Un Maure se rendit à la tente d’Abdoul Bokar Kane. Abdoul avait préparé un méchoui (viande grillée) et du thé. Le lendemain matin, Abdoul quitta sa tente sans ses amulettes, et alla saluer le Maure. Il lui tendit la main et lui donna un verre de thé qu’il but. Après avoir bu, le Maure fit signe à un de ses compagnons de tirer sur Abdoul alors que celui-ci retournait à sa tente.
Abdoul fut atteint dans le dos, à une distance de cent mètres. Les partisans d’Abdoul se rassemblèrent autour du jaggorgal gisant, et se battirent contre les Maures.
Abdoul Bokar Kane fut ramené à sa tente malgré ses protestations alors que le combat avait lieu au-dehors. À sa mort, ils l’enterrèrent sur place [à Guérou]. »
C’est en ces mots que le traditionnaliste Bani Guissé décrit la mort du jaggorgal de Dabia-Odeeji, Abdoul Bokar Kane (m.1891), résistant à la domination française pendant 30 ans.
En aout 1891, le jaggorgal Abdoul Bokar Kane et dernier résistant à la colonisation au Fouta, était assassiné par des Maures Shrattit alors qu’il discutait avec des marabouts idaw’ Ich (Dowich/Douaich) sur la rive nord du fleuve Sénégal. Son assassinat marquait la fin de la résistance armée au Fuuta Tooro et augurait de la domination coloniale directe.
Abdoul Bokar s’approvisionnait en mil, sans doute en prévision d’un fergo vers Nioro. C’est dans ce contexte qu’il fut assassiné par l’émire Shrattit Mokhtar ould Ousmane et son neveu, Samba Filali. En effet, la colonne Dodds (entrée dans le Fuuta en décembre 1890), appuyée par plusieurs chefs Walo-Walo, Kajoor-Kajoor et Fuutankoobe, avait réussi à isoler politiquement le ministre-électeur du Boosoya, et à réograniser administrativement le Fuuta Tooro.
La colonne Dodds avait reçu des instructions claires du gouverneur : « Faire la guerre et non la palabre. Marquer l’esprit des générations présentes et à venir, brûler tous les villages coupables d’attaque contre les courriers, les convois fluviaux et les incidents de poteaux télégraphiques et imposer de lourdes amendes, après avoir établi la responsabilité collective.»
En février 1890, Dabia Odeeji, Boki Diawé, Ngijilogne et tous les villages des sebbe kolyaabe, favorables à Abdoul Bokar sont détruits. Agnam, Dondou, Dolol, Diowol, sont réduits en cendres.
À Nguidjilogne, Demba Tall, un des partisans d’Abdoul Bokar, originaire de Sincu Bamambe, s’ouvre le ventre avec une corne de gazelle, sous les louanges de sa femme Ndialka. Il préférait cela à se rendre aux Français.
Subissant des pressions sur le fleuve, sur la rive nord avec les troupes du Laaw et du Yirlaabe, et sur la rive sud et dans l’est avec les Hayrankoobe dirigés par Siré Diyye, Abdoul Bokar avait repiqué au nord du fleuve, où son action se limitait à des raids contre les alliés des Français.
Pour dissuader les Maures de l’appuyer, le colonel Dodds avait imposé un embargo commercial contre tous les Maures de la rive droite, sauf leurs alliés du Brakna ; la levée de cet embargo étant conditionnelle à la « délivrance d’Abdoul Bokar ».
Pour dissuader les partisans d’Abdoul Bokar d’aller à l’est chez le Laamdo Julbe, Archinard et Dodds font passer de Matam à Podor, 7500 rescapés de la bataille de Nioro (1er janvier 1891) et leurs familles, hagards et haletants. Le message était : il n’y a rien à l’est pour vous.
Plusieurs alliés du jaggorgal restés dans le Fouta étaient également traqués.
- Ardo Galoya Abdoul Sow était exécuté par Dodds
- Ceerno Celol Abdoul Ciré Daff, démis de toutes responsabilités politiques dans le Fuuta colonial émergent, de même que Ceerno Funeebe d’Ogo.
Ceerno Funeebe n’eut la vie sauve que suite à l’intervention d’Ibra Abdoul Ciré Wane de Kanel, auprès de Dodds. C’est dans ce contexte que le jaggorgal après une discussion avec Moktar Ould Ousmane, émir des Shrattit, fut fusillé par des Maures, alors qu’il sortait de sa khaima.
L’Almaami du Boundou Saada (r.1886-1888), fils de Hamady Saada, fils de l’Almaami Saada Hamady (r.1839-51), fils de l’Almaami Hamadi Aissata (r.1794-1819), fut sérieusement blessé durant ce combat. Il était beau-frère et bon ami du jaggorgal.
Avec le jaggorgal était aussi son fils cadet Bokar Abdoul (v.1871-1934). Les assassins se saisirent du camp, pillant tous les biens avant de filer à vive allure annoncer la nouvelle à Dodds à Kaédi. Ils laissaient aux marabouts douaich, le soin d’enterrer le jaggorgal.
Après cet assassinat, Mamadou Abdoul Bokar (v.1861-1940s), fils du jaggorgal et Ali Bokar, frère du jaggorgal, furent déportés au Congo. Le Buurba Alboury Ndiaye, continua vers l’est, à Nioro du Sahel, et au-delà.
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