So aɗa namnɗo, namnɗo gannɗo. So a wuuri, namnɗo. So a namndiima, majjata

Khali Madiakhaté Kala [v.1835-1902]: Poète, polémiste et homme d’état du Kajoor

Madiakhaté Kala fut un compagnon de Maba (v.1809-1868), cadi de Lat Dior (1871-1883) et mentor en poésie de Serin Tuuba (v.1855-1927). “Muhammadu Diakhaté nous a révélé que son père Khaly [Madiakhaté Kala; v.1835-1902] était l’oncle maternel de Lat-Dior. « Ndiambé époouse Sokhna Mbacké, mère d’Absa Diakhaté, mère de Khali Madiakhaté Kala. Aissata Diop ne veut pas se marier avec les membres de sa famille [les Ndiakhaté]; elle va à Nguiguis se faire épouser par le Damel Ma-Isseu Teinde [r.1832-1854], grand-père maternel de Lat Dior; les deux Absa ont le même père [il s’agit plutôt d’Absa Sokhna Mbacké et d’Absa Mbounoume/Absa Aissata Diop Sakhéwar Fatma Thioub]” .

« Mon père » dit Muhammadu Diakhaté, « s’est joint à Lat-Dior dès sa sortie de l’école. Il était son ministre, son secrétaire et son conseillr. Il lui suggérait des guerres, c’était pour l’aiguiller sur l’Islam. Lat Dior lui devait la plupart de ses victoires.Mon père a fait un poème lorsque le Damel s’est blessé au pouce lors de la bataille de Diamé Ndiaye [au Djolof, en soutien à Alboury contre les princes de Neeg Boury-Gnabou et leurs alliés Bara Mahdiyou et Tanor Ngogne Dieng, en 1881].

Brillant poète, philologue et diplomate, Khali Madiakhaté Kala n’en était pas moins un polémiste aux vers acérés, empêtrés dans plusieurs querelles d’ordre linguistique. L’une des joutes poétiques les plus fameuses est celle qui l’opposa à Seriñ Mor Khoudia Coumba de Coki [Muhammad Diop al-Kokkiyu pour les arabisants; v.1840-1881], auteur de la fameuse Muqadimma al-Kokkiya, ouvrage de grammaire en arabe en 469 vers, devenu un ouvrage de chevet pour les arabisants de la Sénégambie. Si beaucoup d’ouvrages de Seriñ Mor Khoudia Coumba sont perdus à ce jour, la Muqadimma subsiste encore. Les premiers vers sont :

« Muhammadu, originaire de Coki, dont le père descend d’un savant nommé Mokhtar [Seriñ Coki Mokhtar Ndoumbé, m.1780] a dit : :Louange à Celui qui a déclaré : « Nous ne luis avons pas appris la poésie [Coran, veret 69, sourate 36], c’est le roi Auguste que nous adorons…

Aussi longtemps qu’un mortel qui déclame des vers aura besoins [d’apprendre plus vite] la grammaire et la métrique.

Pour l’élève qui veut bien étudier ces deux sciences, rien ne remplace la poésie.

Voilà pourquoi j’ai tenté de mettre cette « Préface » au livre de notre Maitre Ibn Bouna [s’agit-il du lettré Mokhtar Ould Bouna al-Jakāni de la Mauritanie, auteur de l’Ihmitar]. Mes vers sont bien faits, qu’on les apprenne!

J’ai intitulé mon manuel « Cadeau grammatical du Glorieux » ou bien « Aide-mémoire du cancre »

J’en ai fait une clé qui ouvre la porte de la grammaire pour le débutant, mais l’étudiant y trouve aussi son compte.

Voici les circonstances qui ont suscité cette joute. Khali Madiakhaté Kala, en compagnie d’un de ses proches parents, a été l’hôte du père de Mor Khoudia. Au coours d’une conversation en arabe, l’ami de Khali aurait dit « Qad na’am » (Déjà oui). Ce solécisme déclencha une salve de moqueries de Mor Khoudia. Alors Khali excédé, enfourcha son destrier sans rien dire.

Arrivé chez lui, Madiakhaté se prépara à relever le défi, à venger son ami. Sur ces entrefaites, Mor Khoudia lui envoya ce poème ci-dessous qui mit le feu aux poudres :

1. Lorsque le faucon ne crie pas dans un bois, on entend le pigeon, plein de morgue, roucouler de joie.

2. [Mais dès que l’oiseau de proie apparait], le pigeon tremble jusqu’au tréfonds de son âm,e. « Prends garde! Si tu le fais, tu seras en paix car le faucon est terrible quand il pousse son cri! »

3. Prends garde! Attention à son cri. Il est peut-être près de toi. Écoute-le crier! »

4. Comment peut-il oser me salir un homme dont je fais la toilette! Pour le couvrir de honte, je mettrai en lambeau son manteau de jactance!

