Le texte ci-dessous fait partie du corpus du fonds Archinard de la Bibliothèque nationale de France, qui continent plusieurs documents sur l’État omarien et ses dynamiques internes. Le document est un manuscrit racontant la campagne de Guémoukoura (datant de 1872) qui a opposé le sultan de Ségou Ahmadou Cheikhou Tall aux princes massassis, dirigés par Daman Koulibaly et son frère Mari Ciré. L’auteur est Saidou Djeliya Touré, neveu et waziri d’Ahmadou Cheikhou Tall qui raconte l’expédition contre Gemoukoura (dans le Kaarta-Biné) en 1872. Les princes Koulibaly dirigés par Daman avaient été chassés du Kaarta et s’étaient réfugiés aux alentours de Medine [Madina-Khasso] et de Bakel sous la protection des canons français. Au début des années 1870, une bonne partie d’entre eux ont réoccupé Gémoukoura [nouvelle Gemou, Gemou étant l’une des capitales du Kaarta], sans doute pour reconquérir leur pays, et l’utilisaient comme base pour harceler les forces omariennes. Le document narre la campagne qui aboutira a la destruction de Gemoukoura en mars 1872. C’est un document en arabe, traduit à l’anglais, puis en français.
“Ceci est le second volume du corpus que nous avons assemblé, corpus dont la splendeur brille comme des perles [passage illisible]. Et ceci a été rassemblé pour rendre compte des vertus qui ont été décrites dans des poèmes et discours éloquents, en hommage au sultan juste qui porte l’étendard du Jihad et qui dirige les contingents de ceux qui croient au Dieu unique. Aujourd’hui est l’année 1288 [de mars 1871 à mars 1872, dans le calendrier grégorien] dans les pays des noirs. Notre Khalifa, est celui qui a été assisté, le victorieux, celui au jugement raisonnable, le célèbre, le Commandant des Croyants, Sidi Ahmad al Kabir al Madani [Ahmadou Cheikhou Tall; v.1836-1897]. Que Dieu l’assiste, lui dont la justice a été reconnue de l’est a l’ouest, lui dont l’excellence est apparue brillante comme le soleil. Sa bonne réputation et sa générosité sont reconnues dans tous les coins de la terre. Les jours de son règne sont plaisants et les hommes se soumettent aisément et reconnaissent son autorité. Des grands hommes de toutes les races reconnaissent son autorité, les chérifs viennent de Fez pour le voir et les érudits le louent.(…)
Parmi les signes qui attestent de sa bonne fortune et de l’augmentation de son autorité est le fait que l’année de sa conquête de Kejje en l’an 1285 [qui correspond à la victoire sur Kegué en 1868. Kégué était la capitale des dynastes Ngolossi, évincés du pouvoir à Ségou, et dirigés alors par Mari Diarra] est l’année a laquelle Dieu m’a inspiré pour appeler « sa distinction » [Sharafahu en arabe, valeur de 1285 comme l’année]. Il n’y a pas de doute que sa noblesse a augmenté cette année la, grâce à sa victoire et sa conquête. Dieu soit loué. Celui qui écrit ces mots est celui qui a besoin de la clémence de Dieu, Ousmane fils de Mohammed al-Dari, al Wiyawi, de Labé, en cette année 1288.
Saidou fils de Thierno Ahmad fils de Thierno Wocci Ciré [plus connu sous le nom de Saidou Djeliya, premier-ministre d’Ahmadou Cheikhou; Thierno Wocci Ciré étant l’Almaami du Fuuta Toro1823-1825, Ciré Hassan Lamine Touré] dit ceci a propos de l’expédition que mena le Commandeur des Croyants Ahmad al-Kabir al-Madani [Que Dieu l’assiste et lui donne la victoire] contre Gemoukoura [place forte des Coulibaly du Kaarta]. (…).
