusor » alors que « Tucuroes » apparait chez d’autres de ses compatriotes qui ont visité ce qui forme aujourd’hui le Sénégal. Le terme “Toucouleur” adopté par l’administration coloniale française résulte également de ce processus.
La notion de Tekrour est cependant différente au Moyen-Orient où al-Takrur, c’est-à-dire ahl al-takrur ou le Takarir, a acquis un sens générique englobant tous les habitants musulmans de l’Afrique de l’Ouest.
Pour Umar al-Naqar, l’origine du nom doit être recherchée dans la patrie des Takarir (Toucouleur) dans le Fouta Toro, où des écrivains arabes du Moyen-âge avaient parlé d’un État musulman organisé dès le XIe siècle. .Al-Bakri, écrivant dans la seconde moitié de ce siècle, donne le récit suivant :
Après Sanghana, entre l’ouest et la Qibla [au sud] se trouve la ville de Takrur [qui] est habitée par des noirs [Sūdan]. Ils étaient, comme tous les autres Soudanais, des païens vénérant Dakakir; le Dukur était leur idole, jusqu’au règne de War Jabi ibn Rabis, devenu musulman, qui y a instauré les lois de l’islam, les forçant à lui obéir et à les orner de leurs yeux. Il est décédé en l’an 432 [qui correspond à l’an 1040 du calendrier grégorien]. Aujourd’hui, les habitants de Takrur sont musulmans. Vous allez de Takrur à la ville de Silla; elle [Sila] est constituée de deux villes sur la rive du Nil [fleuve Sénégal]. Ses habitants sont aussi des musulmans, islamisés par War Diabi – Que la Miséricorde de Dieu soit sur lui. Entre Silla et la ville du Ghana [Koumbi Saleh?] se déroule une marche de 20 jours dans un pays peuplé de tribus soudanaises. Le roi de Silla attaque les mécréants qui ne sont qu’à un jour de marche de lui; ce sont les habitants de la ville de Galanbu [Galam?]. Son pays est immense, bien peuplé et à peu près égal à celui du roi du Ghana.
Il y’a très peu d’informations sur l’idole Dakakir ou Dukur. Sanghana est hypothétiquement assimilé aux royaumes du Waalo et du Kajoor par Jean-Louis Triaud. Il faut noter aussi que les géographes médiévaux arabes assimilaient au Nil, le fleuve Sénégal qui dans leur compréhension, était aussi connecté au fleuve Niger. Au-delà de Ghana qui correspond à Koumbi-Saleh [en Mauritanie actuelle], il est très difficile de localiser les différents sites mentionnés par al-Bakri. Ce qui est clair dans ce récit est qu’au début du onzième siècle, le Takrur était devenu le premier royaume avec un souverain noir musulman dans cette région.
Si l’islamisation du Sahel est souvent associée au mouvement almoravide, Umar al-Naqar tout comme Michael Gomez spécifient que l’islamisation du Tékrour précédait les chevauchées d’Abdallah ibn Yasin, de Yahya ibn Ibrahim, et d’Abu Bakr ibn Umar.
L’inspirateur du mouvement almoravide Abdallah ibn Yasin (m.1059) n’a quitté son ribat que vers 1042 (selon al-Bakri, vers 440/1048). Cela aurait pu être le résultat de guerres précédentes, la tradition du jihad au Soudan n’ayant pas été initiée par les Almoravides. Cela aurait également pu être le résultat d’un contact pacifique, ce qui irait dans le sens où Ibn Yasin, consterné par la résistance des Berbères Sanhaja à ses réformes puritaines, se serait réfugié chez les Noirs « parmi qui l’Islam était déjà apparu ».
Al-Bakri mentionne en outre la conversion du roi de Silla suite aux campagnes du roi du Tekrour War Diabi. Ce roi serait également le premier souverain noir à mener une guerre sainte. Son fils Lebi aurait été assiégé avec Yahya ibn Umar (m.1048) durant la rébellion des tribus Godala, au cours de laquelle le chef almoravide a perdu la vie. Il a pu y avoir une alliance entre Takruri et Almoravides, ce qui peut aussi expliquer la présence de 4,000 soldats noirs avec Yusuf ibn Tashfin (1040-1094) lors de la bataille d’Al-Zallaqa en Espagne en 479 / 1087.
