Makki Tall (1837-1864) est le second fils du marabout conquérant et mystique El Hadj Omar Tall (1797-1864). Plus jeune de quelques mois qu’Ahmad El Madani (1836-1897), sultan de Ségou et fils ainé des enfants de Mariatou, femme bornouane, Makki est mort en même temps que son père à Goro. Durant sa courte vie, il aura laissé une réputation de clerc, d’ami des clercs et de générosité.
Makki, nait vraisemblablement dans le Haoussa, grandit à Diégounko et à Dinguiraye après l’installation de son père avec ses disciples dans le Fuuta Jalon. Makki avait la même mère que Saidou (v.1840-1878), émir de Dinguiraye, et Aguibou (1844-1907), émir de Dinguiraye puis faama de Bandiagara.
Alfa Makki dans les chroniques contemporaines
Une première mention de Makki apparait dans le Tarikh al-Istikhlaf de Mohamed b. Ibrahim de Dara-Labé, qui était proche de lui et d’Ahmadou, les deux fils ainés du Cheikh. Mohamed b. Ibrahim était à Dinguiraye en 1859, lorsque de Markoya, Cheikh Oumar demanda à Alfa Ousmane Sow d’amener à lui ses deux fils ainés Ahmad al-Madani et Mohamed el-MakkI. Le groupe quitta Dinguiraye le 11e jour du mois de Rabi al-Akhira [7 novembre 1859] selon la « Chronique de la succession ».
De Dinguiraye, le groupe atteignit Tamba [Taybata] puis Bumbuya où ils joignirent Thierno Abdoulaye Haoussa et Thierno Mohamed Diallo. Puis le périple les fit passer à Kurukutu, Goungoutou d’où ils traversèrent le Bafing [le fleuve noir] et ensuite au village de Kemeta, où ils traversèrent à gué le fleuve blanc [Bakhoy] avant d’atteindre le pays de Kita.
À Bangassi, ils trouvèrent l’armée d’Alfa Ousmane Sow qui menait des opérations dans le Fouladougou et Diouka, où ils participèrent aux combats. À Sedian, ils trouvèrent le camp d’Alfa Ousmane et avec lui traversèrent le Baoulé, qui sépare le Fouladougou et le Béléri et rejoignirent le Cheikh Oumar el-Fouti à Markoya, le mercredi 10e jour de Jumada al-Akhira [4 janvier 1860].
Là, les deux fils se joignirent aux combats et furent aussi éprouvés par leur père, qui préparait déjà sa succession. Ils reçurent chacun un commandement et leur attitude envers les Talibés fut scrutée. C’est de là que Makki reçut sa réputation de générosité et d’ami des clercs, tant il aidait les Talibés démunis et éprouvés. Selon une tradition de Nioro qui inclut Aguibou dans le groupe, El Hadj Omar avait donné à chacun de ses fils une bourse d’or comme gage pour le lui garder. Au bout de quelques temps, il demanda à Ahmad El-Madani la bourse et celui-ci le lui remit en entier. Aguibou lui remit la bourse, vidée de moitié, et disant avoir donné la moitié à Makki. Ce dernier lorsqu’interpellé dit qu’il avait donné toute la bourse aux Talibés et que lorsque celle-ci fut vidée, il fut dans l’obligation de demander à Aguibou une partie de son gage, pour les mêmes besoins.
Selon Mohamed b. Ibrahim, un mois et 16 jours après leur arrivée à Markoya, El Hadj Omar investit Ahmad el Madani comme son successeur et demanda à tous ses frères et aux disciples de lui prêter allégeance. Ahmadou avait alors 24 ans, 3 mois et 20 jours, ce 18 février 1860.
Selon la chronique de la succession (Tarikh al-Istikhlaf)
cette investiture eut lieu lorsqu’un homme trouva Ahmadou et lui dit : « Je désire prendre le wird et je voudrais que tu me mènes vers le Cheikh afin qu’il me le donne ». Ahmadou appela Alfa Oumar al-Awsa [al-Awsa = de la rive gauche du Niger] et lui demanda : « Allez avec celui-ci vers le Cheikh et informez-le qu’il désire prendre le wird, qu’Il le cherche et qu’il devrait le lui donner ». Dieu fit qu’ils (Alfa Oumar et El Hadji Oumar) ne se virent pas pendant quelques jours. L’homme dit à Alfa Oumar : « Je vais vous traduire devant Ahmad Madani ». Il répondit : « Ne faites pas cela, soyez patient afin que vos vœux soient exaucés ».
Après cela, l’homme et Alfa Oumar virent le cheikh et le trouvèrent entouré de ses télamides (élèves). Il lui donna la lettre celui-ci dit : « Où se trouve Ahmad al-Kabir al-Madani? Trouvez-le et appelez-le à moi avec Mohamed al-Makki. Dîtes leur d’être en état de pureté et de venir à moi rapidement ». Ils [Ahmadou et Macky] se réjouirent de cette nouvelle, obéirent à ses injonctions et s’assirent à ses pieds comme l’esclave devant son maitre ou du vertueux disciple devant son parfait cheikh. Le Cheikh prit les mains d’Ahmad al-Kabir et le désigna comme son successeur : « Tout ce qui m’a été donné par mon Cheikh, mon bien-aimé, mon ami, le pôle caché, le sceau connu de Mohamed, le cheikh qui est le médiateur, notre maitre Abou al-Abbas Ahmad ibn Mohamed al-Tijani, al-Hasani (Que Dieu soit satifait de lui, le guide et répande sa lumière), toutes les sciences exotériques et ésotériques, les secrets et révélations ainsi que les épanchements d’émanation divine, les wirds, tout cela, je te le donne et t’en accorde une autorité complète sur la dissémination de ce savoir sur tous ceux à qui tu veux le donner, quand tu veux, et qui qu’il soit, à jamais. Quiconque cherche quelque chose de moi, qu’il le cherche auprès de toi ». Et il dit à la communauté : « Celui-là est votre Cheikh. Quiconque me considère comme son cheikh, il est aussi son cheikh. Cherchez auprès de lui tout le bien que vous voulez dans ces deux mondes, et vous l’aurez. Je t’autorise Ahmadou de nommer qui tu veux comme Moqadem, et de donner le wird à qui tu veux, à jamais ». Après ce jour, quiconque demandait le wird au Cheikh, il lui disait : « Allez trouver Ahmadou. Il vous le donnera ». Et il dit à Macky : « Je te donne tout ce qui est dans le Rimah et te donne toutes les autorisations à cet égard, parce que tout ce qui est à moi et à Ahmadou t’appartient aussi. Quant à toi et à ta position, suis ton frère, et tout ce que tu désireras, il te l’accordera. Entretenez vos liens, comme je vous ai enjoints précédemment : je vous l’ordonne encore. Ne laissez rien s’immiscer entre vous deux ». Ceux qui furent présents prêtèrent allégeance à Ahmad al-Kabir devant le cheikh, le peuple fit de même après en prêtant serment au Commandeur des Croyants [Lamdo Julbé] Ahmad al-Kabir al-Madani al-Fouti [du Fouta], al-Touri [du Toro] al-Kadawwi [de Guédé] (Que Dieu lui accorde la victoire, le protège et l’assiste dans les deux mondes).
Cela eut lieu le dimanche, avant midi, 26e jour de Rajab, 1276 années après l’émigration du prophète- Paix et Salut sur lui- [18 février 1860]. Tous les gens prêtèrent serment, ainsi que les chefs de l’armée et les commandants, les Moqadem et les soldats, eux tous. Le pays et le peuple fut content et satisfait de cette investiture et de cette prestation de serment. Alors Dieu donna du confort aux Musulmans et rendit victorieux ceux qui proclament l’unicité de Dieu. »
Il semble que le Cheikh ait senti les penchants cléricaux de Makki et l’ait incité à emprunter cette voie et d’être le conseiller de son frère et ami Madani. Les deux participèrent à la campagne de Ségou (1860-1) et alors que Ahmad al-Madani restait à Ségou, Makki suivait son père durant la campagne de Hamdallahi (1861-2) où il servit de vicaire à son père quand celui-ci entrait dans ses retraites mystiques. Makki, tout comme ses cousins Tidiani (v.1840-1887) ou Tafsir Saidou [m.1888] avait alors pour Cheikh, un marabout tijjani du Macina, du nom de Cheikh Sidi Mohamed b. Wadiat’Allah ou Cheikh Yirkoy Talfi (v.1800-1864).
Durant cette période, on lui doit une lettre écrite à son frère Ahmadou, alors à Ségou, où il décrit la situation au Macina et le déroulement de la campagne de Cayawaal [mai 1862] par laquelle la Dina devait tomber. Cette lettre, retrouvée dans la chancellerie de Ségou en 1891, et pillée par Archinard, était coécrite avec son frère Mahi [v.1840-1864] et son cousin Tidiani Alfa Ahmadou [v.1840-1887].
Alfa Makki à Hamdallaye (1862-1864)
Makki avait laissé une veuve et au moins un fils, Ahmad al-Madani, homonyme de son frère. Son cousin Tijjani qui sera émir de Bandiagara, épousera sa veuve et sera le père de cet enfant qui devait être tout jeune en février 1864. Ce fils est décrit ainsi en 1887 par l’explorateur Caron en visite à Bandiagara:
Makki joua un rôle majeur après les défaites de Mani-Mani et de Ségué (1862) qui devait amener le siège de Hamdullahi [mai 1863-février 1864] par une coalition Cissé-Kounta. Après l’exfiltration de Tijjani dans le Hayré pour lever une armée de secours, Makki sera l’un des émirs de la sortie de toute l’armée pour rejoindre Tijjani en février 1864, ainsi que les escarmouches qui s’ensuivirent. Son frère Hadi [v.1844-1864] devait mourir dans ces combats avant d’atteindre les falaises et El Hadj Omar, avec ses fils et disciples, devait mener leur dernier baroud au sommet de la falaise. C’est là qu’une explosion survint et entraina la « disparition » de Cheikh Oumar, de ses fils, et d’une partie de ses disciples.
Dans l’après-midi, le cheikh envoya son fils adoptif prendre de mes nouvelles. C’était un jeune homme de dix-huit à dix-neuf ans, nommé Ahmadou, fils d’Ahmadou Mackiou, un des frères de Tidiani. A la mort de Mackiou, arrivée en 1872 [plutôt en 1862], Tidiani, qui n’avait que des filles, adopta son neveu.
Un air dédié à Alfa Makki nous est parvenu, célébrant sa générosité et sa grandeur d’esprit. Ici c’est interprété par Safi Diabaté. Cet air, comme « Taara » célébrant El Hadj Omar, furent développés dans la cour du sultan de Ségou, Ahmadou Tall.
Pour aller plus loin
Henri Gaden. « La vie d’al Hajj Oumar »: qacida de Muhammad Aliyou Thiam. (Ernest Leroux)
Caron, Edmond (1857-1917). De Saint-Louis au port de Tombouktou : voyage d’une canonnière française ; suivi d’un « Vocabulaire sonraï » /1891.
David Robinson et John Hanson. 1990. « After the Jihad: the Reign of Ahmad al-Kabir in Western Sudan »
Abdoul Aziz Diallo. Histoire du Sahel occidental du Mali 1850-1960: Les trois briques de l’édifice [El Hadj Omar, Ahmadou Lamdioulbé et les Français], Éditions La Sahélienne.
Dans cet article, nous allons explorer la figure de Gelaajo Hambodeejo, très populaire dans le monde peul jusqu’à nos jours, et essayer d’entrevoir le personnage historique de la figure de la tradition orale. Pereejo [du clan Soh/Sidibé] du Kunaari, fils de Hammadi Bodeejo Pate Yella (m. v. 1812), et répondant au triptyque du « hulataa/dogataa/namataa gacce » [« n’a pas peur, ne fuit pas et abhore la honte], Gelaajo Hambodeejo est une figure centrale de l’histoire du Macina et de sa mémoire, constituant une passerelle entre un ordre ancien et un monde nouveau.
Hambodeejo, son père est très présent dans les récits de la tradition orale, durant la période précédant la Dina du Macina [pré-1818] où la région était sous domination du royaume de Ségou. Si la tradition orale ne donne pas de précision exacte sur sa temporalité, les récits des chroniqueurs du Fittuga nous permettent de savoir que Hambodeejo était toujours actif autour de 1810-1, où il est décrit comme ayant conquis les villes de Sa et d’Arkodia, loin de son Kunaari, mais dans le Guimballa.
Gelaajo Hambodeejo nait dans ce contexte historique où le Macina est vassal de Ségou, et où la dynastie des Ngolossi [Diarra] a remplacé celle des Bitonsi [Coulibaly] à Sikoro. Ségou même avait connu une guerre civile à la mort du faama Ngolo Diarra [1762-1790] entre ses fils Nianankoro et Mansong/Monzon, qui a duré quelques années [1790-1793] et qui va se conclure par la victoire et l’ascendance de Mansong sur le trône. Ces périodes de troubles n’ont pas été sans conséquences sur le Macina où durant la décennie 1780, une figure du nom de Sidi Baba [peut-être le Silamaka/Yero Maama de l’épopée peule] a mené une dissidence contre le Segu fanga [« la force de Ségou »] avant d’être vaincue. Dans cet intervalle entre la consolidation du pouvoir des Ngolosi [la dynasite Diarra issue de Ngolo] et la victoire de Sékou Ahmadou Lobbo sur Ségou en 1818, se passe la jeunesse de Gelaajo Hambodeejo.
Hambodeejo Hammadi Hampaté Yella, dont l’aéroport de Sévaré porte le nom, est aussi une figure chérie par la tradition orale. Appelé « Pullo Segou, Bambara Kunaari » [le Peul de Ségou et le Bambara du Kunaari], Hambodeejo, en fin politique, avait épousé Tenin, une princesse de la dynastie Diarra des Ngolossi, renforçant son alliance avec le Segu fannga, tout en étant rétif à la main trop pesante de ce pouvoir. Cette alliance reflétant le pragmatisme de son père Hammadi Bodeejo [« Hammadi au teint clair » en fulfulde], plus connu par la postérité comme « Hambodeejo ». De cette union est issue Ousmane Hambodeejo, frère puiné et confidant de Gelaajo, qui lui est le fils de Wela Takkaade [« la bonne compagne »; sans doute un surnom], une femme du village de Samanay.
Avec Buubu Ardo Galo, Gelaajo Hambodeejo constitue une figure passerelle entre l’ordre ancien dominé par le ArBe et l’ordre nouveau, islamique, bâti par Sékou Ahmadou Lobbo, à partir de 1818. Mais alors que Buubu Ardo Galo meurt en luttant contre cet ordre nouveau, Gelaajo Hambodeejo le conteste et lui survit, laissant des traces plus de 30 ans après l’établissement du « laamu Diina », mais bien loin de son Kunaari natal.
