Lors de la campagne de Ségou/Nioro, le photographe Joannès Barbier (1854-1909), actif en Afrique de l’Ouest (1887-1907) accompagne les troupes coloniales à la prise de Nioro, qui a lieu le 1er janvier 1891. Via lui, nous disposons d’images figeant des scènes d’exécutions de soldats et aussi d’individus suspectés d’être proches de l’état omarien, qui ont eu lieu après les prises des villes. Deux de ces images seront publiées dans le journal L’Illustration (numéro 2511) du 11 avril 1891, via un article critique, intitulé ironiquement « L’oeuvre de la civilisation en Afrique ».
En voici un extrait offrant le contexte pour deux images violentes:
« Il n’est pas un de nos lecteurs qui ne soit au courant de la campagne poursuivie depuis trois ans bientôt au Soudan français. Très sommairement, nous allons faire la récapitulation des faits accomplis qui ont amené les scènes reproduites par nos gravures.
En 1889, M. le commandant Archinard, commandant supérieur du Haut-Fleuve et Soudan français, s’empare de Koundian, dernier tata toucouleur sur la route de nos postes de l’est et le rase.
En 1890, nos troupes marchent sur Segou-Sikoro, ancienne capitale d’Ahmadou, autrement dit du royaume de Segou, placé sous notre protectorat depuis 1887, s’en emparent et s’y établissent. De Segou-Sikoro, le commandant de la colonne française, devenu lieutenant-colonel Archinard, traverse le grand Bélédougou, pays des Bambaras, entre dans le Kaarta, donne l’assaut à Ouossébougou, forteresse toucouleure, la prend et redescend ensuite sur nos postes du haut Sénégal.
Cette année, la campagne se continue d’un côté par la marche de nos soldats sur Nioro, nouvelle capitale d’Ahmadou dans le Kaarta; et, de l’autre, par l’entrée du colonel Dodds dans le Fouta sénégalais.
Cette série de faits de guerre connus de nos lecteurs procède d’un plan d’ensemble dont l’objet est d’anéantir la puissance d’Ahmadou et de faire disparaître le foyer de fanatisme du Fouta, dont son chef, Abdoul Boubakar [Abdoul Bokar Kane, jaggorgal du Boosoya], était l’âme.
Notre première gravure représente une des exécutions qui ont suivi la prise de Nioro. Le poste de Bakel, sur la route stratégique de la capitale toucouleure, n’avait à ce moment pour effectif de garnison que 10 Européens et 50 auxiliaires. On appréhendait que les bandes d’Ahmadou, refoulées, dispersées, ne vinssent se rabattre sur Bakel pour tenter de s’en emparer. C’est alors qu’on prit le parti de faire un exemple, autant pour terroriser les fuyards d’Ahmadou que pour ôter aux gens des villages autour de Bakel toute envie de leur donner l’hospitalité.
Ces malheureux habitants des villages autour de Bakel qui, précédemment, avaient laissé passer sans essayer de les arrêter tous ceux qui se rendaient auprès d’Ahmadou, se virent donc, du jour au lendemain, dans la nécessité de se faire exécuteurs pour n’être pas exécutés. Une véritable chasse à l’homme s’organisa. Tout fuyard ennemi, peut-être ami de la veille, fut fait prisonnier et tué. Les femmes et les enfants furent retenus comme captifs. Une de nos gravures représente un de ces exécuteurs d’occasion apportant à Bakel cinq têtes de prisonniers capturés. Quant aux captifs, le désir d’en posséder est tel parmi les populations noires que, pour encourager la chasse à l’homme dont nous parlons, il avait été convenu qu’une part de prises reviendrait aux chasseurs. Le zèle de ceux-ci en fut stimulé à ce point que la fraude s’en mêla. Quelques traqueurs s’avisèrent d’emmener à leurs villages le dessus du panier, autrement dit ce qu’il y avait de meilleur et de plus solide parmi les prisonniers, et de n’envoyer dans nos postes que les rebuts, soit des vieillards et des infirmes. Au su de cette fraude, le commandant de Bakel menaça chaque village qui déroberait des captifs d’une amende d’un bœuf pour chaque prisonnier dissimulé.
Nous avons omis de dire que le poste de Bakel contenait lui-même à ce moment 600 prisonniers. Quand une corvée de 50 à 60 d’entre eux était envoyée au dehors pour un travail à exécuter, c’était sous la conduite d’auxiliaires indigènes à qui on laissait, d’ailleurs, entendre formellement qu’ils seraient tous fusillés le soir même si un seul prisonnier venait à s’échapper. «De cette façon, nous écrivent nos correspondants, ils se surveillaient les uns les autres et tout allait bien.»
Pourtant, ces exécutions n’étaient pas sans causer quelque inquiétude au point de vue sanitaire. On jugea prudent de ne point faire d’inhumations sur place, et les cadavres furent amarrés à des chaloupes qui les descendirent sur le fleuve, à quelques kilomètres plus bas que Bakel. C’est cette opération que représente notre double page.
Malgré nous, la pensée nous hante, au spectacle et au récit de ces horreurs, que le moment est bien mal venu pour avoir à les signaler.
Hier, on s’exclamait contre Stanley et ses lieutenants dont la désinvolture à faire bon marché des noirs excitait légitimement l’indignation. L’éloquent appel de Mgr Lavigerie n’avait pas assez de commentateurs élogieux dans les sphères officielles. La conférence anti-esclavagiste de Bruxelles avait lieu comme une première formule de régénération éloquente et magnifique. Des comités se constituaient, alliés implicites de ces tentatives d’affranchissement, et il était bien entendu que la France, initiatrice toujours incontestable et souvent incontestée de cette grande idée du relèvement des races, payait d’exemple au milieu des populations noires qui sont devenues les siennes et qu’une longue expérience lui a appris à considérer comme des enfants peu redoutables et toujours prêts à céder devant le prestige de la douceur et de la force morale sans violence.
Indigène venant d’apporter à Bakel des têtes de prisonniers capturés parmi les fuyards des bandes d’Ahmadou.
Pourquoi les faits que nous exposons viennent-ils en contradiction avec cette dernière pensée? La guerre explique bien des choses, dira-t-on. Dans l’espèce, nous ne le croyons pas. Nous n’admettons pas qu’elle justifie l’affolement qui va jusqu’à mettre aux mains de non belligérants des armes pour tuer leurs frères; nous n’admettons pas qu’elle justifie l’encouragement à l’esclavage, au meurtre et aux pires passions. Devant de pareils faits, le mot civilisation devient la plus sanglante des ironies. Et, d’ailleurs, le système contraire, celui de la douceur, n’a-t-il pas des adeptes dans l’armée même? N’a-t-il pas été pratiqué notamment par Brière de l’Isle au Tonkin, Faidherbe au Sénégal? Nous ne sachions pas qu’ils aient eu à s’en repentir. »
Makki Tall (1837-1864) est le second fils du marabout conquérant et mystique El Hadj Omar Tall (1797-1864). Plus jeune de quelques mois qu’Ahmad El Madani (1836-1897), sultan de Ségou et fils ainé des enfants de Mariatou, femme bornouane, Makki est mort en même temps que son père à Goro. Durant sa courte vie, il aura laissé une réputation de clerc, d’ami des clercs et de générosité.
Makki, nait vraisemblablement dans le Haoussa, grandit à Diégounko et à Dinguiraye après l’installation de son père avec ses disciples dans le Fuuta Jalon. Makki avait la même mère que Saidou (v.1840-1878), émir de Dinguiraye, et Aguibou (1844-1907), émir de Dinguiraye puis faama de Bandiagara.
Alfa Makki dans les chroniques contemporaines
Une première mention de Makki apparait dans le Tarikh al-Istikhlaf de Mohamed b. Ibrahim de Dara-Labé, qui était proche de lui et d’Ahmadou, les deux fils ainés du Cheikh. Mohamed b. Ibrahim était à Dinguiraye en 1859, lorsque de Markoya, Cheikh Oumar demanda à Alfa Ousmane Sow d’amener à lui ses deux fils ainés Ahmad al-Madani et Mohamed el-MakkI. Le groupe quitta Dinguiraye le 11e jour du mois de Rabi al-Akhira [7 novembre 1859] selon la « Chronique de la succession ».
De Dinguiraye, le groupe atteignit Tamba [Taybata] puis Bumbuya où ils joignirent Thierno Abdoulaye Haoussa et Thierno Mohamed Diallo. Puis le périple les fit passer à Kurukutu, Goungoutou d’où ils traversèrent le Bafing [le fleuve noir] et ensuite au village de Kemeta, où ils traversèrent à gué le fleuve blanc [Bakhoy] avant d’atteindre le pays de Kita.
À Bangassi, ils trouvèrent l’armée d’Alfa Ousmane Sow qui menait des opérations dans le Fouladougou et Diouka, où ils participèrent aux combats. À Sedian, ils trouvèrent le camp d’Alfa Ousmane et avec lui traversèrent le Baoulé, qui sépare le Fouladougou et le Béléri et rejoignirent le Cheikh Oumar el-Fouti à Markoya, le mercredi 10e jour de Jumada al-Akhira [4 janvier 1860].
Là, les deux fils se joignirent aux combats et furent aussi éprouvés par leur père, qui préparait déjà sa succession. Ils reçurent chacun un commandement et leur attitude envers les Talibés fut scrutée. C’est de là que Makki reçut sa réputation de générosité et d’ami des clercs, tant il aidait les Talibés démunis et éprouvés. Selon une tradition de Nioro qui inclut Aguibou dans le groupe, El Hadj Omar avait donné à chacun de ses fils une bourse d’or comme gage pour le lui garder. Au bout de quelques temps, il demanda à Ahmad El-Madani la bourse et celui-ci le lui remit en entier. Aguibou lui remit la bourse, vidée de moitié, et disant avoir donné la moitié à Makki. Ce dernier lorsqu’interpellé dit qu’il avait donné toute la bourse aux Talibés et que lorsque celle-ci fut vidée, il fut dans l’obligation de demander à Aguibou une partie de son gage, pour les mêmes besoins.
Selon Mohamed b. Ibrahim, un mois et 16 jours après leur arrivée à Markoya, El Hadj Omar investit Ahmad el Madani comme son successeur et demanda à tous ses frères et aux disciples de lui prêter allégeance. Ahmadou avait alors 24 ans, 3 mois et 20 jours, ce 18 février 1860.
Selon la chronique de la succession (Tarikh al-Istikhlaf)
cette investiture eut lieu lorsqu’un homme trouva Ahmadou et lui dit : « Je désire prendre le wird et je voudrais que tu me mènes vers le Cheikh afin qu’il me le donne ». Ahmadou appela Alfa Oumar al-Awsa [al-Awsa = de la rive gauche du Niger] et lui demanda : « Allez avec celui-ci vers le Cheikh et informez-le qu’il désire prendre le wird, qu’Il le cherche et qu’il devrait le lui donner ». Dieu fit qu’ils (Alfa Oumar et El Hadji Oumar) ne se virent pas pendant quelques jours. L’homme dit à Alfa Oumar : « Je vais vous traduire devant Ahmad Madani ». Il répondit : « Ne faites pas cela, soyez patient afin que vos vœux soient exaucés ».
Après cela, l’homme et Alfa Oumar virent le cheikh et le trouvèrent entouré de ses télamides (élèves). Il lui donna la lettre celui-ci dit : « Où se trouve Ahmad al-Kabir al-Madani? Trouvez-le et appelez-le à moi avec Mohamed al-Makki. Dîtes leur d’être en état de pureté et de venir à moi rapidement ». Ils [Ahmadou et Macky] se réjouirent de cette nouvelle, obéirent à ses injonctions et s’assirent à ses pieds comme l’esclave devant son maitre ou du vertueux disciple devant son parfait cheikh. Le Cheikh prit les mains d’Ahmad al-Kabir et le désigna comme son successeur : « Tout ce qui m’a été donné par mon Cheikh, mon bien-aimé, mon ami, le pôle caché, le sceau connu de Mohamed, le cheikh qui est le médiateur, notre maitre Abou al-Abbas Ahmad ibn Mohamed al-Tijani, al-Hasani (Que Dieu soit satifait de lui, le guide et répande sa lumière), toutes les sciences exotériques et ésotériques, les secrets et révélations ainsi que les épanchements d’émanation divine, les wirds, tout cela, je te le donne et t’en accorde une autorité complète sur la dissémination de ce savoir sur tous ceux à qui tu veux le donner, quand tu veux, et qui qu’il soit, à jamais. Quiconque cherche quelque chose de moi, qu’il le cherche auprès de toi ». Et il dit à la communauté : « Celui-là est votre Cheikh. Quiconque me considère comme son cheikh, il est aussi son cheikh. Cherchez auprès de lui tout le bien que vous voulez dans ces deux mondes, et vous l’aurez. Je t’autorise Ahmadou de nommer qui tu veux comme Moqadem, et de donner le wird à qui tu veux, à jamais ». Après ce jour, quiconque demandait le wird au Cheikh, il lui disait : « Allez trouver Ahmadou. Il vous le donnera ». Et il dit à Macky : « Je te donne tout ce qui est dans le Rimah et te donne toutes les autorisations à cet égard, parce que tout ce qui est à moi et à Ahmadou t’appartient aussi. Quant à toi et à ta position, suis ton frère, et tout ce que tu désireras, il te l’accordera. Entretenez vos liens, comme je vous ai enjoints précédemment : je vous l’ordonne encore. Ne laissez rien s’immiscer entre vous deux ». Ceux qui furent présents prêtèrent allégeance à Ahmad al-Kabir devant le cheikh, le peuple fit de même après en prêtant serment au Commandeur des Croyants [Lamdo Julbé] Ahmad al-Kabir al-Madani al-Fouti [du Fouta], al-Touri [du Toro] al-Kadawwi [de Guédé] (Que Dieu lui accorde la victoire, le protège et l’assiste dans les deux mondes).
Cela eut lieu le dimanche, avant midi, 26e jour de Rajab, 1276 années après l’émigration du prophète- Paix et Salut sur lui- [18 février 1860]. Tous les gens prêtèrent serment, ainsi que les chefs de l’armée et les commandants, les Moqadem et les soldats, eux tous. Le pays et le peuple fut content et satisfait de cette investiture et de cette prestation de serment. Alors Dieu donna du confort aux Musulmans et rendit victorieux ceux qui proclament l’unicité de Dieu. »
Il semble que le Cheikh ait senti les penchants cléricaux de Makki et l’ait incité à emprunter cette voie et d’être le conseiller de son frère et ami Madani. Les deux participèrent à la campagne de Ségou (1860-1) et alors que Ahmad al-Madani restait à Ségou, Makki suivait son père durant la campagne de Hamdallahi (1861-2) où il servit de vicaire à son père quand celui-ci entrait dans ses retraites mystiques. Makki, tout comme ses cousins Tidiani (v.1840-1887) ou Tafsir Saidou [m.1888] avait alors pour Cheikh, un marabout tijjani du Macina, du nom de Cheikh Sidi Mohamed b. Wadiat’Allah ou Cheikh Yirkoy Talfi (v.1800-1864).
Durant cette période, on lui doit une lettre écrite à son frère Ahmadou, alors à Ségou, où il décrit la situation au Macina et le déroulement de la campagne de Cayawaal [mai 1862] par laquelle la Dina devait tomber. Cette lettre, retrouvée dans la chancellerie de Ségou en 1891, et pillée par Archinard, était coécrite avec son frère Mahi [v.1840-1864] et son cousin Tidiani Alfa Ahmadou [v.1840-1887].
Alfa Makki à Hamdallaye (1862-1864)
Makki avait laissé une veuve et au moins un fils, Ahmad al-Madani, homonyme de son frère. Son cousin Tijjani qui sera émir de Bandiagara, épousera sa veuve et sera le père de cet enfant qui devait être tout jeune en février 1864. Ce fils est décrit ainsi en 1887 par l’explorateur Caron en visite à Bandiagara:
Makki joua un rôle majeur après les défaites de Mani-Mani et de Ségué (1862) qui devait amener le siège de Hamdullahi [mai 1863-février 1864] par une coalition Cissé-Kounta. Après l’exfiltration de Tijjani dans le Hayré pour lever une armée de secours, Makki sera l’un des émirs de la sortie de toute l’armée pour rejoindre Tijjani en février 1864, ainsi que les escarmouches qui s’ensuivirent. Son frère Hadi [v.1844-1864] devait mourir dans ces combats avant d’atteindre les falaises et El Hadj Omar, avec ses fils et disciples, devait mener leur dernier baroud au sommet de la falaise. C’est là qu’une explosion survint et entraina la « disparition » de Cheikh Oumar, de ses fils, et d’une partie de ses disciples.
Dans l’après-midi, le cheikh envoya son fils adoptif prendre de mes nouvelles. C’était un jeune homme de dix-huit à dix-neuf ans, nommé Ahmadou, fils d’Ahmadou Mackiou, un des frères de Tidiani. A la mort de Mackiou, arrivée en 1872 [plutôt en 1862], Tidiani, qui n’avait que des filles, adopta son neveu.
Un air dédié à Alfa Makki nous est parvenu, célébrant sa générosité et sa grandeur d’esprit. Ici c’est interprété par Safi Diabaté. Cet air, comme « Taara » célébrant El Hadj Omar, furent développés dans la cour du sultan de Ségou, Ahmadou Tall.