Takrur a survécu à War Diabi, à son fils Lebi et aux chevauchées vers le nord des Almoravides . Un autre géographe médiéval, Al-Idrisi (1100 – 1165), écrivant vers le milieu du XIIe siècle, nous donne une autre perspective sur le Tekrour. Il faut noter qu’al-Idrisi ne s’est sans doute jamais rendu dans ces pays et a pu se mélanger ou exagérer ses descriptions. Ses perspectives ont également pu lui être rapportées par des voyageurs qui ont visité ces contrées. Il nous dit:
Dans cette partie [le premier climat] se trouvent les villes d’Awlil, Sila, Takrur, Dao [Walata], Baris, Maura et toutes celles-ci sont originaires de Maghzarat al-Sudan … Il y’a une étape de l’île d’Awlil à la ville de Silla. La ville de Silla est située sur la rive gauche du Nil. C’est une ville peuplée dans laquelle les Noirs se réunissent. Son commerce est rentable et son peuple chevaleresque. Cela fait partie du domaine des Takruri qui est un puissant sultan qui a des esclaves et des armées; il est ferme, patient et réputé pour sa justice. Son pays est sûr et tranquille. Sa résidence, le pays dans lequel il réside, est la ville de Takrur. C’est au sud du Nil, à environ deux jours de marche de Silla, par terre et par eau. La ville de Takrur est plus grande que Silla. Il a plus de commerce et les marchands du Maghreb lointain voyagent avec de la laine, du cuivre et des perles. Ils en sortent avec de l’or et des esclaves. Des villes de Silla et Takrur à la ville de Sijilmasa, le voyage en caravane dure 40 jours … également de l’île d’Awlil à Sijilmasa, il y’a environ 40 jours de marche. La ville de Barisa est petite et n’a pas de murs; elle est comme un village peuplé. Il est habité par des commerçants itinérants qui sont des sujets des Takruri. Au sud de Barisa se trouve le pays de Lemlem.
Les récits des géographes arabes nous fournissent un aperçu de la situation politique et économique du Tékrour au 11e siècle mais relativement peu d’informations sur les us et coutumes de ses habitants. Il nous est impossible de savoir comment ceux que leurs voisins appellent « Takrouri » se percevaient et quels étaient leurs codes de référence.
Si l’appellation « Toucouleur » est circonscrite aux habitants de la vallée du fleuve Sénégal, le terme « takrūri » peut avoir un sens plus large selon les auteurs, englobant les entités musulmanes allant du fleuve Sénégal aux rives du lac Tchad, et même au-delà. C’est ce sens plus large qui apparait par exemple dans le Tarikh el-Fettach (ou Chronique du Chercheur pour server à l’histoire des villes, des armées et des principaux personnages du Tekrour) de Mahmoud Kati.
De nos jours les habitants du « Tekrour » d’al-Bakri et d’al-Idrissi, se définissent comme « Haalpulaar » qui veut dire « ceux qui parlent le pulaar » contraction du verbe « haalde » (parler) et du nom de la langue. Ce vocable reconnait implicitement les diverses origines de ses habitants même s’ils font partie d’un même groupe socioculturel. La société Haalpulaar ayant connu en son sein des populations d’origines diverses, résultat de siècles de cohabitations et de métissage, la distinction entre deux groupes d’ascendance s’est faite naturellement par les habitants. Les Haalpulaar/en sont issus de populations autochtones de la vallée du fleuve (Wolofs, Soninkés, Serrères…) assimilées au fil du temps à la population peule tandis qu’on nommera Pullo (pl.Fulɓe) une personne d’ascendance peule. A noter que dans le Fouta le terme Pullo désigne également un berger ou un pasteur. À cet égard, tous les habitants de cette société se désignent par Haalpulaar, expression similaire au terme « Foutanké » (« habitant du Fouta ») par lequel ils se définissent aussi.