Gelaajo se distingue par sa bravoure, son sens politique, mais aussi par sa générosité légendaire, qui avait fait de lui une figure populaire de son vivant. Sa grandeur d’âme est ainsi notée dans l’affaire opposant Fatimata Ba Lobbo et Sâ, le prince bambara qui exigeait que sa chienne lape d’abord le lait que voulaient vendre les bergères dans son village. Lorsque la chienne du prince lapa sa calebasse et la salit avec les restes en secouant son museu, la fulamuso frappa l’animal avec son bracelet ; suscitant l’ire de Sâ qui lui rasa la tête « sans mouiller l’eau » et la taillada pour son outrage. Lorsque les 3333 preux du Macina furent mis au défi par Fatimata Ba Lobbo, ce fut Gelaajo, « celui qui se détresse avec des fléchettes en or », monté sur Soppere kannge [Sabot d’or] qui jura d’arracher la dent de Sâ, et d’offrir son cops aux hyènes couvertes de taches jaunes, et aux charognards couverts de taches blanches du Bourgou. Ce qu’il fera au cours d’un duel au terme duquel Gelaajo offrit la tête, les pieds et les mains de Sâ à Fatimata Baba Lobbo, en lui disant à elle et à tout le monde autour : « Quiconque parmi vous se rincera la bouche, qu’il crache sur la tête de Sâ ».
Il est dit de lui aussi dans les récits des maabube
Pullo ! moorotooɗo balaminaaji
Le peul qui se tresse des balaminaaje [arbustes ligneux]
cancortooɗo koƴe ndigaaji.
Et qui se détresse avec des pieds de vautours
Pullo leloo, fiya bawɗi
Le peulh qui se couche au son des tambours
hejjitoo, lummbina laaɗe
Qui se réveille dans la nuit et fait traverser des pirogues
mo saroo ñiiñe, saakoo peɗeeli
Celui aux dents espacées, et aux doigts dispersés
daɓɓo daande mo daande wutte mum nanngataake
Au cou court et que personne n’empoigne
mo kiikiiriwol kaakariiwol kaakowal kaake worɓe
Qui fond sur les hommes tel un faucon, leur arrachant leurs armes.
ngal kaake mum ƴeewetaake
Dont personne n’ose observer les couilles
Kanko wiyetee jalal manngal
C’est celui qu’on appelle le grand pilier
Jabbirgal manngal wakkataake
Le grand semoir, il est appelé
Dasataake
Qu’on ne traine pas par terre
Wakke, hela balabbe
Et si on se hasarde à le porter à l’épaule, il les casse
Daasee, taya codduli
Et si on le traine par terre, il casse les chevilles
Kanko woni labangal niiwa
C’est lui le mors de l’éléphant
Tafoowo ngal ina wuro ga
Celui qui le fabrique est au village
Battoowo ngal alaa ladde
Celui qui le place, n’est pas en brousse
Gelaajo et l’avènement de la Dina du Macina
La décennie 1810 où émerge Gelaajo Hambodeejo en tant qu’acteur politique était marquée par une effervescence millénariste dans tout le Sahel; le Macina, le Farimaké et le Kunaari où Gelaajo régnait de Goundaka n’y échappant pas. Le succès du mouvement réformiste musulman de Sokoto, dirigé par Uthman dan Fodio (1753-1837), était parvenu jusqu’au Sahel central, où l’autorité de l’Ardo du Macina (Tenenkou) n’était plus aussi forte, et où clercs conservateurs et novices se disputaient à propos de points théologiques, à la limite du byzantinisme.
C’est dans ce contexte qu’un porte étendard de Sokoto (« mai tuta » en haoussa), Mallam ibn Said arrive dans le Gimballa, autour de 1813 qu’il essaie de soulever; son mouvement est cependant brisé très vite par les autorités du pays. Plus au sud à Djenné, Sékou Hammadi Lobbo se bâtissait une communauté réformiste, aux marges des cercles institutionnels de Djenné, mais aussi en critique aux excès des ArBe du Macina. Entre le Djenneri et le Gimballa, Gelaajo Hambodeejo régnait sur le Kunaari, jouissant de la réputation de son père et de ses hauts faits d’armes, mais aussi impacté par cette effervescence religieuse dans la région. La question de sa religiosité et de sa pratique sera centrale à la postérité : pour les sources macinanké liées à la Dina, c’est après 1818 qu’il fait sa conversion; alors que les chroniques du Fittuga, du Farimaké et de Sokoto le décrivent comme un musulman avec une cour religieuse, avant la bataille de Noukouma. Un prince peul, musulman, allié du Segou fanga, en quelque sorte, maintenant des relations avec les clercs de son espace, mais aussi avec les Kountiyou d’Araouane/Tombouctou, en particulier avec le Cheikh Sidi Mohammed (1765-1826).
Ainsi quand les évènements amenant à l’établissement de Hamdallaye s’accélèrent, les forces centripètales religieuses existaient et courtisaient les cours. Sékou Ahmadou Lobbo n’était pas le seul clerc musulman avec un projet politique, mais où il va être celui dont le projet aboutira et phagocytera les autres.
Gelaajo et la bataille de Noukouma [1818]
Ainsi lorsque la bataille de Noukouma commence en avril 1818, Gelaajo Hambodeejo avait une position particulière : prince peul, allié du Segou fannga, mais aussi menant une politique douce auprès des marabouts.
Quand Segou confronte Sékou Ahmadou et son mouvement dans le Sebera en 1818, en route pour une campagne dans le Hayré, Gelaajo Hambodeejo campait à Kouma, après avoir traversé le Pignari pour pouvoir faire jonction avec la colonne dirigée par Diamogo Seri Diarra dit « Fatoma », commandant de la colonne.
Selon le récit de Hampaté Bâ et Daget, l’armée de Diamogo Séri avait passé par Saro, Sakay, Nguêmou, Simay, Saré Malé pour camper à Mégou où elle fait sa jonction avec la colonne de Faramoso, chef des Bobo, venant de Poromani et occupant le Fémaye. Une autre colonne dirigée par Moussa Koulibaly du Monimpé, traversait Mourra, et le Djoliba au gué de Bimani, pour camper à Sandjira. Alors que Gelaajo Hambodeejo campait aux portes du Hayré avec 130 juude [unités de cavalerie], une autre colonne dirigée par Ardo Macina Ahmadou, dont le fils Gidaado avait été tué par les partisans de Ahmadou Hammadi Boubou à la foire de Simay, fait la jonction avec les autres colonnes dans le Sébera via Saré Seyni. Il est important de noter que toutes ces colonnes se dirigeaient vers le Hayré pour une campagne, mais le faama de Ségou Da Diarra, avait donné l’ordre à Diamogo Séri de régler l’affaire du marabout du Fittuga, en passant.
« Diamogo Séri Diara assume la direction générale des opérations. L’armée de Monimpé s’avancera en direction de la mare de Pogôna ; Guéladio surveillera les rives du Bani en vue de couper toute retraite vers la montagne, et, s’il est nécessaire, de prendre Noukouma à revers ; le gros des troupes bambara restera dans la région de Dotala et Diamogo Séri lui-même à la tête des meilleurs soldats bambara et bobo attaquera Noukouma. Il établit son quartier général au sud de la mare de Pogôna et donne ses ordres en vue du combat. Ses hommes sont munis d’une bonne quantité de cordes pour ficeler les vaincus comme ballots de poisson sec et les expédier ainsi à Da. »
En face l’armée de Sékou Ahmadou qui campait à Noukouma dans le Sébéra était commandée par Ousmane Bokari Sangaré/Cissé, un compagnon d’études de Sékou Ahmadou, qui fut proclamé « Amiiru Manngal »[grand émir] à l’aube de la bataille.
Si on suit le récit de Hampaté Ba, Sékou Ahmadou tint ce discours à ses partisans juste avant la bataille.
— La gloire et la puissance sont à Dieu. Je lis sur vos visages la bonne contenance malgré le danger qui nous menace. Le grand jour est arrivé. Ne vous laissez pas impressionner par le désarroi de vos épouses et la position de l’ennemi qui paraît avantageuse. Ce jour est pour nous un nouveau Badr. Souvenez-vous de la victoire que notre Prophète remporta sur les idolâtres coalisés. N’a-t-il pas attaqué l’ennemi avec 313 combattants seulement ? Ne remporta-t-il pas une éclatante victoire ? A son exemple, nous attaquerons Diamogo Séri Diara avec 313 hommes prêts à combattre pour Dieu. Vous êtes ici 81, vous, mes premiers partisans. Je vous adjoindrai 231 autres combattants et ainsi, avec moi-même, nous atteindrons le chiffre de 313. Les meilleurs cavaliers monteront les 40 chevaux dont nous disposons, les autres se battront à pied. Un deuxième groupe de 313 hommes ira vers Kouna et interviendra le cas échéant. Un troisième groupe de 313 hommes passera dans le Fakala et s’y tiendra prêt à toute éventualité. Les 61 lances qui restent surveilleront les femmes et les enfants. Ali Guidado a fait preuve de courage en portant le premier coup de lance. Nous avons à notre tour à nous élever au-dessus de l’événement qui nous menace et dominer la situation. Soyons fermes et ne disons pas comme les Juifs : « Nul pouvoir à nous, en ce jour, contre Goliath et ses troupes » (II, 250), mais : « Combien souvent bande peu nombreuse a vaincu bande nombreuse avec la permission d’Allah ! Allah est avec les constants (II, 250). »
Dans ce discours, il est clair que même si Gelaajo Hambodeejo n’était pas présent à Noukouma, les partisans de Sékou Ahmadou craignaient d’être attaqués par ses cavaliers sur leurs arrières, et avaient positionné 313 combattants, pour le contrer éventuellement.
Le 13 Jumada I 1233 [samedi 21 mars 1818], le premier choc entre les deux armées eut lieu à Noukouma lorsque les fantassins commandés par Bokari Hammadoun Sala [Bori Hamsala, futur Amiiru Macina] s’entrechoquèrent avec ceux commandés par Faramoso et Moussa Koulibaly. La flèche d’Abdou Salam Traoré, partisan de Sékou Ahmadou, perce le tambour de guerre de Diamogo Séri, avant qu’il ne soit abattu avec la shahada sur ses lèvres. Attaqué par 40 cavaliers peuls, Diamogo Séri surpris dans son camp, ordonne une mauvaise manœuvre suscitant la confusion parmi les troupes bambaras, dont certaines battaient en retraite et d’autres continuaient l’assaut.
L’unité bambara dite Banankoro bolo, commandée par le fameux Gonblé [le « singe rouge », un nom de guerre], avait soutenu le choc des Peuls malgré des pertes sévères. Gonblé, furieux de voir les Bambaras battre en retraite sur ce qu’il pensait être un ordre de Diamogo Séri, crut à une trahison. Il descend de son cheval, armé d’une chaîne de fer hérissée de pointes, et fait face aux Peuls en proférant à leur adresse ces paroles de mépris :
— Ohé, singes rouges [insultes adressées aux Peuls de Sékou Amadou], il ne sera pas dit à la cour du « Maître des eaux » [Jiitigi, autre nom du faama de Ségou] que ma longue queue de « Cynocéphale roux » [Gonblè en bambara] a balayé la poussière derrière moi pour effacer des traces de fuyard. Les troupes qui m’abandonnent iront porter la nouvelle de ma mort et non celle de ma fuite. Depuis quand des singes rouges se mesurent-elles à des cynocéphales ?
Ivre de rage et aveuglé par la honte d’une défaite, Gonblé se jette contre les lances ennemies. Au moment où il lève la main pour frapper le premier adversaire à sa portée, un bantuure [lances aux fers recourbés] adroitement lancé par un inconnu lui pénètre dans la poitrine et lui perfore le poumon gauche. Gonblé tombe à la renverse en jurant :
— Monè kasa ! [L’outrage a mauvaise odeur, en bambara]
Il meurt sans connaître l’issue du combat.
Diamogo Séri, voyant ses troupes lâcher pied et refluer en désordre, comprend un peu tard qu’en donnant l’ordre de déplacer son camp, il a commis une manoeuvre maladroite qui lui coûtera la bataille de Noukouma et même la guerre contre Amadou Hammadi Boubou. Les Bambara, contournant la mare de Pogôna, fuient jusqu’à Yêri où Diamogo Séri réussit à regrouper ses soldats et à reconstituer ses forces. Mais au lieu de marcher sur Noukouma qu’il pouvait prendre facilement, il emploie toute son armée à édifier des retranchements. Les Peuls avaient rompu le combat dès qu’ils avaient eu la certitude que l’avantage de la journée leur resterait acquis.
Les mauvaises manœuvres de Diamogo Séri Diarra firent perdre le jour au Seegu Fannga, suscitant la colère de ses lieutenants et la défection d’Ardo Amadou et de Gelaajo Hambodeejo. Arɗo Amadou retraverse le Niger et rentre dans le Macina ; Guéladio décampe de Kouna et regagne Goundaka. Quant à Faramoso, il abandonne ses alliés et se réfugie dans le Saro. La situation ne pouvait être plus favorable à Amadou Hammadi Boubou qui reçoit beaucoup de ralliements dont celui de Kolaado Alfa Dial de Wouro Nguiya, d’Adoulaye Muhammadu, cadi du Macina « proprement dit » et celui aussi de Boulkassoum Tahirou de Dalla, qui l’aurait rejoint avec ses 240 lanciers nãna nãnga [« avance et prends »] qui avaient la réputation de ne jamais reculer au combat. Le nombre des troupes aurait augmenté substantiellement ainsi alors que la victoire [ou la mise en échec] de Ségou par les marabouts se propage. Alors que Diamogo Séri campé à Yeri fortifie son camp, il subit beaucoup de défections de la part de ses troupes bambara et bobo, dont certains rentrent dans leurs pays ou se joignent carrément à Sékou Ahmadou Lobbo.
Au cours des mois qui suivirent, Sékou Ahmadou dont l’autorité était centrée sur le Sébéra consolida son assise sur le Maasina, le Djenneri et le Mourarien ralliant les chefs et installant ses alliés dans ses régions.
Gelaajo après Noukouma : la mésentente et la révolte contre la Dina
Après Noukouma et dans le sillage de la consolidation du pouvoir de Sékou Ahmadou Lobbo sur le Sébéra, le Djenneri et le Pondori, Gelaajo Hambodeejo réévalue sa position face au nouvel ordre dans le delta intérieur du Mali.
Gelaajo Hambodeejo, face à l’absence de réaction de Ségou, aurait réuni ses conseillers à sa capitale, Goundaka, pour les interroger sur la conduite à tenir face à l’ordre islamique naissant dans l’est, qui menaçait l’autorité des ArBe comme lui.
Il est rapporté que lors d’une de ses audiences, Ousmane Hambodeejo, frère puiné de Gelaajo [et fils de la princesse de Ségou] aurait rapporté ces propos à son frère :
— Je n’ai jamais eu peur d’un guerrier et je suis tout disposé à mourir pour défendre mon frère et le renom de notre famille. Mais je conseille à mon frère de ne pas s’opposer au marabout. C’est une foudre de guerre que Dieu envoie dans ce pays. Il faut aller nous soumettre, non pas à lui, mais à Dieu, et déposer notre soumission entre ses mains. Ainsi nous éviterons la guerre et garderons notre commandement.