5. Ô quel étonnement! J’entends chanter un moineau qui veut se faire passer pour un aigle quand l’épervier pousse son cri.

6. Ô quel étonnement! Je vois une mare se donner des airs d’océan. Une flaque d’eau ne doit pas se mesurer avec une mer.

7. Comment se fait-il, ô ami, qu’un caillou se permette d’écrire des satires contre l’Argent et qu’un homme au corps enflé ose se moquer d’un homme gras?

Voici la réponse du Khali.

N’est-il pas étonnant que, mon petit ami Muhammadu, ce faible d’esprit, critique matin et soir le fils de Moussa [Madiakhaté Kala].

Alors qu’il n’est ni grammairien, ni philologue, ni métricien, ni rien d’autre qui vaille.

Ses mains ne devraient-elles pas trembler de frayeur alors qu’il n’est qu’un petit étang qui rencontre en moi un océan déchainé?

Ô méprisable! Ô Ahmad de Coki! Ne sais-tu pas qu’un œuf ne doit pas lutter avec un caillou?

J’ai appris que tu tiens passionnément à terrasser plus fort que toi, alors que toi, ô ignare! Tu ne mérites aucun éloge!

Ne dois-tu pas maintenant mourir de colère, car tu es repoussé dans l’ombre comme l’étoile lorsque la lune brille.

Je suis un aliment amer : quiconque me savoure aura le palais en feu; et quiconque m’avale me rendra ou trépassera!

Malgré ces joutes, les deux poètes se vouaient une estime réciproque. Et Khali écrira ses vers suite à la mort prématurée de son compagnon de joute en 1880, suite à une morsure de serpent.

On vient de m’annoncer la disparition du plus grand et du premier des savants par son intelligence et la finesse de son esprit.

Un menu serpent venimeux, m’a-t-on appris, l’a mordu au moment où il accomplissait la dernière prière du soir dans sa mosquée.

Alors mes larmes ont ruisselé sur mes joues, et, dès que je voulais les arrêter par mes mains, elles dégringolaient abondamment jusqu,à mes pieds.

Ma foi, n’est-il pas étonnant de voir des yeux qui, leurs larmes épuisées, se mettent à verser du sang à torrents?

Mon cœur a brulé comme s’il contenait un tison qui le faisait rôtir de mille flammes.

Mor [Khoudia Coumba] a été [aujourd’hui] porté sur une civière. N’a-t-il pas enfourché [hier] comme montures, l’honneur et la gloire?

N’est-il pas loin de moi cet hôte du royaume des morts? Mais si! Car celui qui se trouve sous terre, dans sa tombe, est bien loin [des vivants]

L’annonce de la mort de l’homme de Coki, un matin de lundi, m’a fait longtemps pleurer.

Pauvre [ami]! Il était le coryphée de ses contemporains, le Seigneur de sa génération et le prince du siècle par sa perspicacité et sa sagacité.

Il se montrait plus parfait que tous par son esprit, sa piété et ses vertus; et plus admirable par ses belles qualités et sa beauté.

Maintenant avec quel savant, avec quel poète vais-je croiser les fers dans toutes sortes de thèmes poétiques?

Sans grossièreté aucune, sans chicane aucune, nous nous livrions à des joutes en grammaire, en prosodie et en sciences [religieuses].

Est-ce que l’ami qui a trouvé la mort du martyr ne mérite pas que je pousse des cris et des lamentations et que je sois douloureusement affecté par sa fin tragique?

Sous tous les cieux, son nom vole sur toutes les lèvres de la même façon qu’un homme choisi parmi tous devient célèbre dans son pays.

De son vivant, rien n’est venu troubler son bonheur qu’il s’agisse de ses enfants ou de ses femmes.

Est-ce qu’une vie brève dans l’honneur ne vaut pas [mieux] qu’une longue vie? Quiconque est sous le ciel ne sera pas immortel.

La mort n’est qu’un rendez-vous pour tous les hommes; il faut qu’elle arrive ou qu’on aille à sa rencontre.

Mais si elle est d’autant plus amère qu’elle frappe un homme en pleine jeunesse, c’est que cette mort a été décidée bien avant par un arrêt du ciel.

Madiakhaté Kala s’est aussi distingué par ses vers lyriques, comme ceux-ci où il compare sa femme Sassoum à la Kaaba, dans un poème d’éloges envers Cheikh Oumar al-Fouti.

