So aɗa namnɗo, namnɗo gannɗo. So a wuuri, namnɗo. So a namndiima, majjata

L’élégie et le rapport à la mort dans trois régions du monde sahélien

La lamentation du défunt est un thème récurrent dans les mondes sahéliens. Mais elle revêt des atours différents selon les périodes, et selon le statut de celui/celle qui se lamente. Les sebbe du Fuuta-Tooro se targuent de mépriser la mort et dans leurs chants, prient souvent de recevoir la “bonne mort”, en se faisant manger par le fer (mourir à la guerre), plutôt que de mourir par la “petite mort” (sur leur lit ou de vieillesse). C’est un motif récurrent dans les airs de “gummbala” leur chant traditionnel, souvent scandé lors des veillées martiales avant le jour du combat, comme dans cet air ci-dessous par ailleurs très populaire.

Chant : Hoto Allah war am maaygel dow leeso ( (“Qu’Allah m’épargne de la petite mort/de mourir sur mon lit”)

Hoto Allah war am maaygel dow leeso
Qu’Allah me préserve d’une mort sur un lit

Bojji sukaabbe e gowlaali nayebbe
Une mort parmi les pleurs des gamins et les complaintes des vieillards

Hoto Allah war am maaygel dow leeso
Qu’Allah me préserve de cette mort sans gloire ni honneur

Bojji sukaabbe e gowlaali nayeeϖe
Une mort devant des gamins en larmes et des vieillards en peine

Yumma e innaango Allah
Devant une mère, implorant la Clémence et le Soutien d’Allah

Baaba e jaaroore
Devant un père, éploré, scandant les Louanges de l’Éternel

Yo Allah war am
Qu’Allah m’ôte la vie

Nde di nguufaa di ngukkaa
Parmi les balles sifflant de toutes les parts

Baawdi tangilaa
Au milieu des lances meurtrières décochées de tous azimuts

Peteeli kooti e dawaadi
Quand les doigts, dans la furie du combat, se crispent sur les détentes

Saanga nde keebde mbadtaa makatuume
Quand les foies, mis à l’épreuve, se transforment en misérables sacoches

Tekteki mbadtaa garaaji hariire
Et les intestins et les boyaux, fortement dilatés, devenus des filaments soyeux

Ñiiwa alaa gaynaako
Éléphant que nul berger n’a mené, ne mène

Jaambaaro kadoowo jaambaarebbe tellaade
Le brave qui interdit les braves de descendre de selle

Jaambaaro yeeso e caggal
Le brave qui frappe par devant et fauche par derrière

Ñannde jaambaaro maayi, woondu welaa
Le jour de ta mort, point de pleurs et de lamentations sur ta dépouille

Yaa yum-mam! Ya baaba-am!
Ô mere! Ô père!

Wata Allah waram maaygel kersinii ngel.
Que Dieu me préserve d’une petite et honteuse mort

Maaygel dow leeso.
D’une mort sur le lit douillet

Bojji sukaabbe e uumaali nayebbe,
Au milieu des pleurs de la jeunesse, des gémissements des vieux

Innaali Allah, yumma e baaba,
Au milieu des prières de ma mère et de mes pères adressés à Dieu,

Ceerno rabbidinnde peteeli.
Ce marabout croque-mort aux doigts courts et potelés

Bee kala, ko jawdi ndaari.
Tous, en vérité, ne songent qu’aux biens matériels à se partager

Maayde jaambaaro…
La mort du brave…

Nde conndi feccaa, kure nguufaa,
Quand la poudre fut distribuée, les canons bourrés de balles

Wonkiiji kalfinaa Illalaahu,
Les âmes confiées à Dieu

Ndeen woni maayde jaambaaro.
Le brave a alors signé son arrêt de mort

Dutal mangal jippoo, wiya: baagiri-gom!
L’énorme et répugnant vautour atterrit et, sautillant d’allégresse, dit :

Dum ko tullinannde ndimaangu,
« Là, gît le cadavre gonflé d’un noble destrier

Dum ko lattinannde jaambaaro,
Là-bas, est tombé, raide mort le brave guerrier

Tawa yummum jaambaaro tinaani.
À l’insu de sa mère, le brave est mort. »

Le rapport est différent dans le califat de Sokoto, du moins dans les cercles d’élite, où l’emphase est mise sur les qualités islamiques du défunt, et sur la douleur de la personne déclamant la lamentation.

