Makki Tall (1837-1864) est le second fils du marabout conquérant et mystique El Hadj Omar Tall (1797-1864). Plus jeune de quelques mois qu’Ahmad El Madani (1836-1897), sultan de Ségou et fils ainé des enfants de Mariatou, femme bornouane, Makki est mort en même temps que son père à Goro. Durant sa courte vie, il aura laissé une réputation de clerc, d’ami des clercs et de générosité.
Makki, nait vraisemblablement dans le Haoussa, grandit à Diégounko et à Dinguiraye après l’installation de son père avec ses disciples dans le Fuuta Jalon. Makki avait la même mère que Saidou (v.1840-1878), émir de Dinguiraye, et Aguibou (1844-1907), émir de Dinguiraye puis faama de Bandiagara.
Alfa Makki dans les chroniques contemporaines
Une première mention de Makki apparait dans le Tarikh al-Istikhlaf de Mohamed b. Ibrahim de Dara-Labé, qui était proche de lui et d’Ahmadou, les deux fils ainés du Cheikh. Mohamed b. Ibrahim était à Dinguiraye en 1859, lorsque de Markoya, Cheikh Oumar demanda à Alfa Ousmane Sow d’amener à lui ses deux fils ainés Ahmad al-Madani et Mohamed el-MakkI. Le groupe quitta Dinguiraye le 11e jour du mois de Rabi al-Akhira [7 novembre 1859] selon la « Chronique de la succession ».
De Dinguiraye, le groupe atteignit Tamba [Taybata] puis Bumbuya où ils joignirent Thierno Abdoulaye Haoussa et Thierno Mohamed Diallo. Puis le périple les fit passer à Kurukutu, Goungoutou d’où ils traversèrent le Bafing [le fleuve noir] et ensuite au village de Kemeta, où ils traversèrent à gué le fleuve blanc [Bakhoy] avant d’atteindre le pays de Kita.
À Bangassi, ils trouvèrent l’armée d’Alfa Ousmane Sow qui menait des opérations dans le Fouladougou et Diouka, où ils participèrent aux combats. À Sedian, ils trouvèrent le camp d’Alfa Ousmane et avec lui traversèrent le Baoulé, qui sépare le Fouladougou et le Béléri et rejoignirent le Cheikh Oumar el-Fouti à Markoya, le mercredi 10e jour de Jumada al-Akhira [4 janvier 1860].
Là, les deux fils se joignirent aux combats et furent aussi éprouvés par leur père, qui préparait déjà sa succession. Ils reçurent chacun un commandement et leur attitude envers les Talibés fut scrutée. C’est de là que Makki reçut sa réputation de générosité et d’ami des clercs, tant il aidait les Talibés démunis et éprouvés. Selon une tradition de Nioro qui inclut Aguibou dans le groupe, El Hadj Omar avait donné à chacun de ses fils une bourse d’or comme gage pour le lui garder. Au bout de quelques temps, il demanda à Ahmad El-Madani la bourse et celui-ci le lui remit en entier. Aguibou lui remit la bourse, vidée de moitié, et disant avoir donné la moitié à Makki. Ce dernier lorsqu’interpellé dit qu’il avait donné toute la bourse aux Talibés et que lorsque celle-ci fut vidée, il fut dans l’obligation de demander à Aguibou une partie de son gage, pour les mêmes besoins.
Selon Mohamed b. Ibrahim, un mois et 16 jours après leur arrivée à Markoya, El Hadj Omar investit Ahmad el Madani comme son successeur et demanda à tous ses frères et aux disciples de lui prêter allégeance. Ahmadou avait alors 24 ans, 3 mois et 20 jours, ce 18 février 1860.
Selon la chronique de la succession (Tarikh al-Istikhlaf)
cette investiture eut lieu lorsqu’un homme trouva Ahmadou et lui dit : « Je désire prendre le wird et je voudrais que tu me mènes vers le Cheikh afin qu’il me le donne ». Ahmadou appela Alfa Oumar al-Awsa [al-Awsa = de la rive gauche du Niger] et lui demanda : « Allez avec celui-ci vers le Cheikh et informez-le qu’il désire prendre le wird, qu’Il le cherche et qu’il devrait le lui donner ». Dieu fit qu’ils (Alfa Oumar et El Hadji Oumar) ne se virent pas pendant quelques jours. L’homme dit à Alfa Oumar : « Je vais vous traduire devant Ahmad Madani ». Il répondit : « Ne faites pas cela, soyez patient afin que vos vœux soient exaucés ».
Après cela, l’homme et Alfa Oumar virent le cheikh et le trouvèrent entouré de ses télamides (élèves). Il lui donna la lettre celui-ci dit : « Où se trouve Ahmad al-Kabir al-Madani? Trouvez-le et appelez-le à moi avec Mohamed al-Makki. Dîtes leur d’être en état de pureté et de venir à moi rapidement ». Ils [Ahmadou et Macky] se réjouirent de cette nouvelle, obéirent à ses injonctions et s’assirent à ses pieds comme l’esclave devant son maitre ou du vertueux disciple devant son parfait cheikh. Le Cheikh prit les mains d’Ahmad al-Kabir et le désigna comme son successeur : « Tout ce qui m’a été donné par mon Cheikh, mon bien-aimé, mon ami, le pôle caché, le sceau connu de Mohamed, le cheikh qui est le médiateur, notre maitre Abou al-Abbas Ahmad ibn Mohamed al-Tijani, al-Hasani (Que Dieu soit satifait de lui, le guide et répande sa lumière), toutes les sciences exotériques et ésotériques, les secrets et révélations ainsi que les épanchements d’émanation divine, les wirds, tout cela, je te le donne et t’en accorde une autorité complète sur la dissémination de ce savoir sur tous ceux à qui tu veux le donner, quand tu veux, et qui qu’il soit, à jamais. Quiconque cherche quelque chose de moi, qu’il le cherche auprès de toi ». Et il dit à la communauté : « Celui-là est votre Cheikh. Quiconque me considère comme son cheikh, il est aussi son cheikh. Cherchez auprès de lui tout le bien que vous voulez dans ces deux mondes, et vous l’aurez. Je t’autorise Ahmadou de nommer qui tu veux comme Moqadem, et de donner le wird à qui tu veux, à jamais ». Après ce jour, quiconque demandait le wird au Cheikh, il lui disait : « Allez trouver Ahmadou. Il vous le donnera ». Et il dit à Macky : « Je te donne tout ce qui est dans le Rimah et te donne toutes les autorisations à cet égard, parce que tout ce qui est à moi et à Ahmadou t’appartient aussi. Quant à toi et à ta position, suis ton frère, et tout ce que tu désireras, il te l’accordera. Entretenez vos liens, comme je vous ai enjoints précédemment : je vous l’ordonne encore. Ne laissez rien s’immiscer entre vous deux ». Ceux qui furent présents prêtèrent allégeance à Ahmad al-Kabir devant le cheikh, le peuple fit de même après en prêtant serment au Commandeur des Croyants [Lamdo Julbé] Ahmad al-Kabir al-Madani al-Fouti [du Fouta], al-Touri [du Toro] al-Kadawwi [de Guédé] (Que Dieu lui accorde la victoire, le protège et l’assiste dans les deux mondes).