Pour aller plus loin
Henri Gaden. « La vie d’al Hajj Oumar »: qacida de Muhammad Aliyou Thiam. (Ernest Leroux)
Caron, Edmond (1857-1917). De Saint-Louis au port de Tombouktou : voyage d’une canonnière française ; suivi d’un « Vocabulaire sonraï » /1891.
David Robinson et John Hanson. 1990. « After the Jihad: the Reign of Ahmad al-Kabir in Western Sudan »
Abdoul Aziz Diallo. Histoire du Sahel occidental du Mali 1850-1960: Les trois briques de l’édifice [El Hadj Omar, Ahmadou Lamdioulbé et les Français], Éditions La Sahélienne.
Qacida al-Hajj Oumar (« La vie d’el-Hadj Omar ») de Elimane Muhammadu Aliou Thiam de Hayré-Laaw (1830-1911), traduite par Henri Gaden et Mamadou Ahmadou Ba (1891-1958) #Mali#Senegal
« Mohammadou Aliou Tyam (1830-1911), notre auteur, se présente lui-même à la fin de sa qasida.
Avec une grande discrétion, il se borne à donner son nom et celui de ses parents et à indiquer qu’il a grandi et fait ses études à Hayré (Aéré-Lao) du Lao (cercle de Podor). C’est là qu’il est revenu finir ses jours et qu’est conservé le souvenir des principales étapes de sa vie.
Mohammadou Aliou avait suivi le Cheikh Omar en même temps qu’Alpha Oumar Baila, lors du séjour de recrutement qu’en 1846 le Cheikh, alors installé au Fouta-Djalon, à Dyégounko, depuis son retour de La Mecque, était venu faire au Fouta-Toro. II était un disciple de la première heure. Originaire du Laaw, il avait, comme tous ceux de cette province, fait partie du corps des Yirlaabé. II n’avait jamais exercé aucun commandement.
Pour reprendre l’image qu’il emploie dans sa qacida (p. 13), il n’avait jamais été qu’un brin du balai que le Cheikh Omar avait, avec la vigueur que l’on verra, promené pendant dix ans, du Sénégal au Niger, sur les pays restés réfractaires à I’islam. II avait fait toutes les campagnes, de Tamba, capitale du Dyalonkadougou, la première conquête, à Hamdallahi, capitale du Macina, la dernière, en passant par Le Kaarta et le Segou.
En quittant Ségou-Sikoro pour la conquête du Macina, le Cheikh y avait laissé son fils ainé Ahmadou avec une garnison de huit cents homm devant tous, le proclama son successeur. Puis, comme il n’était pas prêt à reprendre immédiatement la guerre sainte, il le renvoya à Ségou-Sikoro en lui donnant quelques renforts. Mohammadou Aliou faisait partie de ses renforts et, lié désormais à la fortune d’Ahmad al-Madani.
Peu après avoir reçu la soumission des Peuls du Macina, il convoqua Ahmadou à Hamdallahi et il alla tenir garnison à Segou-Sikoro. C’est là qu’il a, pendant ses loisirs, rédigé sa qacida. Sans doute eut-il peu de loisirs ou cette rédaction lui fut-elle difficile, car, lorsque vingt ans plus tard, en 1884, Ahmadou quitta Ségou pour aller s’installer à Nioro, la qacida n’était pas encore terminée. Mohammadou Aliou avait été laissé à Ségou [avec le fils d’Ahmadou, Ahmad al-Madani al-Saghir et Ceerno Moustapha Dieilya Touré]; il y acheva sa qacida et y resta jusqu’à l’occupation française en avril 1890.
Il rejoignit alors Nioro [en compagnie d’Ahmad al-Madani al-Saghir] et put espérer remettre son poème à Ahmadou et recueillir le fruit du travail qui lui avait couté tant de peine. Le colonel Archinard ne lui en laissa pas le temps et Ahmadou était en fuite sur Bandiagara avant que Mohammadou Aliou eut pu l’approcher. Il ne le suivit pas et, déjà âgé de plus de soixante ans, résolut de prendre un repos définitif. Riche de sa qacida, il reprit le chemin du Fouta-Toro et rentra à Hayré où il avait un frère et des neveux.
Il y a vécu encore une vingtaine d’années et y est mort aveugle en 1911. La qacida de Mohammadou Aliou est, à notre connaissance, la seule biographie indigène du Cheikh Omar. Elle est, malgré sa forme, rédigée avec un souci évident d’objectivité et de précision.
Pour toutes les campagnes du Cheikh, l’auteur, qui les a faites, a noté consciencieusement toutes ses étapes et la date des évènements importants. De Dinguiraye a Hamdallahi, son récit est un journal de route bien tenu, mais c’est le journal de route d’un simple Talibé, un soldat du rang, et il y faut des éclaircissements.
Extrait du récit d’Eugène Mage, envoyé à Ségou de 1863 à 1866.
Nous étions en plein mois de Ramadan, ou carême musulman les Talibés jeûnaient ponctuellement pour la plupart. On sait en quoi consiste ce jeûne : on ne doit pas manger du lever du soleil au coucher et on ne doit ni boire, ni avaler sa salive, ni se rincer la bouche, ni fumer. Aussi, pendant ce temps et surtout lorsque le carême tombe en pleine saison sèche, comme cette année, les musulmans dorment une partie du jour et restent le plus longtemps possible dans leurs cases. Le 8 mars on guettait l’apparition de lune qui devait terminer ce jeûne, si rigoureux et si pénible, que la plupart le rompent plusieurs fois, sauf à restituer ensuite le jours de jeûne non observés. Mais la lune ne se montra pas. En revanche, on nous apporta la nouvelle suivante: « Une femme est arrivée chez Ahmadou; elle s’est enfuie de Sansanding où ses maîtres se sont réfugiés parce que son village a été cassé par Alpha Ousmane ».
Pendant ce temps, Alpha Ousmane opère sur la rive droite. Ahmadou a donné l’ordre à l’armée campée à Koghé d’envoyer 40 chevaux en éclaireurs. »
Le lendemain, c’était un homme qui apportait des nouvelles analogues, et toutes ces nouvelles, j’en ai eu la preuve plus tard, étaient inventées pour ranimer l’espoir chez les Talibés, pour leur faire croire, à l’approche de la fête du Cauri, que bientôt El Hadj serait au milieu d’eux, et surtout pour écarter l’idée de sa mort, que quelques-uns commençaient à soupçonner.
Le 9 mars, la lune montra son croissant argenté mince comme un filet, et tout aussitôt, en dépit des ordres qu’Ahmadou avait fait crier dans le village par les griots, une salve de coups de fusils partit de tous les toits pour saluer l’apparition de l’astre des nuits et la fin du jeûne. Mes laptots avaient aussi préparé leurs fusils, mais je voulus donner l’exemple de l’obéissance, et je défendis de tirer.
Cependant je désirais savoir le motif de la défense, et je le demandai à Samba N’diaye, qui répondit que c’était pour ne pas gaspiller de la poudre, car, quoiqu’on en fabriquât beaucoup, on en consommait davantage encore.
Ce même soir, l’armée de Koghé, qui était placée depuis longtemps comme armée d’observation dans ce village, rentrait pour la fête. Il y avait à peu près cinq cents chevaux.
9 mars 1864
Le lendemain, 10, était donc la fête du Cauri. Dès le soir, j’envoyai en cadeau à Ahmadou une pièce de mérinos bleu de ciel, d’environ douze mètres. C’était une étoffe très-belle de nuance et de qualité. C’était d’ailleurs le premier présent que je lui faisais, car le gouvernement n’ayant pas jugé à propos de lui en envoyer, je n’avais pas voulu avoir l’air d’offrir des bagatelles qui, dans ma pacotille, étaient des objets d’échange, et qui eussent passé dans l’opinion publique pour le cadeau du gouverneur, qu’on eût trouvé à coup sûr très-mesquin.r
Ce cadeau, qui ne dépassait pas une valeur de 60 francs, fit plaisir à Ahmadou; il fit tailler deux boubous, en prit un pour lui, et donna l’autre à son frère Aguibou. La nuance était de son goût. Cette étoffe légère, chaude et simple, lui convenait. Mon messager interrogé lui dit que cela valait 20 francs la coudée, que je l’avais apporté pour lui, qu’il n’y avait que les gens très-riches qui en eussent, et comme ce n’était pas un des objets ordinaires de traite au Sénégal, aucun des Toucouleurs ne s’inscrivit en faux contre ces assertions. Ahmadou fut content et me fit remercier.
J’avais témoigné le désir d’assister à la fête, on mit à ma disposition le cheval de Samba Ndiaye et un autre pour le docteur.
10 mars 1864.
Vers huit heures, le tam-tam de guerre ayant battu la marche annonçant la sortie d’Ahmadou, nous montâmes nos coursiers et nous nous rendîmes hors de la ville, passant par la grande porte du marché, accompagnés des sofas qui avaient été depuis notre arrivée affectés à notre service.
Le docteur allait à une allure paisible comme en voyage; quant à moi, habitué depuis l’enfance à monter à cheval, et sentant pour la première fois depuis mon départ de Saint-Louis un cheval vigoureux entre mes jambes, je rendis la bride et je franchis au galop le kilomètre qui sépare la porte de l’extrémité du village des Somonos, étonnant considérablement les noirs qui s’extasiaient de voir un blanc savoir faire courir aussi bien qu’eux un cheval et monter sur une selle sans y être emboîté, comme ils le sont sur leurs selles indigènes.
Il y a à l’extrémité Est du village des Somonos un vaste emplacement où le terrain sablonneux a une teinte rouge que je crois due à un oxyde de fer, et est à peu près dépourvu d’herbes, tant à cause du ravinage qu’y opèrent les eaux de pluie, qu’à cause du piétinement continuel dont il est l’objet; de grands arbres, benténiers (fromagers), figuiers à racines pendantes, et quelques doubalels ombragent une partie de cette place. C’est là qu’on fait la fête du Cauri [Kori en pulaar] et en général toutes les fêtes religieuses et les grands palabres.
Ahmadou, arrivé avant nous, était en grande toilette; par-dessus son costume habituel il avait un boubou blanc brodé, un superbe bournous arabe, de drap bleu de ciel, garni de passementerie d’argent, dont les pans relevés sur les épaules montraient une doublure de soie jaune, verte et rouge, du plus bel effet (pour les noirs); un turban noir, du plus beau tissu indigène, garnissait sa tête sans être d’une dimension trop exagérée. Il avait aux pieds des bottes vernies à tiges rouges, imprimées en or, dépouille ramassée à l’affaire de Ndioum [défaite des Français face aux Omariens] avec les canons de Bakel, et qui sans doute avaient fait partie de la toilette de quelque traitant volontaire è l’expédition; enfin il tenait à la main le bâton des rois bambaras, canne en bois, de 1,25m de long, garnie de cuir, à la façon dont les Malinkés et Bambaras garnissent leurs fourreaux de sabres.
Un sabre, dont le fourreau de cuir à large palette avait été travaillé avec beaucoup de soin par quelque artiste cordonnier, était sa seule arme. Il s’était placé au pied du plus bel arbre, dont les racines entremêlées formaient une espèce de siège. On avait depuis le matin couvert cette place avec du sable de rivière bien fin et de couleur rouge. Autour d’Ahmadou étaient Aguibou son frère, Mahamadou Abi [Mamadou Thierno Bokar Saidou Tall], Alioun, Mustaf, ses divers cousins, en grande toilette puis les chefs et ses intimes habituels. Derrière lui en demi-cercle était sa garde de sofas, dont l’un portait le fusil d’Ahmadou, fusil français à deux coups garni d’argent.
Enfin, autour de ces principaux acteurs se tenait la foule des Talibés, dont les groupes furent bientôt si serrés qu’on ne pouvait plus circuler, et tout à l’entour de ce vaste cercle, les chevaux qui avaient amené leurs maîtres, les uns piaffant, tenus en brides par des jeunes sofas, d’autres hennissant, entravés et rongeant leur frein.
Un peu à l’écart, le cheval d’Ahmadou était maintenu à grand peine par deux hommes qui avaient eu soin de faire écarter les juments. C’était un cheval entier du Macina, superbe bète au poil noir luisant, sans autre tâche qu’à l’un des pieds. Sous la selle du Macina, était un tapis marocain. La têtière de la bride, garnie de drap rouge, avait été couverte de pendeloques d’étain ou de fer-blanc, de ronds de cuivre, assez analogues aux harnachements des mules espagnoles et sous lesquels disparaissait plus de la moitié de la tête.
La bride elle-même était plate, tressée en cuir mince, avec une régularité parfaite: aux crochets qui la réunissaient avec le mors était une chaîne de fer: et au point de jonction pendaient des glands en une espèce de passementerie de cuir.
Quant à la selle, j’ai dit que c’était une selle de Macina. Ce genre de selles diffère de celui que nous voyons aux Maures et qui est en usage dans tout le Sénégal, en ce que la palette de l’arrière est beaucoup plus large et plus haute, ressemblant aux anciennes selles à la française, à cette différence près que celles du Macina sont plus grandes et ont la palette de devant plus élevée. A celle d’Ahmadou étaient suspendus quatre sacs de cuir contenant des pistolets d’airçon garnis de cuivre, d’origine anglaise. Je contemplai longtemps ce spectacle bien curieux. Dans la plaine arrivaient en groupes les compagnies de sofas, musiciens et griots en tête, marchant pas à pas, puis les retardataires courant au galop. Les Talibés avaient revêtu leurs plus beaux vêtements, tous blancs ou bleus avec des turbans blancs ou noirs. Au milieu de toute cette foule criaient et gesticulaient les griots du roi, Samba Farba et Diali Mahmady, vêtus; de soie, d’or et d’écarlate, ordonnant le silence, se démenant, criat de s’asseoir, de tenir les chevaux; plus loin quelques sofas du roi armes de fouets en cuir, couraient autour du cercle pour imposer le silence aux réfractaires et aux jeunes esclaves. Enfin, sur le toit des cases du village des Somonos, hommes et femmes étaient juchés pour contempler ce spectacle. Tel était l’aspect général de cette fête, dans laquelle, presque seul avec le docteur, je m’abstenais de prendre un rôle actif.
Ahmadou, dès que l’assistance lui parut suffisamment nombreuse, se leva pour le Salam (prière), qui fut prononcé par Tierno Alassane [Thierno Alassane Ba lollirdo Ceerno Ceddo].
Tierno était placé devant Ahmadou, aux côtés duquel se tenaient ses frères, ses cousins et ses plus intimes, sur deux rangs; en face de lui était sa garde de sofas, immobile ou à peu près.
Dès que le Salam fut terminé, Ahmadou vint reprendre sa première place. Les Talibés qui s’étaient mis en rang pour le Salam se groupèrent de nouveau en cercle, tenant chacun leur fusil haut entre leurs jambes. Quand le silence fut établi, Ahmadou se leva.
Il commença son palabre aux Talibés, et ainsi qu’on me le dit plus tard, il leur lut d’abord un manuscrit de quelques pages qu’il tenait à la main, texte arabe, qu’il traduisait en peuhl en le commentant, et qui était l’historique des guerres de Mahomet. Puis après, il leur fit une longue allocution, leur reprochant de n’être pas assez braves, de s’être laissé chasser par les Bambaras, et les traitant fort durement. Les principaux chefs répondirent par l’intermédiaire de Samba Farba, rejetant l’accusation et se défendant de leur mieux.
Ahmadou, reprenant la parole, devint plus mordant encore, et il termina en demandant qu’on lui fournît tout de suite une armée. Nous verrons ce que tout de suite signifie.
Ce palabre avait duré jusqu’à onze heures et demie; j’étais resté jusqu’à la fin. Mais voyant les Bambaras et les sofas venir se grouper pour palabrer à leur tour, je me rappelai les exigences de mon estomac, et je rentrai à la maison, où était déjà le docteur, qui n’avait pas eu ma patience.
A peine avais-je commencé à déjeuner que Samba N’diaye vint me chercher à cheval, me priant de venir avec tous mes hommes parler à Ahmadou. Je crus un instant qu’il s’agissait de quelque nouvelle importante, qu’Ahmadou allait profiter de ce jour pour régler mon départ pour le Macina. Mais en arrivant sou le soleil de midi au lieu du palabre, je fus étrangement désappointé quand je vis qu’il ne s’agissait que de me faire voir aux Bambaras auxquels on venait sans doute de dire que le gouvernement avait envoyé faire Toubi (demander pardon/ se convertir à l’islam), et qui, n’ayant jamais vu de blancs, croyaient peut-être que j’étais un Maure. Pour achever de me mettre en belle humeur, Ahmadou me demanda de faire faire une décharge par mes hommes à la mode des blancs. — Je fis faire un feu de peloton; après quoi, voyant que je n’avais rien à attendre je prétextai un mal de tête et rentrai; puis, une fois à la case. Je ne cachai pas ma mauvaise humeur à Samba N’diaye, le priant de dire à Ahmadou que je n’aimais pas à être dérangé pour rien en plein soleil. Je suis sûr qu’il n’aura jamais fait ma commission.