Asmau (1794-1864) b. Uthman dan Fodio (1754-1817) est connu pour son érudition, sa complicité intellectuelle avec son frère, le sultan de Sokoto Muhammad Bello (1781-1837) et pour ses efforts dans l’éducation des femmes de Sokoto durant sa vie. La mémoire de Nana Asmau reste vivante à Sokoto et au-delà grâce aux efforts de ses descendants comme le Waziri de Sokoto, Muhammad Junaidu (1902-1989) b. Muhammadu Buhari (1842-1910) qui ont préservé ses écrits dans leurs archives personnelles, mais aussi à la survivance du système de Yan’ Taru (« Celles qui se réunissent ensemble ») par lequel, l’enseignement islamique était prodigué aux femmes.

Nana Asmau comme elle est connue par la postérité a écrit plusieurs poèmes parmi lesquels des lamentations (« Sonnore ») inspirées de la culture pastorale pullo. Ces poèmes écrits étaient sans doute déclamés pour faire le deuil du mort et exhorter les vivants à s’inspirer de l’exemple du décédé. Contrairement aux sonnore qu’on peut trouver autre part dans le Sahel, les élégies de Nana Asmau célèbrent les vertus islamiques et les vertus morales de leurs sujets Parmi ses Sonnore les plus célèbres, figurent ceux déclamés suite à la mort de l’émir de Gwandu, Abdullahi dan Fodio (1766-1829;1804-1829), de  Muhammad Bello (1781-1837), Sultan de Sokoto/Sarkin Musulmi (1810-1837/1817-1837),  de Zahratu et Hauwa, deux membres de Yan Taru, qui ne sont connues que par ses poèmes , de son époux Uthman « Gidado » dan Laima, Waziri de Sokoto (1778-1848; 1817-1842) et d’un jeune (« Binngel ») qui était proche d’elle, et qui serait mort prématurément suite à un accident équestre.

L’élégie qui suit, a été déclamée suite à la mort de son frère Muhammad Buhari (v.1785-v.1839). Elle aurait été composée vers 1840, quelque temps après la mort du sujet de la lamentation. Muhammad Buhari était le demi-frère de Nana Asmau; il était le fils de la seconde épouse de Dan Fodio, Aisha b. Cheikh Saad, appelée aussi Iyya Garka, alors qu’Asmau était la fille de la première épouse de son père, Maymūna. Buhari fut durant sa vie le gouverneur du ribat de Tambuwal (Sarkin Tambuwal) dans le nord de l’émirat de Sokoto. Il était aussi le beau-père du fils de Nana Asmau, Ahmadu dan Gidado (1820-1852) qui avait marié sa fille, Aisha . Muhammad Buhari était très lié à son cousin l’émir de Gwandu, Muhammad Wani (v.1787-1833) dan Abdullahi dan Fodio et a fait avec lui des campagnes militaires dans le Kebbi, le Nupe, le Yawuri et  dans le Kotonkoro, où ils remportèrent une grande victoire à Ibeto.

Nana Asmau composait ses Sonnore en fulfulde. Nous ne disposons pas de la version originale de ce sonnore, mais de la traduction anglaise faite par Beverly Mack et Jean Boyd dans leur ouvrage sur Nana Asmau. Le texte qui suit est une traduction faite par nous de l’anglais au français.

Sonnore Buhari

1. Je me soumets à la volonté de Dieu qui exerce un pouvoir sur les mortels. Je me repends auprès de Lui

2. J’ai perdu mon frère qui m’aimait vraiment et ne me voulait que du bien. Mon Dieu, j’accepte sa mort

3. Que m’est-il arrivé? Vous seul pouvez m’aider à me remettre.

4. Je me souviens de Buhari comme un vaillant défenseur de l’Islam. Ô mon Dieu, sur Toi je compte.

5. C’était un brave guerrier; un excellent savant, généreux et patient: il s’occupait de la famille, et était une lumière pour l’humanité.