Cet avis aurait été validé par les autres membres de la cour de Gelaajo, qui aurait résisté pendant trois mois à leurs conseils de se rendre à Noukouma. Cette attitude aurait généré des inconforts au sein des troupes de Gelaajo, le forçant d’une certaine manière à envoyer un émissaire auprès de Boureima Khalilou, Diawando de la Dina naissante, pour solliciter son coonseil et un accommodement possible avec la Dina. Le conseil de Boureima aurait été de rencontrer Sékou Ahmadou et de professer sa foi musulmane devant la Cour.
Gelaajoo acquiesça à cette requête et rencontra Sékou Ahmadou à Noukouma. Selon le récit de Hampaté Ba et J. Daget, collecté dans les années 1950, la rencontre entre les deux figures se serait déroulée comme suit :
Cheikou Amadou, selon son habitude, dit à Guéladio au cours d’une audience privée :
— Pour me prouver la sincérité de ta conversion, donne-moi un conseil. La guerre étant l’affaire des Arɓe plus que celle des marabouts, je voudrais que ton conseil soit d’ordre militaire.
Guéladio, répondit :
— Tu vas auparavant prier Allah de ne jamais m’abandonner à la merci d’un de mes ennemis.
Cheikou Amadou, ne saisissant pas l’astuce de cette demande 2 et sans aucune arrière-pensée, formule une prière dans le sens souhaité par Guéladio.
— Merci, lui dit ce dernier. Maintenant je vais, en toute tranquillité et de bon coeur, te donner quelques conseils :
Tu transféreras ta capitale de Noukouma en un lieu hors de la zone d’inondation. Noukouma pourrait être facilement assiégé durant les hautes eaux.
— Connaîtrais-tu un emplacement qui conviendrait à la fondation d’une grande ville qui serait la capitale de la Dina ? [Sékou Ahmadou]
[Gelaajo] Oui. Entre Sofara et Taykiri s’étend une vaste plaine, environnée de collines, qui conviendrait parfaitement. La ville pourrait être fortifiée et les hauteurs qui l’entourent utilisées comme postes de guet.
Il faut autant que possible construire en pisé et supprimer progressivement les paillottes. Quelques cavaliers décidés, armés de tisons ardents, peuvent ruiner un vaste territoire dont les cases sont faites de paille 4.
Tu élèveras des juments afin d’assurer à peu de frais la remonte d’une puissante cavalerie.
Tu encourageras l’agriculture en prenant la défense des travailleurs des champs. Cette politique assurera à ton état de bonnes récoltes et le prémunira contre le redoutable fléau qu’est la famine.
Tu ne feras rien sans l’assentiment des notables de ton pays. En politique, mieux vaut suivre une fausse route les ayant avec toi que t’engager dans un bon chemin les ayant contre toi.
Tu choisiras comme favori un captif qui mourra sans trahir et se fera tuer pour te sauver.
Tu prendras un maabo [tisserand-griot] comme confident intime. Un maabo pur-sang ne vend jamais un secret confié.
Tu feras traiter tes affaires par un DiawanDo. Le DiawanDo gâche tout projet formé sans lui, mais il a honte de voir échouer un plan qu’il a dressé lui-même.
Il faut aimer la fortune et ne pas la dissiper comme tu le fais.
Ce dernier conseil déplut à Cheikou Amadou.
— Pourquoi veux-tu que je thésaurise ? dit-il à Guéladio. Ne sais-tu pas que les biens de ce monde sont périssables et qu’inévitablement il faut, au seuil de la tombe, renoncer à toutes les richesses amassées durant la vie ?
— Je ne t’ai pas dit, reprit Guéladio, de rechercher la fortune pour toi-même. Mais tu veux fonder une Dina. Elle ne peut prospérer que si tu gagnes les hommes à ta cause et si tu les retiens près de toi.
— Certes oui, concéda Cheikou Amadou.
— Or, les hommes aiment l’argent, continua Guéladio. Même ceux qui ne l’adorent pas ne peuvent s’en passer. Il te faut donc amasser une fortune, non pas pour ton plaisir, mais pour attirer les hommes dont tu auras besoin. Tu as gagné des batailles, mais ta victoire ne sera définitive et ta domination affermie qu’autant que tu auras des biens à répandre autour de toi. Mon père HamboDédio avait coutume de dire : « donnez-moi de la fortune et je ferai de la terre ce que vous voulez qu’elle soit. S’il a réussi à épouser la fille de Da Monson, c’est que son or avait lesté les langues qui auraient pu dire non.
— Tu as raison, dit Cheikou Amadou. La Dina aura son trésor, mais moi, j’ai fait vœu de pauvreté.
Comme on le voit ici, Gelaajo aurait été influent dans la sélection de l’emplacement de la future capitale de la Dina, « Hamdullaye », à mi-cheval entre le Kunaari, le Macina, et pas si loin du Hayré. Gelaajo invitait ainsi Sékou Ahmadou Lobbo à s’établir plus près de lui, mais dans un site facilement défendable et moins enclavé que le Sébéra initial. Une entente existait ainsi, entre Gelaajo Hambodeejo, figure de l’ancien ordre, et Sékou Ahmadou, porte-étendard du nouvel ordre islamique. Mais cette entente cordiale n’allait pas durer, car la révolte de Gelaajo Hambodeejo Dicko, qui allait « durer sept ans » selon la transition, est un des évènements qui allait faire trembler l’empire peul du Macina
La révolte de Gelaajo contre l’ordre nouveau des clercs
1235 AH- 1819/20: Gelaajo Hammadi Bodeejo se rend à Tombouctou pour rencoontrer Cheikh Sidi Muhammad
1240AH- 1824/25 Révolte de Gelaajo Hammadi Bodeejo
Source: Tarikh Fittuga de Cheikh Isma’il Wadi’at Allah/Yerkoy Talfi
L’entente entre Gelaajo Hambodeejo et la Dina ne fut pas longue. Le nouvel ordre voulait soumettre l’ancien, en établissant un nouveau commandement soumis à Sékou Ahmadou et aux Quarante marabouts du Batu Mawdo.
Chaque région était dirigée par un amiru, qui était en même temps un chef de guerre pour le compte du laamu Diina. Les amiiraabe étaient assistés de conseillers juridiques et devaient rendre compte au Batu Mawdo/Sékou Ahmadou, qui constituaient l’autorité suprême.
Comme on le sait, Ousmane Bokari Sangaréavait été proclamé Amiiru Mangal à l’aube de Noukouma, et fut celui qui commandait la province du Dienneri. Il résidait à Djenné mais ses troupes étaient garisonnées à Sénossa, Wakana et Ngounya, surveillant le Niger, et la frontière ouest avec Ségou et le Saro.
Bori Hamsalah (Bokari Hammadoun Salah),qui avait été à la tête des troupes à Noukouma, fut proclamé Amiiru Macina,avec résidence à Tenenkou, à la suite de la déchéance de l’Ardo Ahmadou, ennemi de Sékou Ahmadou, et de la soumission à la Dina de Ardo Ngouroori Diallo, primus inter pares des Arbe avant la Dina. Bori Hamsalah commandait de Diafarabé au lac Débo, proche de la zone inondée et des bourgoutières tant désirées.
Le Fakala, était commandé par Alfa Samba Fouta Ba, de Poromani. Il sera secondé par le neveu de Sékou Ahmadou, Ba Lobbo Barryet par son fils Maliki Alfa Samba.
Gouro Malaado, un autre neveu de Sékou Ahmadou commandait le Hayré, et surveillait les frontières est du nouvel état. C’était un grand commandement, constituant la marche avec le Hombori, le Jelgooji, le pays mossi et samo, et Gouro Malaado était secondé par plusieurs porteurs de tambour [« joom tuube] comme Alfa Seyoma qui résidait entre Dalla et Douentza et Moussa Bodeejo, qui résidait à Aribinda.
Le Farimaké/Fittuga/Gimballa était commandé par Alhaji Moodi, un cousin de Sékou Ahmadou, et connu comme spécialiste de la guerre de razzias contre les Touareg et les Maures. L’Amiiru Nabbe e Dude commandait cette région des lacs, restive à l’autorité centralisatrice de Hamdallaye.
Dans cet ordre naissant, Gelaajo Hambodeejo ne fut pas choisi parmi les cinq amiraabe initiaux, mais ses états furent subordonnés à l’autorité de l’amirou du Hayré et du Fakala-Kunaari. La Dina avait privilégié de mettre des chefs dont la confiance n’étaient pas en doute à la tête de ces 5 grands commandements; les chefs ralliés comme Gelaajo Hambodeejo et ceux de Wouro Nguiya, Attara, Farimaké, Sa, Dari, Konsa, Wakambé, Tégé, Kagnoumé, Poromani, Bambara Maounde, étant catégorisés comme des « joom tuube », ou chefs de deuxième ordre.
La rébellion de Gelaajo trouve certaines de ses origines dans cette nouvelle cartographie qui scinde ses états. La nomination de Gouro Malaado au Hayré avec autorité sur le Pignari, conquis par Gelaajo et à qui il était demandé, de céder cette conquête fut l’étincelle. À la suite de cette nomination, Gelaajo Hambodeejo aurait dit:
‘’Sans honneur, que ferais-je de la vie ? Mourir est une loi inévitable, mais se laisser honnir sans réaction, c’est manquer de courage et de vertu…’’
La chronique du Fittuga fait part d’une visite de Gelaajo Hambodeejo chez Cheikh Sidi Mohamed el-Kounti en 1820. L’évènement est assez notable pour être consigné dans les annales et le tarikh ne fait pas état des discussions. Ce vide est cependant comblé par la tradition orale qui fait exhaustivement état des tractations de Gelaajo entre Hamdallaye et Tombouctou, et des alliances qu’il essayait de contracter avec Boubou Ardo Galo du Macina, et avec Amadou Alfa Koudiadio, marabout du Farimaké, pour déclencher une grande révolte contre Sékou Ahmadou.
Les traditions rapportent que lors de sa visite à Tombouctou, Gelaajo aurait sollicité un marabout qui l’aiderait à traiter avec la Dina et sur les questions musulmanes à Sidi Mohamed al-Kounti, qui lui aurait envoyé un de ses disciples, Alfa Nouhoum Tayrou [ou Nuh b. al-Tahir, selon les clercs musulmans]. Alfa Nouhoum Tayrou, « ngel binndi » [l’écrivain en fulfulde] est passé à la postérité comme le coadjuteur de Sékou Ahmadou et comme l’un des théoriciens des bases de l’état naissant. Durant son service à Goundaka, au service de Gelaajo, Alfa Nouhoum Tayrou développa des relations avec le Batu Mawdo et Sékou Ahmadou, qui étaient séduits par sa science religieuse et par son talent littéraire. Gelaajo aurait été irrité par cette tournure des évènements et lui aurait dit, lorsqu’à bout de patience:
— Je m’aperçois chaque jour que tu es plus près, par le cœur, des marabouts de Hamdallaye que de moi. Tu prétends toujours que leurs instructions sont conformes au Coran et à la Sounna et tu trouves toujours que ma ligne de conduite est répréhensible. Je me demande si réellement tu défends bien ma cause. ».
Gelaajo, insatisfait de son conseiller religieux, aurait écrit une lettre au Cheikh Sidi Muhammad pour se plaindre et l’accuser d’être sur le point de renier son obédience à la Qadiriyya Kountiya, pour s’inféoder à Hamdallaye. Au-delà des accusations, cette tradition montre en fait qu’à cette époque les rapports entre les Kountiyya et la Dina étaient loin d’être établis, et que beaucoup de princes et musulmans de la boucle du Niger, s’appuyer sur des légitimités islamiques confrériques, pour contester l’ascendance d’Hamdallaye.
À la défaveur de Gelaajo, Cheikh Sidi Muhammad Kounti n’aurait pas apprécié ses insinunations. Il aurait écrit à Alfa Nouhoum Tayrou une lettre rapportée comme telle par Ba et Daget :
« Le serviteur d’Allah, Sid Mahamman, qui espère en la miséricorde de son créateur le Clément sans bornes, à son disciple, la perle brillante d’un collier magnifique, Alfa Nouhoun Tayrou, salut. Il nous est parvenu de la part de l’illustre fils d’Hambodédio, auprès de qui Allah a voulu que nous t’envoyions pour défendre et faire triompher le droit par la justice, que ton esprit est en train de s’obscurcir et tes pas, jadis si fermes, de chanceler. Nous ne pouvons ni croire à ta défaillance, ni douter du dire du fils d’Hambodédio, avant de t’avoir entendu. En conséquence, quel que soit le lieu où cette lettre te trouvera, pars immédiatement pour Tombouctou où nous te convoquons, avec le ferme espoir que nous ne t’y attendrons pas longtemps. »
Lorsque le porteur de cette lettre arriva au domicile d’Alfa Nouhoun Tayrou, celui-ci était sorti. Le messager attendit à la porte. Alfa Nouhoun Tayrou, revenant de la mosquée, allait rentrer chez lui quand l’envoyé de Cheik Sid Mahamman [Cheikh Sidi Muhammad Kounta] lui tendit la missive. Alfa Nouhoun Tayrou, piqué par la curiosité, l’ouvrit et en prit connaissance sur place. Les assistants virent ses traits changer au fur et à mesure qu’il lisait, mais ne pouvaient deviner les sentiments qu’il éprouvait. Surmontant son trouble, Alfa Nouhoun Tayrou après avoir achevé la lecture de la lettre, se tourna vers le messager et lui dit, souriant :
— C’est entendu.
Il tourna le dos à sa porte et dit à ceux qui l’accompagnaient :
— J’ai reçu de mon cheikh l’ordre d’aller à Tombouctou, et je m’en vais.
Il chargea un ami d’aller faire ses adieux à sa famille et de le rejoindre avec le nécessaire pour le voyage, puis il dit à l’envoyé de Sid Mahamman :
— Tu m’excuseras de manquer à ton égard aux lois de l’hospitalité, mais partons sans plus attendre pour Tombouctou.
La nouvelle du rappel d’Alfa Nouhoun Tayrou parvint à Hamdallaye. L’empressement avec lequel il avait répondu à la convocation de son cheikh plut beaucoup à Cheikou Amadou qui lui écrivit immédiatement une lettre. Un cavalier rapide fut chargé de la lui porter avant qu’il ne fut sorti du Kounari. Le cavalier rattrapa Alfa Nouhoun Tayrou et son compagnon à Bogo [au sud de Konna]. La teneur de la lettre, toujours d’après la tradition orale, était la suivante :
« L’humble serviteur d’Allah le Grand, le Clément, le Miséricordieux, Amadou fils de Hammadi, fils de Boubou, à son frère en Allah, le savant, le pieux Nouhoun Tayrou. L’oreille perçoit parfois ce qui ne lui est point destiné. Nous avons appris que le fils d’Hambodédio t’a desservi auprès de notre vénérable Cheik Sid Mahamman. Il accuse ton cœur de se pencher vers nous plutôt que vers lui. Nous souhaitons qu’Allah te lave d’une calomnie qui peut accabler ton cœur de chagrin. Nous te prions de venir à Hamdallaye, nous enverrons au vénérable Cheik Sid Mahamman des preuves indiscutables de ta bonne foi. Ta place est plutôt parmi les membres du grand conseil qu’auprès de Guéladio. Ce dernier cherche à te chasser du pays alors que nous, nous recherchons la compagnie d’une âme aussi pure que la tienne, car seules les âmes pures sont agréables à Allah. »
Alfa Nouhoun Tayrou écrivit à Cheikou Amadou pour le remercier de sa sympathie, mais il ajouta qu’étant de l’obédience de Cheik Sid Mahamman, il ne pouvait se rendre à Hamdallay sans ordre de son maître.