Pendant ce temps, les sofas et une partie des jeunes Talibés se livraient à la fantasia dans la plaine. J’avais vu aux pieds d’Ahmadou quelques barils de poudre et plusieurs sacs de balles dont il se fait accompagner dans ces occasions solennelles. Il avait distribué quelques-uns de ces barils et on les brûlait consciencieusement, cassant des fusils qui éclataient sous l’effort des charges démesurées, et souvent estropiaient ceux qui les tiraient. Ce fut tout ce que je vis de cette fête; j’y avais gagné un violent mal de tête, mais le soir, j’appris différents détails; entre autres, que les Bambaras avaient refusé de faire le Salam; puis je reçus ce même jour la visite d’un ancien soldat noir de la compagnie indigène du Sénégal; il se nommait Ahmadou.
D’abord esclave à Saint-Louis, puis soldat pendant quatorze ans pour se racheter, il avait été domestique des commandants de Bakel, MM. Hecquart et Rey, et enfin, en 1845, lorsque M. Rey, pour lequel il professe un attachement sans bornes, quitta ce poste, il alla se joindre aux bandes d’El Hadj. Il n’y a pas fait fortune, malgré sa bravoure; il est très-pauvre, et vit de son travail avec sa femme, la seule qu’il ait eue. Il parle bien le français et vient de temps à autres causer avec Samba N’diaye des beaux souvenirs de la vie d’autrefois, qu’ils regrettent sans vouloir se l’avouer.
Il me raconta les deux attaques de Sansanding, auxquelles il avait reçu plusieurs blessures. Il me montra quatre blessures de balles, dont deux avaient traversé son bras droit; sur deux autres qui avaient frappé la cuisse, une avait pénétré.
Mais il ne put me dire, pas plus que personne, pourquoi Ahmadou demandait une armée et de quel côté elle devait opérer.
L’auteur de ce texte ci-dessous est Cheikh Saad Bouh un marabout mauritanien du siècle dernier, de la confrérie Qadriya et de la tribu des Ahel Taleb Mokhtar. Si Cheikh Saad Bouh est natif du Hodh, il s’est relocalisé après la mort de son père, Cheikh Mohamed Fadel (1797-1869) au Trarza, au sud-ouest de la Mauritanie, d’où sa réputation charismatique va très vite atteindre Saint-Louis et les royaumes sénégalais.
Cheikh Saad Bouh souscrivait à l’idéal zwaya de l’enseignement exclusif et de la non-participation aux affaires politiques et guerrières, dans un contexte d’avancée française sur les territoires de la Mauritanie actuelle. Cette posture le distinguait fortement de son frère ainé, Cheikh Moustapha Ma al-‘Aynayn (1831-1910), qui a été le principal résistant à la pénétration coloniale en Mauritanie, au Sahara Occidental et dans le sud du Maroc. Le texte résume les relations de Saad Bouh avec les explorateurs français, jusqu’à l’an 1900.
« Ceci, moi Cheikh Saad Bouh, je l’ai fait sur l’invitation de Monsieur le Commandant, chef des Trarza, qui m’a prescrit de lui fournir une notice sur les aventures des quatre Français qui sont venus dans le Sahara.
Je dis donc que le premier d’entre eux qui était M. Siliane, vint au temps d’Ali ben Mohammed El Habib [Ely Njëmbët; emir entre 1873 et 1886]; il était monté sur une mule et suivi de dix chameaux chargés de nombreuses caisses contenant des marchandises, du numéraire, des outils, quantité de Khent’ [pièce de tissu, guinée bleue], etc.
Il n’avait, comme personnel, que ses guides, ses serviteurs et son interprète. Nous nous trouvions, lors de son arrivée, à Tidjrirt où il nous apprit son intention de parcourir le pays, de l’étudier, de gagner l’Adrar, d’y rencontrer le chef du pays et de se rendre ensuite à Oualata.
Un ou deux jours après qu’il nous eut quittés, nous apprîmes que Mohammed ben Abdallah des Oulad Doleïm avec soixante des siens, se dirigeait de son côté, avec l’intention de le tuer et de le dépouiller. Je montai à cheval avec mes parents et ceux de mes élèves qui étaient présents et nous fimes diligence pour rejoindre le voyageur.
Nous atteignîmes les Oulad Doleïm, alors qu’ayant saisi par la bride la mule de l’explorateur français, ils l’emmenaient dans les sables immenses de la région d’Agchar, avec l’intention de l’assassiner. Nous eûmes avec ces gens une très longue discussion à la suite de laquelle nous fûmes assez heureux pour délivrer le Français et le tirer de leurs mains, avec ses bagages, sans que rien n’en ait été distrait. Nous le ramenâmes à nos campements, puis nous lui donnâmes une escorte pour assurer sa sécurité, jusqu’à Endar [Ndar; Saint-Louis du Sénégal]
Un autre voyageur du nom de Fabert [en 1891] s’en vint chez nous, en un endroit appelé Tinira, avec l’intention d’atteindre l’Adrar. La nouvelle de ce voyage parvint à la connaissance d’Amar Salem ben Mohammed El Habib [frère et successeur d’Ely Njëmbët; règne entre 1886 et 1893], que la guerre alors engagée entre lui et le fils de son frère Ahmed Salem [Ahmad Saloum Ould Ely; en dissidence à partir de 1891 et règne jusqu’en 1905], contraignait de rester éloigné des régions du Sud. Amar Salem, accompagné d’une foule de gens des régions sahariennes, s’en vint chez nous, avec l’intention de tuer le voyageur (M) étranger et de piller son convoi. Je m’interposai, lui disant qu’il n’atteindrait le Français et ses compagnons qu’après m’avoir tué moi-même.
Il renonça à son projet et s’en retourna. J’envoyai alors un homme des Oulad Dimane porter une lettre de M. Fabert à Ben Aida, dans laquelle il lui demandait de venir à Touizket, conférer avec lui. Nous nous transportâmes nous-mêmes en ce point, et, en y arrivant, nous dépéchâmes un homme auprès de Ben Aida [l’émir de l’Adrar, Sidi Ahmad ould Ahmad dit Ould Ayda, r.1871-1891], pour l’informer que le voyageur étant parvenu à Touizket, il eut à l’y rejoindre sans retard. Ben Aida lui fit tenir une réponse dans laquelle il lui disait avoir décampé et se trouver dans le Tiris, donc très loin de Touizket. Il lui conseillait, en conséquence, de regagner Saint-Louis et de remettre son voyage et leur entrevue à l’année suivante. M. Fabert s’en retourna donc à Saint-Louis, sous la protection de l’escorte que nous lui donnâmes.
Vint ensuite un voyageur du nom de Pasiade, qui entreprit d’atteindre les gisements de soufre du pays de Tafelli et commença d’y faire des recherches. Nous étions alors dans la région du Tell, et nous apprîmes qu’un parti de cavaliers Béni Doleïm, parmi lesquels Mohammed ben Obeïd Allah, était en route pour le joindre. Je fis partir le fils de mon frère, nommé Ould Abdalte, que j’envoyai auprès de Pasiade et de ses compagnons, avec mission de faire toute diligence, afin de ne pas être devancé par les brigands. Il les rejoignit, les avertit, et ils purent regagner Saint-Louis sans encombre.
M. Blanchet vint ensuite [en 1900], dans les circonstances suivantes : Les Français avaient envoyé Mohammed ben Abou El Mokdad [Doudou Seck Bou el Mogdad, interprète, 1867-1943] dans l’Adrar, afin de négocier, avec le chef du pays Ahmed ben Sid Ahmed, un accord commercial concernant les échanges qu’ils se proposaient de faire avec lui, sur les confins de son pays. Ahmed ben Sid Ahmed souscrivit à ces propositions et Mohammed s’en revint, ayant obtenu satisfaction. Dans le cours de l’année qui suivit, M. Blanchet, à la tête d’une mission richement pourvue, et accompagné de Mohammed et de cinquante hommes, s’en vint chez nous, dans les parages de Touizket.
Il était escorté d’hommes envoyés par El Mokhtar ben Aida [émir de l’Adrar entre 1891 et 1899, et entre 1909-1913] à sa rencontre, à El Gouachich, et qui lui avaient dit : « El Mokhtar vous fait savoir qu’Ahmed ben Sid Ahmed étant mort, lui El Mokhtar tiendra sa place, pour ce qui regarde les accords passés entre vous ; venez chez lui et vous aurez toute satisfaction ».
Quand M. Blanchet fut auprès de nous avec sa suite, je lui déclarai qu’à mon avis, ils ne devaient pas se rendre dans l’Adrar, avant de savoir si le pays avait un chef dûment investi du commandement. J’ajoutai que ce que je savais d’El Mokhtar, ne laissait pas de me faire craindre pour eux trahison et surprise ; et je leur conseillai de demeurer avec nous l’espace de huit jours, jusqu’à ce que l’on sache pertinemment que les gens de l’Adrar s’étaient mis d’accord pour donner le commandement à cet homme.
Ils suivirent mes avis et envoyèrent Ibn Samba Noro [un fils de Samba Noor Fall de Ndiago?] et un homme des Id ou Ali auprès d’El Mokhtar. Ces deux hommes rapportèrent des paroles satisfaisantes d’El Mokhtar qui annonçait l’envoi de son fils pour escorter M. Blanchet jusqu’auprès de lui. Ainsi fut fait et j’envoyai avec eux mon fils El Hadramy. Il les escorta durant trois jours, les préservant contre les pillards des campagnes qu’ils traversaient, jusqu’à ce qu’ils rencontrèrent Ahmed ben El Mokhtar (celui qui devait être tué par les Oulad Bou Sba, en un lieu appelé Tabrankout). Les voyageurs français renvoyèrent alors El Hadramy, et avec le fils d’El Mokhtar, ils gagnèrent Atar où ils furent installés dans une maison.
Mais les membres de la Djemaâ vinrent à El Mokhtar et lui dirent : *« Qui vous a poussé à introduire ainsi des étrangers dans notre pays? — C’est, leur répondit-il, afin de m’emparer de leurs personnes et de leurs biens *». El Mokhtar était un homme assez lourd d’esprit et maladroit; aussi, quand les membres de la Djemaa l’eurent entendu, se dirent-ils entre eux que dès l’instant que tel était son projet, ils devaient se hâter de le devancer auprès de cette proie. Ils décidèrent donc de prendre les étrangers par surprise, et à l’insu d’El Mokhtar.
Un certain jour, huit hommes de la suite de M. Blanchet sortirent pour aller à l’eau; ils ne se doutaient de rien, lorsqu’ils furent cernés et massacrés. Au bruit des coups de feu, ceux qui étaient restés dans la maison, s’élancèrent au dehors, tuant quiconque passait à leur portée. Ils tuèrent ainsi huit personnes parmi lesquelles il n’y avait que deux guerriers, les autres étant tous Zouaïa. De retour dans la maison qu’ils occupaient, les membres de la mission trouvèrent qu’elle avait été pillée et ils s’y mirent ne état de défense. Ils avaient eu deux blessés, le lieutenant et Mohammed Sek [Doudou Seck Bou el Mogdad]. Le lendemain, ayant été trompés par un stratagème, ils firent une sortie au cours de laquelle Ibn Sanba Noro fut tué et Obeïd Allah El Bousbay reçut une blessure.
Il y avait un certain temps qu’ils étaient cernés dans cette maison, et la soif leur infligeait de cruelles souffrances, lorsque les nègres qui étaient avec la mission proposèrent de percer les murs de la maison pendant la nuit, de s’évader et, ayant la vie sauve, de s’organiser pour effectuer le voyage du retour. M. Blanchet et ses deux compagnons répondirent qu’il leur serait impossible de voyager à pied et qu’ils ne sortiraient pas de la maison. Les nègres s’en furent et les abandonnèrent, avec Mohammed Sek, dans une situation des plus critiques.
Ces nègres [il s’agit des tirailleurs de la mission] passèrent chez nous et nous leur donnâmes un guide et ce qu’il faut en fait d’outrés et autres objets.
Arrivés à Thouaïla, ils rencontrèrent une très importante caravane de Zouaïa [marabouts] de l’Adrar. Ils l’attaquèrent, tuèrent huit hommes aux Zouaïa et les dépouillèrent de ce qu’ils possédaient.
Quand ces événements furent connus à Saint-Louis, une lettre me fut adressée et une autre à Cheikh Sidiya, nous engageant à nous efforcer de porter secours à M. Blanchet et à ses compagnons. Je montai à cheval dans ce but et me mis en route, à une époque où la température est très élevée.
A mon arrivée dans l’Adrar, je trouvai les habitants unanimement décidés, soit à tuer les membres de la mission Blanchet, soit à les conduire au sultan du Maroc. Je dis alors à El Mokhtar : « Il vous faut les abandonner en mes mains, cela sera profitable à tous les musulmans; en effet, le gouvernement français entoure notre pays de ses possessions, et il est indispensable d’éviter avec lui les froissements; le mieux est de montrer de la loyauté aux Français et de leur donner satisfaction; j’ai appris à les connaître, pendant trente ans et je dois à la vérité de proclamer leur sincérité et leur droiture ».
Quand les lettrés et les savants connurent ce que j’avais dit à El Mokhtar, les uns objectèrent qu’il était contraire au voeu de la loi de remettre les étrangers en liberté, les autres opinèrent que celui qui venait ainsi s’interposer en leur faveur, ne méritait que la mort; bref ils lui donnèrent les conseils les plus odieux. Dès que j’en eu connaissance, je lui demandai de me mettre en présence de ces docteurs de la loi, afin qu’il me soit permis de leur démontrer leur erreur et la fausseté de leurs vues.
Ainsi fit-il, et pendant près d’un mois, je luttai contre eux pour arriver à prouver, avec leurs textes en main, que leur loi leur faisait défense de tuer des hommes qui étaient entrés chez eux confiants dans leur parole et couverts par un pacte; et que leur donner la mort serait une indigne trahison réprouvée par la loi. Sans compter que, d’une part, il n’est personne qui puisse impunément manquer aux Français et que, d’autre part, la mise à mort de trois des leurs n’infirmerait pas les accords conclus avec eux et ne saurait diminuer leur puissance, mais plutôt qu’elle serait une source de dommages considérables pour l’ensemble des populations musulmanes.
Ils revinrent tous sur leur opinion première et ne trouvèrent rien à reprendre à mes paroles. Ils observèrent, néanmoins, que s’ils voulaient tuer les membres de la mission Blanchet, c’était pour venger les leurs tués à Thouaïla. Je leur fis remarquer qu’ils avaient été les premiers à donner la mort traîtreusement, en tuant des membres de la mission dont ils avaient surpris la confiance.
Ces discussions, avec les gens de l’Adrar, déterminèrent M. Blanchet à me prescrire de leur engager sa parole, pour telle rançon qu’ils exigeraient, et de la sorte, il se concerta avec eux pour la somme de deux mille huit cents francs. (Quand M. le Commandant m’a demandé quelle avait été la somme convenue, c’est par oubli que je lui ai répondu, d’abord, deux mille francs, pour lui confirmer ensuite le chiffre de deux mille huit cent francs).
El Mokhtar me prescrivit de remettre à Mohammed Seck [Doudou Seck Bou el Mogdad, 1867-1943] mille quatre cents francs, dont quatre cents francs pour le prix du sang de Ibn Sanba Noro et mille francs pour la valeur de ses bagages, puis de lui envoyer directement le reste de la somme. J’en pris l’engagement et je partis avec la mission Blanchet au prix des plus grandes difficultés.
(Pendant qu’ils étaient assiégés, M. Blanchet désirant se racheter, m’avait fait parvenir une lettre, par un homme des gens de Mohammed Salem, dans laquelle il me disait de remettre à cet homme tous les bagages laissés par la mission dans notre maison; il devait en prendre une partie et aller la remettre à El Mokhtar. Je mis à part les livres, papiers et autres objets personnels de M. Blanchet et j’abandonnai à son envoyé tout le reste consistant en sucre, vêtements, etc. Quand il eut terminé son choix, je ne lui livrai les objets choisis qu’après qu’il m’en eut remis la liste que je gardai par devers moi, avec la lettre de M. Blanchet et la traduction en arabe qu’en avait faite Mohammed Seck. Le tout est encore actuellement entre mes mains).
Je partis ensuite avec M. Blanchet et ses compagnons; ils passèrent chaque nuit dans une koubba (mausolée voûté en forme de dôme), tandis qu’avec mes fils et mes élèves, nous les gardions jusqu’au matin, et cela durant tout le voyage. Quand nous fûmes parvenus à nos campements, je leur donnai un guide avec tout ce dont ils avaient besoin pour le voyage, et ils regagnèrent Saint-Louis.
J’y fus moi-même, à quelque temps de là; le gouverneur me remit la somme pour laquelle je m’étais porté garant vis-à-vis des gens de l’Adrar et je l’employai comme l’avait voulu El Mokhtar : j’en donnai la moitié (1.400francs) à Mohammed Sek et je gardai le reste par devers moi.
Vint un homme des Oulad Bou Sbaa nommé Mouley Ahmed ben Laouis porteur d’une lettre d’El Mokhtar réclamant deux cents francs; de sa part encore vint ensuite un homme des Ahl El Hadj, demandant deux cents francs, puis un homme des Id ou Ali demandant deux cents francs et enfin Ben Abdallah El Azam Essebay [es-Sba’i, de la tribu des Bou Sbaa], réclamant le reste que je lui remis. Chacun de ces envoyés était venu muni du sceau d’El Mokhtar et accompagné de nombreux témoins.
Paul Blanchet (1870-1900), chef de la mission va mourir quelques temps après son retour à Dakar, de fièvres. Il est enterré au cimetière de Bel-Air. Le siège a Atar, a duré du 10 juin au 27 aout 1900.