Cela eut lieu le dimanche, avant midi, 26e jour de Rajab, 1276 années après l’émigration du prophète- Paix et Salut sur lui- [18 février 1860]. Tous les gens prêtèrent serment, ainsi que les chefs de l’armée et les commandants, les Moqadem et les soldats, eux tous. Le pays et le peuple fut content et satisfait de cette investiture et de cette prestation de serment. Alors Dieu donna du confort aux Musulmans et rendit victorieux ceux qui proclament l’unicité de Dieu. »
Il semble que le Cheikh ait senti les penchants cléricaux de Makki et l’ait incité à emprunter cette voie et d’être le conseiller de son frère et ami Madani. Les deux participèrent à la campagne de Ségou (1860-1) et alors que Ahmad al-Madani restait à Ségou, Makki suivait son père durant la campagne de Hamdallahi (1861-2) où il servit de vicaire à son père quand celui-ci entrait dans ses retraites mystiques. Makki, tout comme ses cousins Tidiani (v.1840-1887) ou Tafsir Saidou [m.1888] avait alors pour Cheikh, un marabout tijjani du Macina, du nom de Cheikh Sidi Mohamed b. Wadiat’Allah ou Cheikh Yirkoy Talfi (v.1800-1864).
Durant cette période, on lui doit une lettre écrite à son frère Ahmadou, alors à Ségou, où il décrit la situation au Macina et le déroulement de la campagne de Cayawaal [mai 1862] par laquelle la Dina devait tomber. Cette lettre, retrouvée dans la chancellerie de Ségou en 1891, et pillée par Archinard, était coécrite avec son frère Mahi [v.1840-1864] et son cousin Tidiani Alfa Ahmadou [v.1840-1887].
Alfa Makki à Hamdallaye (1862-1864)
Makki avait laissé une veuve et au moins un fils, Ahmad al-Madani, homonyme de son frère. Son cousin Tijjani qui sera émir de Bandiagara, épousera sa veuve et sera le père de cet enfant qui devait être tout jeune en février 1864. Ce fils est décrit ainsi en 1887 par l’explorateur Caron en visite à Bandiagara:
Makki joua un rôle majeur après les défaites de Mani-Mani et de Ségué (1862) qui devait amener le siège de Hamdullahi [mai 1863-février 1864] par une coalition Cissé-Kounta. Après l’exfiltration de Tijjani dans le Hayré pour lever une armée de secours, Makki sera l’un des émirs de la sortie de toute l’armée pour rejoindre Tijjani en février 1864, ainsi que les escarmouches qui s’ensuivirent. Son frère Hadi [v.1844-1864] devait mourir dans ces combats avant d’atteindre les falaises et El Hadj Omar, avec ses fils et disciples, devait mener leur dernier baroud au sommet de la falaise. C’est là qu’une explosion survint et entraina la « disparition » de Cheikh Oumar, de ses fils, et d’une partie de ses disciples.
Dans l’après-midi, le cheikh envoya son fils adoptif prendre de mes nouvelles. C’était un jeune homme de dix-huit à dix-neuf ans, nommé Ahmadou, fils d’Ahmadou Mackiou, un des frères de Tidiani. A la mort de Mackiou, arrivée en 1872 [plutôt en 1862], Tidiani, qui n’avait que des filles, adopta son neveu.
Un air dédié à Alfa Makki nous est parvenu, célébrant sa générosité et sa grandeur d’esprit. Ici c’est interprété par Safi Diabaté. Cet air, comme « Taara » célébrant El Hadj Omar, furent développés dans la cour du sultan de Ségou, Ahmadou Tall.
Pour aller plus loin
Henri Gaden. « La vie d’al Hajj Oumar »: qacida de Muhammad Aliyou Thiam. (Ernest Leroux)
Caron, Edmond (1857-1917). De Saint-Louis au port de Tombouktou : voyage d’une canonnière française ; suivi d’un « Vocabulaire sonraï » /1891.
David Robinson et John Hanson. 1990. « After the Jihad: the Reign of Ahmad al-Kabir in Western Sudan »
Abdoul Aziz Diallo. Histoire du Sahel occidental du Mali 1850-1960: Les trois briques de l’édifice [El Hadj Omar, Ahmadou Lamdioulbé et les Français], Éditions La Sahélienne.
Le 16 mai 1862, le marabout foutanké Cheikh Oumar Tall pénétrait la silencieuse cité de Hamdallahi (“louange à Dieu’), capitale du royaume théocratique du Macina dans la boucle intérieure du Niger. Hamdallaye avait été fondée quelques décennies plus tôt, suite à la victoire du marabout Ahmad b. Muhammad Lobbo (v.1776-1845), plus connu sous le nom de Sékou Ahmadou, sur les arBe du Macina et sur leurs suzerains de Ségou. Hamdallaye reflétait l’ambition spirituelle de ceux qui l’ont fondé,et leur projet théocratique qui contrastait avec les états qui leur étaient contemporains, mais aussi avec la vision du rôle du “clerc” dans la gestion des affaires politiques. La réunion des rôles d’émir, de sultan et de Cheikh en la personne de Sékou Ahmadou tranchait avec les rapports reliant marabouts et souverains depuis la chute de l’empire de Gao en 1591. Le 16 mai 1862, Cheikh Oumar al-Fouti entrait dans une ville sans mur d’enceinte, abandonnée par ses habitants suite au désastre de Cayawal où la cavalerie macinanké céda le terrain aux fusils fuutanké. Son entrée marquait sa victoire sur le Macina après près d’une dizaine d’années de correspondances et de polémiques, d’accusations mutuelles et de combats isolés tels qu’à Kassakéri en 1856, où les prétentions macinanké sur le Bakhounou furent réglées à la suite d’une bataille. La campagne du Macina (1862-1864) est un épisode incontournable de l’épopée omarienne en grande partie à cause du conflit fratricide qui le caractérise:deux entités musulmanes et peules se sont affrontées sur le territoire de l’actuel Mali.