6 Rien de préjudiciable n’a jamais été dit sur ce qu’il a fait ou dit.Il avait l’excellent caractère de Shehu [Uthman dan Fodio leur père]

7. (Texte obscur)

8. Il a été bénéfique à son peuple dans ses affaires religieuses et mondaines et toujours d’une manière appropriée.

9. Il a été malade pendant deux ans et sept mois: sa souffrance lui a valu une récompense céleste.

10. Il a été généreux envers ses parents des deux côtés de sa famille, maternelle et paternelle.

11. Il était très pieux et ne se lassait pas d’égrener son chapelet.

12. Ô Dieu! Pardonne et aie pitié de lui, Ta miséricorde est sans limite.

13. Que la lumière brille dans sa tombe et qu’il soit récompensé pour toutes ses bonnes œuvres.

14. Consolez-le au Jour de la Résurrection et que ses bonnes actions l’emportent sur ses mauvaises.

15. Puisse t-il bénéficier de l’intercession du Prophète qui a dépassé tous les mortels.Donnez-lui à boire l’eau pure de Kawthar

16. Et emmenez-le au Paradis pour vivre éternellement avec le Prophète.

17. Qu’il voie le Tout-Puissant. Ô Dieu, Acceptez ma prière pour l’amour du Prophète, car le Tout-Puissant est généreux.

18. Portez-le doucement pour être unifié avec tous les musulmans, pour le bien du Prophète.

19. Je suis prostré par le chagrin; la mort de Buhari m’a vaincu et ma douleur ne disparaîtra pas.

20 Sambo, Bello, Hassan, Habsatu, Fad’ima Mo’Inna’[1], tous étaient proches de notre cœur et ont disparu.


[1] Il s’agit ici des frères et sœurs de Nana Asmau qui sont décédés avant Muhammadu Buhari. Muhammad Sambo (v.1780-1826) est le 3e fils d’Uthman dan Fodio par Aisha (appelée aussi Iyya Garka), qui était aussi la mère de Muhammadu Buhari. Sambo fut un marabout toute sa vie et n’exerça pas de fonctions politiques. Muhammad Bello, le 4e fils de dan Fodio (par Hauwa/Inna Garka) fut le second sultan de Sokoto alors que Hassan (1794-1817) était le frère jumeau de Nana Asmau qui mourut 6 mois après le décès de son père, en novembre 1817. Habsatu/Hafsat avait la même mère que Nana Asmau (Maimuna) alors que Fatima Mo’Inna était leur demi-sœur, fille de Hauwa (Inna Garka).

21 Qu’est-ce qui peut apaiser le chagrin du cœur? Rien. Nous apprenons seulement de l’expérience.

22 Nous remercions Dieu pour ceux qui sont encore en vie et prions afin qu’ils vivent, car Dieu est généreux.

23 Que Dieu donne une longue vie à Atiku pour l’amour du Prophète.

24 Qu’il prépare tous les musulmans à la victoire de l’Islam sur la mécréance, et pour le triomphe de la Sunna

25. Qu’il s’empresse de détruire Maradi, Anka, Zamfara, Tsibiri et Zauma.

40. Ô mon Dieu. Je dirige ma prière vers toi.

26 Par la grâce du Prophète qui surpasse tous les mortels, le chef des saints de Dieu.

27 Et par la grâce de Badawi, Rufai et Dasuki. Et aussi de Shehu Degel [Uthman dan Fodio]. Que Dieu soit avec eux.

28.  Bénédictions sur les parents, les compagnons et sur la communauté du Prophète, les partisans de la Sunna.

Les Sonnore de Nana Asmau sont différents des lamentations traditionnelles, comme le buruuje du Macina. En effet, alors que les Sonnore sont déclamés après la mort, alors que d’autres chants funèbres sont quant à eux, scandés lors des veillées martiales précédant les batailles. Ce buruuje du Macina, recueilli et transcrit par Gilbert Viellard, durant les années 1930, reflète beaucoup plus l’ethos ceddo/traditionnel que l’élégie de Nana Asmau qui célébre le savoir, la piété et la générosité. Il est le chant funèbre du mort ou de celui qui s’apprête à mourir au combat, et est en ce sens, similaire au “Hoto Allah maygel dow leeso” des sebbe du Fuuta Tooro, recueilli par Daha Chérif Bâ (2013).