Koli Tengella (aussi orthographié Koli Teŋella) est un leader peul et un personnage mythique de l’histoire du Fouta Tooro, père de la dynastie deeniyanke et des satigi qui régneront deux siècles sur la moyenne vallée du Sénégal et au-delà. Bien qu’il soit connu de tous, il est difficile de séparer fables et faits historiques à son sujet. Son origine se confronte à différentes théories dont certaines sont rejetées aujourd’hui. Koli est présenté dans les traditions orales du Fouta Tooro comme le fils biologique de Sunjata Keita, fondateur mythique de l’empire du Mandé, son père Tenguella ne serait donc que son père nourricier. Sire Abbas Soh dans chroniques du Fouta sénégalais rapporte : “Ensuite arriva Koli, fils du roi du Manden Sundyata fils de Mohammadu fils de Kinana, d’origine himyarite, sa mère était Futa-Gay fille de Sigani Makam. Son ancêtre Kinana le Himyarite était parti de l’Orient et venu dans le pays du Manden, accompagné de vingt mille guerriers {…} se rendit maître du pays en question et y régna pendant quarante ans.” Ces affirmations sont cependant réfutées par des ouvrages tels que le Tarikh el-Fettach et le Tarikh al-Sudan et également des généalogiens comme Cheikh Moussa Kamara qui retrace les origines de Koli au sein de la fraction peule des Yaalalɓe, sous groupe des Uruurɓe (dont le yettoode est “Bah”) vivant à l’époque précédent la conquête du Fuuta par Koli dans le Jaara/Kingi (ouest du Mali actuel). Tout laisse à croire que les Deeniyankooɓe ont façonné de toutes pièces cette généalogie pour le prestige de Sunjata dans la région. Si l’on en croit les dates, Koli ne peut pas être le fils de Sunjata car plus de 2 siècles les séparent. Il est également mention d’une ascendance remontant à Bilal b. Rabah, compagnon abyssin du Prophète (psl) enterré à Damas dans le Levant, encore une fois c’est une invention généalogique imputée à Sunjata par les griots mandingues que Cheikh Moussa Kamara réfute et qui n’a aucune base historique. Oumar Kane déclare :”Il trouve absurde de faire de Koli le fils de Sunjata Keyta, car il y a au moins deux siècles et demi entre les deux personnages. Si son père était mandingue, ce serait chez les Malinke qu’il chercherait refuge en cas de difficultés. Il semble au contraire que Tenguella a combattu les Malinke et a été combattu par eux, parce que le royaume jaalaalo, en s’étendant vers le sud, s’est constitué à leur dépens. Koli, fils ainé de Tenguella, a reçu la mission de conquérir et d’organiser ce que Arcin (1911) appelle la confédération wassulunke. Koli est bien le fils de Tenguella, même si sa mère est paddo, c’est-à-dire non peule, donc wolof, soose, ou malinke. Même si sa mère n’est pas malinke, Koli avait fait ses premières armes en milieu malinke ; il a gouverné les Malinke du Bajar, du Kade et du Ngabu. En d’autres termes, Koli, fils de Tenguella, est un Jaalalo, comme le confirment l’Anonyme de 1600 ou Tarikh es-Sudan. Koli est donc le second roi des Fulos Galalhos ou Gagos, c’est-à-dire des Fulbe Yaalalbe”. Cheikh Moussa Kamara dans son Zuhur al-basatin en se basant sur tarikh al-Sudan s’exprime en ces termes au sujet de la généalogie des deeniyankooɓe :”Tenguella Gedal, le père de Koli, avait un frère qui s’appelait Maaliga Gedal, ancêtre des Yalalbe. Il était le père de Mori Maaliga qu’on appelait Mooli Maaliga, d’Aali Maaliga, de Sammba Maaliga, de Fodé Maaliga, de Pateeri Maaliga, de Debe Maaliga et de Cerno Maaliga. “…”Quand il dit dans Tarikh al-Sudan “Tenguella est le Silatigi des Yaalalbe et Niima Silatigi celui des Uururbe, etc.” cela montre que ce sont des Fullani (Peuls) d’origine et pas autre chose car ces clans, les Yaalalbe, les Uruurbe, les Feroobe et les Worlabe sont des clans peuls pour nous, et que Silatigi est le titre du chef de l’armée des Fullani nomades (badawiyyun) et pilleurs de bétails.”
Cet extrait nous montre bien la parenté entre Yaalalɓe et Deeniyankooɓe qui sont tous deux issus de la grande fraction des Uruurbe. La parenté entre Yaalalɓe et Deeniyankooɓe serait d’autant plus confortée par le fait que les deux revendiquent descendre du même ancêtre, Geɗal Deeny, père de Tenguella (père de Koli) et de Maaliga Geɗal. Les Deniyankooɓe seraient donc uniquement des Yaalalɓe ayant conservé le pouvoir politique pendant quasiment 250 ans. On dit que c’est lors du séjour à Deeni que cette fraction des Yaalalɓe prirent le nom de Deeniyankooɓe, une autre version lie tout simplement le nom Deeniyanke à Deeny, père de Geɗal. Les traditions sont nombreuses et se contredisent, mais les deux permettent d’affirmer sans nul doute que les Deeniyankooɓe et les Yaalalɓe sont liés par la parenté. Encore dans son Zuhur Cheikh Moussa Kamara rajoute : “Le patronyme des hommes adultes parmi les descendants de Sunjata est KEITA qui veut dire “celui qui a hérité” ou “celui qui a pris l’héritage”, c’est-à-dire “o ɓami ndonu” dans notre langue (pulaar). On dit aussi que Keita veut aussi dire le lion; et Allah est plus savant. Quant à celui des jeunes garçons, c’est Konaate qui veut dire aussi le lion ou Keita pour les chefs parmi eux plus particulièrement. {…} Quant à ceux qui sont au Fouta (les Deeniyanke) leur patronyme est BAH uniquement. Le Tarikh al-Sudan et le Tarikh al-Fettach ont démenti la prétention des Deniyankoobe à descendre de Sunjata et ont confirmé qu’il sont seulement des Peuls mais qu’ils aiment beaucoup se rattacher à Sunjata et un peu moins aux autres souverains.”
Fergo (exil) de Koli
Comme évoqué précédemment, Tenguella est le père biologique et nourricier de Koli et son histoire est intimement liée à leur relation de parenté, ils sont même souvent à tort confondus dans les récits. Traditionalistes et écrivains coloniaux ont tous deux évoqué la migration (fergo) de Tenguella et Koli et de leurs contingents. Selon Siré Abbas Soh auteur de chroniques du Fouta sénégalais Koli et son père aurait tout deux migrés ensemble et se seraient séparé à la confluence du Falémé, l’un allant vers le Fouta Tooro et l’autre vers le Kingi, ils auraient tout deux émigré depuis le Mandé selon cette même version. La version d’Arcin nous donne un peu plus de détails sur cette supposée migration de Koli, cette fois seul : “ce fut un fils de Teŋella Yaye qui paraît être venu de l’ouest du Wassolou qui sut grouper toutes les énergies mises en mouvement. Koli Tenŋella ou Tengrella était de cette famille des Bâ qui dominait au Ouassolou comme les Sankhare (Barry) vers le Fouta Dialo actuel et les Dialo dans le Nord.” Ici Koli est le seul à avoir migré depuis l’ouest du Ouassolou, donc la région occidentale du Mali actuel, Arcin ajoute plus loin : “Les Ouassoulounke étaient appelés par leurs frères de l’ouest, et c’est ce qui explique la marche de leur invasion. Koli Tenelé avait réussi à acquérir une solide armée à laquelle il a joint des auxilliaires pris parmi les primitifs du sud et notamment les Koniagui et Bassari…Il s’avança vers le Fouladou mais n’entre pas dans le Manding. Soutenu par tous les Soso de l’est répandus dans les vallées du Tinkisso et du Bafing, il entre dans le massif montagneux du Fouta-Dialo et s’établit à l’ouest dans le Kébou où il fonda sa capitale Gueme Sanga {…} il organisait un vaste royaume sur le plateau de Labé, soumettant les Baga et les Landouma ou s’alliant avec eux.”
Les détails donnés par Arcin nous indiquent une migration progressive de Koli depuis son lieu de départ, c’est-à-dire tantôt le Mande, tantôt le Ouassolou occidental vers le Fouta Djallon actuel passant par le Fouladou. Ce sont les traditions orales du Fouta Djallon qui évoquent cette migration et le passage de Koli dans la région, on affirme même que son tâtâ (forteresse) est encore présente dans la préfecture de Télimélé (Guinée).
Dans Les mémoires de Maalaŋ Galisa sur le royaume confédéré du Kaabu, il est dit au sujet de ces migrations peules : “Le premier grand mouvement peul daté selon les sources portugaises, est celui de Dulo Demba vers 1460. Venant du Sahel il aurait traversé le ‘passo dos Fulos’ sur le fleuve Gambie d’où il aurait atteint le pays biafada de Kinara et le fleuve Korubal. Dans l’ensemble, les mouvements de Teŋella et de son fils Koli Teŋella couvrent toute la région du Haut Sénégal, du Fuuta Tooro, du Bajar, du Tenda, du Ñaani et Wulli au nord du fleuve Gambie, du Kaabu jusqu’au Fuuta Jallon. Geme Sangan, sur le plateau du Labé, vers Télimélé, aurait été un point stratégique entre 1460 et 1474.”
Dans Figures peules, Sylvie Fanchette dit également à ce sujet : “A la fin du XVe siècle, des Peuls entrèrent en grand nombre dans les provinces septentrionales du Gabou et au Fouta Djallon où Koli Tenguella essaya de créer un royaume avec pour capitale Guémé Sangan, à la lisière du plateau. Au début du XVIe siècle, il traversa le Gabou pour conquérir de nouveaux espaces dans la région du Fouta Toro.”
Ces Fulɓe qui ont suivi Koli sont probablement à l’origine des premiers peuplement peuls du Fouta Djallon et ce que les Fulɓe islamisés nommeront plus tard les pulli. Tenguella, son père, est mentionné dans d’autres récits évoquant le Kingi comme lieu où il fut tué par l’empire Songhay pour s’être rebellé contre Gao. Le Tarikh el-fettach évoque cet épisode : “C’est en 918 (19mars 1512-8 mars 1513) que fut tué l’imposteur, c’est-à-dire Tenguella, qui prétendait être prophète et envoyé de Dieu (la malédiction divine soit sur lui!). C’est le kanfari (kurmina fari : gouverneur militaire de province et frère de l’askia Mohammed) Amar-Komdiago qui le tua, sans que l’askia lui eu eut donné l’ordre et sans que ce prince en ait eu connaissance, partant de Tendirma, Amar marcha contre Tenguella et Dieu lui accorda la victoire : étant donné que son adversaire avait des troupes plus nombreuses {…} le kanfari Amar ne put arriver à le vaincre que grâce à la protection divine. {…} Ce Tenguella était chef du Fouta appelé Fouta-Kingi, c’était un prince puissant, valeureux, brave, doué d’énergie et enclin à la révolte. Ayant quitté le royaume du Fouta, il était venu au Kingui, s’y était installé et s’y était fait proclamer roi.” Il est utile de préciser ici que bien que l’auteur affirme que Tenguella se déclarait prophète, il n’y a en réalité que très peu de chance que ce soit vrai. Il est dit que Tenguella aurait lui-même provoqué l’émigration de différents Fulɓe vers le Songhay et le Xaañaga. L’évocation du nom Fouta comme d’un royaume différent du Kingi, quant à elle, est quelque peu troublante et laisse planer le flou sur l’origine de Tenguella. Cheikh Moussa Kamara dans son Zuhur en commentant ce passage expliquera que le nom Fouta était donné pour toute région abritant des Fulɓe. Il est donc possible que Tenguella soit parti d’un lieu différent du Fouta Tooro actuel qui sera conquis par son fils pour s’installer dans le Kingi et démarrer sa révolte. Est-ce donc la mort de Tenguella qui a poussé Koli à l’exil? Encore une fois l’histoire nous donne peu de détails sur cela. On est certains en tout cas que Koli a migré avec d’autres fractions peules en nombre relativement important dont ses propres cousins Yaalalɓe, Cheikh Moussa Kamara nous informe dans son Zuhur al-Basatin :
“Parmi les fils de rois qui avaient migré avec Koli, il y avait Niima, Mori Maaliga, Aali Maaliga et Sama Maaliga, fils de Maaliga Gedal et parents de Koli, puisqu’il était le fils de Tenguella Gedal. Et Allah le Très-Haut est le plus savant. Avaient émigré aussi avec eux Jey Bolaaro “bolaaro” est le singulier de Wolarbe, Jey Jaalo Gaynaako Dimaadi (le berger de pur-sangs), Albagha ou Alfagha ou Aali Baka et enfin Soriyaa. Avait aussi émigré avec lui, Malal Sewdu chef des Mahinaabe dont l’origine est peut-être Makha KAMARA. Avait aussi émigré avec lui ‘Abbas Jambel chef des Soowonaabe. Plusieurs Fullani avaient aussi émigré avec lui mais je ne sais pas ce qu’étaient devenus la plupart d’entre eux. Ils avaient habité au Bajar pendant un certain temps, puis ils étaient partis au Fuuta (Tooro). Koli tua les rois de ces pays et s’empara de leurs royaumes.”
L’importance du commerce de l’or dans la région est aussi à lier avec la présence des Portugais qui bénéficient eux aussi de ce commerce qui traitaient notamment avec ce qu’il restait du Mande et de ses vassaux. Si l’on sait que Tenguella s’est attaqué au Mande entre 1481 et 1495, ce qui a provoqué l’intervention du roi du Portugal Dom Joao II. Il est également possible d’affirmer que les différentes conquêtes orchestrées par Koli ont également dérangé les Portugais dans le commerce de l’or avec les royaumes vassaux du Mandé et le Songhay. Oumar Kane émettre comme hypothèse à propos du mande mansa : “Il a, selon toute vraisemblance, en accord avec le Songhay et les Portugais, décidé de chasser Koli qui constitue un réel danger pour la sécurité des relations commerciales et des routes de l’or.”
“Il mène une guerre incendiaire contre les Malinke et les Songhay. Il inquiète par ses activités les Portugais. Évidemment ces derniers poussent leurs clients à la résistance contre Tenguella. Il y a donc conjugaison d’efforts des Songhay, des Malinke et des Portugais pour faire chuter l’impérialisme des Fulɓe Yaalalɓe.”
Il soutient également la thèse qui affirme que les migrations de Koli et la dispersion des Yaalalɓe sont une conséquence des guerres de son père Tenguella contre le Mandé et le Songhay. Les évènements de 1481-1495 rapportés dans les sources portugaises par Joao de Barros concernent donc uniquement Tenguella. Selon cet historien.
Du Bajar au Fouta
Koli Tenguella dans les récits est décrit comme un chef tribal, allié des Fulɓe de ces pays et conquérant les royaumes de la sous-région lors de ses migrations. Il aurait donc quitté son lieu d’origine avec ses parents Yaalalɓe à la mort de son père. Ce qui a réellement motivé Koli Tenguella dans ses conquêtes reste incertain mais il n’est pas insensé de supposer qu’il fut également animé par une certain “nationalisme” avant l’heure, combattant pour la liberté des Fulɓe dans les différents royaumes où ils étaient assujettis. C’est en tout cas ce que rapportent les traditions orales recueillies par Arcin qui affirme que Koli n’a fait que répondre “à l’appel de ses frères opprimés et persécutés.” Oumar Kane rapporte les versions des écrivains coloniaux tels que Arcin, Tauxier et Delafosse dans la première hégémonie peule et s’exprime en ces termes : “Après avoir vaincu la confédération Sereer-Jola, Koli se prépara à attaquer les royaumes du nord, appelé par ses frères qui vivaient en nomades dans tout le Bas-Sénégal, ou qui avaient formé des États tels que celui du Khasso, soumis à la tyrannie des empires malinké ou songhoy…”.
“Il attaqua les Soose (Mandingues) qui dominaient les Fulɓe du Bundu et du Damnga. Les Wolof sont soumis ou refoulés à l’ouest, et les Fulɓe du Ferlo (Sénégal central) sont affranchis de leur tutelle. Tout se passe comme si Koli mène une guerre de libération de la nation pullo où qu’elle se trouve. Il est possible que Koli ait été guidé par un certain nationalisme, ce qui était incontestablement le cas pour son père. Sa guerre contre les Songhay, le Mali (Mandé) et les principautés mandingues de la Gambie a revêtu un caractère politique, mais aussi économique, visant à contrôler les routes de l’or tout en libérant les Fulɓe de la tutelle des tyrans. Mais il n’est pas sûr que Koli ait toujours été appelé, car dans le Fuuta, il a combattu des Fulɓe.”
Il continue ensuite : “Dans ses conquêtes, Koli a toujours pris le soin d’associer des minorités non fulɓe, Koniagui et Basari, Soso de l’est, Tenda et Sadioko malinke, Baga et Landuma, Sereer et Joola, après sa victoire sur leur confédération. Cette conciliation vis-à-vis des populations conquises semble rejoindre les traditions du Fuuta Tooro d’après lesquelles Koli épousait toujours les filles ou les veuves de ses victimes. Cette conciliation vis-à-vis des populations non-conquises rend moins lourde la domination des Fulɓe, et fait participer effectivement au pouvoir les vaincus par l’intermédiaire de leur enrôlement dans l’armée.”