Voici ses mots :
Parmi les manifestations de la bonté divine (SWT) et que quand Il voulut établir Sa religion et faire entendre Ses paroles, Il envoya Son messager (PSL). Il lui donna la victoire et donna la victoire a quiconque suivait son exemple, jusqu’au jour ou il devait Le recontrer. Les ennemis de Dieu, les Massassi et leurs alliés, se révoltèrent dans le but d’éteindre et de détruire la religion en ce temps-la. Ils établirent le polythéisme et se mirent a traquer les musulmans et les attaquaient, jusqu’à ce que les hypocrites et les associateurs, crurent qu’ils avaient remporte la victoire sur les musulmans. Ils ne savaient pas que Dieu était le Maitre de Ses propres affaires et qu’Il est toujours avec ceux qui le craignent, comme il dit : « En effet, Notre Parole a déjà été donnée à Nos serviteurs, les Messagers, que ce sont eux qui seront secourus, et que Nos soldats auront le dessus. » [Coran, sourate As-Saffat, versets 171-2]. Et quand le Commandeur des Croyants Ahmad al-Kabir al-Madani al-Mansour fut informé de cette révolte, la ferveur des gens de Dieu emplit son cœur, de même que la colère contre les ennemis de Dieu. Alors, il commença les préparations des armées et les envoya mener la guerre sainte contre eux jusqu’à ce qu’ils soient victorieux pour Dieu, le Très-Haut et l’Exalte, et son messager et les croyants. Il donna l’ordre a tout le monde de se préparer a cette éventualité. Mais ils ne furent pas diligents car cela faisait longtemps qu’ils ne s’étaient plus battus. Mais il ne cessa de les encourager, de les exalter, et de plaider avec les faibles de volonté et de les rassembler jusqu’à ce qu’ils soient unis, et obéissent a ses ordres. Ils acceptèrent de bon gré son autorité et obéirent aux ordres, agissant quand il agissait et au repos quand il l’était. Quand cela fut établi, il profita d’un jour béni par l’appui de Dieu qui lui donna la victoire, le jeudi, alors qu’on était a 14 jours de la fin du mois de Ramadan de l’an de « remerciements et de louanges à Lui » [Shukruhu wa Hamduhu en arabe, valeur numérologique de 1288 comme l’année. La date est le jeudi 2 décembre 1871] depuis l’émigration de la meilleure des créatures [Paix et Salut sur lui]. Alors il [Ahmadou Cheikhou] arriva à la ville de Madina [Nioro Madina]. Les gens vinrent et se joignirent à lui. Parmi ce grand nombre, se trouvaient des disciples venant du Fouta et beaucoup d’autres, trop nombreux pour être énumérés. Apres sept jours, il quitta Madina pour le cœur du polythéisme et de la mécréance, habité par les gens oppresseurs et injustes, que sont les Diawara [Saidou Djeliya fait un jeu de mot entre jawr qui signifie l’injustice en arabe et les Diawara, qui désignent un groupe ethnique du Kingui] qui n’ont pas reconnu son autorité. Il resta dans la ville de Yerere durant la nuit du vendredi. Le jour suivant, il se lança après le diable réfractaire, le borné mécréant dont les harcèlements n’avaient nul effet. Il rassembla toute ses forces (Que Dieu le déshonore) et leur fit jurer de nous empêcher de venir parmi eux, mais Dieu voulut que nous les atteignions et prirent possession de leurs biens. C’est ainsi que la parole de Dieu se révéla véridique contre eux et que nous entrâmes dans la ville du mensonge et de la fausseté, Diara. Nous restâmes là-bas tout le mois de Ramadan, de Chawwal, de Dhul-Qada et jusqu’au début du mois de Dhul-Hijja, jusqu’à ce que Dieu facilita le rassemblement des hommes. Le jour suivant la fin de l’assemblée, il se lança contre Guémoukoura. Dieu la détruisit et la mit en ruines, un lundi béni, neuvième jour du mois de Dhul-Hijja [départ de Diara le 19 février 1872 et victoire à Gemoukoura, le 4 mars 1872]. Ils restèrent dans le village de Yerere pour célébrer la Fête [Tabaski]. Et le jour