Cette campagne est caractérisée par la lourde défaite des Macinanké à Cayawal, bataille durant laquelle le roi Ahmadou mo Ahmadou (v.1830-1862) réussit à s’échapper avant d’être capturé et tué par Alfa Oumar BailaWane (m.1862). Les racines de ce conflit remontent à la déclaration du jihad faite par Cheikh Oumar sur des territoires jugés païens alors vassaux du Macina. Mais également d’une opposition dogmatique et de tensions entre Tijaniya et Qadiriya dans le delta intérieur du Niger, bien que décrit comme d’obédience qadirie, le pouvoir macinanké doit être vu comme un soufi, mais sans attachement direct avec une obédience. Le règne d’Ahmadou mo Ahmadou constituait aussi une transition générationnelle entre ceux qui ont connu Sékou Ahmadou et ont participé à son jihad et ceux qui sont nés et sont devenus adultes alors que le Macina était déjà un État consolidé. Une illustration de cette transition est la consolidation progressive du pouvoir de décision, qui était quelque peu partagé entre l’Émir et le Conseil des Quarante Marabouts [Batu Mawdo] qui siégeait au Jedidiwal [Salle aux 7 portes]. Le Grand Conseil était composé des marabouts qui s’étaient joints au jihad ou avaient rejoints la cause de Sékou Ahmadou Lobbo juste après Noukouma. Sous Sékou Ahmadou et son successeur Ahmadou Sékou (v.1800-1853; r.1845-1853), ce Conseil exerçait des fonctions législatives et exécutives, en validant toutes les nominations administratives de la Dina et en exerçant un droit de remontrance sur l’Émir. La démission de plusieurs de ses membres après 1853 et leur exil hors de Hamdallaye lui avait fait perdre son poids, perte facilitée par le caractère affirmé du nouvel émir, entouré de sa cour de jeunes guerriers et thuriféraires. La volonté du jeune émir Ahmadou mo Ahmadou [1833-1862 ; r.1853-1862] de contrôler les marabouts ainsi que et par les restrictions imposées par aux marabouts tijjanis, accusés de connivence avec El Hadj Oumar va créer un fossé au plus haut sommet de l’État, divisant les marabouts par rapport à l’action du marabout foutanké.. Cette volonté contrastait par exemple avec les écrits et le prosélytisme du Cheikh Sidi Mukhtar b. Yirkoy Talfi (v.1800-1864), disciple de Sékou Ahmadou et membre du Grand Conseil, devenu l’un des plus importants disciples de Cheikh Oumar au Macina. Cheikh Sidi Mukhtar b. Yirkoy Talfi s’est distingué par ses querelles avec le marabout qadri Sidi Ahmed Bekkay al-Kounti (v.1803-1865) sur la Tijaniyya. Les rapports entre l’émir du Macina avec le marabout kounti ont été froids voire hostiles au début de son règne, mais les deux figures vont se rapprocher face à l’avancée devant le Kaarta et Ségou, et aux prétentions de Cheikh Oumar al-Fouti.
Bien avant l’entrée de Cheikh Oumar à Hamdallaye, une querelle l’opposant à l’émir Ahmadou Ahmadou suite à sa conquête de cette région et du rôle joué par un dissident de Hamdallaye, l’ardo Sambouné Boly (m.1862), chef des Peuls Wolarbe. Cette querelle se poursuivra, portant soit sur la conversion supposée du faama de Ségou, Ali Diarra (r.1856-1861), ou sur des points de droit islamique. Elle trouvera un écho à Hamdallaye parmi les marabouts sensibles à l’érudition de Cheikh Oumar al-Fouti. En prélude à la bataille de Cayawal [1862] qui marquera la fin de l’empire peul du Macina, plusieurs marabouts membres du Batou Mawdo [Conseil des Quarante] du Macina dont Sidi Mukhtar ibn Yirkoy Talfi et Hammadi Sanfouldé firent défection et rejoignirent les Foutanké.
Suite à sa mort Ahmadou mo Ahmadou est devenue une figure étrange. Les historiens et hagiographes tendent à l’accabler pour tous les maux qui ont amené à la destruction de la Dina. Il est aussi défendu par ceux qui voient en El Hadj Oumar un conquérant, responsable de la destruction d’une autre théocratie et des troubles qui caractériseront le delta intérieur de Cayawal jusqu’à la colonisation française. Ahmadou mo Ahmadou est devenu émir un peu par effraction, suite à la mort prématurée de son père Ahmadou Sékou (v.1800-1853), le 27 février 1853, qui a amené des querelles de succession entre ses oncles Balobbo (v.1800-v.1880), le puissant amirou du Fakala et du Macina soutenu par ses troupes, et Abdoulaye Sékou Ahmadou (v.1810-v.1858), le gouverneur civil de Tombouctou soutenu par les marabouts. Ahmadou Hampaté Ba et Jacques Daget notent aussi la candidature de Muhammad Sékou Ahmadou, qui commandait le Hayré avec pour résidence Douentza; sa candidature a pu diviser les chances de son ainé Abdoulaye Sékou dont la science était reconnue.
C’est la candidature d’Ahmadou mo Ahmadou qui réconcilia ces parties, et en quelque sorte la famille émirale. Dans un souci de raffermir ces liens, il épousa très vite trois de ses cousines:
Aissata, fille de Balobbo;
Fanta, fille d’Abdoulaye Sékou
et Fanta, fille d’un autre oncle Mahmoud Sékou Ahmadou, qui mourra à Cayawal en 1862.
Selon Hiénin Ali Diakité, Ahmadou mo Ahmadou “a fait ses études auprès de son grand-père le fondateur de la Dīna Sékou Amadou. Il aurait suivi une partie de sa formation chez Alfa Souleyman al-Fūtī, qui sera l’un de ses conseillers. Parmi ses instructeurs on cite Alfa ‘Abd al-Raḥmān Dieta et Alfa Bokari Karabenta. Certainement Ahmadou Ahmadou avait les connaissances islamiques de base comme de la majorité des personnes de sa génération. Cela dit, son niveau d’instruction n’est pas connu. Il était plus passionné par l’exercice militaire que par la quête du savoir. À l’âge de 15 ans il suivait déjà son oncle, le lieutenant Ba Lobbo, dans ses expéditions militaires. Sa bravoure et son courage ne font aucun doute”.
Ahmadou mo Ahmadou n’a pas de biographe et les sources sur ces évènements tendent à émaner de sources proches du monde foutanké. On entend sa voie et sa vision un peu dans le “Bayyan ma waqa’a ma bayna Cheikh Oumar wa ila Amir Ahmad” (Voilà ce qui est arrivé entre le Cheikh Oumar et l’émir Ahmad) rédigé par Cheikh Oumar (ou sous sa direction) pour décrire sa querelle avec l’émir Ahmadou et justifier la guerre menée contre lui. L’histoire ne lui a pas toujours fait justice en ce sens. La plupart des érudits de l’époque militèrent pour la médiation entre les parties; l’enthousiasme suscité par les campagnes contre le Kaarta (1854) et Ségou (1859-60) fut absent cette fois-ci.
Toujours est-il que bien avant Cayawal, une longue correspondance a eu lieu entre ces deux figures et des tentatives de médiation.
La chronique du marabout Abdoulaye Ali décrit ainsi une mission macinanké à Sansanding un peu avant la campagne de Ségou (1859-1860).