L’origine du terme « Fouta » est intimement liée avec les débats sur les origines des Peuls, qui constituent la majorité de ses habitants. Il y’a ainsi plusieurs hypothèses selon Oumar Kane:
La première, qui tire son origine dans l’idéologie racialiste des premiers ethnologues coloniaux, fait dériver le « Fouta », ainsi que « Fulbe » du terme biblique Phut, Put et Pount, mentionné dans la table des Nations de la Genèse. Oumar Kane juge cette hypothèse vraisemblable à cause de l’alternance consonantique selon le nombre entre les lettres « p » et « f ». C’est le cas par exemple du terme « Pullo » (« Peul ») qui devient « Fulɓe » au pluriel.
Une autre hypothèse voudrait que « Fouta » soit un dérivé du terme maure « Aftout » dont le sens est inconnu. Étant donné que les Peuls ont précédé les Maures dans le Sahel, l’idée que le nom « Fouta » soit dérivé du maure parait incongrue.
Une dernière hypothèse avancée par Henri Gaden spécule que le terme « Fouta » désignerait à l’origine le pays situé au nord du Tagant et de l’Assaba, et qui est appelé par les Foutankoobe, « Jeeri Fouta ».
Entre toutes ces hypothèses, il est presqu’impossible de trancher. Mais toujours est-il que le terme « Fouta » désigne les pays où les Peuls constituent le groupe socioculturel dominant au niveau linguistique, culturel et politique. Ainsi Amadou Hampaté Bâ (1900-1990) fait la distinction entre trois « Fouta ».
Le Fouta Kiiɗndi qui correspond au Fouta-Toro et au Fouta du Sahel, encore appelé Fouta-Kingi (sans doute pendant une période donnée). Ce serait à partir du Fouta-Kingi, que les clans peuls se seraient disséminés dans la région. C’est au Fouta-Kingi où a régné pendant un temps le satigi des Peuls Yalalbe, Tengella Gedal Jaaye (m.1512) avant la destruction de son royaume par le Kouroumina-Fari, Omar Komjago.
Le Fouta-Keyri, ou le « nouveau Fouta », qui inclurait le Fouta-Jalon, le Maasina, le califat de Sokoto ainsi que les lamidats de l’Adamawa. Ce Fouta-Keyri est intimement lié aux mouvements musulmans menés par des clercs peuls à partir du 16e siècle et ayant abouti à la formation de théocraties musulmanes. Il est important de noter qu’à part le Fouta-Jalon, aucun de ces nouveaux états n’inclut le terme « Fouta » dans son nom. Le projet islamiste a ainsi pu dominer sur l’identité ethnique.
Enfin le Fouta-Jula qui correspond aux diasporas fulbe/haalpulaar dans tout le Sahel, et qui est consécutif à l’effondrement des États peuls face à la conquête coloniale. Pour Oumar Kane, il y’a une dimension économique et commerciale importante dans ces sites diasporiques.
Voilà pour les noms qui sont issus de processus et de perspectives historiques différentes pour désigner une même région et ses habitants. Si l’encre est sèche et que des pistes apparaissent, les mystères d’un monde passé demeurent entiers. L’un des objectifs de ce site sera d’appréhender ce qui peut l’être, et de faire remonter à la surface des perspectives qui peuvent nous enrichir. Ce site est donc un aluwal (une tablette) où des questions sont posées, et où le consensus des savants côtoiera la spéculation informée. C’est un lieu où la voix des gens d’un autre temps surgira de temps en temps à travers des documents écrits par leur main, mais aussi où chaque lecteur pourra apporter sa contribution pour une meilleure connaissance de notre monde. Ce site sera ce que vous voudriez bien en faire.
Sources bibliographiques:
Umar Al-Naqar. 1969. “Takrur the History of a Name”. The Journal of African History. 10 (3): 365–374
Bruno Chavanne. 1985. Villages de l’ancien Tekrour: recherches archéologiques dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal (Paris: Karthala).
Oumar Kane. 2004. La première hégémonie peule : Le Fuuta Tooro de Koli Teηella à Almaami Abdul (Paris : Karthala)
Michael A. Gomez. 2018. African Dominion:A New History of Empire in Early and Medieval West Africa (Princeton: Princeton University Press)