suivant, après la fin des célébrations le mardi, il le quitta pour Diabigué. Le jour suivant, mardi, 12e de ce mois. Ils partirent pour Wadi Konko, ou les renégats et les voleurs se réunissent. Il y resta le vendredi et marcha toute la nuit jusqu’à la matinée, arrivant à Wadi Biri le samedi. Il campa là-bas, faisant l’état de ses forces et examinant la situation [10,606 soldats étaient réunis à Wadi Biri]. Alors, quand il sut que Dieu l’avait pourvu, il distribua la poudre et les armes ; leva le camp et se tint à Wadi Tinkare. Il leva le camp le vendredi après-midi. Il entreprit d’atteindre le but de l’expédition et son plus grand désir, qui était la victoire du messager de Dieu [PSL], de la Loi et détruire ce qui devait être détruit. Il se lança contre les infidèles, ferme dans sa résolution. Il demanda l’appui de Dieu et de Son messager et se plaça sous Sa force et Sa majesté. Il soumit son sort à Son Maitre puisqu’il savait qu’Il ne partageait avec rien d’autre son Règne et que tout ce qu’Il fait traduit Sa volonté. Il tomba sur Guemoukoura tôt le matin. Et quelle terrible matinée c’était pour eux. Loué soit Dieu, Maitre des Mondes. Dieu aida les musulmans et protégea les fidèles et réduisit l’arrogance des infidèles et de leurs alliés. Car Dieu est le Maitre de ceux qui croient, et les infidèles n’ont pas de maitres. Il ne fallut pas beaucoup de temps pour voir les étendards flotter dans le village et de voir les maisons brûler. Dieu les chassa de là en dépit de leur résistance et de leur aversion. Et Il dit : « C’est Lui qui a chassé de leurs demeures les négateurs parmi les gens des Écritures, lors de leur premier exode. Vous ne pensiez pas qu’ils s’en iraient, de même qu’eux s’imaginaient qu’ils seraient protégés contre Dieu par leurs forteresses. Mais Dieu les atteignit par où ils s’attendaient le moins. Il jeta l’effroi dans leurs cœurs au point qu’ils démolirent à l’aide des croyants leurs demeures avec leurs propres mains. Méditez cette leçon, vous qui êtes doués d’intelligence ! » [Coran 59 :2, Sourate al-Hashr]. Quand la ville des Massassi fut prise et qu’ils se mirent a appeler a l’aide ou à maudire leurs amis, Dieu les en chassa ce samedi, et ils périrent. Les Massassi entrèrent dans le village des Kagoro avec le reste de leurs partisans, y inclus des femmes, des chefs et des enfants. Alors nous investîmes ce village ce même samedi, et le dimanche, avec l’aide de Dieu. Quand Dieu fit descendre le plus beau des matins, et qu’ils désespèrent de pouvoir s’échapper et Iblis désespérait du succès, alors les musulmans fondirent sur eux comme un seul homme, vers midi, juste avant la prière [prière de Zuhr]. Dieu leur donna la victoire afin que la Vérité triomphe sur le Mensonge, même si les faiseurs de mal étaient contre. Les gens propagateurs de mal furent éradiqués- Loué soit Dieu, Maitre des Mondes. Avant la prière du crépuscule, Dieu nous permit de saisir tous leurs esclaves et de tuer tous leurs hommes. Nous les éradiquâmes en les réduisant a la servitude ou en les tuant. Il y’avait une grande joie, en ce jour de victoire- et Loué soit Dieu- ce béni lundi, à sept nuits de la fin du mois de Dhul-Hijja de l’année ou « nous rendîmes grâce » [Shakarna iyyaahu, valeur numérique de 1288. Il s’agit du lundi 4 mars 1872] depuis l’émigration du meilleur des hommes (PSL). Alors nous restâmes-Loué soit Dieu- dans leur ville, prenant possession de leurs biens et fîmes prisonniers les blessés durant le reste de ce jour, et le mardi, le mercredi, jusqu’au vendredi. Le jour suivant [samedi 9 mars 1872], nous levâmes le camp, retournant dans nos pays, Nous restâmes à Farabougou- Que Dieu le Très-Haut le protège et préserve son utilité pour nous, et tous ceux qui proclames Son Unicité, L’Exalté, Amen.