“À Sansanding, le Cheikh [Cheikh Oumar] fut visité par des messagers qui avaient avec eu une lettre de la part d’Ahmadou Ahmadou. Le roi du Macina informa Cheikh Oumar qu’il n’avait pas le droit d’attaquer Ali Oïtala [roi de Ségou entre 1856 et 1860], son vassal. Le Cheikh répondit en retour que cette affirmation était fausse, car le roi de Ségou n’était en aucun cas sous l’autorité du roi du Macina. Il indiqua également qu’il continuerait de considérer ce prétendu vassal comme son ennemi, car il (le roi de Ségou) avait à plusieurs reprises envoyé des troupes pour l’attaquer au Kaarta. Il informa les messagers du Macina qu’il poursuivait ses troupes dans un but de vengeance personnelle, qu’il continuerait d’agir de la sorte, tout en affirmant que c’était l’unique raison de sa présence dans ce pays. “De plus, ajouta Cheikh Oumar, tu as toi-même, Ahmadou Ahmadou, montré une hostilité évidente envers ma personne par tes actes d’agressions. En effet, tu as envoyé Abdullahi Bori Hamsala [Abdoulaye Bokari Hammadoun Sala commandait l’armée macinanké battue dans le Bakhounou à Kassakéri en 1856. Il était l’un des principaux généraux du Macina] avec une armée contre moi dans le Bakhounou, Dieu seul a détruit son armée et l’a empêché de mener à bien sa mission.” Le Cheikh Oumar confia ce message à un disciple nommé Thierno Haimoutou qui parla en privé avec les messagers du roi du Macina. Thierno Haimoutou revint de sa mission sans pour autant rapporter de réponse claire de la part d’Ahmadou Ahmadou. Peu de temps après, le roi du Macina envoya son oncle Balobbo [v.1800-v.1880] à sa tête d’une armée à Diolume. Un homme nommé Nouhou qui accompagnait également cette armée apporta une lettre à Cheikh Oumar qu’il lui donna à Sansanding. Voici le contenu de cette lettre:
“Je te donne le choix entre te soumettre à moi, ce qui est la chose la plus appropriée que tu puisses faire, ou de retourner dans le pays d’où tu es venu. Je vous accorderai trois jours pour vous soumettre ou pour faire vos bagages, seller vos chevaux les plus rapides et préparer vos meilleurs guerriers, car j’enverrai une armée de jeunes hommes âgés de 20 à 25 ans pour vous combattre. C’est en faisant référence à des gens comme vous que le Prophète (le salut éternel de Dieu soit sur lui) a une fois ordonné de tuer tout le monde.”
Lorsqu’il a entendu cet ultimatum, Cheikh Oumar répondit: “Je peux à présent voir que tu es devenu un infidèle, car tu n’es pas si loin de calomnier le Prophète (Paix et Salut sur lui). Contrairement à ce que tu prétends, le Prophète a dit qu’il était licite de répandre le sang des calomniateurs comme vous dans des torrents. Dans son Idhata Dujina, l’auteur a écrit les versets suivants: “Quiconque nie les faits se ment à lui-même devient un infidèle.” “Quiconque affirme ce qui est interdit, comme si cela était permis, devient un infidèle, car les choses formellement interdites ne sont un mystère pour personne.”
Nouhou partit pour Ségou après cette réponse.
Le lendemain matin de cette opposition El Hadj Oumar mit Ardo Ali [Ardo Aliou Ndiérébi] à la tête de ses troupes qui marchèrent contre les guerriers du Macina qui avaient unis leurs forces à celles de Ségou chaque section divisée en fonction de son origine. La bataille battu son plein jusqu’à la tombée de la nuit. El Hadj Oumar ordonna à ses soldats d’attendre de l’autre côté du fleuve jusqu’à la levée du jour. Le matin venu, les Foutanké poursuivirent les habitants de Ségou jusqu’à Kirango. Ils les combattirent dans la partie la plus chaude de la journée. Puis un messager du Cheikh nommé Ahmadou Tafsirou arriva et leur ordonna de retourner à Sansanding. Quand ils revirent à Sansanding, ils allaient traverser le fleuve lorsqu’un autre messager arriva de la part d’El Hadj Oumar muni de son fusil leur ordonnant de ne pas retraverser le fleuve. Ardo Ali a ensuite conduit les guerriers foutanké à Diolume, où l’armée du Macina s’était regroupée. Ils combattirent et vainquirent les soldats du Macina, tuant un grand nombre d’entre eux et prenant aussi grand nombre de captifs. Ardo Ali retourna ensuite Kirango chargé du butin. Dix jours après ce succès, Cheikh Oumar rejoint ses troupes à Kirango. Il y resta trois jours puis partit pour Mbebala, non loin de Ségou (5 à 6 kilomètres). Il y campa pour la nuit. Cette même nuit, Ali Oïtala (roi de Ségou) s’enfuit vers l’Ouest. Le lendemain matin, un samedi correspondant au 27e jour du mois de Sha’ban en l’an 1277 de l’Hégire [10 mars 1861]. El Hadj Oumar se rendit à cheval en direction de Ségou-Sikoro.
El Hadj Oumar les a poursuivis pendant trois jours complets. Ahmadou Yero Ba reçu ensuite le commandement des troupes. Il tomba sur Ali Oïtala à Toura où il attaqua le village en tuant de nombreux hommes et faisant un grand nombre de prisonniers, dont toutes les femmes et les enfants du village. Cependant, Ali Oïtala lui-même réussit à s’échapper. Il est dit que le butin était si grand qu’il fallut une semaine entière pour le distribuer aux Foutanké.
El Hadj Oumar donna ensuite le commandement des troupes à l’un de ses meilleurs disciples, nommé Muhammad Seydiyanke. Il traversa la rivière Bani à et se rendit à Diebe où Ali Oïtala s’était réfugié. Il attaqua le village, tua de nombreux habitants et prit beaucoup de captifs. Il saisit également une grande quantité de marchandises dont des pièces d’or et d’argent. Pourtant, Ali Oïtala réussit à se sauver une fois de plus. Le Cheikh envoya ce même disciple pour le retrouver, cette fois ci au village de Fofana qui fut également attaqué, et plusieurs de ses habitants tués ou asservis. Mais l’insaisissable Ali de Ségou s’échappa encore. Muhammad Seydiyanke le poursuivi avec ardeur pendant trois jours entiers, le suivant au-delà de Ségou jusqu’aux portes du Macina. Au cours de cette extraordinaire chasse à l’homme, Muhammad Seydiyanke saisit le cheval d’Ali Oïtala, ainsi que sa couronne royale ornée d’amulettes en or. En outre, il prit douze autres objets en or ou en argent. Il réussit également à prendre 2 000 bovins avant de retourner auprès d’El Hadj Oumar à Ségou-Sikoro.