Buruuje du Maasina

“Le jour où sonneront les trompettes de guerre,
le jour où l’on battra les grands tambours des chefs,
le jour où s’élèveront les lamentations des pleureuses,
où les brides se toucheront,
où les jeunes gens se ceindront,
où la main gauche tiendra les rênes
et la droite prendra les sabres ce jour-là ! (nyande nden).

Le palefrenier dînera d’une poignée
et les chevaux dîneront de leurs mors
le vaillant, d’une noix de cola,
et le poltron, de mauvaise pensée.

Par Dieu, si l’Incomparable (bajjel) est tué,
sa mère pleure, derrière la case,
son père pleure et caresse sa barbe,
l’adulte pleure et se bat la poitrine.

Et l’on voit les blessés traîner les morts.
Le cheval noir a la croupe trempée
de la sueur du jaloux en fureur,
il est trempé autant qu’un orateur.
Les lances frôlent les cheveux trop longs,
et si la balle reste dans la tête,
la morve se répand dans le cerveau.
Le vaillant ne craint pas la poudre, et ses brûlures,
le vaillant n’a pas peur de se rompre les os,
il ne redoute pas les balles et leurs blessures,
tandis que le poltron fuit, maudit sa maman,
et ne revient à lui qu’avec les talismans.

Mais voici qu’on abat ceux qui bouchent les brèches :
ce n’est plus le moment d’astiquer sa lance !
Notre main gauche est celle des largesses,
et notre droite est celle des paniers (de colas).
Si nos cuisses sont faites aux étrivières,
nos pieds sont façonnés aux étriers.
J’aimais les filles, les conciliabules,
le choc des bracelets et la honte nocturne.
Et je savais faire craquer mes doigts
et je savais me disputer les pagnes…
Humiliation ! C’est moi qui suis frappé ! (Aybo!)

Connaissez-vous rien de plus pitoyable
que la mort d’un garçon qui n’était pas malade,
que la mort d’un poulain qui n’est pas enrhumé ?
Les voilà enterrés au fond des fourmilières,
avec leurs pieds se bâtiront les termitières
et les os de leurs mains claqueront leurs bravos.

Voici venir, en sautillant, le vautour mâle,
suivi de sa femelle, sur le corps
de ce garçon qui n’élait pas malade.
« Même s’il a mal agi, c’est dommage »,
dit-elle, « lui a-t-on jeté un sort ?
Ou bien a-t-il raté son coup ? » Le mâle
lui répondit « préservez-nous du mal ! »
Il ajouta : « Ce n’est pas un parent,
c’est un jeunot, ce n’est pas ton jeune homme…
Arrache-lui le nez, le ventre, je le prends !
Tirons bien fort, que les entrailles sortent ! »

C’était un des galants favoris des villages,
un jeune homme accompli, avec de l’instruction,
qui hantait les ruelles aux rendez-vous volages,
à qui s’offraient les belles avec passion.
Et voilà tout ce que Wordu Gooro raconte,
tandis que le récit de Baamu ne vaut rien :
il ne sait pas lui-même ce qu’il dit : méfiance !
S’il immole à soit hôte, il est avare et dur.
Il n’éprouva jamais s’il était vulnérable.

Jamais on n’eut à le guérir d’un coup de lance,
à extraire des morceaux de chair de son corps.
En personne, pas même en lui, il n’a confiance.

Mais moi, je chante les louanges de mon Pullo,
et je teindrai en foncé les doigts de mon Pullo”

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