La politique de Koli à ce moment installé dans le Bajar se basait sur la conquête et l’alliance avec les populations locales, par le mariage et l’enrôlement dans les forces armées. On sait que ces auxiliaires Bassari et Koniagui rejoindront en nombre l’armée de Koli, seront nommés par la suite les ‘Seɓɓe Koliyaaɓe” et seront décisifs dans la conquête du Fouta Tooro lors de la migration vers le nord. Les raisons des conquêtes de Koli semblent elles être aussi bien politiques, ethniques qu’économiques. Il est vrai que tous les pays supposément conquis par Koli et ses armées (Ngabu, Firdu, Wuli, Ñaani, Jolof, Ɓunndu) contenaient de grandes minorités de Fulɓe mais il est semble que la tradition a parfois exagéré l’importance de certaines de ces conquêtes. Le royaume Bajar (région frontalière entre l’actuel Sénégal et l’actuel Guinée) ainsi formé et dirigé par Koli était à ce moment situé sur une route commerciale reliant le Fouta Djallon (précisons ici que le plateau du Fouta Djallon ne sera conquis qu’au 18e siècle par les Fulɓe, nous utilisons ce terme pour indiquer une zone géographique uniquement) au Fouta Tooro comme le souligne Gilbert Vieillard. Les Fulɓe du Bajar seraient les intermédiaires entre les Fulɓe du Fouta Djallon et du Fouta Tooro.
Le Bajar est décrit comme “une vaste plaine sablonneuse, avec des roniers bordant les rivières. On y cultive le riz, le sorgho et le mil.” On dit aussi que le riz flotté (maaro) du Fouta Tooro aurait été introduit par les Fulɓe du Bajar. La présence de Koli au Bajar est sans nul doute véridique, confortée par les traditions orales et les écrits de Sire Abbas Soh, qui, suivant la tradition du Fouta Tooro dira :”qu’il habitait un pays appelé Badyar et que, partant de là, il se rendit au Nyaani, y fit la guerre au roi de ce pays nommé Sammbo-Dabbel et le tua. Reprenant ainsi sa route il se rendit à Badon-Tyolli puis traversa la rivière de Keve, passa par Beli-Badon et par le Nyokolo-Koba, traversa la rivière de Farako, passa par Wutufere-Lengedye puis par Hoore-Mawba puis par Galo, puis par la mare de Nomi, puis par Bulel, puis par Tyipi, puis par Sututa, puis par Kaparta, puis par Kusan-Tunke, puis par le village de Gambi, puis par Kodde-Koli, qui fut appelé ainsi parce qu’il y avait renversé ses provisions de route, chose qui se dit ainsi dans la langue des étrangers (al ‘ajamiyyun parlant toute langue africaine non-arabe), ce dernier endroit se trouve entre Gambi et Nammarde. C’est la que Tenguella fils de Gedal son père nourricier (ici il reprend la version fuutaanke qui dit que Tenguella n’est pas le père biologique de Koli), passa au bord du fleuve pour aller résider à l’est de Nyoro en une localité appelée Dyara.”
Koli Tenguella entreprit la conquête du Ñaani et du Ñammandiru en quittant le Bajar. Il combattu le chef des Fadduɓe du Nyaani Sammba Daɓɓel comme cité plus haut et le tua. L’historien Yero Booli Diao rapporte également que Koli tua le berlab Weli Mberu Mbake Teedyek et “que son peuple se dispersa en direction du Jolof, du Siin et du Saalum”. On voit ici que la supposée conquête d’une confédération sereer-joola concernait plutôt le Nammandiru où cohabitaient Sereer, Soose (Mandingues) et Fulɓe. On comprend ici que les migrations de Koli se sont faites du sud vers le nord, du Fouta Djallon au Bajar, en traversant la Sénégambie, bouleversant l’équilibre géopolitique préexistant et conquérant les entités politiques environnantes.
Des migrations similaires ont eu lieu, des contemporains de Koli comme l’arɗo mbaal du Ferlo Sammba Moɗam, qui selon les traditions orales et les propos reccueillis auprès de Ali Ba, bammbaaɗo (griot-guitariste) des Fulɓe Mbaal aurait également migré vers le nord d’où il rapporta ensuite des échantillons de toutes les cultures du pays (mil, maïs, haricots, pastèques, patates, coton etc.). On retrouve des traditions similaires dans l’histoire de Jambel Ali qui aurait découvert “une terre bénie (le Fouta) qui ignore la faim et la soif grâce à ses plantureuses récoltes, grâce à son fleuve aux eaux fécondes et poissonneuses, une terre propice à l’élevage grâce à ses riches pâturages.”
On peut toutefois se demander ce qui a poussé Koli à quitter le Bajar, à ce moment où son pouvoir était stable et accepté de tous. Était-il menacé par ses voisins? Ou la situation économique était-elle devenue préoccupante au point de devoir migrer? C’est ce qu’affirme une tradition recueillie par Steff :”Koli Tenguella, roi de Badiara, guerrier par essence fatigué de vivre dans un pays où personne ne lui cherchait querelle et où les terrains devenus vieux produisaient mal, après avoir exercé vigoureusement ses guerriers, se décida à quitter son royaume pour en chercher un plus prospère.”
La situation particulière du Fouta Tooro, situé en pleine vallée du fleuve Sénégal a attiré les convoitise de plus d’un et surtout des Fulɓe vivant dans le Jeeri à ce moment complètement frappée par la sécheresse. Encore selon Steff, c’est lors de son passage dans le Jolof que Koli découvre les richesses du Fouta. La migration de Koli du Bajar vers le Fouta semble donc principalement motivée par des raisons économiques et la recherche d’un avenir plus prospère pour lui et ses administrés. La conquête du Fouta Tooro se déroula en plusieurs étapes, il est important pour le comprendre de mentionner l’itinéraire emprunté par celui-ci, mais également l’état des lieux politique de la moyenne vallée du Fleuve à ce moment précis.
Conquête du Fouta Tooro
L’extension du Jolof aurait poussé à l’exil des fractions fulɓe telles que les Uruurɓe, les Wolarɓe, et les Yaalalɓe. La colonne de Dulo Demmba dirigée vers le sud-est finit exterminée dans la Guinee-Bissau actuelle. Dans son sillage et sans doute tirant les leçons de son échec, un autre fergo dirigé par Teŋella Geɗal se consolide dans le sud de la Sénégambie avant de marcher vers le nord-est, et de fonder l’état éphémère du Fouta Kingi dans le Jaara vers 1464-1470. Cette version semble plus juste et contredit la version de Sire Abbas Soh et d’autres écrivains qui font se séparer Koli et Tenguella au Falémé. Il est plus logique d’affirmer que Koli a migré suite à la désintégration du Kingi et la mort de son père. Le Jolof étant donc l’une des puissances en place dans la vallée du fleuve, Koli Tenguella dut se heurter au pouvoir des farba et des seɓɓe (guerriers), percepteurs des impôts depuis la suzeraineté du buurba Djolof sur le Fuuta occidental. Il a dû également affronter les pouvoirs fulɓe locaux, ainsi que les faren Jawara du Kingi qui régnaient sur les provinces orientales du Fouta (Damnga). Les itinéraires associés à la conquête progressive du Fouta sont nombreux et ils seraient long de tous les évoquer ici, selon Steff reprenant ici les traditions du Fouta Tooro : “Tour à tour sont battus les rois du Saluum, du Baawol; du Kajoor et du Jolof. Après la défaite de ce dernier, Koli et ses troupes s’enfoncent dans la vallée du Pute pour aboutir dans le waalo de Joŋto, en plein Booseya (Fouta central) soumis après la défaite de son principal chef farmbaal; le Ngeenar subit le même sort après la défaite du farba Jowol, suivi du Law après la défaite du farba Waalalde, et enfin se soumet le Tooro (Fouta occidental) d’Ali Eli Bana et la confédération des Jaawɓe (clan pullo) du Tagant après la mort d’Arɗo Yero Diide. Le Fuuta une fois conquis et organisé, Koli ayant une nouvelle base part à la conquête de l’est, du Kingi probablement. Il meurt à Lambedu.”
Il est dit que c’est seulement en 1529-32 que Koli Tenguella soumis entièrement le Fouta, fruit de longues batailles entre les farba soumis au Jolof, les faren jawaranke et les pouvoirs fulɓe indépendants (jaawɓe de Girmi, Laam Tooro Geɗe). La conquête fut longue et les résistances nombreuses, les notables pour beaucoup ne voulaient pas se soumettre à Koli malgré ses impressionnantes forces selon la tradition orale (9999 hommes dont 3333 archers dit-on) composées de Fulbe et d’auxiliaires (Seɓɓe Koliyaaɓe) aguerris par des années de combat partant du Bajar et dans le reste de la Sénégambie. Selon Oumar Kane, pour la conquête Koli utilisa massivement des auxiliaires venus du sud, recrutés parmi les Koniagui, les Bassari, les Tenda, les Baga, les Landouma et les Sadioko malinke lors de son passage au Fouta Djallon et dans le Bajar. Tauxier affirme qu’il y avait également des contingents sereer. Koli s’attaqua au Damga (Fouta oriental) et le Bunndu et y combattit les faren dépendants du royaume Jawara.
Selon les sources traditionnelles, Il tua à Wawnde le faren Mahmuudu Dama Ngille et son frère Samba. Il combattit le faren Ndumaan-Fegge à Fajar, le faren Coŋollo à Foora, Dibeeri et Jaaye Dibeeri à Nabbaaji, et le faren de Daaru à Bokkijawe. Les différents faren vaincus par Koli et son armée, ce qui restait des troupes soninké se replièrent vers l’est, le Bunndu et le Bambuk.
Selon Sire Abbas Soh dit: “Quant à Koli, il poursuivit sa route par Gurel-Hayre, Dyekulani, Gawde-Bofe et Fadyar, où il tua le faren ainsi que le fils de celui-ci, Ndumman-Fege. Puis il fit halte à Foora, et y tua Tyongolo et son fils Dyadye-Tyongolo. Ensuite il fit halte à Nabbaaji et tua un roi appelé Dibeeri ainsi que son fils Dyadye Dibeeri {…} ensuite il fit halte auprès de Daaru chez le Daaru-faren en village appelé depuis Bokkijawe et y tua un kokkoren-faren surnommé “le premier”. Ensuite il fit halte à Anyam-Godo, où il tua un faren qui avait le pas sur les deux tués déjà dont mention vient d’être faite en cet écrit. Ce village d’Anyam-Godo et celui qui le remplaça était alors le séjour d’une tribu appelée Wodaabe. Il y résida vingt-sept ans environ. Au cours de cette période il tua le faren Mahmuudu fils de Dama-Ngille fils de Mori fils de Musa fils de Mumin Ta’im fils de Da’im. Koli tua aussi son frère Dyambere fils de Dama-Ngille. Il le tua grâce à l’arc de Niima, fils de Tenguella, fils de Gedal…”.
Dans le Ngeenar, il est dit que Koli affrontit les farba vassaux du Jolof, il tua le farba Erem, le farba Njum et bummuy Hoorefoonde. Il affrontit également les Jaawɓe à Njorol près de Demmbankani (Sénégal oriental). Continuant vers l’ouest, Koli s’attaqua au Booseya dans le Fouta central et attaqua le farmbaal Mbenyi Legetin à Haayre Mbaal en soudoyant son frère Kerkumbel, il blessa le farmbaal mortellement d’un flèche empoisonnée. Kerkumbel persuada ensuite les guerriers du Booseya de déposer les armes et le Booseya fut soumis à Koli. On voit dans cet épisode que Koli savait user des luttes intestines et des divisions internes entre les notables locaux à son avantage. Le Ngeenar et le Booseya une fois soumis, Koli se dirigea vers le Laaw plus à l’ouest, il vainquit le fameux farba Waalalde Weynde Jeng et Ali Eli Bana du Tooro (Fouta occidental). Koli et ses koliyaaɓe vainquirent les troupes du farba et le tuèrent; son armée préférant la mort à l’humiliation préféra mourir également. L’armée de Koli perdit énormément d’hommes lors de la conquête du Tooro d’Ali Eli Bana, il y eut plusieurs batailles dont beaucoup furent repoussée par le Laamtooro Geɗe. Koli proposa alors des pourparlers et esssaya de soudoyer le Laamtooro comme il le fit avec le farmbaal, le Laamtooro refusa catégorique. Koli assassina le Laamtooro dit mois plus tard et annexa le Tooro, il épousa par la même occasion la fille du laamtooro Faayol Ali Eli Bana dont il eut deux filles : Lalla Faayol et Sira Faayol. Ce ne fut qu’à la mort du laamtooro Ali Eli Bana qu’il devint maitre du Fouta. Il décida ensuite de s’attaquer au Laam termes qui gouvernait les Fulɓe Jaawɓe qui était replié dans le Tagant (Mauritanie centrale), il parti pour Lacci-Weendu (Ksar el-barka), la capitale de l’arɗo Yero Diide. Il s’attaqua aux troupes de l’arɗo et perdit un nombre important de soldats. Koli réussit à soudoyer l’épouse d’Arɗo Yero, Mali Demmba Mali et à la séduire en lui donnant une somme importante d’or. C’est ainsi qu’elle trahit son mari et le fit tuer par certains de ses hommes. La tradition rapporte qu’après la mort d’Arɗo Yero, Koli fit décapiter la tête de Mali Demmba Mali, “une mauvaise femme qui ne peut être qu’une mauvaise épouse.” Oumar Kane dit à propos de cet épisode :”la défaite des Jaawɓe, qui étaient les maîtres de la partie orientale du pays sur les deux rives, met fin à la pacification du Fuuta Tooro. Koli fait alors de la plaine de Fori (Gorgol, actuel Mauritanie) le centre de son pouvoir dont dépendent les chefs qu’il a nommé à la tête des différentes provinces.”
Il est difficile d’évaluer avec exactitude la durée des guerres de Koli, il aurait passé sept ans de 1512 à 1519 à soumettre le Nyaani, le Wuli, les Sereer et les Joola, à combattre le Baawol, le Kajoor et le Jolof. Il aurait ensuite pénétré le Fouta à partir de 1519-1520, heurté à de nombreuses résistances des faren, des farba, des Arɓe (sing. Ardo) et du Laamtooro la conquête se serait terminée entre 1529 et 1532, toujours selon Oumar Kane. Les sources portugaises de Barros, Alvares d’Almade, Donelha et Lemos Coelho font elles références à un nombre important d’individus accompagnant Koli, aussi bien combattants que non-combattants. Ils notent également l’importance des archers qui constituaient le gros des armés. Beaucoup d’entre eux étaient montés sur de bœufs porteurs (coweeji), ce qui n’est pas étranger à la région, le Songhay de l’askia Ishaq II quelques décennies plus tard affrontera de la même manière les canons marocains à Tondibi. On dit que ce n’est qu’après la conquête du Fouta Tooro que Koli put acquérir des chevaux en grand nombre. Le butin pris sur l’Arɗo Jaawɓe s’élèverait à 40447 chevaux de race (ɗimaaɗi). L’élevage des chevaux, bien qu’attesté bien avant les conquêtes de Koli (Sunjata aurait lui-même acquis des chevaux lors d’une mission chez le “Jolofin Mansa) se serait grandement développé par la suite. Alvares d’Almada affirme : “Le Grand Fulo, roi des Fulos, a une importante cavalerie, et sur ses terres, il y a beaucoup de chevaux. Les Jalofos, Barbacins [Sereres], les Mandingues, ceux de l’intérieur comme ceux des côtés viennent s’approvisionner chez lui. Par suite du grand nombre de chevaux qu’il détient, le Grand Fulo ne reste jamais plus de trois jours dans un même endroit. Il se déplace continuellement dans son royaume, à la recherche d’herbe et d’eau si rares dans son pays et celui des Jalofos.” On remarque dans cet extrait l’aspect nomade de la gouvernance du Fouta sous Koli Tengella, se déplaçant à la recherche des pâturages, ce qui explique la multiplicité des capitales. L’importance du cheval ici n’est pas sans rappeler le vieil adage fuutaanke disant que les Yaalalɓe et Deeniyankooɓe sont passés d’aynaaɓe na’i (bergers de vaches) à aynaabe ɗimaaɗi (bergers de chevaux). La conquête militaire du Fouta n’aurait également pas eu lieu sans l’appui de l’aristocratie guerrière des Saybooɓe (sing. Cayboowo), chefs de guerres et conseillers à a la cours, les Sayboobe sont une confédération de clans (leƴƴi) Fulɓe, les Woɗaaɓe de Sawaadi Jaaƴe Sadiga qui portent le yettoode SOH, les Saybooɓe Niima et Saybooɓe Sawa Donde qui ont pour yettoode BAH, et les Saybooɓe Jalluɓe qui ont pour patronyme JALLO. À l’origine de ces Saybooɓe il y aurait sept commandants de l’armée de Koli Tenguella (Ali Baga, Gata Kummba, Kata Waali, Niima, Jey Jaalo Gaynaako, Yero Jeeri Jibril, Abdullah Haby), rappelons-nous que certains de ces noms ont été cités tantôt quand on évoquait le premier exil de Koli. Ses cousins Yaalalɓe dont Mooli Maaliga, Aali Maaliga et Sammba Maaliga ont également joué un rôle décisif, les Yaalalbe seront dit-on les percepteurs d’impôts dans les royaumes vassaux à l’apogée de l’empire deeniyanke.