Ahmadou Ahmadou ne pouvant plus tolérer ces attaques répétées sur les villages de Ségou et son vassal Ali Oïtala renvoya un de ses ambassadeurs auprès d’El Hadj Oumar pour lui proposer de conclure leur conflit dans des conditions mutuellement acceptables. El Hadj Oumar refusa son offre en ces termes: “Je ne pardonnerai jamais les attaques et les provocations multiples que j’ai subies de votre part, et je n’oublierai jamais le sang musulman qui a été versé à ces occasions. En la matière, je ne me soumettrai qu’à la décision souveraine du prophète. Lui seul peut juger entre nous et déterminer s’il est possible d’annuler vos nombreux délits contre moi. Lui seul peut décider lequel d’entre nous vivra et lequel d’entre nous mourra. Cette affaire doit donc être jugée par un tribunal qui nous jugera selon la loi du Prophète.” Cette réponse fut donnée à Thierno Khalidou qui accompagna les ambassadeurs d’Ahmadou Ahmadou”
Il semble probable qu’une autre médiation ait été essayée entre les parties avant la campagne du Macina. La sélection des ambassadeurs répondait à plusieurs critères: impressionner les guerriers d’Hamdallahi, montrer la force des Foutanké et séduire les marabouts macinankobé et les amener à militer pour la paix. En effet durant cette mission, plusieurs copies de la Safinatu-Saada, un poème écrit par Cheikh Oumar célébrant le Prophète fut distribué aux marabouts macinankoobe. La sélection des ambassadeurs est décrite d’une manière très imagée dans le Daarol de Kalidou Ba recueilli par Samba Dieng
747. Ali courut et se dirigea vers Hamdallahi.
748. Il y trouva Ahmadou Ahmadou,
749. Entouré par les griots musiciens jouant le “Seygalaré”,
750. Lui disant: Ahmadou Ahmadou!
751. A la paresse de fuir, à la paresse de se cacher.
752. Possesseur des boeufs et des flèches rouges.
753. A ce moment, Ali arriva.
754. Ali Woytêla dit: Peul
755. Ahmadou Ahmadou lui répondit: oui.
756. Il dit : « A Bori kana »
757. Il lui dit: qu’est-ce que tu racontes?
758. Il lui dit: “A bori kana “
759. Il lui dit : j’ai combattu un marabout, il m’a chassé, je viens me réfugier auprès de toi
760. Il dit: Peul?
761. Ahmadou Ahmadou lui dit: oui.
762. Il dit: Allah. C’est un ou deux?
763. Il dit: Allah. C’est deux ou un ?
764.Ahmadou Ahmadou lui dit: Allah, c’est un seul Dieu.
765. Il n’a point enfanté. Il n’est point enfanté.
766. Il n’a pas de petit frère. Il n’est pas le petit frère de quelqu’un.
767. Il lui dit: donc puisqu’Allah est unique.
768.Il lui dit: oui.
769. Il lui dit: Dieu seul sait celui que tu adores.
770. Mais c’est le marabout à la gourde qui est avec Allah.
771. Cela m’est évident.
772. Il dit: Ahmadou Ahmadou?
773. Ahmadou Ahmadou lui dit: oui.
774. Il dit: mais s’il y a deux Allah
775. Il lui dit: oui.
776. Il dit : vous vous courbez là en priant.
777. Mais vous n’adorez que le petit frère.
778. Le grand frère est avec le marabout toucouleur.
779. Ahmadou Ahmadou lui dit:
780. C’est ce petit habitant du Fouta qui t’a chassé.
781. Tu fuis comme une gazelle au milieu de la plaine, abandonnant ta
famille.
782. Par Allah, reste ici, je te protégerai contre Cheikh Omar.
783. S’il te dit un mot, je le renverrai jusqu’au Fouta-Toro.
784. C’est là que le cadet de Adama Aysé Elimane Ciré
785. Samba Demba Ali Moutar Saïdou Boubou Ndiagnou
786. Quand arriva la nuit, il leur dit: Ô gens du Fouta!.
787. Ils-lui–répondirent : « Oui »
788. Il dit: vous avez chassé un païen. il est entré à Hamdallahi.
789. A présent qu’avez-vous décidé?
790. Ils dirent: puisqu’il est entré à Hamdallahi, allons-y.
791. Le souverain de Hamdallahi va le convertir. sinon nous allons l’égorger.
792. Il leur dit: Ô Fouta
793. Ils lui répondirent: oui.
794. 11 leur dit: un Imam n’attaque pas son homologue sans l’avertir.
795. Le soleil se coucha. le cadet d’Adama Aysé Elimane
796. Ciré Samba Demba Ali Moutar organisa une séance de prédication.
797. Tout le Fouta s’y rassembla.
798. 11 dit : Ô Fouta ! Ô fils du Fouta !
799. Je recherche ici un preux hors pair,
800. Pour l’envoyer auprès de Ahmadou Ahmadou,
801. Qu’il parte pour mourir. qu’il ne parte pas pour vivre.
802. J’ai là une lettre, qu’il la porte pour moi à Ahmadou Ahmadou.
803. Mais si la personne se décide à partir,
804. Qu’elle parte pour mourir, qu’elle ne parte pas pour vivre.
805. Alpha Oumar Thierno Baïla [Wane] de Kanel se leva brusquement.
806. Il lui dit: Homonyme?
807. Cheikh Omar lui dit: oui!
808. Il lui dit: si tu rédiges une lettre pour l’au-delà et que tu me vois, tu as qui envoyer.
809. Il dit : le jour où je fis mes adieux à Kanel.
810. J’avais cent disciples à former.
811. J’avais cent personnes à nourrir.
812. Il dit: si tu me vois abandonner une telle maison pour te suivre.
c’est que je te suis par Allah; si je meurs j’entre au paradis.
813. Ecris mon nom. demain matin je verrai Ahmadou Ahmadou.
814. Il écrivit son nom et il s’assit.
815. Il dit: Ô Fouta ! Ô enfants du Fouta
816. Je recherche parmi vous un Torodo qui a mémorisé le Coran, pour
l’envoyer auprès d’Ahmadou Ahmadou?
817.Qu’il lise le Coran en sa présence et qu’il traduise ce qu’il a lu.
820. Qu’il ne troque pas la religion contre l’idolâtrie, le paganisme.
821. Mais que le candidat parte
822. En se disant qu’il va mourir,
823. Qu’il ne parte pas pour vivre.
824. Un Torodo appelé Ahmadou Almamy Alassane [Barro] se leva droit.
825. Il lui dit: oh Cheikh Omar ?
Cheikh lui dit: oui.
826. Il lui dit: tu es sûr et certain que d’entre tes trois cents marabouts
qui font la retraite spirituelle …
827. Il lui dit: oui.
828. Il lui dit nul ne me surpasse en Coran.
829. De grâce, écris mon nom. Demain matin, je verrai Ahmadou Ahmadou.
830.Parce que je ne t’ai suivi qu’à cause de la guerre sainte, si je meurs, j’entre au paradis.
831. Celui là aussi, il écrivit son nom.
832. Il leur dit: Ô Fouta ! Ô fils du Fouta !
833. Il dit: je cherche quelqu’un qui va pour mourir qui ne va pas pour vivre;
834. Capable de faire de la parade gymnique
835. Jeter son fusil en l’air, le reprendre avant qu’il ne tombe à terre.
836. Pour que je l’envoie auprès d’Ahmadou Ahmadou.
837. Pour que j’apprenne à Ahmadou Ahmadou que,
838. Ce n’est pas parce que je n’ai pas de combattants, que je ne lui ai pas livré bataille.
839. Qu’il n’échange pas la religion contre l’infidélité.
840. Bôtol Sawa Hako se leva bien droit.
841. Son coup de fusil tonna.
842. Il jeta son fusil en l’air.
Le bonhomme fit une parade, puis se posa à terre.