Le mercredi matin [13 mars 1872], nous quittâmes Farabougou et campâmes a Kolomina. Nous restâmes là-bas cette journée et la nuit, et nous la quittâmes le jeudi pour la ville de lumière et d’excellence [Nioro du Sahel, souvent appelé Nour, la lumière, dans la littérature omarienne] ou nous arrivâmes un jour de joie, le matin du mercredi, 4e jour du mois de Muharram, de l’année de « la disparition du polytheisme » [Zal al shirk en arabe, valeur numérologique de 1289. La date correspond au mercredi 14 mars 1872; ce qui suppose une erreur dans les dates] depuis l’émigration de la meilleure des créatures [Paix et salut sur lui].
Saidou Djeliya et ses deux frères Moustapha (appelé aussi Oumar) et Abdoulaye, sont venus à Ségou en compagnie de leur grand-oncle, Cheikh Oumar al-Fouti (1797-1864). En effet, leur grand-mère maternelle, Fatimata Tall, était l’ainée des enfants issus du couple Thierno Saidou Ousmane/Adama Tall Aissé Thiam. L’époux de Fatimata Tall, Thierno Bismor Lamine Sakho, était aussi l’un des premiers maitres de Cheikh Oumar, et il est intéressant de noter que dans l’épopée omarienne, le rôle important joué par les gens de Hayré Laaw (Aéré-Lao). C’est à Hayré auprès de son beau-frère qu’El Hadj Omar fit une partie de ses études. La famille paternelle de Saidou Djeliya était également basée à Hayre, de même que le poète du jihad, Muhammadu Aliou Thiam (1830-1911), ainsi que l’un des principaux collaborateurs de Cheikh Oumar, et ambassadeur auprès de Hamdallahi, Thierno Hassane Barro.
Les liens entre les Touré et les Tall ne s’arrêtent pas là puisque chacun des trois fils de Djeliya Sakho épousera une fille d’Ahmadou Madani Tall, successeur de Cheikh Oumar. Au début des années 1880, l’influence de Seydou Djeliya était importante, et il était perçu comme le principal ministre d’Ahmadou, comme le montre cet aperçu des dynamiques dans la cour de Ségou, capturé par Galliéni, dans le cadre de la négociation du traité de Nango (1880). Galliéni était en mission à Ségou pour négocier des sphères d’influence et sonder le climat politique en prévision d’une future campagne. La mission avait été attaqué à Dio (15 juin 1880) par les dynastes Ngolossi, qui voyaient d’un mauvais oeil cette mission, comme une alliance entre Fuutanke et Français. Galliéni, n’ayant pas respecté l’itinéraire qui lui a été donné par Ségou [et allant sonder les Ngolossi de Mari Diarra] ne fut pas reçu à Ségou mais confiné à Nango, où Saidou Djeliya négocia un traité avec lui. Le récit est très intéressant si vous pouvez passez outre ses remarques condescendantes et racistes.