Cheikou Amadou aurait alors envoyé une longue lettre à Cheik Sid Mahamman, et y joignit une correspondance reçue par le grand conseil de Hamdallay et dans laquelle Alfa Nouhoun Tayrou défendait Guéladio . C’était une preuve éclatante qu’à aucun moment Alfa Nouhoun Tayrou n’avait trahi sa mission malgré les propositions avantageuses de Hamdallay. Cheikou Amadou terminait sa lettre en demandant à Cheik Sid Mahamman de lui affecter Alfa Nouhoum Tayrou puisque Guéladio semblait ne plus en vouloir comme secrétaire. Cette lettre fut confiée à une pirogue légère avec ordre de ne pas s’arrêter en chemin. L’envoyé de Hamdallay parvint à Tombouctou avant Nouhoun Tayrou. Cheik Sid Mahamman prit connaissance des documents qui lui étaient communiqués et s’en montra très satisfait. Il savait à quoi s’en tenir sur la conduite de Guéladio qui avait inconsidérément calomnié un homme irréprochable. Il écrivit à Cheikou Amadou et à Alfa Nouhoun Tayrou.
La pirogue rapide de Hamdallay, remontant le fleuve, croisa celle de Nouhoun Tayrou qui descendait. On remit à Nouhoun Tayrou la nouvelle missive de Cheik Sid Mahamman. Il la lut avec joie, mais ne put s’empêcher de dire :
— Cheikou Amadou est un adversaire terrible ; il m’a fait perdre l’occasion de revoir mon cheik.
Effectivement, Sid Mahamman donnait ordre à son disciple de retourner sur ses pas et de se mettre à la disposition de Cheikou Amadou pour l’aider à gouverner la Dina.
C’est ainsi qu’Alfa Nouhoum Tayrou rejoignit Hamdallaye où il allait devenir la deuxième personnalité du régime naissant au fil des ans, épousant même la veuve de Sékou Ahmadou [et mère de son successeur Ahmadou Sékou, v.1800-1851] et s’érigeant comme un des acteurs majeurs de la diplomatie de Hamdallaye.
Il est inutile de dire que Gelaajo Hambodeejo fut désappointé par ce retournement des choses. Mais sa détermination à conserver ses privilèges et son indépendance n’avait pas flanché. La question du Pignari et sa subordination à Gouro Malaado lui étaient resté en travers de la gorge. Il aurait tenu cette ferme résolution :
« Le Pignari est ma conquête. Je ne peux pas admettre qu’on le donne à Gouro Malado. C’est une marque de mépris vis-à-vis de ma famille. Me taire serait forfaire à l’honneur de Hambodédio. Le commandement du Pignari ne doit pas être attribué à un autre sans mon consentement. Or les marabouts ont pris leur décision sans me prévenir, même à titre d’information. Je n’ai au demeurant que ce que je mérite. J’aurais dû continuer à les combattre et mourir au besoin comme sait mourir un Arɗo. Mais je suis décidéà envoyer à Hamdallaye une lettre de protestation. La réponse que Cheikou Amadou me fera, décidera entre la paix et le silence ou le bruit de la poudre et le cliquetis des armes blanches. Puis il écrivit au grand conseil :« Avant l’avènement de Cheikou Amadou, moi, Gelaajo Hambodeejo, j’ai fait une incursion dans le Pignari ; j’ai battu le pays jusqu’aux portes de Doukombo . Cette région est mon domaine puisque je l’ai conquise. Je demande à ce qu’elle ne soit pas distraite du Kounari. Je m’élève contre la désignation de Gouro Malado pour la commander.».
Lorsque la lettre de Gelaajo fut reçue par le Grand Conseil, leur réponse éteignit tous ses espoirs et sonna le glas de leur entente.
« Il a été décidé par le conseil chargé de veiller sur la sécurité et la bonne marche de la Dina, qu’aucun homme incapable de lire, écrire et comprendre le sens d’un document écrit en caractères arabes, ne serait placé à la tête d’un territoire à plus de cinq jours de marche. Ton maintien comme chef du Kounari est une mesure exceptionnelle qui continue à être combattue par certains conseillers. Il est de ton intérêt et de celui des tiens de te tenir tranquille. Le grand conseil ne conteste ni ta naissance illustre, ni tes mérites militaires, mais il ne saurait être question de te donner la préséance dans une affaire où la valeur militaire et l’origine ne constituent pas des titres essentiels. On exige des chefs foi et science. Or sans t’insulter, ta foi est tiède et ta science est nulle.»
Gelaajo contracta des alliances au-delà, pour tenir tête à Hamdallaye. Selon le récit de Ba et Daget, Alfa Ahmadou Koudiadio avait été missionné par la Dina pour rallier le Farimaké, le Dirma et le Ndodjiga mais après ses conquêtes initiales, était entré en rébellion s’alliant aux Touaregs Tengerigrif de Woyfan, et aux Kel Tadmakkat en défiance à Hamdallaye obligeant. La Dina fut obligée d’envoyer une colonne dirigée par Alhaji Moodi pour le mettre au pas. D’une certaine manière la défiance de Gelaajo servait également ses intérêts. Il semble que Gelaajo tenta une dernière approche auprès de Cheikh Sidi Mohammed pour avoir une caution islamique à sa rébellion ; ce qui expliquerait peut-être l’annonce de sa visite au marabout kountiyou dans le Tarikh Fittuga en 1820. Mais ce fut également un échec ; Cheikh Sidi Muhammad conseillant à Gelaajo de se conformer aux exigences de la Dina, et de ne pas se rebeller.
Ainsi Gelaajo s’appuya simplement sur la force de ses armes, lorsqu’il déclencha sa rébellion qui aurait duré 7 ans [1820-1826] selon la tradition, et 2 ans [1824-1826] selon le Tarikh Fittuga. Il est possible que ces deux dates aient des références différentes et que la défiance de Gelaajo commença en 1820 pour prendre une tournure militaire à partir de 1824. Le Pereejo aurait tenu ces propos à son frère et confident Ousmane, avant d’enclencher sa rébellion :
Je suis revenu de Tombouctou plus morose que jamais. Je n’ai pas trouvé auprès du marabout Sid Mahamman le réconfort sur lequel j’avais fortement compté. Il me prédit le pire. Tu seras battu si tu fais la guerre à Cheikou Amadou, telle a été sa conclusion. Mais je ne me laisserai pas intimider. Sans honneur, que ferais-je de la vie ? Mourir est une loi inévitable, mais se laisser honnir sans réaction, c’est manquer de courage et de vertu. J’ai foi en ma chance. Je préfère périr, voir tous les miens mourir ou quitter le pays, plutôt que de me soumettre aux gens de Hamdallay qui font et refont des coupes territoriales en dépit de tout bon sens. Si je ne sais pas réciter le Coran, mon esprit est rompu aux tactiques de la guerre. Mes chevaux, mes sabres et mes lances me redonneront la préséance que les versets du Coran, dit-on, me refusent. Je ferai aux marabouts une guerre sans merci. Ils pourront avoir ma vie comme ils ont eu celle de mon cousin Arɗo Amadou [pris, livré aux marabouts et décapité par Hamdallaye, avec son corps jeté dans une mare du Mourari]. Mais auparavant, ils auront eu de moi des nouvelles sanglantes. Tant que tu vivras, toi, Ousmane mon frère, tant que mes lances ne seront pas émoussées ni mes chevaux déchaussés de leurs sabots, les marabouts ne dormiront pas sur leurs deux oreilles et ils ne réciteront pas tranquillement des passages de leur livre dans la salle aux sept portes qui fait tant leur orgueil.
Ousmane qui avait attentivement écouté son frère jusqu’au bout dit :
— Alors ce sera la guerre entre nous et les marabouts ?
— Oui, dit Guéladio, je vais déclarer la guerre aux marabouts.
L’Ardo Mawdo du Macina, Ngourori Diallo, approché par Gelaajo refusa de joindre la rébellion mais son frère Boubou Ardo Galo, était allé à Ségou pour demander au faama Da Monzon, un appui en or et en ressources, dans la révolte qui se préparait. Ainsi les marabouts devaient s’attendre à une rébellion massive dans le Farimaké et le Fittuga, dans le Kunaari et dans une partie du Macina avec Boubou Ardo Galo. Le maabo de Buubu Ardo Galo, Galo Segene, composait des satires insultant les marabouts et traitant Ngourori de couard et appelant les Arbe à la dissidence. Buubu Ardo Galo qui refusait de manger le « cengle issu de la sadaqat », aurait tenu ses propos à son frère :
— Tu peux rester à Hamdallay puisque tu y as élu domicile. Tu peux te faire inscrire sur la liste des marabouts car tu es rayé de celle des Arɓe. Ne compte plus sur le Macina. Puisque tu as renoncé à venger Arɗo Giɗaɗo, ma place est maintenant aux côtés de Gelaajo.
Buubu Ardo vainquit la cavalerie macinanké à Néné, et encore lorsqu’ils traversèrent le fleuve pour Tenenkou, jurant qu’il apprendrait la guerre aux marabouts en les frappant avec la chaine qu’ils utilisent pour les enfants apprenant le Coran.
Alors que Buubu Ardo Galo taillait en pièces les cavaliers de la Dina à Néné, Gelaajo exerçait une pression directe sur Hamdallaye proche de son Goundaka. Ousmane Hambodeejo, de Sio, bloquait l’accès à Hamdallaye, affamant les résidents de la nouvelle capitale, alors que Gelaajo appelait tout le pays au soulèvement. Plusieurs fois, les troupes du Kunaari vainquirent celles d’Hamdallaye, grâce à la sagacité politique de Gelaajo et à son réseau d’espions dans la boucle du Niger.
La mise en échec de la Dina obligea Sékou Ahmadou à solliciter les conseils de Bouréma Khalilou, un jawanndo de Hamdallaye à la sagacité légendaire et toujours en opposition avec Hambarké Samatata, le rigoriste accusateur public du Baatu Mawdo et ennemi de Gelaajo. Bouréma Khalilou, compromis dans la rébellion et mis aux fers, fut libéré et réinstallé dans le Grand Conseil après des années d’échec et alors que l’autorité de la Dina se réduisait comme une peau de chagrin. Celui-ci aurait dit appelé le Grand Conseil à plus d’humilité et de sens politique et rappelé que « savoir lire et écrire ne garantissait pas la vivacité de l’intelligence, la puissance de déduction, ni le don de la persuasion ».
Au conseil de guerre de la grave heure, Boureima Khalilou aurait été le dernier à parler rappelant la nécessité du secret pour les déplacements de la cavalerie macinanké. Amirou Mangal de Djenné, rappelé de Djenné, vint en appui à Alhaji Moodi, Bori Hamsala et à Alfa Samba Fouta, contre Gelaajo Hambodeejo. La conjoncture politique devait permettre la concentration des forces contre Gelaajo; la pression s’étant relâchée du côté de Ténenkou-Néné lorsque les colonnes de Hammadi Oumar Gouro vainquirent Buubu Ardo Galo et le tuèrent.
Toutes ces forces se reportèrent sur le Kunaari en attaquant Ousmane Hambodeejo à Sio pour désserrer l’étau autour de Hamdallaye, coupée de l’est. La cavalerie macinanké défait le blocus après un duel entre Ousmane Hambodeejo et Samba Abou, son ami d’enfance rallié à la Dina. Les deux amis se tueront au début de la bataille mais la mort d’Ousmane Hambodeejo avait déstructuré le commandement du Kunaari, et l’arrivée de troupes massives favorisant leur déroute pour Goundaka. La mort de Buubu Ardo Galo et celle de son frère Ousmane Hambodeejo perturbèrent Gelaajo qui lui aussi sollicita les conseils de Boureima Khalilou, conseiller de Sékou Ahmadou. Le conseil donné fut de quitter le pays car Hamdallaye ne comptait lui faire aucun quartier pour sa défiance.
Ce fut alors que Gelaajo réunit son conseil de guerre, pour savoir quelle conduite tenir. La décision de l’exil douloureux lui fut conseillée, dans l’espérance d’un retour; Goundaka étant trop proche de Hamdallaye et n’offrant pas les abris des contreforts du Hayre, la défiance devenait désespérée après les conseils de Cheikh Sidi Muhammad, et la défaite des alliés dans le Macina, le Mourari, et le Fariimaké. Le Kunaari en solidarité à son chef, se divisa : une bonne partie des gens du pays se décidant à subir la même fortune que leur chef. Gelaajo leur aurait dit :
— Ceux qui veulent m’accompagner me feront plaisir, mais je me séparerai sans rancoeur de ceux qui préfèrent rester ici.
Alors son maabo, Maabel Gelaajo, s’approcha :
— Fils d’Hambodédio, dit-il, ta mère est vieille ; elle ne peut suivre le fugitif que tu es à travers un pays inconnu où tu ne pourras peut-être avancer qu’en donnant des coups de lance ou en faisant parler la poudre.
Gelaajo se souvenant de la peur de Galo Segene, maabo de Buubu Ardo,qui dans les derniers moments fut pris d’une telle peur qu’il ne pouvait ni jouer de son luth, ni chanter les louanges de son maître, comprit que son maabo était sur le point de lui fausser compagnie.
Il le réconforta dans ses peurs et lui demanda de rester et de servir sa mère Welaa Takkaade, trop vieille pour l’exil incertain, et leur laissant des calebasses d’or pour leur entretien. C’est de nuit que le Pereejo quitta le Kunaari, passant par le Hayre, le Seeno et le Liptaako, alors que les troupes de Alhaji Moodi étaient à ses trousses, déterminées à venger les échecs qu’il leur avait fait subir. C’est à Béléhédé que ces troupes s’arrêtèrent dans leurs poursuites, n’osant pas franchir les états du sultan de Sokoto pour y poursuivre un fugitif. Gelaajo Hambodeejo reçurent l’hospitalité de Sokoto [plus spécifiquement du Gwandu d’Abdullahi dan Fodio, 1763-1828], et s’installèrent dans un « Nouveau Kunaari », entre Say et Torodi [Niger actuel] avec leur capitale à Ouro Gueladio [la ville de Guéladio]. Au fil du temps, l’adoucissement entre Sokoto et Hamdallaye favorisa également les relations entre Gelaajo et la Dina.
Wela Takkaade, la mère de Gelaajo fut invitée à vivre à Hamdallaye dans la concession même de Sékou Ahmadou Lobbo, ce qui constituait une propagande utile pour Hamdallaye face à un rebelle très populaire. Elle y vécut jusqu’à sa mort avec Maabel Gelaajo, et fut entretenue par la Dina. À son décès, furent découvertes les gourdes remplies de poudre d’or que Gelaajo lui avait données pour son entretien, et qui ne furent jamais déscellées. Ce fut Maabel Gelaajo qui expliqua l’origine de ce trésor aux curateurs; précisant que Wela Takkaade n’a jamais eu besoin de cet or vu que son entretien était pourvu par la Dina.