843. Le fusil vint, il l’attrapa au vol, du revers de la main.
844. Il dit: Ô Cheikh Omar
845. Cheikh lui dit : Oui Bôtol
846. Il dit : Mon Cheikh, tu veux simplement avoir une confirmation.
847. Mais si tu as quelqu’un de ma trempe, tu as qui envoyer.
848. Il dit: puisque la nuit que tu passas chez moi au Fouta, tu m’as trouvé avec quatre épouses peules,
849. Chacune d’entre elles étant plus belle que l’autre,
850. Recevait chaque fois plusieurs écuelles de lait dans sa case.
851. J’ai répudié toutes ces femmes.
852. J’ai offert à chacune sa dot.
853. C’est moi qui t’ai suivi à cause d’Allah.
854. Allah sait que celui qui a abandonné une telle maison
855. Est celui qui te suit [par Allah] sincèrement plus loyalement.
856. Par Allah écris mon nom.
857. Demain matin je verrai Ahmadou Ahmadou.
858. Il écrivit le nom de celui-là aussi.
859. Il leur dit: ô Fouta ! Ô enfants du Fouta !
860. Je cherche parmi vous un homme qui maîtrise le cheval,
861. Qui sait faire une belle démonstration sur son cheval.
862. Jetant son fusil en l’air, puis le rattrapant au vol,
863. Cheval au galop.
864. Jetant à la fois son pied gauche et son pied droit, les traînant.
tandis que son fusil ne tombe pas.
865. Montrant à Ahmadou Ahmadou
866. Que j’ai des combattants au sol,
867. Que j’ai des combattants à cheval.
868. Qu’il ne troque pas la religion contre l’infidélité.
869. Koly Mody Sy du Boundou se leva net.
870. Il lui dit: Ô Cheikh Omar !
871. Cheikh lui dit: oui.
872. Il lui dit : écris mon nom,
873. Demain, je verrai Ahmadou Ahmadou.
874. Il dit : quand tu vins au Boundou,
875. Tu trouvas que mon pére était roi.
876. Il attachait, emprisonnait, humiliait.
877. Tu sais, par conséquent, que celui qui a abandonné la royauté pour te suivre.
878. C’est celui qui t’a suivi loyalement par Allah.
879. Puisqu’il n’y a rien de plus délicieux que le pouvoir.
880. De grâce, écris mon nom.
881. Demain matin, en vérité.
Je verrai Ahmadou Ahmadou.
882. Il écrivit le nom de celui-là aussi.
883. Il dit: Ô Fouta ! Ô fils du Fouta !
884. Je cherche qui envoyer.
885. Qui va pour mourir.
886. Qui ne va pas pour vivre.
887. Qui ne regardera pas les lances rouges.
888. Qui traverse l’assemblée jusqu’à Ahmadou Ahmadou.
892. Si celui qui doit mourir tient celui qui doit vivre,
893. Celui qui doit mourir mourra, celui qui doit vivre vivra.
894. Qui est décidé à faire cela?
895. Alpha Oumar se leva, saisit violemment le col du boubou de Cheikh Omar.
896. Cheikh lui dit: Alpha, il ne s’agit pas de moi.
897. Il s’agit d’Ahmadou Ahmadou.
898. Il dit: mon Cheikh, quiconque te traite ainsi.
899. Ne craindra pas d’en user autant avec une autre créature.
900. Si quelqu’un craint Dieu, il ne saurait craindre la mort.
901. De grâce, écris mon nom.
902. Il écrivit le nom de celui-là aussi.
903. Il leur dit: je cherche quelqu’un qui sait bien parler.
904. Qui sait dire des choses agréables,
905. Pour qu’il suive ces fils du Fouta, volontaires.
906. Candidats à la mort pour demain matin,
907. Que l’orateur les exalte.
908. Car. même si un homme doit mourir, il est bon de le flatter
909. Qui peut exécuter une telle tâche?
910. Qui accepte de les exalter et d’affronter également la mort?
911. Farba se tut un bon moment.
912. Farba lui dit: dans ce cas, ton fils surpasse tout le Fouta en science
913. Envoie ton fils Ahmadou.
914. De tout le Fouta, ton fils est plus savant.
915. Car il est saint, fils de saint.
916. Il connaît tout ce qui est écrit
917. Il connaît tout ce qui n’est pas écrit.
918. Si tu recherches réellement quelqu’un, envoie-le.
919. C’est lui qui peut transmettre un tel message.
920. Cheikh Omar se tut.
921. Un bon moment après. Cheikh dit:
922. Ô Fouta ! Ô enfants du Fouta !
923. Je cherche quelqu’un qui sait bien parler,
924. Qui sait ce qu’il dit.
925. Qu’il suive ces enfants du Fouta volontaires;
926. Demain, qu’il les exalte afin que les poils de leur corps se lèvent,
927. Même si un homme doit mourir que ses poils se lèvent.
928. Je vais lui donner une mesure d’or.
929. Alors Farba Gouwa dit: écris mon nom.
930. Tu sais bien que je surpasse tout le Fouta en parole.
931. Tu sais bien que je parle mieux que tout le Fouta.
932. Ecris mon nom, demain matin je les verrai.
933. Il écrivit aussi le nom de celui-ci.
La mission fut un échec. La confrontation entre les deux parties fut inévitable comme le décrit Abdoulaye Ali,
“Le roi du Macina refusa de régler le conflit de cette manière. Alors El Hadj Oumar rassembla son armée, qui était alors composée de dix corps distincts et marcha en direction d’Ahmadou Ahmadou. Après dix-sept jours de marche, il tomba sur l’armée de Balobbo [Amirou du Fakala et du Macina, et oncle de l’émir Ahmadou du Macina] à Koningo. Il les mit en fuite et les poursuivis jusqu’à arriver dans un village nommé Poromani que Balobbo avait déjà quitté. Dans ce village, Ibrahim Ibn Hamma Maliki, qui était un autre des généraux d’Ahmadou Ahmadou, tenta également sans succès d’attaquer Cheikh Oumar qui passa deux nuits à Poromani.
Balobbo fut blessé lors du bref mais vif combat de Koningo [mercredi 7 mai 1862]. Après sa victoire, Cheikh Oumar marche à pas forcés, même durant la nuit, derrière la cavalerie macinanké afin d’occuper Hamdallahi. Ahmadou mo Ahmadou qui avait établi son camp à Djenné dépêcha son oncle Mahmoudou Sékou afin de stopper l’avancée sur Hamdallahi des Foutanké.
C’est dans un gorge boisée arrosée d’une mare issue de la dernière crue du Bani que les troupes de Mahmoudou Sékou trouvent les Foutanké ce vendredi 9 mai 1862. Selon Henri Gaden, Mahmoudou Sékou avait avec lui le Lam-Toro Hammé Ali Sall, qui s’était joint au jihad d’El Hadj Oumar avant de faire défection pour des raisons mystérieuses après la prise de Ségou. Les Foutanké se reposaient dans ce “Cayawal” arrosé après une marche de 40 kms mais lorsqu’ils furent reconnus, ils se mirent en ordre de bataille pour se préparer au combat.