“Le 28 octobre, je reçus enfin d’Alpha Séga la lettre suivante « Je suis à Massal, tout près de Nango, avec Seïdou Diéylia et ses deux frères, qu’accompagne une escorte digne de vous et du ministre du sultan. Les plus grands chefs de Ségou sont avec nous Mahamout et Bafin, chefs de la maison d’Ahmadou, Farba Baidi, son griot favori, Kambéna et Alakamessa, officiers du diomfoutou (maison royale), et un grand nombre de Talibés et de Sofas. Demain, nous serons à Nango. »Le lendemain, en effet, Seïdou Diéylia arriva en grande pompe. Nous allâmes l’attendre à l’entrée du village, sous un grand baobab placé au centre d’une large avenue, pratiquée pour l’occasion au milieu des ronces et des cultures. Marico était en grande tenue de guerre; il portait sur l’épaute un carquois rempli de flèches et, à la main, un arc dont la corde était faite d’une mince baguette de bambou; de l’autre, une sorte de fouet à manche très court, avec lequel il éloignait les curieux qui voulaient empiéter sur l’espace libre laissé en avant de nous. Les griots du village étaient rangés, prêts à accueillir, de leurs chants discordants, le beau cortège qui s’avançait. Nous vîmes d’abord paraître les Talibés à cheval. Ces guerriers portaient le costume sévère des adeptes de l’islamisme grand boubou flottant, pantalon bleu de forme arabe, large turban enveloppant le petit bonnet blanc toucouleur, ceinture chargée de gris-gris, de la poire à poudre, du sachet à balles. Ils s’avançaient au grand galop de leurs chevaux, qu’ils arrêtaient brusquement vis-à-vis de nous. Tous ces Talibés étaient armés d’un fusil à deux coups à pierre et à piston, généralement de provenance française. Les Talibés se rangèrent à gauche de l’avenue. Après eux vint la compagnie de Bafin, l’un des chefs captifs d’Ahmadou. Elle comprenait les Bambaras du Kaarta, soumis au sultan. En tête marchaient les joueurs de tam-tams et de cornes bambaras, semblables à celles que nous avions vues chez Dama [ce Dama Coulibaly est le même qui fut vaincu à Guémoukoura, 8 ans plus tôt], les joueurs de flûte et les chanteurs. Derrière ce groupe venait Bafin, en grand costume, tout chamarré de gris-gris et une belle hache en cuivre sur l’épaule. Il s’avançait en dansant et en se dandinant, tournant autour de lui-même, tantôt se baissant et rasant la terre, puis se redressant plusieurs griots, les uns avec des clochettes, les autres criant simplement, le suivaient dans tous ses mouvements. En arrière de Bafin et marchant immédiatement sur ses pas venait la compagnie des Sofas, armés de fusils à pierre et formés sur huit rangs, sur un front de trente hommes environ, très serrés les uns contre les autres. Arrivé à environ cinquante mètres en avant de nous, Bafin, précédant ses Sofas de quelques pas, mit subitement un genou en terre, en nous tournant le dos; ses hommes imitèrent ce mouvement. C’était, paraît-il, le salut militaire dans l’armée toucouleure.
Puis la danse commença. Bafin, toujours suivi de ses griots, exécuta pendant une bonne demi-heure une sorte de danse, dans laquelle on lui passait successivement des fusils qu’il déchargeait, soit en l’air, feignant de viser quelque ennemi, soit en dirigeant le canon vers la terre, paraissant vouloir tuer un adversaire renversé. Cette danse guerrière se termina par une décharge générale de tous les fusils; puis le chef captif vint me serrer la main et se retira avec sa compagnie. Ce chef influent, dansant et gesticulant ainsi au milieu des hommes qu’il est appelé à commander en guerre et sur lesquels il a autorité en toute occasion, nous montrait l’un des traits de moeurs les plus bizarres des peuplades soudaniennes. Après la compagnie de Bafin vint celle de Mahmout, commandant, les Bambaras de Ségou. Il se présenta dans le même appareil que celui-là. Il était encore plus surchargé de gris-gris et portait comme lui une hache de cuivre, signe de sa