Ce fut ainsi que Sékou Ahmadou aurait écrit une lettre à Gelaajo, en ces termes :
« Moi Amadou Hammadi Boubou, par la grâce de Dieu imam de Hamdallay, au fils d’Hambodédio. Allah répand ses grâces et accorde le salut au sceau des Prophètes, notre Seigneur Mohammed le véridique, ainsi qu’à sa famille. Sache, ô Guéladio, que Dieu a rappelé à Lui ta pieuse mère. Elle est morte en paix et sur la voie de la rectitude. Je t’envoie, escortés par un groupe de cavaliers, les biens constituant sa succession. Celle-ci comporte, entre autres objets de valeur, une gourde scellée à la bouse de vache, que tu aurais offerte à ta mère avant de te séparer d’elle. J’espère que Dieu aidant, le tout te parviendra en bon état. Salut et condoléances de la part de tous. ».
Quand Gelaajo reçut la lettre et s’étant demandé si sa mère avait dédaigné son or, vu qu’on le lui retournait et ayant eu une explication de la chose, il aurait demandé aux émissaires de Hamdallaye de tout ramener au Batu Mawdo, et de verser l’or et les biens légués à lui par sa mère au trésor public et que cela soit distribué aux pauvres.
« Vous direz à Cheikou Amadou que je verse le tout au beyt el mâl en faveur des pauvres. Puisse ce geste valoir à ma mère et à moi la miséricorde d’Allah le Clément » »
Épilogue: « Mohamed » Gelaajo dans le « nouveau Kunaari »
En 1853, un voyageur allemand se faisant appeler « Abdel Karim » mais ayant pour vrai nom Heinrich Barth avait fait le trajet Tripoli [Libye] à Kukawa [au Nigeria] et ensuite Kukawa jusqu’à Sokoto. De Sokoto, il comptait se rendre à Tombouctou, où il sera logé par Cheikh Sidi Bekkaye el-Kounti (1803-1864), fils de Cheikh Sidi Muhammad (1765-1826), et peut-être à Hamdallaye. Dans cet itinéraire, il passa par Ouro Gelaajo [appelée alors Tshampagore] et fut reçu par Gelaajo Hambodeejo, qui était un vieux à cette époque. Il le décrit ainsi :
« Mohammed Galaïdjo était, lors de ma visite, âgé d’environ soixante-dix ans; de taille moyenne, il avait une physionomie fort agréable, à l’expression presque européenne.
Vêtu fort simplement, il ne portait qu’une tunique bleu-clair et avait la tête entourée d’un châle blanc. Galaïdjo, fils de Hambodedjo, succéda à son père, qui était sans doute le chef qui reçut avec tant d’hospitalité Mungo Park en 1805-1806, Ce Hambodedjo était alors le chef le plus puissant du Massina ou Melle, qui avait été divisé en une quantité de petits royaumes, depuis la chute de l’empire Sonrhaï; or, l’avénement de Galaïdjo au pouvoir, coïncida précisément avec le commencement du grand mouvement politique et religieux des Foulbe du Gober, mouvement dirigé par le réformateur Othman. Excité par leur exemple et enflammé d’une ardeur religieuse, il s’éleva Parmi eux un apôtre qui s’en alla répandre l’islamisme dans sa forme nouvelle, parmi la subdivision des Foulbe établie sur les rives du Niger supérieur.
Cet apôtre était Mohammed ou Hamed Lebbo. Au commencement de l’an 1233 de l’hégire (1818), il arriva dans le Massina, à la tête d’une petite armée enthousiaste et conclut une alliance avec Galaïdjo, qui embrassa lui-même l’islamisme (car son père était resté fidèle aux superstitions païennes); ainsi unis, ils entreprirent en commun la conquête des contrées voisines ; mais lorsque Lebbo se fut ainsi puissamment établi, il prétendit soumettre à sa domination son allié, sous prétexte que c’était lui qui avait levé, au berceau même du mouvement, l’étendard de la réforme.
Galaïdjo, qui se souciait peu de renoncer à ses antiques domaines, entra en lutte avec Lebbo et se vit forcé, après trois ans d’une guerre acharnée, d’abandonner sa capitale, Konari, et d’aller se chercher, avec le reste de ses partisans, une nouvelle patrie dans les parties orientales du pays. Il fut reçu à bras ouverts par le sultan de Gando, qui lui donna le gouvernement de la contrée vaste mais peu fertile, qui s’étend à l’ouest du Niger; c’est là qu’il est maintenant établi depuis une trentaine d’années »
Le récit de Barth nous vient d’une personne qui a vu et causé avec Gelaajo, qui l’a reçu dans sa maison. La perspective qui y est, différe légèrement de celle des traditions et pourrait constituer celle de Gelaajo suur les évènements qui l’ont amené à quitter son pays. C’est en ça qu’il est intéressant, toutes précisions gardées.
Aminata Wane dans son ouvrage sur Gelaajo apporte une tradition de l’historien nigérien Boubou Hama, disant que Cheikhou Oumar Foutiyou [1797-1864] aurait été reçue par Gelaajo, au retour de son pèlerinage. Peut-être que Heinrichi Barth a suivi le même itinéraire que celui du marabout, de Sokoto au Macina, avec plus d’une décennie de différences. Un fis de Gelaajo, Ibrahim Gelaajo Hambodeejo, étaiit noté parmi les alliés de Tidiani Alfa Ahmadou Tall, neveu de Cheikhou Oumar, durant sa reconquête du Macina entre 1864 et 1870. Gelaajo serait mort dans le Jelgooji en 1862, après la bataille de Cayawal, et alors qu’il espérait retourner dans son pays. Son exil fut permanent et il ne reverra jamais son Kunaari natal
Écoutons son dammol une dernière fois.
Nan !
1 Ayya Buubu, Accaa Buubu, Amina Buubu !
Entends !
1 Ayya Boûbou, Attia Boûbou, Amina Boûbou !
2 Kunta Buubu, Kunta Nguuroori Galo Haawa !
2 Kounta Boûbou, Kounta Ngoûrôri Galo Hâwa !
3 Pullo am mo ñaamaani gacce segene ñeeno jontaaɗo !
3 Mon Peul qui ne manque pas de donner au plectre son dû !
4 ɓe mbiya mo Gelaajo Ham Boɗeejo Hammadi Ham Paate Yella
4 On l’appelle Guélâdio Ham Bodêdio Ham Pâté Yella,
5 E Ndooraari, Pullo moorotoongal balamiinaaji
5 Le Ndôrâri (mouton de Dori), le Peul dont les tresses sont des balaminâdji [arbustes ligneux]
6 Cañcortoongal kure kaŋŋe !
6 Et qui les défait avec des fléchettes en or !
7 Kanko wiyetee joom sahre !
7 C’est lui qu’on appelle le maître de la ville
8 ɓe mbiya mo kuɗal daande maayo
8 Lorsqu’on l’appelait « l’herbe au bord du fleuve »
9 Sukubee ñukubee, sumataa ñaayetaake
9 Soukoûbé Gnoukoubé, Qui n’est ni brûlée, ni broutée,
10 Mboɗeeri dono feelaa, jennga suɓee aawdi
10 Mil rouge, héritier du mil blanc, sélectionné le soir,
11 Sabboree ngatamaare
11 Dans l’attente des premières pluies,
12 O wiya: ‘’mi ɓennii ɗoon !’’
12 Guélâdio disait : « Ma renommée dépasse tout cela ! »
13 Ɓe mbiya mo Weyse Baaye Buubu, Weleende Baaye Buubu
13 On l’appelait Weysi Bâyé Boûbou, Wélêndé Bâyé Boûbou,
14 Pulal Baaye Buubu sukkiɗi korlal
14 Le grand Peul Bâyé Boûbou, celui qui a la jambe poilue,
15 Yaaji larongal, juuti saalifaaji daande
15 Celui qui a la peau épaisse, qui a les muscles du cou saillants,
16 Saliima waɗde bitti reedu
16 Qui a refusé d’avoir des plis au ventre
17 A hoɗii e tule, a haɓaama e tule a haɓetaake
17 Tu as habité dans des collines, tu t’es battu dans des collines, tu ne te bats point
18 Leydi Idiriisa Bookar Hammooy
18 Au pays d’Idrissa Bocar Hamôye,
19 Yah ɗo nguli alaa ceeɗu
19 Va au lieu où il ne fait pas chaud en période d’extrême chaleur,
20 Jaangol alaa dabbunde.
20 Ni froid en hiver !
Pour aller plus loin
Ba Amadou Hampaté et Jacques Daget. 1975. L’empire peul du Macina (1818-1853), tome 1. Paris. Les Nouvelles Editions Africaines.
Barry, Ibrahim. 1993. Le royaume de Bandiagara, 1864-1993: le pouvoir, le commerce et le Coran dans le Soudan nigérian au 19e siècle (Thèse en histoire, EHESS: Paris).
Bradshaw, Joseph M. 2021. The Bandiagara Emirate: Warfare, Slavery and Colonization in the Middle Niger, 1863-2003. (Dissertation Thesis in History, Michigan State University)
Hama, Boubou. 1968. Contribution à la connaissance et à l’histoire des Peuls. Paris, Présence Africaine.
Dans cet article, nous allons explorer la figure de Gelaajo Hambodeejo, très populaire dans le monde peul jusqu’à nos jours, et essayer d’entrevoir le personnage historique de la figure de la tradition orale. Pereejo [du clan Soh/Sidibé] du Kunaari, fils de Hammadi Bodeejo Pate Yella (m. v. 1812), et répondant au triptyque du « hulataa/dogataa/namataa gacce » [« n’a pas peur, ne fuit pas et abhore la honte], Gelaajo Hambodeejo est une figure centrale de l’histoire du Macina et de sa mémoire, constituant une passerelle entre un ordre ancien et un monde nouveau.
Hambodeejo, son père est très présent dans les récits de la tradition orale, durant la période précédant la Dina du Macina [pré-1818] où la région était sous domination du royaume de Ségou. Si la tradition orale ne donne pas de précision exacte sur sa temporalité, les récits des chroniqueurs du Fittuga nous permettent de savoir que Hambodeejo était toujours actif autour de 1810-1, où il est décrit comme ayant conquis les villes de Sa et d’Arkodia, loin de son Kunaari, mais dans le Guimballa.
Gelaajo Hambodeejo nait dans ce contexte historique où le Macina est vassal de Ségou, et où la dynastie des Ngolossi [Diarra] a remplacé celle des Bitonsi [Coulibaly] à Sikoro. Ségou même avait connu une guerre civile à la mort du faama Ngolo Diarra [1762-1790] entre ses fils Nianankoro et Mansong/Monzon, qui a duré quelques années [1790-1793]et qui va se conclure par la victoire et l’ascendance de Mansong sur le trône. Ces périodes de troubles n’ont pas été sans conséquences sur le Macina où durant la décennie 1780, une figure du nom de Sidi Baba [peut-être le Silamaka/Yero Maama de l’épopée peule] a mené une dissidence contre le Segu fanga [« la force de Ségou »] avant d’être vaincue. Dans cet intervalle entre la consolidation du pouvoir des Ngolossi et la victoire de Sékou Ahmadou Lobbo sur Ségou en 1818, se passe la jeunesse de Gelaajo Hambodeejo.
Hambodeejo Hammadi Hampaté Yella, dont l’aéroport de Sévaré porte le nom, est aussi une figure chérie par la tradition orale. Appelé « Pullo Segou, Bambara Kunaari » [le Peul de Ségou et le Bambara du Kunaari], Hambodeejo, en fin politique, avait épousé Tenin, une princesse de la dynastie Diarra des Ngolossi, renforçant son alliance avec le Segu fannga, tout en étant rétif à la main trop pesante de ce pouvoir. Cette alliance reflétant le pragmatisme de son père Hammadi Bodeejo [« Hammadi au teint clair »], plus connu par la postérité comme « Hambodeejo ». De cette union est issue Ousmane Hambodeejo, frère puiné et confidant de Gelaajo, qui lui est le fils de Wela Takkaade [la bonne compagne, sans doute un surnom], une femme du village de Samanay.
Avec Buubu Ardo Galo, Gelaajo Hambodeejo constitue une figure passerelle entre l’ordre ancien dominé par le ArBe et l’ordre nouveau, islamique, bâti par Sékou Ahmadou Lobbo, à partir de 1818. Mais alors que Buubu Ardo Galo meurt en luttant contre cet ordre nouveau, Gelaajo Hambodeejo le conteste et lui survit, laissant des traces plus de 30 ans après l’établissement du « laamu Diina », mais bien loin de son Kunaari natal.
Gelaajo se distingue par sa bravoure, son sens politique, mais aussi par sa générosité légendaire, qui avait fait de lui une figure populaire de son vivant. Sa grandeur d’âme est ainsi notée dans l’affaire opposant Fatimata Ba Lobbo et Sâ, le prince bambara qui exigeait que sa chienne lape d’abord le lait que voulaient vendre les bergères dans son village. Lorsque la chienne du prince lapa sa calebasse et la salit avec les restes en secouant son museu, la fulamuso frappa l’animal avec son bracelet; suscitant l’ire de Sâ qui lui rasa la tête « sans mouiller l’eau » et la taillada pour son outrage. Lorsque les 3333 preux du Macina furent mis au défi par Fatimata Ba Lobbo, ce fut Gelaajo, « celui qui se détresse avec des fléchettes en or », monté sur Soppere kannge [Sabot d’or] qui jura d’arracher la dent de Sâ, et d’offrir son cops aux hyènes couvertes de taches jaunes, et aux charognards couverts de taches blanches du Bourgou. Ce qu’il fera au cours d’un duel au terme duquel Gelaajo offrit la tête, les pieds et les mains de Sâ à Fatimata Baba Lobbo, en lui disant à elle et à tout le monde autour : « Quiconque parmi vous se rincera la bouche, qu’il crache sur la tête de Sâ ».
Il est dit de lui aussi dans les récits des maabube
Pullo ! moorotooɗo balaminaaji
Le peul qui se tresse des balaminaaje [arbustes ligneux]
cancortooɗo koƴe ndigaaji.
Et qui se détresse avec des pieds de vautours
Pullo leloo, fiya bawɗi
Le peulh qui se couche au son des tambours
hejjitoo, lummbina laaɗe
Qui se réveille dans la nuit et fait traverser des pirogues
mo saroo ñiiñe, saakoo peɗeeli
Celui aux dents espacées, et aux doigts dispersés
daɓɓo daande mo daande wutte mum nanngataake
Au cou court et que personne n’empoigne
mo kiikiiriwol kaakariiwol kaakowal kaake worɓe
Qui fond sur les hommes tel un faucon, leur arrachant leurs armes.
ngal kaake mum ƴeewetaake
Dont personne n’ose observer les couilles
Kanko wiyetee jalal manngal
C’est celui qu’on appelle le grand pilier
Jabbirgal manngal wakkataake
Le grand semoir, il est appelé
Dasataake
Qu’on ne traine pas par terre
Wakke, hela balabbe
Et si on se hasarde à le porter à l’épaule, il les casse
Daasee, taya codduli
Et si on le traine par terre, il casse les chevilles
Kanko woni labangal niiwa
C’est lui le mors de l’éléphant
Tafoowo ngal ina wuro ga
Celui qui le fabrique est au village
Battoowo ngal alaa ladde
Celui qui le place, n’est pas en brousse
Gelaajo et l’avènement de la Dina du Macina
La décennie 1810 où émerge Gelaajo Hambodeejo en tant qu’acteur politique était marquée par une effervescence millénariste dans tout le Sahel; le Macina, le Farimaké et le Kunaari où Gelaajo régnait de Goundaka n’y échappant pas. Le succès du mouvement réformiste musulman de Sokoto, dirigé par Uthman dan Fodio (1753-1837), était parvenu jusqu’au Sahel central, où l’autorité de l’Ardo du Macina (Tenenkou) n’était plus aussi forte, et où clercs conservateurs et novices se disputaient à propos de points théologiques, à la limite du byzantinisme.