Le Fouta et le royaume deeniyanke
Ayant achevé la conquête du Fouta et d’une grande partie de la Sénégambie et ses alentours, Koli Tenguella installa sa dynastie, les Deeniyankooɓe. Le roi portait le titres de satigi, emprunt mandingue du terme silaa tigi (maître de la voie). Le modèle de succession exclusivement patrilinéaire se basait sur un droit d’aînesse parmi les fils du satigi. Le roi en devenir portait le titre de kamalenku (prince héritier). Les conquêtes de Koli refaconnerent l’équilibre politique de la sous-région, de nombreux royaumes furent soumis à l’autorité du satigi, ce qui fit de ce nouvel empire un empire multinational. Selon Arcin l’empire deniyanke s’étendait “du Haut Niger au Bas Sénégal”.
On dit que 18 royaumes auraient été vassaux du satigi à l’apogée de l’empire, dont le Jolof, le Waalo et le Kajoor, dont les rois étaient investis par le satigi auquel ils donnaient en tribut esclaves et chevaux. Oumar Kane dit:
”Ainsi tous les Etats wolofs de la Sénégambie étaient dépendants du satigi du Fuuta, en particulier le Jolof, le Waalo et le Kajoor. La dépendance plus nominale et formelle que réelle était matérialisée par le fait que le roi devait être investi par Sawa Laamu. L’investiture consistait en la collation d’un bandeau, sorte de diadème en étoffe blanche qu’on enroulait autour d’un bonnet conique, généralement rouge. Il recevait à cette occasion un tribut en chevaux et en esclaves; l’autorité des satigi s’étendait à la rive droite (actuelle Mauritanie) et le kamalenku ou l’héritier présomptif avait la charge d’administrer les populations de la rive droite, y compris les Maures. Al-Yadali, dans son Chiam-az-Zaouia, parle de l’oppression des ‘Oulad Tenkella’ sur les tribus maraboutiques de Mauritanie. Cela en explique en partie le mouvement de Nasr el-Din, qui est en quelque sorte un mouvement d’émancipation des Maures”.
Des populations mandingophones dans la partie sud-orientale de l’empire était également soumises à l’autorité des satigi. Cheikh Moussa Kamara dit :
“On dit qu’ils (les Deniyankooɓe) possédaient auparavant (tout le territoire) de Ndar (Saint Louis) jusqu’au Xaaso et de la montagne de l’Assaba, dans le pays des Baydan, jusqu’à la mer salée (al-bahr al malih) y compris le Nyaani, le Bunndu, le Gajaaga et d’autres entités politiques. On prétend que la raison pour laquelle les Konyaagi ne portent pas de vêtements, c’est que les percepteurs (les envoyés) des Deeniyankoobe venaient souvent chez eux et leurs prenaient tous leurs biens, y compris leurs vêtements qu’ils portaient : aussi ont-ils arrêtés de porter des vêtements et ce jusqu’à maintenant. On disait que tout le monde leur payait le tribut (al-kharaj), et Allah le Très-Haut est plus savant.”
Le royaume Deeniyanke garda son influence dans la sous-région jusqu’à la mort de Siree Sawa Laamu (r.1669-1702), l’héritage de Koli Tenguella survécut jusqu’à la révolte des tooroɓɓe qui déposa le dernier souverain deeniyanke Suley Buubu Gaysiri qui avait pris le titre d’almaami. La geste de Koli Tenguella est encore vivante, elle traverse les époques et les frontières. Les Wammbaaɓe et Maabuɓe chantent encore sa gloire d’antan, on évoque le nom de Koli dans les contes et les épopées. Il fut un exemple de bravoure, d’abnégation et de résistance pour les Fulɓe. Il réunit des populations différentes, parfois en conflit, par des alliances politiques et matrimoniales, il conquit un empire immense par sa ruse et ses armées aguerries. Il émancipa son peuple de l’oppression des entités politiques régionales. Son exil est un tournant de l’Histoire, il remodela l’ordre politique de cette partie de l’Afrique, les contemporains et traditionalistes se souviennent du Grand Pullo.
Bibliographie
La première hégémonie peule, Oumar Kane
Tarikh al-Fettach, Mahmud Kati
Zuhur al-Bastin, Cheikh Moussa Kamara
Figures peules, Roger Botte; Jean Boutrais; Jean Schimtz
Les mémoires de Maalaŋ Galisa sur le royaume confédéré du Kaabu, Cornelia Giesing; Denis Creissels
Cet article a été originellement publié le 22 octobre 2019
Ce poème fait partie du corpus de documents du Fonds Archinard de la Bibliothèque nationale de France (BNF). Ce fonds porte le nom du “pacificateur” du Soudan français (l’actuelle République du Mali) et est constitué en majorité des documents de la chancellerie de Ségou, prise par les Français en 1890. Ségou a été pendant 30 ans (entre 1860 et 1890) la capitale de ce que les auteurs ont appelé l’ “empire omarien” ou encore l’”empire toucouleur” suite au jihad du marabout foutanké Cheikh Oumar al-Fūti b. Sai’d (c.1797-12 février 1864). El Hadj Oumar Tall était à la fois un khalifa de la Tidjaniya dans le bilad as-Sūdan, un résistant anti-colonial à l’expansion française dans son Fouta natal, un conquérant et bâtisseur de royaumes dans le Sahel occidental (Mali actuel). De 1850 lorsqu’il défait le royaume de Tamba (Guinée actuelle) à sa “disparition” dans les falaises de Bandiagara face à la révolte des Macinankoobe, El Hadj Omar a taillé dans son sillage les prémisses d’un nouvel état sur les ruines du Kaarta Massasi, du Ségou fannga des Ngolossi, et de la Diina du Macina entre autres. Mais ce sera à son successeur désigné, Ahmad al-Madani Tall (21 juin 1836-15 décembre 1897) de consolider cet empire, ce qu’il fera à partir de sa capitale, Ségou. Une bonne partie des archives de ce projet politique (ainsi que de celui de la Diina du Macina; 1818-1862) fut saisie et rapatriée en France suite à la prise de la ville par le colonel Archinard le 6 avril 1890, ainsi que la conquête des autres places fortes omariennes dans le Mali actuel, comme Koniakary, Nioro du Sahel et Bandiagara.
Le poème ci-dessous répond à un contexte précis: celle de la “disparition” de Cheikh Oumar al-Fūti et des raids des Awlad Mūbarak (ou Awlad Mbarek) du Hodh sur Nioro qui était alors gouvernée par Mūstafa, un affranchi de Cheikh Oumar. Il est une traduction d’un extrait de After the Jihad: the Reign of Ahmad al-Kabir in Western Sudan (1991) par David Robinson et John Hanson. Cet ouvrage est une tentative de reconstitution du règne d’Ahmad al-Madani Tall, le successeur d’El Hadj Omar, à partir des documents du Fonds Archinard de la Bibliothèque Nationale de France.
Pour ces deux auteurs, l’auteur du poème pourrait être le cadi de Nioro de l’époque Fodé Bouyagui Kaba Diakhité ou un marabout proche de la tribu des Mashzūf. Le fait que l’auteur souhaite la bienvenue aux Mashzūf à Nioro renforce l’hypothèse qu’il soit de Nioro. Il commémore la victoire des Omariens de Nioro contre les révoltés et magnifie les actions de Samba Oumou Hani Sall, Moustapha et Ahmad Mahmūd ould Moktar, l’émir des Mashzūf. Samba Oumou Hani Sall (m.1878) a été Lam-Tooro (chef de la province du Fouta-Tooro) dans le Fouta sénégalais, soutenu en cela par l’Almaami Ahmadou Thierno Demba Ly (qui était en outre un muqaddam d’El Hadj Omar) et le jaggorgal (ministre-électeur) Abdoul Bokar Kane (m.1890).
La période entre 1857 et 1863 a été une période de conflits entre la colonie du Sénégal dirigée par Faidherbe (1818-1889) et le Fouta-Tooro en proie à de fortes dissensions internes. Le rival de Samba Oumou Hani au Tooro, Ciré Gelaajo Sall, était soutenu par Faidherbe, qui essayait de faire accepter l’annexion du Dimar et du Tooro, les deux provinces occidentales du Fouta-Tooro. L’Almaami Ahmadou fut élu en juin 1862 avec comme mission de recouvrir ces deux provinces. Un mois après (juillet 1862) eut lieu la première bataille de Dirmbodya (ou bataille de Thiew) entre Français et Fuutanké. En Janvier-Février 1863 le successeur de Faidherbe à la colonie du Sénégal, Jauréguiberry, mena une campagne de ravages contre les résistants foutanké comme l’Almaami Ahmadou et le jaggorgal Abdoul Bokar afin de les neutraliser. Cette campagne est restée dans la tradition sous le nom de Duppal Borom Ndar (“Le ravage du gouverneur de Saint-Louis”), eut peu d’impact sur la situation. Ciré Gelaajo Sall fut pris et exécuté par les Fuutanke qui subirent d’importants ravages avec la destruction de plusieurs villages (dont Diaba la résidence de l’Almaami) et champs. L’hégémonie française sur le Dimar et le Tooro se consolida avec l’exil de Samba Oumou Hani à Nioro; alors que la colonie subit d’importants coûts financiers suite à cette campagne sans pour autant neutraliser les résistants.
En aout 1863, le Lam Tooro Samba Oumou Hani (m.1878) s’exilera à la tête de 150 combattants et de leurs familles à Nioro du Sahel. Les positions omariennes étaient alors menacées depuis juin 1863 par une grande révolte dans le Macina, Ségou et dans le Kaarta, qui entravait les communications entre ces différentes places fortes. Nioro était dans l’insécurité puisque les raids des Awlad Mubarak menaçaient mêmes les murs de la ville. Ces raids ne prendront fin qu’avec leur défaite suite à des combats menés par Samba Oumou Hani et Ahmad Mahmūd en juillet 1865. Cette défaite marque aussi le déclin de l’influence des Awlad Mūbarak dans le Hodh, au profit des berbères Mashzūf d’Ahmad Mahmoud ould Moktar, qui devinrent la principale force tribale, sous l’allégeance de Moustapha, gouverneur du Kaarta et du successeur d’El Hadj Omar, Ahmad al-Madani al-Kabir (1836-1897) de Ségou. Le déclin des Awlad Mubarak est mentionné dans les Chroniques de Néma et de Oualata mais le rôle du gouverneur Mūstafa, de Samba Oumou Hani et d’Ahmad Mahmoud n’y apparait pas. Cependant cette victoire est notée par le commandant de Bakel dans sa correspondance au gouverneur de Saint-Louis sur la situation politique dans le Kaarta. Le déclin des Awlad Mubarak marqua aussi l’expansion commerciale de Nioro du Sahel et du comptoir français de Médine, dans le Khasso. Les caravanes de gomme arabique venant du Sahel étaient protégées par les Mashzūf jusqu’à Nioro puis par les Omariens jusqu’à Médine, assurant la prospérité de ces deux pôles. En outre, ce nouvel état de fait dans le Hodh aurait favorisé l’installation de lettrés maures à Nioro du Sahel, actifs dans ce commerce, à partir de cette date.
Voici le poème traduit:
« Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux. Oh Dieu, priez sur notre bien-aimé Prophète (PSL) Ce poème vous informe sur les évènements concernant les Awlad Mubarak qui commirent des actes d’apostasie. La majorité de la population du Bakhounou, comme les Kagoro et les autres, se joignirent à eux, de même que les gens de Fata et de Shita. Parmi eux, certains devinrent apostats et s’agitèrent.
D’autres cachèrent leurs intentions tout en protégeant les licencieux et les infidèles, en attaquant les musulmans qu’ils firent prisonniers et dépouillèrent de leurs biens, qu’ils mangèrent et burent avec eux [les Awlad Mubarak], en prenant plaisir à causer du mal aux fidèles. Ces gens étaient les Diawara et d’autres groupes qui leur ressemblent. Leur but était de détruire la religion de Dieu. Mais Dieu n’accorda pas grâce à leurs desseins et voulut que sa Lumière les éclaire, même si les infidèles détestaient cela. Dieu leur fit goûter à la honte par la main des musulmans. Les Musulmans se mirent en campagne quand le feu [de leurs actes] brûlait fort et que leur iniquité devint célèbre. Ils croyaient qu’ils pouvaient gouverner sur eux, de par leur propre pouvoir. À cause de cela, Dieu ruina leurs fortunes militaires ainsi que leurs stratagèmes. Avec les musulmans [omariens], marchèrent les jeunes des Ould Muhaymid, branche seigneuriale de la tribu des Mashzūf. À ce moment, il [le chef des Mashzūf Ahmad Mahmoud ould Moktar] se dirigea à Nioro où il campa. Il prêta allégeance à Moustapha et à ces disciples qui étaient avec lui. Nous nous joignîmes à lui [Moustapha] pour les discussions et la planification de la campagne. Dieu nous assista, par notre victoire et par Son appui. Nous sommes humbles et c’est Dieu l’Unique qui a vu son plan triompher.
J’ai composé ce poème sur ce qui est arrivé à cette armée, durant la campagne qui a pris fin avec la déroute de l’ennemi. Je commence par mentionner le Sultan des Mashzūf et je dis : Ô cavalier au cheval distingué qui vient et part, Celui qui est loué parmi ses gens De la descendance de Muhaymid et dont le nom est Muhammad Et dont la préséance est reconnue parmi ses gens. Il est l’intime et l’ami de Moustapha, L’allié et le fidèle à la religion Comme un lion, il blesse son ennemi mais il soigne, Par sa médecine qui apporte de la joie. Il est venu à nous avec ses gens et sur ses chevaux Pies, beaux, nobles et sveltes. Bienvenue, bienvenue, salutations à notre bien-aimé, Tu as combattu pour nous et nous avons triomphé, et la joie se répandit. Avant cela, tu étais dans l’incertitude et la tristesse Concernant nos rapport et notre sécurité [mutuelle] était fragile. Mais aujourd’hui, tu es passé sur nos terres Et tu as vu comment nos maisons et lieux étaient désertés [dûs aux raids des Awlad Mubarak] Ta venue nous a été bénéfique, et ta présence parmi nous Nous a renforcés, et notre ennemi a été défait. Les Awlad Mubarak, les Kagoro et les gens de Fata, Le jour de la bataille, il les a laissés morts et en déroute Leurs femmes, enfants et esclaves, Ont tous été faits prisonniers. La religion abhorre ceux qui sont comme eux, Répondre par une telle manière est la plus appropriée. Avant que tu ne les réduises à la ruine, ô Moustapha, Tu as dû subir leurs insultes et autres libertinages. Vraiment leur conduite a été honteuse et disgracieuse, Le jour de la Résurrection, ils seront rassemblés Ils seront comptables de ce qu’ils ont faits et compté faire Ils feront face au désastre et à la destruction, ce jour de Punition. La religion, Dieu l’a renforcée par Sa victoire Et par Ses hommes dont les péchés sont absous. Leur commandant, Lam-Tooro Samba, à leur tête Un brave lion, voyez-le à la bataille, Béni par sa jeunesse, sa bonté et les mérites du jeune âge, Il a une conduite digne, il n’est jamais injuste Quand son armée s’approcha de celle de l’ennemi, Il fit lever ses étendards et s’apprêta à l’envol, Ils attaquèrent l’ennemi comme le faucon fond Sur les poules qui rasent les murs. Ils les rencontrèrent avec une attaque soudaine, Et brisèrent leurs rangs, les firent fuir immédiatement. Leur conclave se termina et leur cause s’effondra, Ils détalèrent sans regarder derrière eux, toujours en avant Sur leurs talons étaient nos jeunes hommes, Et ils en firent tomber et prisonniers, et leur déroute augmenta. Le feu et la peur léchaient leurs dos, Ils abandonnèrent leurs familles et furent sans soutien. Il satisfit sa soif de vengeance et les cœurs se purifièrent, Le jour de la bataille, la joie et le bonheur furent notre En vérité, la Victoire de Dieu et de Sa religion vinrent à nous, Par Sa Faveur et Son Pouvoir. Il fait ce qu’Il veut. Les gens des villages qui vous savez, voulaient tester le déterminé Mais leurs plans faillirent, et leur iniquité fut contenue. Les gens des villages, dans leur malice, voulurent se regrouper Mais ils ne furent que quelques-uns, qu’on pouvait aisément compter. L’ennemi a voulu éteindre la Lumière de Dieu [Nioro, Nouroullahi pour les omariens] Mais Dieu les rejeta et La rendit encore plus vive. D’autres comme eux, cachèrent leur apostasie, Dans l’est et dans l’ouest, comme il était dit, Mais Dieu renforça Sa religion et avec cela Bénit cette armée dont la supériorité était fort reconnue Désirant son temple, vous le voyez faiblement Comme la poussière soulevée par le jouet d’un enfant Son compagnon ressemble au Faucon, parmi les oiseaux, lorsqu’il s’envole Vous le voyez voler devant eux, en haut d’eux, Et soudain, il est derrière eux, parmi eux Il se déplace à travers, en avant et en arrière, planifiant, remplissant sa promesse Et causant la fuite parmi ses ennemis le jour de la bataille. Dieu soit Loué, Qui a mis en déroute ses ennemis et à genoux, Louanges à Dieu, support de la religion En décrivant cette armée, l’auteur Et poète ne peut pas capturer parfaitement ce qui est arrivé Paix et Salutations sur le prophète Muhammad comme La pleine lune perce les ténèbres des nuits.”