C’est le matin du samedi 10 mai 1862 que le gros des troupes macinanké commandé par Ahmadou mo Ahmadou arriva en ce lieu. La bataille aura lieu peu après la prière de Zohr. Elle s’étalera sur plusieurs jours et fut coûteuse pour les deux parties. L’armée foutanké était composée de 30000 soldats alors que de Djenné, le Macina mobilisait près de 50000 soldats et fantassins pour contrer l’avancée foutanké, selon David Robinson. L’avantage des Foutanké est qu’il disposaient d’une armée aguerrie par dix ans de campagnes et disposant de fusils. Les Macinanké avaient une cavalerie de choc et une meilleure connaissance du terrain. Le combat commença le samedi 10 mai 1862, près du Bani, dans une dépression géographique ou “Cayawaal” en fulfuldé, nom qui servira à désigner la bataille pour la postérité. Elle fut marquée par les exploits de Kouroubatou “Batou” Dembelé, un sofa de l’armée toucouleur, qui mourut en duel au début de la bataille face à Yemgha du Macina. Les sofas perdirent beaucoup de leur membre en voulant récupérer son corps pour l’enterrer. Mais le héros de la bataille fut sans conteste Ahmadou mo Ahmadou aux furieuses attaques, qui couvrit le flanc ouest de son armée et qui faucha de sa main plusieurs soldats futanké. Pendant un moment, il fit pencher la bataille en sa faveur et par cela, le cours de l’histoire.
Selon Abdoulaye Ali,
[Cheikh Oumar] partit samedi en direction d’Hamdallahi. Ahmadou Ahmadou avait lui quitté Djenné pour rencontrer son adversaire au combat, se heurtant à lui vers deux heures de l’après-midi. Une terrible bataille s’ensuivit qui ne fut suspendue que par la tombée de la nuit. Du dimanche soir au lundi matin, Ahmadou Ahmadou envoya tous ses hommes avec des fusils dans le but d’essayer de surprendre les forces du Cheikh. Ils attaquèrent et causèrent la mort de beaucoup de Foutanké.
Lorsque les assaillants fuirent, El Hadj Oumar ordonna à Ardo Ali de se mettre à la tête des contingents du Tooro et de les attaquer. Le lendemain matin [dimanche 11 mai 1862], les deux camps se combattirent avec acharnement toute la journée avant de se séparer et de retourner à leurs camps respectifs.”
Après deux jours de bataille, les deux armées restèrent dans leurs camps pour lécher leurs blessures. Les Foutanké en manque de munitions, renforçaient leur camps et se pressaient de fabriquer des balles pour leurs fusils. Les Macinanké aussi éprouvés, léchaient leurs blessures; Ahmadou mo Ahmadou aurait fait appel à plus de renforts pour achever les Foutanké qu’il commençait à encercler dans leurs camps, en construisant une zériba autour d’eux. Ce fut une erreur stratégique. Selon Eugène Mage qui a parlé à des témoins de la bataille lors de son séjour à Ségou, les Foutanké manquaient de munitions et des attaques vigoureuses durant les journée du lundi 12 et mardi 13 mai, auraient pu faire pencher la balance. Le répit de trois jours leur fut bénéfique: le gros des troupes se reposa pendant que les forgerons construisaient des balles.
Selon Henri Gaden se basant sur les écrits de Muhammadu Aliou Thiam (v.1830-1911), un participant de la bataille, lors de l’assaut du 15 mai 1862, les Talibés avaient reçu l’ordre de tous se battre à pied, armés de leurs fusils, dans le but de mieux résister aux charges de la cavalerie macinanké. La tradition rapporte que seuls deux Talibés combattirent à cheval, refusant d’obéir: Ibra Bokar Thierno Mollé [Ly] de Thilogne et Koli Modi [Sy] du Boundou.
Eugène Mage rapporte qu’Ahmadou mo Ahmadou avait placé sa cavalerie derrière ses fantassins couchés en avant. Les Foutanké avancèrent sur ceux-ci jusqu’à cinquante pas avant de tirer une volée. L’infanterie macinanké peu habituée à faire face à des fusils fut vite culbutée alors qu’une bonne partie de la cavalerie lâchait prise. Les tentatives d’Ahmadou mo Ahmadou de rallier la cavalerie n’y firent rien: il fut blessé durant sa dernière charge avant de replier avec l’aide de ses rimaïbé (serviteurs). Son oncle et beau-père Mahmoudou Sékou voyant la défaite arriver et l’imminence de l’occupation de Hamdallaye, fonça devant l’ennemi pour y mourir.
La dernière phase de la bataille se déroula ainsi selon Abdoulaye Ali:
“El Hadj Oumar se reposa ensuite pendant trois jours et trois nuits. Le matin du quatrième jour, qui était un jeudi [15 mai 1862], il organisa son armée pour la bataille et continua sa marche vers Hamdallahi. L’armée peule du Macina battit en retraite devant lui, repoussée dans la même direction. Le Cheikh Oumar continua à avancer jusqu’à rencontrer l’ennemi macinanké. Au cours de ce combat, le roi Ahmadou Ahmadou fut blessé et placé dans une pirogue pour le transporter. Les Foutanké passèrent la nuit du jeudi au vendredi à Dio. Le lendemain matin, il entra à Hamdallahi. Les Nguenarbe (du Ngenar) marchèrent devant lui dans la ville. Vinrent ensuite les Yirlaabe, suivis de loin par les Tooroobe (gens du Tooro) puis les contingents de Murgula. Le Cheikh lui-même entra à la fin de la procession avec ses serviteurs personnels et diverses troupes. Il ne s’arrêta que lorsqu’il arriva à la maison d’Ahmadou Ahmadou où il logea. Cela se produit au cours de l’année 1278 de l’Hégire. Sans perdre de temps, El Hadj Oumar envoya un commando mené par Alfa Oumar Baila à la poursuite d’Ahmadou Ahmadou. Il était constitué de 1 600 cavaliers et fantassins. Alfa Oumar marcha toute la journée et la nuit sans s’arrêter. Il croisa le roi Ahmadou Ahmadou au village de Diré. Alfa Oumar le tua et a saisi tout ce qu’il avait avec lui, y compris son or et ses domestiques. Alfa Oumar revint sain et sauf, chargé de butin, louant et remerciant Dieu. Ce fut la soumission du Macina à El Hadj Oumar.”