C’est dans ce contexte qu’un porte étendard de Sokoto (« mai tuta » en haoussa), Mallam ibn Said arrive dans le Gimballa, autour de 1813 qu’il essaie de soulever; son mouvement est cependant brisé très vite par les autorités du pays. Plus au sud à Djenné, Sékou Hammadi Lobbo se bâtissait une communauté réformiste, aux marges des cercles institutionnels de Djenné, mais aussi en critique aux excès des ArBe du Macina. Entre le Djenneri et le Gimballa, Gelaajo Hambodeejo régnait sur le Kunaari, jouissant de la réputation de son père et de ses hauts faits d’armes, mais aussi impacté par cette effervescence religieuse dans la région. La question de sa religiosité et de sa pratique sera centrale à la postérité : pour les sources macinanké liées à la Dina, c’est après 1818 qu’il fait sa conversion; alors que les chroniques du Fittuga, du Farimaké et de Sokoto le décrivent comme un musulman avec une cour religieuse, avant la bataille de Noukouma. Un prince peul, musulman, allié du Segou fanga, en quelque sorte, maintenant des relations avec les clercs de son espace, mais aussi avec les Kountiyou d’Araouane/Tombouctou, en particulier avec le Cheikh Sidi Mohammed (1765-1826).
Ainsi quand les évènements amenant à l’établissement de Hamdallaye s’accélèrent, les forces centripètales religieuses existaient et courtisaient les cours. Sékou Ahmadou Lobbo n’était pas le seul clerc musulman avec un projet politique, mais où il va être celui dont le projet aboutira et phagocytera les autres.
Gelaajo et la bataille de Noukouma [1818]
Ainsi lorsque la bataille de Noukouma commence en avril 1818, Gelaajo Hambodeejo avait une position particulière : prince peul, allié du Segou fannga, mais aussi menant une politique douce auprès des marabouts.
Quand Segou confronte Sékou Ahmadou et son mouvement dans le Sebera en 1818, en route pour une campagne dans le Hayré, Gelaajo Hambodeejo campait à Kouma, après avoir traversé le Pignari pour pouvoir faire jonction avec la colonne dirigée par Diamogo Serii Diarra dit « Fatoma », commandant de la colonne.
Selon le récit de Hampaté Bâ et Daget, l’armée de Diamogo Séri avait passé par Saro, Sakay, Nguêmou, Simay, Saré Malé pour camper à Mégou où elle fait sa jonction avec la colonne de Faramoso, chef des Bobo, venant de Poromani et occupant le Fémaye. Une autre colonne dirigée par Moussa Koulibaly du Monimpé, traversait Mourra, et le Djoliba au gué de Bimani, pour camper à Sandjira. Alors que Gelaajo Hambodeejo campait aux portes du Hayré avec 130 juude [unités de cavalerie], une autre colonne dirigée par Ardo Macina Ahmadou, dont le fils Gidaado avait été tué par les partisans de Ahmadou Hammadi Boubou à la foire de Simay, fait la jonction avec les autres colonnes dans le Sébera via Saré Seyni. Il est important de noter que toutes ces colonnes se dirigeaient vers le Hayré pour une campagne, mais le faama de Ségou Da Diarra, avait donné l’ordre à Diamogo Séri de régler l’affaire du marabout du Fittuga, en passant.
« Diamogo Séri Diara assume la direction générale des opérations. L’armée de Monimpé s’avancera en direction de la mare de Pogôna ; Guéladio surveillera les rives du Bani en vue de couper toute retraite vers la montagne, et, s’il est nécessaire, de prendre Noukouma à revers ; le gros des troupes bambara restera dans la région de Dotala et Diamogo Séri lui-même à la tête des meilleurs soldats bambara et bobo attaquera Noukouma. Il établit son quartier général au sud de la mare de Pogôna et donne ses ordres en vue du combat. Ses hommes sont munis d’une bonne quantité de cordes pour ficeler les vaincus comme ballots de poisson sec et les expédier ainsi à Da. »
En face l’armée de Sékou Ahmadou qui campait à Noukouma dans le Sébéra était commandée par Ousmane Bokari Sangaré/Cissé, un compagnon d’études de Sékou Ahmadou, qui fut proclamé « Amiiru Manngal »[grand émir] à l’aube de la bataille.
Si on suit le récit de Hampaté Ba, Sékou Ahmadou tint ce discours à ses partisans juste avant la bataille.
— La gloire et la puissance sont à Dieu. Je lis sur vos visages la bonne contenance malgré le danger qui nous menace. Le grand jour est arrivé. Ne vous laissez pas impressionner par le désarroi de vos épouses et la position de l’ennemi qui paraît avantageuse. Ce jour est pour nous un nouveau Badr. Souvenez-vous de la victoire que notre Prophète remporta sur les idolâtres coalisés. N’a-t-il pas attaqué l’ennemi avec 313 combattants seulement ? Ne remporta-t-il pas une éclatante victoire ? A son exemple, nous attaquerons Diamogo Séri Diara avec 313 hommes prêts à combattre pour Dieu. Vous êtes ici 81, vous, mes premiers partisans. Je vous adjoindrai 231 autres combattants et ainsi, avec moi-même, nous atteindrons le chiffre de 313. Les meilleurs cavaliers monteront les 40 chevaux dont nous disposons, les autres se battront à pied. Un deuxième groupe de 313 hommes ira vers Kouna et interviendra le cas échéant. Un troisième groupe de 313 hommes passera dans le Fakala et s’y tiendra prêt à toute éventualité. Les 61 lances qui restent surveilleront les femmes et les enfants. Ali Guidado a fait preuve de courage en portant le premier coup de lance. Nous avons à notre tour à nous élever au-dessus de l’événement qui nous menace et dominer la situation. Soyons fermes et ne disons pas comme les Juifs : « Nul pouvoir à nous, en ce jour, contre Goliath et ses troupes » (II, 250), mais : « Combien souvent bande peu nombreuse a vaincu bande nombreuse avec la permission d’Allah ! Allah est avec les constants (II, 250). »
Dans ce discours, il est clair que même si Gelaajo Hambodeejo n’était pas présent à Noukouma, les partisans de Sékou Ahmadou craignaient d’être attaqués par ses cavaliers sur leurs arrières, et avaient positionné 313 combattants, pour le contrer éventuellement.
Le 13 Jumada I 1233 [samedi 21 mars 1818], le premier choc entre les deux armées eut lieu à Noukouma lorsque les fantassins commandés par Bokari Hammadoun Sala [Bori Hamsala, futur Amiiru Macina] s’entrechoquèrent avec ceux commandés par Faramoso et Moussa Koulibaly. La flèche d’Abdou Salam Traoré, partisan de Sékou Ahmadou, perce le tambour de guerre de Diamogo Séri, avant qu’il ne soit abattu avec la shahada sur ses lèvres. Attaqué par 40 cavaliers peuls, Diamogo Séri surpris dans son camp, ordonne une mauvaise manœuvre suscitant la confusion parmi les troupes bambaras, dont certaines battaient en retraite et d’autres continuaient l’assaut.
L’unité bambara dite Banankoro bolo, commandée par le fameux Gonblé [le « singe rouge », un nom de guerre], avait soutenu le choc des Peuls malgré des pertes sévères. Gonblé, furieux de voir les Bambaras battre en retraite sur ce qu’il pensait être un ordre de Diamogo Séri, crut à une trahison. Il descend de son cheval, armé d’une chaîne de fer hérissée de pointes, et fait face aux Peuls en proférant à leur adresse ces paroles de mépris :
— Ohé, singes rouges [insultes adressées aux Peuls de Sékou Amadou], il ne sera pas dit à la cour du « Maître des eaux » [Jiitigi, autre nom du faama de Ségou] que ma longue queue de « Cynocéphale roux » [Gonblè en bambara] a balayé la poussière derrière moi pour effacer des traces de fuyard. Les troupes qui m’abandonnent iront porter la nouvelle de ma mort et non celle de ma fuite. Depuis quand des singes rouges se mesurent-elles à des cynocéphales ?
Ivre de rage et aveuglé par la honte d’une défaite, Gonblé se jette contre les lances ennemies. Au moment où il lève la main pour frapper le premier adversaire à sa portée, un bantuure [lances aux fers recourbés] adroitement lancé par un inconnu lui pénètre dans la poitrine et lui perfore le poumon gauche. Gonblé tombe à la renverse en jurant :
— Monè kasa ! [L’outrage a mauvaise odeur, en bambara]
Il meurt sans connaître l’issue du combat.
Diamogo Séri, voyant ses troupes lâcher pied et refluer en désordre, comprend un peu tard qu’en donnant l’ordre de déplacer son camp, il a commis une manoeuvre maladroite qui lui coûtera la bataille de Noukouma et même la guerre contre Amadou Hammadi Boubou. Les Bambara, contournant la mare de Pogôna, fuient jusqu’à Yêri où Diamogo Séri réussit à regrouper ses soldats et à reconstituer ses forces. Mais au lieu de marcher sur Noukouma qu’il pouvait prendre facilement, il emploie toute son armée à édifier des retranchements. Les Peuls avaient rompu le combat dès qu’ils avaient eu la certitude que l’avantage de la journée leur resterait acquis.
Les mauvaises manœuvres de Diamogo Séri Diarra firent perdre le jour au Seegu Fannga, suscitant la colère de ses lieutenants et la défection d’Ardo Amadou et de Gelaajo Hambodeejo. Arɗo Amadou retraverse le Niger et rentre dans le Macina ; Guéladio décampe de Kouna et regagne Goundaka. Quant à Faramoso, il abandonne ses alliés et se réfugie dans le Saro. La situation ne pouvait être plus favorable à Amadou Hammadi Boubou qui reçoit beaucoup de ralliements dont celui de Kolaado Alfa Dial de Wouro Nguiya, d’Adoulaye Muhammadu, cadi du Macina « proprement dit » et celui aussi de Boulkassoum Tahirou de Dalla, qui l’aurait rejoint avec ses 240 lanciers nãna nãnga [« avance et prends »] qui avaient la réputation de ne jamais reculer au combat. Le nombre des troupes aurait augmenté substantiellement ainsi alors que la victoire [ou la mise en échec] de Ségou par les marabouts se propage. Alors que Diamogo Séri campé à Yeri fortifie son camp, il subit beaucoup de défections de la part de ses troupes bambara et bobo, dont certains rentrent dans leurs pays ou se joignent carrément à Sékou Ahmadou Lobbo.
Au cours des mois qui suivirent, Sékou Ahmadou dont l’autorité était centrée sur le Sébéra consolida son assise sur le Maasina, le Djenneri et le Mourarien ralliant les chefs et installant ses alliés dans ses régions.
Gelaajo après Noukouma : la mésentente et la révolte contre la Dina
Après Noukouma et dans le sillage de la consolidation du pouvoir de Sékou Ahmadou Lobbo sur le Sébéra, le Djenneri et le Pondori, Gelaajo Hambodeejo réévalue sa position face au nouvel ordre dans le delta intérieur du Mali.
Gelaajo Hambodeejo, face à l’absence de réaction de Ségou, aurait réuni ses conseillers à sa capitale, Goundaka, pour les interroger sur la conduite à tenir face à l’ordre islamique naissant dans l’est, qui menaçait l’autorité des ArBe comme lui.
Il est rapporté que lors d’une de ses audiences, Ousmane Hambodeejo, frère puiné de Gelaajo [et fils de la princesse de Ségou] aurait rapporté ces propos à son frère :
— Je n’ai jamais eu peur d’un guerrier et je suis tout disposé à mourir pour défendre mon frère et le renom de notre famille. Mais je conseille à mon frère de ne pas s’opposer au marabout. C’est une foudre de guerre que Dieu envoie dans ce pays. Il faut aller nous soumettre, non pas à lui, mais à Dieu, et déposer notre soumission entre ses mains. Ainsi nous éviterons la guerre et garderons notre commandement.
Cet avis aurait été validé par les autres membres de la cour de Gelaajo, qui aurait résisté pendant trois mois à leurs conseils de se rendre à Noukouma. Cette attitude aurait généré des inconforts au sein des troupes de Gelaajo, le forçant d’une certaine manière à envoyer un émissaire auprès de Boureima Khalilou, Diawando de la Dina naissante, pour solliciter son coonseil et un accommodement possible avec la Dina. Le conseil de Boureima aurait été de rencontrer Sékou Ahmadou et de professer sa foi musulmane devant la Cour.
Gelaajoo acquiesça à cette requête et rencontra Sékou Ahmadou à Noukouma. Selon le récit de Hampaté Ba et J. Daget, collecté dans les années 1950, la rencontre entre les deux figures se serait déroulée comme suit :
Cheikou Amadou, selon son habitude, dit à Guéladio au cours d’une audience privée :
— Pour me prouver la sincérité de ta conversion, donne-moi un conseil. La guerre étant l’affaire des Arɓe plus que celle des marabouts, je voudrais que ton conseil soit d’ordre militaire.
Guéladio, répondit :
— Tu vas auparavant prier Allah de ne jamais m’abandonner à la merci d’un de mes ennemis.
Cheikou Amadou, ne saisissant pas l’astuce de cette demande 2 et sans aucune arrière-pensée, formule une prière dans le sens souhaité par Guéladio.
— Merci, lui dit ce dernier. Maintenant je vais, en toute tranquillité et de bon coeur, te donner quelques conseils :
Tu transféreras ta capitale de Noukouma en un lieu hors de la zone d’inondation. Noukouma pourrait être facilement assiégé durant les hautes eaux.
— Connaîtrais-tu un emplacement qui conviendrait à la fondation d’une grande ville qui serait la capitale de la Dina ? [Sékou Ahmadou]
[Gelaajo] Oui. Entre Sofara et Taykiri s’étend une vaste plaine, environnée de collines, qui conviendrait parfaitement. La ville pourrait être fortifiée et les hauteurs qui l’entourent utilisées comme postes de guet.
Il faut autant que possible construire en pisé et supprimer progressivement les paillottes. Quelques cavaliers décidés, armés de tisons ardents, peuvent ruiner un vaste territoire dont les cases sont faites de paille 4.
Tu élèveras des juments afin d’assurer à peu de frais la remonte d’une puissante cavalerie.
Tu encourageras l’agriculture en prenant la défense des travailleurs des champs. Cette politique assurera à ton état de bonnes récoltes et le prémunira contre le redoutable fléau qu’est la famine.