captivité. Un pavillon, portant des inscriptions arabes, indiquait la compagnie. Peu après arriva la compagnie à cheval des Peuls de Bakhounou, commandés par Sambourou. Ils s’avançaient en ligne, sombres et solennels, armés de leurs lances. Ils différaient considérablement des Sofas par cette attitude froide et ne manquant pas d’une certaine majesté. Ils s’arrêtèrent à peu de distance; puis, leur chef, vêtu en strict musulman, la figure cachée en partie, descendit de cheval et vint me souhaiter la bienvenue. Enfin, parut à la fin du cortège Seïdou Diéylia à cheval, s’avançant à pas lents, au milieu d’une troupe de Talibés. Il était vêtu simplement d’un boubou bleu, d’un turban bleu foncé, et l’on ne voyait que ses yeux, son visage étant caché par l’étoffe de son turban. Il s’arrêta à quelques pas de nous et je lui serrai la main en lui adressant mon compliment de bienvenue.(…)Le soir de son arrivée, Seïdou nous convia à l’une de ces réunions et nous fit asseoir non loin de lui dans le grand cercle où les guerriers, armés de leurs sabres et de leurs fusils, dansaient, comme chez Dama, aux sons du tam-tam et des flûtes bambaras. Les négociations pour le traité commencèrent te 31 octobre et durèrent plusieurs jours. Le ministre d’Ahmadou, soit par orgueil, soit par crainte, montra quelque répugnance palabrer sous notre hangar, ou nous aurions été plus à notre aise. Aussi est-ce dans la case chaude et incommode qu’il habitait que nous nous rendions chaque jour pour remplir notre rôle de diplomates. Un grand appareil était toujours déployé. La place qui s’étendait devant le groupe de cases habité par le ministre et sa nombreuse suite, était occupée par tous les Sofas, assis silencieusement et tenant leurs fusils entre les genoux puis on franchissait la porte, gardée à l’intérieur par un Sofa armé, et l’on entrait dans une sorte de corps de garde, occupé par une vingtaine de guerriers, également armés et équipés. Enfin, une troisième case, servant de vestibule et gardée encore par un Sofa, conduisait dans le lieu du palabre, construction en pisé et en branchages, ouverte sur l’un de ses côtés. Seïdou Diéylia siégeait sur un tara recouvert d’un dampé à carreaux blancs et bleus, les jambes croisées à la turque, le visage à moitié couvert par un voile. Autour de lui étaient rangés Boubakar Saada, Samba N’Diaye, Farba Baïdi, Mahamoud, Bafin et, Moustapha et Abdoulaye Dieylia, tous deux frères du ministre et secrétaires du sultan à Ségou. Alpha Séga et Alassane me servaient d’interprètes. Dès nos premiers entretiens, je vis que Seïdou Diéylia était plus intelligent que tous les chefs nègres que j’avais vus jusqu’alors. Il suivait bien un raisonnement, et ses discours, malgré son abus des métaphores, avaient une suite et une concision Il discutait froidement et savait se rendre à mes démonstrations. Il avait une figure fine et sympathique, et l’on n’avait pas de peine à s’expliquer, en le voyant, la grande influence qu’il avait su prendre sur Ahmadou. Toutefois, cet indigène était encore plus dissimulé que la plupart de ses congénères, et les prétentions qu’il émit tout d’abord étaient tellement exagérées que je me demandais s’il était sérieux. Mais j’appris bientôt que les chefs qui l’assistaient et même ses frères, jaloux du rôle qu’il jouait à la cour de Ségou, l’accusaient d’avoir été gagné par nos cadeaux et d’être favorable aux blancs. Aussi s’efforçait-il de prouver qu’il était digne de la confiance de son roi et qu’il avait fait tout ce qu’il avait pu pour sauvegarder les intérêts de l’empire. Vallière me servait de secrétaire. Les extraits suivants des procès-verbaux de nos séances donneront une idée de l’intelligence de ces Toucouleurs et de leur habileté à discuter leurs affaires.
Nous n’en avons pas fini avec Guémoukoura. Nous y reviendrons via l’impact que cela a eu sur un autre personnage tout aussi intéressant.