  1. De corps, je suis loin de Sassoum, mais de cœur je suis tout près d’elle. Rien ne me distrait d’elle et rien ne peut me la faire oublier.
  2. Tantôt mes yeux sont secs comme des pierres, tantôt, ils laissent ruisseler une onde qui me trempe le manteau.
  3. N’est-il pas vrai qu’une longue distance me sépare du pays de Sassoum? Seul un couriser robuste et infatigable, supportant avec patience la marche accélérée, dont les sabots ne souffrent point d’un galop à travers les déserts sans eau et les étendues sans végétation, m’est nécessaire
  4. Ce serait un destrier rapide, alerte, à l’allure agréable comme le loup qui marche en touchant à peine le sol et en penchant d’un côté.
  5. Dans sa marche, il aurait le vol du ganga, qui en deux bonds franchirait une colline ou un vallon.
  6. Enfourché par un amoureux éloigné de sa bienaimée, ce destrier la conduirait auprès du Maitre, le Seigneur.
  7. J’ai nommé Cheikh Oumar dont la visite au Temple [à la Kaaba] lui a valu le titre d’El-Hadj
  8. À la Mecque, il s’est acquitté de ses rites : tournées autour de la Kaaba, visites, course entre Safa et Marwa, et le jet des sept caillous [pour lapider Satan à Jamra]
  9. Il e est revenu et marcha contre les Paiens, leur fit la guerre sainte, it crouler avec fracas leurs fortins et leurs citadelles.
  10. Quand ils ont voulu se mesurer à lui, il anéantit leur armée et fouilla leurs maisons pour emmener en captivité leurs femmes.
  11. Pour décrire le jour où Oumar les a combattus, un témoin a déclaré : « On aurait dit des petits de ganga sur lesquels a fondu un gerfault ou un faucon ».
  12. Il avait l’habitude de donner en pâture aux vautours les reins et les têtes tombant ves les barbes et les toupets des ennemis.

Ou comme ceux-ci où il parle de son amour envers “Rokhaya” une femme pour qui il a eu une rivalité avec le roi du Sine.

  1. Ô Messager! Ne vas-tu pas transmettre mes hommages [à une femme] au teint clair? Dis-lui [de ma part] : « Sois la bienvenue! Mais les fausses promesses témoignent d’un mauvais caractère »
  2. « Est-ce que notre séparation a violé le pacte qui nous liait? À cause de ton éloignement, j’éprouve une passion qui me brûle et me consume le cœur. Oui je subis un dur calvaire.
  3. Tandis que moi, je ‘ai pas oublié les promesses que tu m’avais faites sur notre natte près de notre écurie un soir de mardi, devant une pouliche fauve, au poile ras, uni comme le noyau d’une datte, ayant une étoile blanche au front, des balzanes au pied, et rapide à la course.
  4. Tu l’avais enfourchée un matin suivi d’un de mes pages pour venir passer la nuit avec moi en fille admirable, le bord de tes paupières rehaussé par le noir de sulfure d’antimoine.
  5. Nous avions eu une conversation secrète, parlant de choses et d’autres, tandis que le sommeil étendait son sombre manteau sur les yeux des créatures.
  6. Ô Rokhaya! Rappelle-toi le jour de [ton départ]. Je t’avais fait un bout de conduite ce soir-là où le Bour Sine, par jalousie, t’avais mordu la main.
  7. Je e disais alors : « Vas-y. Continue ta route sans te soucier de sa colère, car le courroux d’homme du Sine ne peut causer aucun mal à une dame qui est à Coki ».
  8. Rokhaya, n’oublie pas le pacte qui nous a unis. Et ne le viole jamais tant que tu vivras!
  9. Rokhaya, sois fidèle. Ne romps pas les liens qui nous on unis. Moi, je respecte ma parole, honore, honore donc la tienne!
  10. Mon secret, garde-le. Ne le révèle à personne. Je ne veux pas que mes secrets se dévoilent au grand jour. »

Ces vers ainsi que beaucoup d’autres poèmes sont disponibles dans la thèse d’Amar Samb (1934-1987), ancien directeur de l’IFAN (1970-1986).

L’image peut contenir : texte : « MÉMOIRES DE L'INSTITUT FONDAMENTAL D'AFRIQUE NOIRE N°87 N° AMAR SAMB ESSAI SURLA SUR LA CONTRIBUTION DU SÉNÉGAL ALA LITTÉRATURE D'EXPRESSION ARABE IFAN- DAKAR 1972 »
Partagez la publication

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Articles sur le même thème