Tu ne feras rien sans l’assentiment des notables de ton pays. En politique, mieux vaut suivre une fausse route les ayant avec toi que t’engager dans un bon chemin les ayant contre toi.
Tu choisiras comme favori un captif qui mourra sans trahir et se fera tuer pour te sauver.
Tu prendras un maabo [tisserand-griot] comme confident intime. Un maabo pur-sang ne vend jamais un secret confié.
Tu feras traiter tes affaires par un DiawanDo. Le DiawanDo gâche tout projet formé sans lui, mais il a honte de voir échouer un plan qu’il a dressé lui-même.
Il faut aimer la fortune et ne pas la dissiper comme tu le fais.
Ce dernier conseil déplut à Cheikou Amadou.
— Pourquoi veux-tu que je thésaurise ? dit-il à Guéladio. Ne sais-tu pas que les biens de ce monde sont périssables et qu’inévitablement il faut, au seuil de la tombe, renoncer à toutes les richesses amassées durant la vie ?
— Je ne t’ai pas dit, reprit Guéladio, de rechercher la fortune pour toi-même. Mais tu veux fonder une Dina. Elle ne peut prospérer que si tu gagnes les hommes à ta cause et si tu les retiens près de toi.
— Certes oui, concéda Cheikou Amadou.
— Or, les hommes aiment l’argent, continua Guéladio. Même ceux qui ne l’adorent pas ne peuvent s’en passer. Il te faut donc amasser une fortune, non pas pour ton plaisir, mais pour attirer les hommes dont tu auras besoin. Tu as gagné des batailles, mais ta victoire ne sera définitive et ta domination affermie qu’autant que tu auras des biens à répandre autour de toi. Mon père HamboDédio avait coutume de dire : « donnez-moi de la fortune et je ferai de la terre ce que vous voulez qu’elle soit. S’il a réussi à épouser la fille de Da Monson, c’est que son or avait lesté les langues qui auraient pu dire non.
— Tu as raison, dit Cheikou Amadou. La Dina aura son trésor, mais moi, j’ai fait vœu de pauvreté.
Comme on le voit ici, Gelaajo aurait été influent dans la sélection de l’emplacement de la future capitale de la Dina, « Hamdullaye », à mi-cheval entre le Kunaari, le Macina, et pas si loin du Hayré. Gelaajo invitait ainsi Sékou Ahmadou Lobbo à s’établir plus près de lui, mais dans un site facilement défendable et moins enclavé que le Sébéra initial. Une entente existait ainsi, entre Gelaajo Hambodeejo, figure de l’ancien ordre, et Sékou Ahmadou, porte-étendard du nouvel ordre islamique. Mais cette entente cordiale n’allait pas durer, car la révolte de Gelaajo Hambodeejo Dicko, qui allait « durer sept ans » selon la transition, est un des évènements qui allait faire trembler l’empire peul du Macina
La révolte de Gelaajo contre l’ordre nouveau des clercs
1235 AH- 1819/20: Gelaajo Hammadi Bodeejo se rend à Tombouctou pour rencoontrer Cheikh Sidi Muhammad
1240AH- 1824/25 Révolte de Gelaajo Hammadi Bodeejo
Source: Tarikh Fittuga de Cheikh Isma’il Wadi’at Allah/Yerkoy Talfi
L’entente entre Gelaajo Hambodeejo et la Dina ne fut pas longue. Le nouvel ordre voulait soumettre l’ancien, en établissant un nouveau commandement soumis à Sékou Ahmadou et aux Quarante marabouts du Batu Mawdo.
Chaque région était dirigée par un amiru, qui était en même temps un chef de guerre pour le compte du laamu Diina. Les amiiraabe étaient assistés de conseillers juridiques et devaient rendre compte au Batu Mawdo/Sékou Ahmadou, qui constituaient l’autorité suprême.
Comme on le sait, Ousmane Bokari Sangaréavait été proclamé Amiiru Mangal à l’aube de Noukouma, et fut celui qui commandait la province du Dienneri. Il résidait à Djenné mais ses troupes étaient garisonnées à Sénossa, Wakana et Ngounya, surveillant le Niger, et la frontière ouest avec Ségou et le Saro.
Bori Hamsalah (Bokari Hammadoun Salah),qui avait été à la tête des troupes à Noukouma, fut proclamé Amiiru Macina,avec résidence à Tenenkou, à la suite de la déchéance de l’Ardo Ahmadou, ennemi de Sékou Ahmadou, et de la soumission à la Dina de Ardo Ngouroori Diallo, primus inter pares des Arbe avant la Dina. Bori Hamsalah commandait de Diafarabé au lac Débo, proche de la zone inondée et des bourgoutières tant désirées.
Le Fakala, était commandé par Alfa Samba Fouta Ba, de Poromani. Il sera secondé par le neveu de Sékou Ahmadou, Ba Lobbo Barryet par son fils Maliki Alfa Samba.
Gouro Malaado, un autre neveu de Sékou Ahmadou commandait le Hayré, et surveillait les frontières est du nouvel état. C’était un grand commandement, constituant la marche avec le Hombori, le Jelgooji, le pays mossi et samo, et Gouro Malaado était secondé par plusieurs porteurs de tambour [« joom tuube] comme Alfa Seyoma qui résidait entre Dalla et Douentza et Moussa Bodeejo, qui résidait à Aribinda.
Le Farimaké/Fittuga/Gimballa était commandé par Alhaji Moodi, un cousin de Sékou Ahmadou, et connu comme spécialiste de la guerre de razzias contre les Touareg et les Maures. L’Amiiru Nabbe e Dude commandait cette région des lacs, restive à l’autorité centralisatrice de Hamdallaye.
Dans cet ordre naissant, Gelaajo Hambodeejo ne fut pas choisi parmi les cinq amiraabe initiaux, mais ses états furent subordonnés à l’autorité de l’amirou du Hayré et du Fakala-Kunaari. La Dina avait privilégié de mettre des chefs dont la confiance n’étaient pas en doute à la tête de ces 5 grands commandements; les chefs ralliés comme Gelaajo Hambodeejo et ceux de Wouro Nguiya, Attara, Farimaké, Sa, Dari, Konsa, Wakambé, Tégé, Kagnoumé, Poromani, Bambara Maounde, étant catégorisés comme des « joom tuube », ou chefs de deuxième ordre.
La rébellion de Gelaajo trouve certaines de ses origines dans cette nouvelle cartographie qui scinde ses états. La nomination de Gouro Malaado au Hayré avec autorité sur le Pignari, conquis par Gelaajo et à qui il était demandé, de céder cette conquête fut l’étincelle. À la suite de cette nomination, Gelaajo Hambodeejo aurait dit:
‘’Sans honneur, que ferais-je de la vie ? Mourir est une loi inévitable, mais se laisser honnir sans réaction, c’est manquer de courage et de vertu…’’
La chronique du Fittuga fait part d’une visite de Gelaajo Hambodeejo chez Cheikh Sidi Mohamed el-Kounti en 1820. L’évènement est assez notable pour être consigné dans les annales et le tarikh ne fait pas état des discussions. Ce vide est cependant comblé par la tradition orale qui fait exhaustivement état des tractations de Gelaajo entre Hamdallaye et Tombouctou, et des alliances qu’il essayait de contracter avec Boubou Ardo Galo du Macina, et avec Amadou Alfa Koudiadio, marabout du Farimaké, pour déclencher une grande révolte contre Sékou Ahmadou.
Les traditions rapportent que lors de sa visite à Tombouctou, Gelaajo aurait sollicité un marabout qui l’aiderait à traiter avec la Dina et sur les questions musulmanes à Sidi Mohamed al-Kounti, qui lui aurait envoyé un de ses disciples, Alfa Nouhoum Tayrou [ou Nuh b. al-Tahir, selon les clercs musulmans]. Alfa Nouhoum Tayrou, « ngel binndi » [l’écrivain en fulfulde] est passé à la postérité comme le coadjuteur de Sékou Ahmadou et comme l’un des théoriciens des bases de l’état naissant. Durant son service à Goundaka, au service de Gelaajo, Alfa Nouhoum Tayrou développa des relations avec le Batu Mawdo et Sékou Ahmadou, qui étaient séduits par sa science religieuse et par son talent littéraire. Gelaajo aurait été irrité par cette tournure des évènements et lui aurait dit, lorsqu’à bout de patience:
— Je m’aperçois chaque jour que tu es plus près, par le cœur, des marabouts de Hamdallaye que de moi. Tu prétends toujours que leurs instructions sont conformes au Coran et à la Sounna et tu trouves toujours que ma ligne de conduite est répréhensible. Je me demande si réellement tu défends bien ma cause. ».
Gelaajo, insatisfait de son conseiller religieux, aurait écrit une lettre au Cheikh Sidi Muhammad pour se plaindre et l’accuser d’être sur le point de renier son obédience à la Qadiriyya Kountiya, pour s’inféoder à Hamdallaye. Au-delà des accusations, cette tradition montre en fait qu’à cette époque les rapports entre les Kountiyya et la Dina étaient loin d’être établis, et que beaucoup de princes et musulmans de la boucle du Niger, s’appuyer sur des légitimités islamiques confrériques, pour contester l’ascendance d’Hamdallaye.
À la défaveur de Gelaajo, Cheikh Sidi Muhammad Kounti n’aurait pas apprécié ses insinunations. Il aurait écrit à Alfa Nouhoum Tayrou une lettre rapportée comme telle par Ba et Daget :
« Le serviteur d’Allah, Sid Mahamman, qui espère en la miséricorde de son créateur le Clément sans bornes, à son disciple, la perle brillante d’un collier magnifique, Alfa Nouhoun Tayrou, salut. Il nous est parvenu de la part de l’illustre fils d’Hambodédio, auprès de qui Allah a voulu que nous t’envoyions pour défendre et faire triompher le droit par la justice, que ton esprit est en train de s’obscurcir et tes pas, jadis si fermes, de chanceler. Nous ne pouvons ni croire à ta défaillance, ni douter du dire du fils d’Hambodédio, avant de t’avoir entendu. En conséquence, quel que soit le lieu où cette lettre te trouvera, pars immédiatement pour Tombouctou où nous te convoquons, avec le ferme espoir que nous ne t’y attendrons pas longtemps. »
Lorsque le porteur de cette lettre arriva au domicile d’Alfa Nouhoun Tayrou, celui-ci était sorti. Le messager attendit à la porte. Alfa Nouhoun Tayrou, revenant de la mosquée, allait rentrer chez lui quand l’envoyé de Cheik Sid Mahamman [Cheikh Sidi Muhammad Kounta] lui tendit la missive. Alfa Nouhoun Tayrou, piqué par la curiosité, l’ouvrit et en prit connaissance sur place. Les assistants virent ses traits changer au fur et à mesure qu’il lisait, mais ne pouvaient deviner les sentiments qu’il éprouvait. Surmontant son trouble, Alfa Nouhoun Tayrou après avoir achevé la lecture de la lettre, se tourna vers le messager et lui dit, souriant :
— C’est entendu.
Il tourna le dos à sa porte et dit à ceux qui l’accompagnaient :
— J’ai reçu de mon cheikh l’ordre d’aller à Tombouctou, et je m’en vais.
Il chargea un ami d’aller faire ses adieux à sa famille et de le rejoindre avec le nécessaire pour le voyage, puis il dit à l’envoyé de Sid Mahamman :
— Tu m’excuseras de manquer à ton égard aux lois de l’hospitalité, mais partons sans plus attendre pour Tombouctou.
La nouvelle du rappel d’Alfa Nouhoun Tayrou parvint à Hamdallaye. L’empressement avec lequel il avait répondu à la convocation de son cheikh plut beaucoup à Cheikou Amadou qui lui écrivit immédiatement une lettre. Un cavalier rapide fut chargé de la lui porter avant qu’il ne fut sorti du Kounari. Le cavalier rattrapa Alfa Nouhoun Tayrou et son compagnon à Bogo [au sud de Konna]. La teneur de la lettre, toujours d’après la tradition orale, était la suivante :
« L’humble serviteur d’Allah le Grand, le Clément, le Miséricordieux, Amadou fils de Hammadi, fils de Boubou, à son frère en Allah, le savant, le pieux Nouhoun Tayrou. L’oreille perçoit parfois ce qui ne lui est point destiné. Nous avons appris que le fils d’Hambodédio t’a desservi auprès de notre vénérable Cheik Sid Mahamman. Il accuse ton cœur de se pencher vers nous plutôt que vers lui. Nous souhaitons qu’Allah te lave d’une calomnie qui peut accabler ton cœur de chagrin. Nous te prions de venir à Hamdallaye, nous enverrons au vénérable Cheik Sid Mahamman des preuves indiscutables de ta bonne foi. Ta place est plutôt parmi les membres du grand conseil qu’auprès de Guéladio. Ce dernier cherche à te chasser du pays alors que nous, nous recherchons la compagnie d’une âme aussi pure que la tienne, car seules les âmes pures sont agréables à Allah. »
Alfa Nouhoun Tayrou écrivit à Cheikou Amadou pour le remercier de sa sympathie, mais il ajouta qu’étant de l’obédience de Cheik Sid Mahamman, il ne pouvait se rendre à Hamdallay sans ordre de son maître.
Cheikou Amadou aurait alors envoyé une longue lettre à Cheik Sid Mahamman, et y joignit une correspondance reçue par le grand conseil de Hamdallay et dans laquelle Alfa Nouhoun Tayrou défendait Guéladio . C’était une preuve éclatante qu’à aucun moment Alfa Nouhoun Tayrou n’avait trahi sa mission malgré les propositions avantageuses de Hamdallay. Cheikou Amadou terminait sa lettre en demandant à Cheik Sid Mahamman de lui affecter Alfa Nouhoum Tayrou puisque Guéladio semblait ne plus en vouloir comme secrétaire. Cette lettre fut confiée à une pirogue légère avec ordre de ne pas s’arrêter en chemin. L’envoyé de Hamdallay parvint à Tombouctou avant Nouhoun Tayrou. Cheik Sid Mahamman prit connaissance des documents qui lui étaient communiqués et s’en montra très satisfait. Il savait à quoi s’en tenir sur la conduite de Guéladio qui avait inconsidérément calomnié un homme irréprochable. Il écrivit à Cheikou Amadou et à Alfa Nouhoun Tayrou.
La pirogue rapide de Hamdallay, remontant le fleuve, croisa celle de Nouhoun Tayrou qui descendait. On remit à Nouhoun Tayrou la nouvelle missive de Cheik Sid Mahamman. Il la lut avec joie, mais ne put s’empêcher de dire :
— Cheikou Amadou est un adversaire terrible ; il m’a fait perdre l’occasion de revoir mon cheik.
Effectivement, Sid Mahamman donnait ordre à son disciple de retourner sur ses pas et de se mettre à la disposition de Cheikou Amadou pour l’aider à gouverner la Dina.
C’est ainsi qu’Alfa Nouhoum Tayrou rejoignit Hamdallaye où il allait devenir la deuxième personnalité du régime naissant au fil des ans, épousant même la veuve de Sékou Ahmadou [et mère de son successeur Ahmadou Sékou, v.1800-1851] et s’érigeant comme un des acteurs majeurs de la diplomatie de Hamdallaye.
