Cette chronique a été rédigée par Muhammad al-Saghir ibn Ibrahim de Dara-Labé, à l’occasion de la visite de Sidi Ahmad ibn Cheikh Muhammad al-Ghali à Ségou en 1868. Sidi Ahmad est le fils de Sidi Muhammad al-Ghali, un des lieutenants de Cheikh Ahmad al-Tijani, et khalife de ce dernier dans le Hejaz durant la première moitié du 19e siècle. Nous le connaissons comme celui qui a confirmé Cheikhou Oumar comme Moqaddem et Khalife de la Tijaniya pour le Soudan occidental [au sens originel de « Pays des Noirs »].
Muhammad al-Saghir ibn Ibrahim, l’auteur de la chronique, pourrait bien être le Mamadou Bobo Seydiyanké que le lieutenant Mage décrit comme l’un des plus proches conseillers d’Ahmadou Cheikhou. Mage le décrit comme « ami intime » ayant une grande influence sur Ahmadou Cheikhou, et aussi comme anti-français et suspicieux de leurs intentions. Mamadou Bobo est aussi le seul conseiller intime d’Ahmadou Cheikhou qui refusa de recevoir Mage chez lui durant ses 2 années de séjour à Ségou, malgré les demandes répétées et désespérées de ce dernier.
Muhammad al-Saghir/Mamadou Bobo était un petit peu plus âgé qu’Ahmadou Cheikhou [1836-1897]; dans un document de 1855, il se décrit comme âgé de 21 ans selon David Robinson. Il était par ailleurs proche de Muhammad al-Makki [v.1837-1864], le second fils de Cheikhou Oumar, mort avec lui dans les falaises de Déguembéré, et qui avait une réputation de mécène et de poète.
Il est aussi l’auteur du Tarikh al-Istikhlaf (« Chronique de la succession ») qui évoque les conditions dans lesquelles Ahmadou Cheikhou fut reconnu comme le successeur de son père au début de l’année 1861. Le document ci-dessous célèbre la venue de Sidi Ahmad; le moulage du nouveau sceau d’Ahmad al-Madani al-Kabir et sa proclamation comme Commandeur des Croyants [Laamido Julbe].
Ces documents font partie de la “bibliothèque omarienne” de Ségou, amenée en France par le colonel Archinard après la prise de la ville en 1891. Ils sont actuellement à la bibliothèque nationale de France.
« Au nom de Dieu. Loué Soit-Il. Bénédictions et paix sur la meilleure des créations divines et sur les membres du parti de Dieu.
Est venu visiter le victorieux calife de Abou Abbas mon seigneur, le Commandeur des Croyants Ahmad al-Kabir al-Madani al-Tijani (Puisse Dieu l’assister et le bénir ainsi que ceux qui lui sont chers dans les deux mondes, Amen), suite à sa bonne fortune et à celle du succès de son ancêtre [Cheikhou Oumar], la joie du peuple, et la prospérité des villes, notre cheikh et maître Sidi Abou Talib Ahmad ibn Muhammad, le fils de notre cheikh et maître, le saint, le gnostique Abou Talib Muhammad al-Ghali ibn Moulaye Muhammad al-Hasani al-Tijani (Que Dieu soit satisfait de lui et le rende satisfait, et veille sur lui), un vendredi alors qu’il restait deux nuits aux mois de Jumada I [correspond au 16 septembre 1868], en l’année du « guide commandé », qui est 1285 depuis l’hijra (sur celui qui a émigré, les meilleures bénédictions et la plus sereine paix).
Le khalife (Puisse Dieu l’assister et lui donner la victoire) vint le rencontrer. Il fut très heureux de le voir et s’occupa de lui de la manière la plus respectueuse. Les musulmans furent heureux de le voir, tous, nobles comme roturiers. À Dieu Très Grand, nos louanges et nos remerciements. Et ceci à cause de la félicité de l’ancêtre [Cheikhou Oumar] du calife victorieux Ahmad al-Kabir al-Madani al-Tijani (Puisse Dieu l’assister et le bénir ainsi que ceux qui lui sont chers dans les deux mondes, Amen).
Après que le khalife rencontra, salua et lui serra les mains, je fus le premier à lui serrer la main (à Dieu, nos remerciements, et Louanges au Seigneur des deux mondes). Je suis celui qui est honoré d’être son serviteur, le petit esclave de son Seigneur, celui qui a besoin de Lui, Muhammad al-Saghir ibn Ibrahim ibn Umar ibn Muhammad ibn Moussa ibn Muhammad al-Dari [de Dara Labé, Fouta-Djallon] al-Tijani (Que Dieu lui fasse grâce, lui pardonne et soit satisfait de lui, Amen).
Et le premier jour où le sceau fut mis sur les documents fut le vendredi, à six nuits de la fin du mois de Rabi II [14 août 1868] sur une lettre que le khalife envoya à son cheikh, fils de son cheikh, Sidi Abu Abbas Ahmad, fils de notre cheikh Muhammad al-Ghali (Que Dieu soit satisfait de lui et le rende satisfait, et veille sur lui). Ce fut le premier document sur lequel le sceau fut mis après qu’il fut cacheté et produit, et il le scella avec sa main bénie (Que Dieu lui accorde la force et l’assiste dans les deux mondes).
La communauté se mit d’accord et se joignit unanimement en prières et proclama le khalife, Commandeur des Croyants (Que Dieu lui donne la victoire). Ils l’appelèrent seulement par ce nom et refusèrent de l’appeler par un autre nom, sous les instructions du Wazir [Ahmad ibn Muhammad Ghali?] (Puisse Dieu lui accorder grâce dans les deux mondes). Cela eut lieu un mardi, à trois nuits de la fin du mois de Jumada I, 1285 ans [15 septembre 1868] après l’émigration du Prophète Muhammad (sur lui qui a émigré, les prières les plus excellentes et la paix la plus sereine).