Cayawal marque la fin de la Dina et le début de la gouvernance foutanké, qui ne fut jamais stable cependant. La mort d’Ahmadou mo Ahmadou en mai 1862 n’avait pas suscité de révoltes; au contraire, beaucoup de dignitaires macinanké dont Balobbo firent leur soumission au nouveau pouvoir publiquement à Hamdallaye peu après. Mais un an plus tard, lorsque Cheikh Oumar désignera son fils comme son successeur et montra sa volonté de ne pas restaurer les “Cissé” (nom maraboutique pris par la famille de Sékou Ahmadou) au pouvoir, une rébellion commença initiée par Balobbo (v.1800-v.1880) et Abdessalam (v.1820-1864) b. Sékou Ahmadou , oncles d’Ahmadou mo Ahmadou.
En effet en 1860 à Markoya et en 1862 à Hamdallahi, El Hadj Oumar désigne ensuite son fils ainé Ahmad al-Madani (v.1836-1897) ou Ahmadou Cheikhou comme son khalife et successeur et demande à tous ceux qui lui ont prêté allégeance de la renouveler auprès d’Ahmadou. Les habitants du Macina menés par le Cheikh de la voie soufie qadiriyya Ahmad el-Bekkay se révolteront contre El Hadj Oumar Tall le forçant à quitter Hamdallahi et de trouver refuge dans des falaises situées à l’est de la ville où il prophétisa néanmoins que le Macina sera gouverné par un homme lié à la Tijjaniya et non la Qadiriyya, et ce malgré leur rébellion. Il mourut à Deguembéré dans les falaises de Bandiagara en tentant de rejoindre son neveu Ahmed Tidiani Tall (1840-1888) qui levait une armée de secours pour mater la rébellion macinanke.
Les héritiers de Cheikh Oumar gouverneront le Macina jusqu’à la conquête de l’Empire omarien par Louis Archinard (1850-1932) lors de l’entreprise coloniale de “pacification” du Soudan occidental. L’héritage de la rejoint témoigne de ce conflit et en garde les marques, les relations entre Foutanké et Peuls et Kounta du Macina bien que relativement apaisées après un siècle de cohabitation n’étaient pas totalement cordiales entre les différents acteurs et clans.
“Les paroles du marabout Kounta m’avaient profondément remué. C’est à partir de ce jour que commença à se former vaguement en moi le souhait d’une réconciliation entre les trois grandes familles maraboutiques de mon pays, déchirées par trop de souvenirs de guerre, de massacres et de malédictions mutuelles : les Kounta de Tombouctou, les Peuls Cissé du Macina, et les Tall descendants d’El Hadj Omar. Cet espoir ne trouvera son accomplissement que cinquante-cinq ans plus tard dans la nuit du 20 au 21 juin 1977. En cette nuit mémorable, consacrée à la prière et à la lecture du Coran, les délégations représentatives des trois grandes familles maraboutiques, en présence de milliers de personnes et du chef de l’Etat lui-même, se rencontreront sur les ruines de la grande mosquée de Hamdallaye, l’ancienne capitale dévastée de l’empire peul du Macina, et s’y donneront la main en gage de réconciliation et de pardon solennel…”
Le témoignage d’Amadou Hampaté Ba (1901-1991), fils du Macina par son père biologique Hampaté Ba [apparenté à Allaye Bori Hamsala, un des généraux d’Ahmadou mo Ahmadou] et par sa grand-mère maternelle, mais également lié au Fouta Tooro par sa mère Kadidia Pullo, son grand-père maternel Paté Pullo Diallo et surtout par son beau-père et père adoptif, le toucouleur Tidjani Amadou Ali Thiam. Dans son livre “Oui mon commandant” est extrêmement enrichissant. Alors qu’il se trouvait à Mopti en 1920 en voyage pour prendre fonction à Ouagadougou, il fut demandé à Amadou Hampaté Ba de transporter à pirogue un marabout de la tribu des Kounta nommé Sidi Mohammed Lamine Kounta. Les Kounta, grande famille maraboutique de l’ethnie maure étaient sous la protection de Cheikh Ahmed el-Bekkay, seigneur de Tombouctou, que les Français ménageait. Après avoir transporté ce noble visiteur, ils campèrent dans un village non loin de là nommé Moura, où le Cheikh fut accueilli chaleureusement par les habitants. Sidi Mohammed invita ensuite Amadou Hampaté Ba ainsi que d’autres personnes du village à procéder avec lui à la visite d’un saint martyr (‘Abidine b. Ahmed el-Bekkay) enterré non loin de ce lieu. ‘Abidine b. Ahmed el-Bekkay (1848-1889) fut un farouche ennemi des Toucouleurs de Bandiagara auxquels Amadou était lié par le biais de son beau-père mais également de son Cheikh tijani Thierno Bokar Salif Tall (1875-1939) Sidi Mohammed s’adressa à lui en ces termes: “Bien que te sachant originaire de Bandiagara, j’ai accepté de prendre place dans ta pirogue. Certains membres de ma famille n’y auraient consenti pour rien au monde, mais je ne partage pas leur attitude. Pour moi, les différends qui nous opposent, et qui n’ont d’autre source que les conflits et convoitises de ce bas monde – conflits que l’on maquille, pour les justifier, aux couleurs de l’honneur ou de la piété religieuse – sont des erreurs regrettables qui ne devraient jamais opposer des croyants entre eux, Dieu a dit dans son saint Coran: “Les croyants sont des frères”. Pour moi, tu ne peux donc être un ennemi. Je te considère comme un ami, et cela d’autant plus que par ton père naturel Hampâté tu es du Fakala, dont les habitants sont traditionnellement amis et adeptes des Kounta.” Le jeune Amadou médita ces paroles pendant longtemps, pendant qu’ils se rendirent tout deux à Saré Dina où se trouvait la tombe du Cheikh Ahmed el-Bekkay, père de ‘Abidine. Sidi Mohammed resta quelques jours auprès de la tombe de son grand-père tandis qu’Amadou Hampaté Bâ et ses compagnons rentrèrent pour Mopti sans lui.
Cette rencontre marqua à jamais l’esprit d’Amadou Hampâté Ba, qui, soucieux de régler les différends du passé entre Toucouleurs, Peuls du Macina et Kounta décida d’oeuvrer en faveur de la réconciliation. Il s’exprime ensuite dans le livre en ces termes:
Pour aller plus loin
Amadou Hampaté Bâ et Jacques Daget. 1955. L’empire peul du Macina. (Les Nouvelles Éditions Africaines).
David Robinson. 1988. La guerre sainte d’al-hajj Umar. Paris: Karthala
Bintou Sanankoua. 1990. Un Empire peul au XIXe siècle : la Diina du Maasina. — Paris: Karthala et A.C.C.T.
Samba Dieng. 2018. “La Geste d’El Hadj Omar et l’Islamisation de l’épopée peule traditionnelle”. Thèse de doctorat d’état, Université Cheikh Anta Diop de Dakar).
Christopher Wise. 2017.”Archive of the Umarian Tijjaniyya” (Sahel Nomad Books).
Hiénin Ali Diakité. 2015. “Á propos d’une controverse inter-confrérique entre al-Mukhtār b. Yerkoy Talfi (1800-1864) et Aḥmad al-Bakkay (1800-1866).” Thèse de doctorat en histoire (École normale supérieure de Lyon).