After the Jihad: the Reign of Ahmad al-Kabir in Western Sudan (1991) par David Robinson et John Hanson.
Cet article a été originellement publié le 6 octobre 2019
Tékrour, Peuls, Fouta, Toucouleurs, Haal-Pulaar, Foutankoobe. Ces termes utilisés souvent de manière interchangeable pour parler de la vallée du fleuve Sénégal et de ses habitants, désignent des choses différentes et sont l’héritage de différentes perspectives pour parler de cette région.
Tékrour était le nom de la capitale de l’État, également connu sous le même nom, qui a prospéré sur le bas fleuve Sénégal pendant autour de l’an 1000. Il est important de noter que le terme “Tekrour” nous vient des lettrés arabes; on ne sait pas par quel nom les habitants de cette ville et de royaume s’appelaient eux-mêmes. C’est à partir du nom de cette capitale que les écrivains médiévaux ont désigné le nom du royaume. Ce procédé est par ailleurs récurrent chez ces auteurs; dans les écrits d’al-Bakri, de Mahmud Kati ou d’Abderrahmane es-Saadi, Ghana [Koumbi Saleh], Gao ou Mali servent autant à désigner les royaumes en question, que les capitales où résident leurs souverains.
À partir de « Tekrour » est établi le démonyme « Tekrouri » pour désigner les habitants de ce royaume. Ce terme serait encore utilisé par les Maures et les Arabes de la rive nord du Sénégal selon Umar al-Naqar, alors que les Wolofs désignent les habitants de cette région comme “Tukulor”. Ce terme « Tukulor » a été transcrit par Ca da Mosto, le navigateur portugais sous la graphie de « Tuchusor » alors que « Tucuroes » apparait chez d’autres de ses compatriotes qui ont visité ce qui forme aujourd’hui le Sénégal. Le terme “Toucouleur” adopté par l’administration coloniale française résulte également de ce processus.
La notion de Tekrour est cependant différente au Moyen-Orient où al-Takrur, c’est-à-dire ahl al-takrur ou le Takarir, a acquis un sens générique englobant tous les habitants musulmans de l’Afrique de l’Ouest.
Pour Umar al-Naqar, l’origine du nom doit être recherchée dans la patrie des Takarir (Toucouleur) dans le Fouta Toro, où des écrivains arabes du Moyen-âge avaient parlé d’un État musulman organisé dès le XIe siècle. .Al-Bakri, écrivant dans la seconde moitié de ce siècle, donne le récit suivant :
Après Sanghana, entre l’ouest et la Qibla [au sud] se trouve la ville de Takrur [qui] est habitée par des noirs [Sūdan]. Ils étaient, comme tous les autres Soudanais, des païens vénérant Dakakir; le Dukur était leur idole, jusqu’au règne de War Jabi ibn Rabis, devenu musulman, qui y a instauré les lois de l’islam, les forçant à lui obéir et à les orner de leurs yeux. Il est décédé en l’an 432 [qui correspond à l’an 1040 du calendrier grégorien]. Aujourd’hui, les habitants de Takrur sont musulmans. Vous allez de Takrur à la ville de Silla; elle [Sila] est constituée de deux villes sur la rive du Nil [fleuve Sénégal]. Ses habitants sont aussi des musulmans, islamisés par War Diabi – Que la Miséricorde de Dieu soit sur lui. Entre Silla et la ville du Ghana [Koumbi Saleh?] se déroule une marche de 20 jours dans un pays peuplé de tribus soudanaises. Le roi de Silla attaque les mécréants qui ne sont qu’à un jour de marche de lui; ce sont les habitants de la ville de Galanbu [Galam?]. Son pays est immense, bien peuplé et à peu près égal à celui du roi du Ghana.
Il y’a très peu d’informations sur l’idole Dakakir ou Dukur. Sanghana est hypothétiquement assimilé aux royaumes du Waalo et du Kajoor par Jean-Louis Triaud. Il faut noter aussi que les géographes médiévaux arabes assimilaient au Nil, le fleuve Sénégal qui dans leur compréhension, était aussi connecté au fleuve Niger. Au-delà de Ghana qui correspond à Koumbi-Saleh [en Mauritanie actuelle], il est très difficile de localiser les différents sites mentionnés par al-Bakri. Ce qui est clair dans ce récit est qu’au début du onzième siècle, le Takrur était devenu le premier royaume avec un souverain noir musulman dans cette région.
Si l’islamisation du Sahel est souvent associée au mouvement almoravide, Umar al-Naqar tout comme Michael Gomez spécifient que l’islamisation du Tékrour précédait les chevauchées d’Abdallah ibn Yasin, de Yahya ibn Ibrahim, et d’Abu Bakr ibn Umar.
L’inspirateur du mouvement almoravide Abdallah ibn Yasin (m.1059) n’a quitté son ribat que vers 1042 (selon al-Bakri, vers 440/1048). Cela aurait pu être le résultat de guerres précédentes, la tradition du jihad au Soudan n’ayant pas été initiée par les Almoravides. Cela aurait également pu être le résultat d’un contact pacifique, ce qui irait dans le sens où Ibn Yasin, consterné par la résistance des Berbères Sanhaja à ses réformes puritaines, se serait réfugié chez les Noirs « parmi qui l’Islam était déjà apparu ».
Al-Bakri mentionne en outre la conversion du roi de Silla suite aux campagnes du roi du Tekrour War Diabi. Ce roi serait également le premier souverain noir à mener une guerre sainte. Son fils Lebi aurait été assiégé avec Yahya ibn Umar (m.1048) durant la rébellion des tribus Godala, au cours de laquelle le chef almoravide a perdu la vie. Il a pu y avoir une alliance entre Takruri et Almoravides, ce qui peut aussi expliquer la présence de 4,000 soldats noirs avec Yusuf ibn Tashfin (1040-1094) lors de la bataille d’Al-Zallaqa en Espagne en 479 / 1087.
Takrur a survécu à War Diabi, à son fils Lebi et aux chevauchées vers le nord des Almoravides . Un autre géographe médiéval, Al-Idrisi (1100 – 1165), écrivant vers le milieu du XIIe siècle, nous donne une autre perspective sur le Tekrour. Il faut noter qu’al-Idrisi ne s’est sans doute jamais rendu dans ces pays et a pu se mélanger ou exagérer ses descriptions. Ses perspectives ont également pu lui être rapportées par des voyageurs qui ont visité ces contrées. Il nous dit:
Dans cette partie [le premier climat] se trouvent les villes d’Awlil, Sila, Takrur, Dao [Walata], Baris, Maura et toutes celles-ci sont originaires de Maghzarat al-Sudan … Il y’a une étape de l’île d’Awlil à la ville de Silla. La ville de Silla est située sur la rive gauche du Nil. C’est une ville peuplée dans laquelle les Noirs se réunissent. Son commerce est rentable et son peuple chevaleresque. Cela fait partie du domaine des Takruri qui est un puissant sultan qui a des esclaves et des armées; il est ferme, patient et réputé pour sa justice. Son pays est sûr et tranquille. Sa résidence, le pays dans lequel il réside, est la ville de Takrur. C’est au sud du Nil, à environ deux jours de marche de Silla, par terre et par eau. La ville de Takrur est plus grande que Silla. Il a plus de commerce et les marchands du Maghreb lointain voyagent avec de la laine, du cuivre et des perles. Ils en sortent avec de l’or et des esclaves. Des villes de Silla et Takrur à la ville de Sijilmasa, le voyage en caravane dure 40 jours … également de l’île d’Awlil à Sijilmasa, il y’a environ 40 jours de marche. La ville de Barisa est petite et n’a pas de murs; elle est comme un village peuplé. Il est habité par des commerçants itinérants qui sont des sujets des Takruri. Au sud de Barisa se trouve le pays de Lemlem.
Les récits des géographes arabes nous fournissent un aperçu de la situation politique et économique du Tékrour au 11e siècle mais relativement peu d’informations sur les us et coutumes de ses habitants. Il nous est impossible de savoir comment ceux que leurs voisins appellent « Takrouri » se percevaient et quels étaient leurs codes de référence.
Si l’appellation « Toucouleur » est circonscrite aux habitants de la vallée du fleuve Sénégal, le terme « takrūri » peut avoir un sens plus large selon les auteurs, englobant les entités musulmanes allant du fleuve Sénégal aux rives du lac Tchad, et même au-delà. C’est ce sens plus large qui apparait par exemple dans le Tarikh el-Fettach (ou Chronique du Chercheur pour server à l’histoire des villes, des armées et des principaux personnages du Tekrour) de Mahmoud Kati.
De nos jours les habitants du « Tekrour » d’al-Bakri et d’al-Idrissi, se définissent comme « Haalpulaar » qui veut dire « ceux qui parlent le pulaar » contraction du verbe « haalde » (parler) et du nom de la langue. Ce vocable reconnait implicitement les diverses origines de ses habitants même s’ils font partie d’un même groupe socioculturel. La société Haalpulaar ayant connu en son sein des populations d’origines diverses, résultat de siècles de cohabitations et de métissage, la distinction entre deux groupes d’ascendance s’est faite naturellement par les habitants. Les Haalpulaar/en sont issus de populations autochtones de la vallée du fleuve (Wolofs, Soninkés, Serrères…) assimilées au fil du temps à la population peule tandis qu’on nommera Pullo (pl.Fulɓe) une personne d’ascendance peule. A noter que dans le Fouta le terme Pullo désigne également un berger ou un pasteur. À cet égard, tous les habitants de cette société se désignent par Haalpulaar, expression similaire au terme « Foutanké » (« habitant du Fouta ») par lequel ils se définissent aussi.
L’origine du terme « Fouta » est intimement liée avec les débats sur les origines des Peuls, qui constituent la majorité de ses habitants. Il y’a ainsi plusieurs hypothèses selon Oumar Kane:
La première, qui tire son origine dans l’idéologie racialiste des premiers ethnologues coloniaux, fait dériver le « Fouta », ainsi que « Fulbe » du terme biblique Phut, Put et Pount, mentionné dans la table des Nations de la Genèse. Oumar Kane juge cette hypothèse vraisemblable à cause de l’alternance consonantique selon le nombre entre les lettres « p » et « f ». C’est le cas par exemple du terme « Pullo » (« Peul ») qui devient « Fulɓe » au pluriel.
Une autre hypothèse voudrait que « Fouta » soit un dérivé du terme maure « Aftout » dont le sens est inconnu. Étant donné que les Peuls ont précédé les Maures dans le Sahel, l’idée que le nom « Fouta » soit dérivé du maure parait incongrue.
Une dernière hypothèse avancée par Henri Gaden spécule que le terme « Fouta » désignerait à l’origine le pays situé au nord du Tagant et de l’Assaba, et qui est appelé par les Foutankoobe, « Jeeri Fouta ».
Entre toutes ces hypothèses, il est presqu’impossible de trancher. Mais toujours est-il que le terme « Fouta » désigne les pays où les Peuls constituent le groupe socioculturel dominant au niveau linguistique, culturel et politique. Ainsi Amadou Hampaté Bâ (1900-1990) fait la distinction entre trois « Fouta ».
Le Fouta Kiiɗndi qui correspond au Fouta-Toro et au Fouta du Sahel, encore appelé Fouta-Kingi (sans doute pendant une période donnée). Ce serait à partir du Fouta-Kingi, que les clans peuls se seraient disséminés dans la région. C’est au Fouta-Kingi où a régné pendant un temps le satigi des Peuls Yalalbe, Tengella Gedal Jaaye (m.1512) avant la destruction de son royaume par le Kouroumina-Fari, Omar Komjago.
Le Fouta-Keyri, ou le « nouveau Fouta », qui inclurait le Fouta-Jalon, le Maasina, le califat de Sokoto ainsi que les lamidats de l’Adamawa. Ce Fouta-Keyri est intimement lié aux mouvements musulmans menés par des clercs peuls à partir du 16e siècle et ayant abouti à la formation de théocraties musulmanes. Il est important de noter qu’à part le Fouta-Jalon, aucun de ces nouveaux états n’inclut le terme « Fouta » dans son nom. Le projet islamiste a ainsi pu dominer sur l’identité ethnique.
Enfin le Fouta-Jula qui correspond aux diasporas fulbe/haalpulaar dans tout le Sahel, et qui est consécutif à l’effondrement des États peuls face à la conquête coloniale. Pour Oumar Kane, il y’a une dimension économique et commerciale importante dans ces sites diasporiques.
Voilà pour les noms qui sont issus de processus et de perspectives historiques différentes pour désigner une même région et ses habitants. Si l’encre est sèche et que des pistes apparaissent, les mystères d’un monde passé demeurent entiers. L’un des objectifs de ce site sera d’appréhender ce qui peut l’être, et de faire remonter à la surface des perspectives qui peuvent nous enrichir. Ce site est donc un aluwal (une tablette) où des questions sont posées, et où le consensus des savants côtoiera la spéculation informée. C’est un lieu où la voix des gens d’un autre temps surgira de temps en temps à travers des documents écrits par leur main, mais aussi où chaque lecteur pourra apporter sa contribution pour une meilleure connaissance de notre monde. Ce site sera ce que vous voudriez bien en faire.
Sources bibliographiques:
Umar Al-Naqar. 1969. “Takrur the History of a Name”. The Journal of African History. 10 (3): 365–374
Bruno Chavanne. 1985. Villages de l’ancien Tekrour: recherches archéologiques dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal (Paris: Karthala).
Oumar Kane. 2004. La première hégémonie peule : Le Fuuta Tooro de Koli Teηella à Almaami Abdul (Paris : Karthala)
Michael A. Gomez. 2018. African Dominion:A New History of Empire in Early and Medieval West Africa (Princeton: Princeton University Press)
Cet article a été publié originellement le 11 septembre 2020
Et si on considérait les noms des villages, forêts et autres sites du Fuuta-Toro? Que nous disent-ils sur ce pays et ses habitants? On se rend compte assez vite que beaucoup de villages tirent leurs noms d’éléments et de caractéristiques naturelles (que ce soit des arbres ou des mares) mais également de personnalités plus ou moins illustres. En les traduisant en français, ôte-ton un peu de leur charme?
Voici une liste de traduits en français. Corrigez, complétez!
Boyinadji (Boyyinaaji) [Ngenaar] : [Village] Aux chacals
Luggere Cooli [Ngenaar] : Bas-fonds aux oiseaux
Wendu Noodi : Mare aux caimans
Wendu Mbabba: Le marigot de l’âne
Weendu Boosoyaabe [Booseya]: Le marigot des (gens) du Booseya
Ari Haara [Booseya]: Viens et sois rassasié
Rufi Aawdi [Booseya]: Semences sont versées
Poolel Jaawbe [Damga]: Petits oiseaux (Tourterelles) des Jaawbe [clan Peul qui habite la localité]
Madina Ndiathbe [Laaw] : Ville des Ndiathie [patronyme].
Daara Halaybe [Halaybe]: La Maison des Halaybe (clan peul)
Lewe dawaadi : Clairière aux chiens.
Ciloñ (Thilogne; Diminutif de Ciluki, au pluriel) [Booseya]: [Village] aux petits acacias (faux gommiers). Ciloñ est un village historique, capitale du Fouta pendant les 20 premières années de l’Almaamiat (1775-1796), avant que l’Almaami Abdoul Kader Kane (v.1721-1896; r.1775-1806) ne se réinstalle à Kobbillo.
Ngijiloñ (Nguidjilogne; diminutif de gijile au pluriel) [Ngenaar]: [Village aux arbustes hanza; nom scientifique, Boscia senegalensis). Ngijiloñ est avant tout un village de guerriers sous le drapeau de Koly Tengella (Sebbe Kolyaabe), dont le peuplement fut favorisé par l’Almaami Abdoul Kader dans le cadre de la lutte contre les Maures, pour surveiller le gué de Ganki [Juude Ganki]. Ces guerriers étaient commandés par Ciré Dara Dia, dont la défection en 1775, fut l’une des causes de la chute des Denyankoobe.
Selon une version locale, parmi les premiers habitants, figuraient le doyen des Kolyaabe, Hammadi Hassane Thiam, en plus de Ciré Dara Dia, Yero Kolcel Diop, Dioubayrou Sall et le Ceerno Tilléré Cissé Hanne. Hammad Hassane étant très vieux, les habitants lui aménageaient un espace près des arbustes hanza [gijile] alors qu’ils vaquaient à leurs occupations. À chaque fois que les riverains demandaient où il se trouvaient, les habitants répondaient qu’il était près des “Ngijiloñ”, nom qui sera donné à tout le village. Mais les habitants originels appelaient leur nouveau village “Ouro Koli” (le village de Koli) alors que l’almaami Abdoul Kader, préférait le nom de Dar-es-Salam (“La maison de la paix” en arabe).
Ainsi, les chanteurs de Leele disent :
Daara wuro Koli, wona Daara wiyete, ko Daaral Salam, wuro mawngo malaango, faganaango jam ngo annda joote, falo mali gaysiri mali, ganki e tillere, lojju e welingara jabbe cowe e jammi mbakal…
Nguidjilone dénommé village de Koly s’appelle plutôt grand village de la paix béni pour son abondance économique, ignorant la misère ; ceinturé par les champs mali et gaysiri mali en bordure du fleuve, étendu dans les quartiers de Ganki, Tillere, Lojju et Welingara, et par les tamariniers jumeaux jabbe cowe au Nord et le tamarinier de Mbakal au Sud ;
Pendao [Dimat]: du nom Penda Hawwo (contracté avec le temps)
Cile Bubakar [Thillé-Boubacar] [Dimat]: Les acacias de Bubakar
Cile Oole : Les acacias jaunes.
Hayre Laaw (Aéré Lao) [Laaw] : Colline dans le Laaw (province).
Ouro Sogui [Ourossogui, Booseya] : Le village de Sogui, d’après le nom d’un berger [Sogui] qui occupait le site originel, avant de le quitter, ne voulant pas cohabiter avec des chasseurs.
Ouro Dieri [Dimat] : Le village sur les hautes-terres.
Ouro Madiou [Tooro] : Le village du Mahdi (Messie), a été fondé par le marabout tidiane Mamadou Hammé Ba [c.1790-1860] après l’échec de son mouvement révolutionnaire contre l’Almaami Youssouf Ciré Ly en 1810-1820 [Guerre de Numa, appelée encore « deuxième expédition du Gûnagol »]. Il faut noter que le mouvement du Mahdiyou allait au-delà du Fouta, ayant des attaches au Kajoor via le Seriñ Koki Njaga Isë Jeey Joob, et au Walo, avec le marabout Dillé Fatim Thiam Coumba Diomboss. Au Walo, Dillé fut vaincu par l’élite ceddo appuyée par Saint-Louis, forçant Njaga Isë, en difficultés avec le Damel Birima Fatma Cuub (1809-1832) à s’exiler au Fouta (où il devait mourir à Ndioum dans le Toro).
Le mouvement va renaitre cependant 30 ans plus tard via les fils du Mahdiyou, Ahmadou Cheikhou [ou Ahmadou Mahdiyou], Ibra Penda Bouya [sa mère Penda Bouya Diop, étant une fille de Seriñ Koki Njaga Isë] et Bara Mahdiyoou, qui vont affecter le Fouta, le Jolof, le Kajoor et le Walo, suite à l’épidémie de choléra (et l’épizootie sur le bétail) de 1869. Si les Mahdiyankoobe ont pu prendre les rênes du Jolof et faire peser leur influence sur le Fouta occidental [Dimar et Tooro] et sur le Kajoor oriental [Mbakol et Njambuur], le mouvement va s’effondrer suite à la bataille de Samba Sadio les opposant aux troupes françaises alliées à Lat-Dior en février 1875, même si des traces de son influence demeurent jusqu’à ce jour. Ainsi si vous suivez assidûment la lutte sénégalaise, vous aurez sans doute entendu Gouye-Gui, remercier ses marabouts de Thiénaba [Thiès] et de Ouro Mahdiyou [Podor].
Sincan Njaakiri: Neufville fondée par les Njaakirnaabe
Bokki Sabundu [Ngenaar]: Le baobab aux nids d’oiseau
Bokki Jawe [Bokidiawé, Ngenaar]]: Le baobab aux bracelets
Bokki Hamme Samba: Le baobab de Hamme Samba
Bokki Salsalbe [Boki Salslabé, Yirlaabé] : Le baobab des Sall
Bokki Jallube [Boki Dialloubé, Yirlaabé] : Le baobab des Jallube (Diallo).
Lexeiba/El Kseiba en Mauritanie, vue de Podor (Senegal).
Haawre [Damga]: Endroit où poussent en abondance les baobabs
Juude Jaabi [Dioudé Diabi, Laaw] : Le gué aux jujubiers Où est-ce Juude Jaabe : Le gué aux tubercules?
Juude Guriki [Dioudé Gouriki,Damga]: Le gué où se trouve l’arbre penché.
Diama Alwali [Tooro]: La communauté du wali (saint).
Tulde Galle [Tooro] : La maison sur la colline.
Tulde Bussobe [Laaw]: La colline des Boussobé (patronyme Bousso).
Gaol [Ngenaar]: Marigot reliant deux étangs ?
Pete [Yirlaabe]: [Village] Aux étangs temporaires (apparaissant après la pluie)
Oogo [Ngenaar] : Hauts-Fourneaux
Oolum Nere [Booseya]: Aux nérés jaunes (jaunissants?)
Jannjooli [Ngenaar]: Là où les chevaux dansent. Jannjooli étant un village dényanké où les Saatigi aimaient rassembler leurs guerriers avant les batailles.
Ganngel (diminutif de Ganki) : Aux petits micocouliers.
Tufnde Gande [Yirlaabe]: Berge aux micocouliers
Ganki Jeeri: Micocoulier sur les hautes terres
Hoore Fonde [Booseya] : À l’entrée des hautes terres [Bois]
Fonde As [Tooro]: Hautes terres du marabout de As
Fondé Elimane [Law] : Hautes terres de l’imam.
Maghama [Damga]: de l’arabe « Maqamat Ibrahim » (la station d’Ibrahim). Fondé par le marabout Ceerno Birahim Kane (1810-1869) autour de 1865, sur le site de Kumbaali. Ceerno Birahim Kane avait longtemps été établi au Saloum, où il a pu participer au début des révoltes maraboutiques contre les élites ceddo. À sa mort en 1869, le site fut abandonné avant d’être repeuplé sous l’égide d’un autre marabout non moins célèbre, Cheikh Muhammad Mahmoud Kane [1848-1891].
Dar el Barka [Dimat]: Maison de la bénédiction (arabe). Dar el Barka a été fondé par Elimane Abou [Buubakar Ibrahima Ngoné; 1859-1917] un chef du Diamt, sur la rive droite du fleuve en 1891, alors qu’il commandait le canton Seloobe
Bababé [Laaw] : (village) des Bah (clan peul)
Gourel Moussa : Petit village de Moussa
Gourel Baydi Ali: Petit village de Baydi Ali
Gourel Oumar Ly [Booseya]: Petit village de Oumar Ly
L’article ci-dessous présente l’histoire récente de la province du Toro, l’une des huit provinces du Fouta-Toro, durant la période 1760 à l’an 1890, aux débuts de l’administration coloniale au Fouta-Toro. Il se base essentiellement sur les deux sources mentionnées à la fin de ce poste, et montre de quelle manière la révolution toroodo et la politique du premier Almaami, a influé sur le peuplement et sur la gouvernance de la province.
La majorité de la population du Toro était Pullo qui, à l’exception de deux colonies, étaient des pasteurs menant leurs troupeaux des plaines inondables autour du fleuve à la brousse sèche au sud de la zone habitée. Les Tukulors vivaient comme pêcheurs et agriculteurs dans les villages fluviaux, et s’adonnaient à l’agriculture sur les champs nourris par la crue annuelle.Les Fulɓe étaient organisés sous leurs propres chefs connus sous le nom d’Arɗo ou Joom, qui étaient très autonomes.
Trois grandes autorités Fulɓe commandaient dans le Toro, avec d’autres chefs sous leur tambour. De l’ouest à l’est, il s’agissait de Jom Bawtoungoul, Ardo Guede et Ardo Edy.
À l’est d’eux, se trouvaient des Fulɓe connus sous le nom de Halayɓe [Kalaajo, sing.] qui avait traversé la rive sud de la région de Boghé; ils se sont déplacés entre les sites de Dara, NDormbos, Demette et Hayre [Aéré-Lao]. Ils nient que le Lam Toro ou tout autre chef avant la période coloniale. Les villages de Toro vivaient sous les leurs Laamɗo wuro [chef de village], généralement descendants des premiers occupants ou de conquérants plus tard, qui étaient responsables envers le Lam Toro ou à l’est, Farba Walalde. Le Toro a subi les mêmes pressions de la part des Maures qui avaient conduit les gens de la rive droite à la gauche en d’autres endroits. Les Brakna étaient en grande partie responsables de ce cas, bien que les Trarza aient probablement été impliqués dans la région aussi. Les populations toorankooɓe se sont déplacés vers les sud depuis plusieurs siècles; anciennement le Fouta s’étendait aussi loin au nord jusqu’à Aleg [Hayré-Mbar]. La période révolutionnaire semble avoir été un de mouvement spécial, cependant, forçant finalement les populations noires à se déplacer de la rive droite à la rive gauche dans des zones plus sûres mais moins fertiles. Les témoignages sont presque unanimes qu’un groupe de villages dans l’ouest de Toro, peuplé d’agriculteurs et de pêcheurs connu sous le nom de Seloobe, venait de la rive nord à l’époque de Suleyman Bal [v.1726-1776] et Abdul Kader [v.1721-1806]. C’étaient des musulmans, et un informateur affirme qu’Abdul Kader les a fait venir afin d’affaiblir les chefs « païens » [fulɓe] du Toro. C’est possible, mais il est tout aussi probable que les conditions de vie sur la rive droite étaient devenues intenables et cette consolidation de la population de la rive gauche prévoyait une sécurité contre le Brakna. Les Maures ont gardé le contrôle des champs de la rive droite jusqu’à la fin du XIXe siècle, preuve de leur force et de la peur qu’ils inspiraient chez les Foutankooɓe. Au sein du Toro, les Seloobe [sing. Celo’o; cf. le nom de famille Thiello] formaient un groupe spécial distinct des Fulɓe. Leurs villages bordant le sud du fleuve et le marigot de Doué- Diatar, Donaye, MBoyo, NDiawara, Diama al-Wali. D’autres villages avec les chefs ou quartiers musulmans s’étaient également associés à eux mais il n’est pas certain qu’ils appartenaient à la même population d’origine. C’étaient les villages de As, de Thiofi [Coofi], de Halwar, de NDioum, de Thielao [Celao] et de Dodel.
La migration des Seloobe et d’autres populations de la rive droite a fait avancer la cause de l’islam dans le Toro [au détriment des chefs historiques comme le Lam Toro, Arɗo Guédé/Mbantou et Farba Walaldé].
Il faut se rappeler que Toro n’était pas sans des familles cléricales renommées. C’est de cette province que vient Suleyman Baal et deux de ses proches [Hammad Lamine Baal, 1797 et Bokar Lamine Baal, 1807-8;1810] qui étaient parmi les premiers almameeɓe – et al-Hajj Umar [v.1797-1804], originaire de Halwaar [qui est quand même un village Seloobe; Il faut noter que Bodé, le village de Thierno Sileymane Baal se trouve à la frontière du Tooro et du Laaw et est généralement identifié comme étant un village du Laaw]. L’un des envoyés religieux d’Abdul Kader au Kajoor était un clerc de Mbantou [il s’agit de Tafsir Hammad Ifra Ba de Mbantou qui sera exécuté par le Damel Amari Ngoné Ndella Coumba, dans le cadre de sa lutte contre les marabouts du Njambuur], un village de Peuls sédentaires à l’ouest de la province du Toro. Malgré la présence de telles sommités religieuses, et la conversion rapportée du Lam Toro après son défaite par Suleyman Bal, le Lam Toro [Dethié Sall, beau-fils du dernier Saatigi Sule Buubu Gaysiri] a conservé la réputation, même chez Toorankooɓe, d’être plus irréligieux que musulman jusqu’à l’époque d’al-Hajj Umar Tall , et ses sujets ont partagé cette réputation en partie.
Liste des Lam-Tooro entre 1854 et 1891:
Le Lam-Toro est probablement l’un des plus anciens seigneurs féodaux du Fouta. De patronyme Sall, le Lam-Toro devait appartenir à une des deux branches « Déthié » ou « Hammadi Ngaye » de cette famille dont le fief était Guédé.
Début 1854 : Djiby Samba Sall (Déthié)• Début 1854-Juin 1855 : Hammadi Ali, fils de Ciré (Déthié). Juin 1855- Début 1856 : Interrègne.
Début 1856-Février 1859 : Hammadi Ali, à nouveau. Émigre à Nioro en 1859 à la suite de Cheikhou Oumar, pour la campagne de Ségou.
Avril 1859-Novembre 1860 : Hammadi Bokar (Hammadi Ngaye). Signe le traité de protectorat avec Faidherbe qui détache le Toro du Fouta.
Traité de paix entre la colonie du Sénégal et le chef du Toro (10 avril 1859). Ce traité ne fut pas reconnu par l’Almaami du Fouta, ni par le collège des électeurs, ni par les autres dynastes du Toro
Novembre 1860-Février 1863 : Ciré Guéladio (Déthié). Pro-français. Est fait prisonnier et exécuté dans le Laaw par Samba Oumou Hani, durant le « duppal Borom Ndar » (Ravages du gouverneur Jauréguiberry contre le Fouta en 1863
Mars –Aout 1863 : Samba Oumou Hani (Déthié), fils de Djiby Samba Sall. Ennemi des français, il est déposé et s’exile ensuite à Nioro, où il se distingue aux armes, en vainquant des troupes Awlad Mubarak qui menaçaient/assiégeaient la ville de Nioro.
Septembre 1863-Aout 1869 : Mouleye Paté (Hammadi Ngaye).
Aout 1869- Juillet 1878 : Samba Oumou Hani (Dethié), à nouveau. S’allie avec Saint-Louis face aux Mahdiyankoobé qui contrôlent une bonne partie du Toro, et sapent son autorité suite à son alliance avec les Français. Il meurt de mort naturelle en 1878.
Juillet-Octobre 1878 : Interrègne.
Octobre 1878-Mai 1881 : Mamadou Mbowba (v.1850-1888), fils d’Abdoul, fils de Lam-Toro Djiby Samba Sall. Sa mère est la formidable Mbowba Ndiack Moktar Bâ de Podor et il a eu pour beau-père son oncle Lam Toro Samba Oumou Haani mais aussi Ibra Almamy Mamadou Birane de Mboumba. Ancien élève de l’école des ôtages et lieutenant des spahis, il prend part à la campagne de Pons au Fouta, de 1881. En conflit avec les Halaybe mais aussi avec les chefs de village qui sont plus diligents envers le commandant de Podor qu’envers lui, il est déposé par Saint-Louis en 1881. Lam-Toro Mamadou Mbowba meurt à Toulon en 1888 alors qu’il suivait une formation militaire.
Juin-Novembre 1881 : Hamme Gaisiri (Déthié), fils d’Ali, fils de Samba. Neveu de Lam Toro Djiby Samba et cousin germain de Samba Oumou Hani, Hamme Gaisiri aurait été empoisonné. Le Lam-Toro Hamme Gaysiri avait suivi El Hadj Omar à Nioro pour les campagnes de Ségou et du Macina. Il fut proclamé Lam-Toro quelque temps après son retour mais ne régna pas longtemps.
Le Lam-Tooro Bokar Sidiki Sall et ses courtisans (1880s)
Janvier 1882- Décembre 1887 : Bokar Sidiki Sall (Déthié), fils de Mamadou, fils de Lam-Toro Diby Samba Sall. Régulièrement en conflit avec les commandants de Podor et les chefs de villages et de campement. L’administration coloniale n’avait pas clairement défini le rôle qu’elle voulait pour le Lam-Toro dont l’autorité était régulièrement minée par ses chefs de villages qui interagissaient directement avec le commandant du fort de Podor. Bokar Sidiki Sall fut accusé d’être derrière l’assassinat du commandant de Podor Abel Jeandet par Baidy Kaccé Pam [1866-1890]. Jeandet et Lam Toro Sidiki ne s’entendaient pas du tout et lorsque ce dernier, déposé en 1887, se porta candidat à nouveau en mars 1889, Jeandet qui faisait le décompte des votes des chefs de village nota dans une lettre que son ennemi Bokar Sidiki « amoul dara » [N’as pas eu de vote, en wolof]. Lam-Toro Bokar Sidiki Sall, de même que son cousin Mamadou Yero Sall et Baidy Kaccé Pam furent exécutés sans procès par le commandant Aubry-Lecomte. Suite à ces exécutions, la veuve du Lam Toro, Ndiereby Bâ, se rendit en cachette à Saint-Louis où elle avait décidé d’intenter un procès contre Aubry-Lecomte. Ce dernier fut exfiltré vers Bathurst [actuellement Banjul], capitale de la colonie britannique de la Gambie où la justice ne pouvait l’atteindre. Aubry-Lecomte retournera en grâce et deviendra directeur des Affaires indigènes de la colonie du Sénégal en 1901.
Décembre 1887-Mars 1889 : Hammadi Nataago (Hammadi Ngaye).
Mars 1889-Aout 1890 : Sidi Abdoul Djiby Samba Sall [ou Sidy Mbowba], frère de Mamadou Mbowba et demi-frère utérin de Elimane Abou Kane de Thioffi (1859-1917). Les français le percevaient comme étant trop sous la dépendance de sa mère Mbowba Ndiack et de son frère Elimane Abou et pour « libérer » le Lam-Toro assignèrent ceux-ci en résidence à Podor, suite à l’assassinat de Jeandet.
Après la déposition du Lam-Toro Sidi, les chefs du Tooro deviennent des chefs de canton, insérés dans l’administration coloniale embryonnaire.
Source:
James P. Johnson. ” The Almamate of Futa Toro, 1770-1836: A Political History”, The University of Wisconsin – Madison. ProQuest Dissertations Publishing, 1974.
David P. Robinson. 1975. Chiefs and clerics : Abdul Bokar Kan and Futa Toro, 1853-1891 (Oxford: Clarendon Press)