Il est inutile de dire que Gelaajo Hambodeejo fut désappointé par ce retournement des choses. Mais sa détermination à conserver ses privilèges et son indépendance n’avait pas flanché. La question du Pignari et sa subordination à Gouro Malaado lui étaient resté en travers de la gorge. Il aurait tenu cette ferme résolution :
« Le Pignari est ma conquête. Je ne peux pas admettre qu’on le donne à Gouro Malado. C’est une marque de mépris vis-à-vis de ma famille. Me taire serait forfaire à l’honneur de Hambodédio. Le commandement du Pignari ne doit pas être attribué à un autre sans mon consentement. Or les marabouts ont pris leur décision sans me prévenir, même à titre d’information. Je n’ai au demeurant que ce que je mérite. J’aurais dû continuer à les combattre et mourir au besoin comme sait mourir un Arɗo. Mais je suis décidéà envoyer à Hamdallaye une lettre de protestation. La réponse que Cheikou Amadou me fera, décidera entre la paix et le silence ou le bruit de la poudre et le cliquetis des armes blanches. Puis il écrivit au grand conseil :« Avant l’avènement de Cheikou Amadou, moi, Gelaajo Hambodeejo, j’ai fait une incursion dans le Pignari ; j’ai battu le pays jusqu’aux portes de Doukombo . Cette région est mon domaine puisque je l’ai conquise. Je demande à ce qu’elle ne soit pas distraite du Kounari. Je m’élève contre la désignation de Gouro Malado pour la commander.».
Lorsque la lettre de Gelaajo fut reçue par le Grand Conseil, leur réponse éteignit tous ses espoirs et sonna le glas de leur entente.
« Il a été décidé par le conseil chargé de veiller sur la sécurité et la bonne marche de la Dina, qu’aucun homme incapable de lire, écrire et comprendre le sens d’un document écrit en caractères arabes, ne serait placé à la tête d’un territoire à plus de cinq jours de marche. Ton maintien comme chef du Kounari est une mesure exceptionnelle qui continue à être combattue par certains conseillers. Il est de ton intérêt et de celui des tiens de te tenir tranquille. Le grand conseil ne conteste ni ta naissance illustre, ni tes mérites militaires, mais il ne saurait être question de te donner la préséance dans une affaire où la valeur militaire et l’origine ne constituent pas des titres essentiels. On exige des chefs foi et science. Or sans t’insulter, ta foi est tiède et ta science est nulle.»
Gelaajo contracta des alliances au-delà, pour tenir tête à Hamdallaye. Selon le récit de Ba et Daget, Alfa Ahmadou Koudiadio avait été missionné par la Dina pour rallier le Farimaké, le Dirma et le Ndodjiga mais après ses conquêtes initiales, était entré en rébellion s’alliant aux Touaregs Tengerigrif de Woyfan, et aux Kel Tadmakkat en défiance à Hamdallaye obligeant. La Dina fut obligée d’envoyer une colonne dirigée par Alhaji Moodi pour le mettre au pas. D’une certaine manière la défiance de Gelaajo servait également ses intérêts. Il semble que Gelaajo tenta une dernière approche auprès de Cheikh Sidi Mohammed pour avoir une caution islamique à sa rébellion ; ce qui expliquerait peut-être l’annonce de sa visite au marabout kountiyou dans le Tarikh Fittuga en 1820. Mais ce fut également un échec ; Cheikh Sidi Muhammad conseillant à Gelaajo de se conformer aux exigences de la Dina, et de ne pas se rebeller.
Ainsi Gelaajo s’appuya simplement sur la force de ses armes, lorsqu’il déclencha sa rébellion qui aurait duré 7 ans [1820-1826] selon la tradition, et 2 ans [1824-1826] selon le Tarikh Fittuga. Il est possible que ces deux dates aient des références différentes et que la défiance de Gelaajo commença en 1820 pour prendre une tournure militaire à partir de 1824. Le Pereejo aurait tenu ces propos à son frère et confident Ousmane, avant d’enclencher sa rébellion :
Je suis revenu de Tombouctou plus morose que jamais. Je n’ai pas trouvé auprès du marabout Sid Mahamman le réconfort sur lequel j’avais fortement compté. Il me prédit le pire. Tu seras battu si tu fais la guerre à Cheikou Amadou, telle a été sa conclusion. Mais je ne me laisserai pas intimider. Sans honneur, que ferais-je de la vie ? Mourir est une loi inévitable, mais se laisser honnir sans réaction, c’est manquer de courage et de vertu. J’ai foi en ma chance. Je préfère périr, voir tous les miens mourir ou quitter le pays, plutôt que de me soumettre aux gens de Hamdallay qui font et refont des coupes territoriales en dépit de tout bon sens. Si je ne sais pas réciter le Coran, mon esprit est rompu aux tactiques de la guerre. Mes chevaux, mes sabres et mes lances me redonneront la préséance que les versets du Coran, dit-on, me refusent. Je ferai aux marabouts une guerre sans merci. Ils pourront avoir ma vie comme ils ont eu celle de mon cousin Arɗo Amadou [pris, livré aux marabouts et décapité par Hamdallaye, avec son corps jeté dans une mare du Mourari]. Mais auparavant, ils auront eu de moi des nouvelles sanglantes. Tant que tu vivras, toi, Ousmane mon frère, tant que mes lances ne seront pas émoussées ni mes chevaux déchaussés de leurs sabots, les marabouts ne dormiront pas sur leurs deux oreilles et ils ne réciteront pas tranquillement des passages de leur livre dans la salle aux sept portes qui fait tant leur orgueil.
Ousmane qui avait attentivement écouté son frère jusqu’au bout dit :
— Alors ce sera la guerre entre nous et les marabouts ?
— Oui, dit Guéladio, je vais déclarer la guerre aux marabouts.
L’Ardo Mawdo du Macina, Ngourori Diallo, approché par Gelaajo refusa de joindre la rébellion mais son frère Boubou Ardo Galo, était allé à Ségou pour demander au faama Da Monzon, un appui en or et en ressources, dans la révolte qui se préparait. Ainsi les marabouts devaient s’attendre à une rébellion massive dans le Farimaké et le Fittuga, dans le Kunaari et dans une partie du Macina avec Boubou Ardo Galo. Le maabo de Buubu Ardo Galo, Galo Segene, composait des satires insultant les marabouts et traitant Ngourori de couard et appelant les Arbe à la dissidence. Buubu Ardo Galo qui refusait de manger le « cengle issu de la sadaqat », aurait tenu ses propos à son frère :
— Tu peux rester à Hamdallay puisque tu y as élu domicile. Tu peux te faire inscrire sur la liste des marabouts car tu es rayé de celle des Arɓe. Ne compte plus sur le Macina. Puisque tu as renoncé à venger Arɗo Giɗaɗo, ma place est maintenant aux côtés de Gelaajo.
Buubu Ardo vainquit la cavalerie macinanké à Néné, et encore lorsqu’ils traversèrent le fleuve pour Tenenkou, jurant qu’il apprendrait la guerre aux marabouts en les frappant avec la chaine qu’ils utilisent pour les enfants apprenant le Coran.
Alors que Buubu Ardo Galo taillait en pièces les cavaliers de la Dina à Néné, Gelaajo exerçait une pression directe sur Hamdallaye proche de son Goundaka. Ousmane Hambodeejo, de Sio, bloquait l’accès à Hamdallaye, affamant les résidents de la nouvelle capitale, alors que Gelaajo appelait tout le pays au soulèvement. Plusieurs fois, les troupes du Kunaari vainquirent celles d’Hamdallaye, grâce à la sagacité politique de Gelaajo et à son réseau d’espions dans la boucle du Niger.
La mise en échec de la Dina obligea Sékou Ahmadou à solliciter les conseils de Bouréma Khalilou, un jawanndo de Hamdallaye à la sagacité légendaire et toujours en opposition avec Hambarké Samatata, le rigoriste accusateur public du Baatu Mawdo et ennemi de Gelaajo. Bouréma Khalilou, compromis dans la rébellion et mis aux fers, fut libéré et réinstallé dans le Grand Conseil après des années d’échec et alors que l’autorité de la Dina se réduisait comme une peau de chagrin. Celui-ci aurait dit appelé le Grand Conseil à plus d’humilité et de sens politique et rappelé que « savoir lire et écrire ne garantissait pas la vivacité de l’intelligence, la puissance de déduction, ni le don de la persuasion ».
Au conseil de guerre de la grave heure, Boureima Khalilou aurait été le dernier à parler rappelant la nécessité du secret pour les déplacements de la cavalerie macinanké. Amirou Mangal de Djenné, rappelé de Djenné, vint en appui à Alhaji Moodi, Bori Hamsala et à Alfa Samba Fouta, contre Gelaajo Hambodeejo. La conjoncture politique devait permettre la concentration des forces contre Gelaajo; la pression s’étant relâchée du côté de Ténenkou-Néné lorsque les colonnes de Hammadi Oumar Gouro vainquirent Buubu Ardo Galo et le tuèrent.
Toutes ces forces se reportèrent sur le Kunaari en attaquant Ousmane Hambodeejo à Sio pour désserrer l’étau autour de Hamdallaye, coupée de l’est. La cavalerie macinanké défait le blocus après un duel entre Ousmane Hambodeejo et Samba Abou, son ami d’enfance rallié à la Dina. Les deux amis se tueront au début de la bataille mais la mort d’Ousmane Hambodeejo avait déstructuré le commandement du Kunaari, et l’arrivée de troupes massives favorisant leur déroute pour Goundaka. La mort de Buubu Ardo Galo et celle de son frère Ousmane Hambodeejo perturbèrent Gelaajo qui lui aussi sollicita les conseils de Boureima Khalilou, conseiller de Sékou Ahmadou. Le conseil donné fut de quitter le pays car Hamdallaye ne comptait lui faire aucun quartier pour sa défiance.
Ce fut alors que Gelaajo réunit son conseil de guerre, pour savoir quelle conduite tenir. La décision de l’exil douloureux lui fut conseillée, dans l’espérance d’un retour; Goundaka étant trop proche de Hamdallaye et n’offrant pas les abris des contreforts du Hayre, la défiance devenait désespérée après les conseils de Cheikh Sidi Muhammad, et la défaite des alliés dans le Macina, le Mourari, et le Fariimaké. Le Kunaari en solidarité à son chef, se divisa : une bonne partie des gens du pays se décidant à subir la même fortune que leur chef. Gelaajo leur aurait dit :
— Ceux qui veulent m’accompagner me feront plaisir, mais je me séparerai sans rancoeur de ceux qui préfèrent rester ici.
Alors son maabo, Maabel Gelaajo, s’approcha :
— Fils d’Hambodédio, dit-il, ta mère est vieille ; elle ne peut suivre le fugitif que tu es à travers un pays inconnu où tu ne pourras peut-être avancer qu’en donnant des coups de lance ou en faisant parler la poudre.
Gelaajo se souvenant de la peur de Galo Segene, maabo de Buubu Ardo,qui dans les derniers moments fut pris d’une telle peur qu’il ne pouvait ni jouer de son luth, ni chanter les louanges de son maître, comprit que son maabo était sur le point de lui fausser compagnie.
Il le réconforta dans ses peurs et lui demanda de rester et de servir sa mère Welaa Takkaade, trop vieille pour l’exil incertain, et leur laissant des calebasses d’or pour leur entretien. C’est de nuit que le Pereejo quitta le Kunaari, passant par le Hayre, le Seeno et le Liptaako, alors que les troupes de Alhaji Moodi étaient à ses trousses, déterminées à venger les échecs qu’il leur avait fait subir. C’est à Béléhédé que ces troupes s’arrêtèrent dans leurs poursuites, n’osant pas franchir les états du sultan de Sokoto pour y poursuivre un fugitif. Gelaajo Hambodeejo reçurent l’hospitalité de Sokoto [plus spécifiquement du Gwandu d’Abdullahi dan Fodio, 1763-1828], et s’installèrent dans un « Nouveau Kunaari », entre Say et Torodi [Niger actuel] avec leur capitale à Ouro Gueladio [la ville de Guéladio]. Au fil du temps, l’adoucissement entre Sokoto et Hamdallaye favorisa également les relations entre Gelaajo et la Dina.
Wela Takkaade, la mère de Gelaajo fut invitée à vivre à Hamdallaye dans la concession même de Sékou Ahmadou Lobbo, ce qui constituait une propagande utile pour Hamdallaye face à un rebelle très populaire. Elle y vécut jusqu’à sa mort avec Maabel Gelaajo, et fut entretenue par la Dina. À son décès, furent découvertes les gourdes remplies de poudre d’or que Gelaajo lui avait données pour son entretien, et qui ne furent jamais déscellées. Ce fut Maabel Gelaajo qui expliqua l’origine de ce trésor aux curateurs; précisant que Wela Takkaade n’a jamais eu besoin de cet or vu que son entretien était pourvu par la Dina.
Ce fut ainsi que Sékou Ahmadou aurait écrit une lettre à Gelaajo, en ces termes :
« Moi Amadou Hammadi Boubou, par la grâce de Dieu imam de Hamdallay, au fils d’Hambodédio. Allah répand ses grâces et accorde le salut au sceau des Prophètes, notre Seigneur Mohammed le véridique, ainsi qu’à sa famille. Sache, ô Guéladio, que Dieu a rappelé à Lui ta pieuse mère. Elle est morte en paix et sur la voie de la rectitude. Je t’envoie, escortés par un groupe de cavaliers, les biens constituant sa succession. Celle-ci comporte, entre autres objets de valeur, une gourde scellée à la bouse de vache, que tu aurais offerte à ta mère avant de te séparer d’elle. J’espère que Dieu aidant, le tout te parviendra en bon état. Salut et condoléances de la part de tous. ».
Quand Gelaajo reçut la lettre et s’étant demandé si sa mère avait dédaigné son or, vu qu’on le lui retournait et ayant eu une explication de la chose, il aurait demandé aux émissaires de Hamdallaye de tout ramener au Batu Mawdo, et de verser l’or et les biens légués à lui par sa mère au trésor public et que cela soit distribué aux pauvres.
« Vous direz à Cheikou Amadou que je verse le tout au beyt el mâl en faveur des pauvres. Puisse ce geste valoir à ma mère et à moi la miséricorde d’Allah le Clément » »
Épilogue: « Mohamed » Gelaajo dans le « nouveau Kunaari »
En 1853, un voyageur allemand se faisant appeler « Abdel Karim » mais ayant pour vrai nom Heinrich Barth avait fait le trajet Tripoli [Libye] à Kukawa [au Nigeria] et ensuite Kukawa jusqu’à Sokoto. De Sokoto, il comptait se rendre à Tombouctou, où il sera logé par Cheikh Sidi Bekkaye el-Kounti (1803-1864), fils de Cheikh Sidi Muhammad (1765-1826), et peut-être à Hamdallaye. Dans cet itinéraire, il passa par Ouro Gelaajo [appelée alors Tshampagore] et fut reçu par Gelaajo Hambodeejo, qui était un vieux à cette époque. Il le décrit ainsi :
« Mohammed Galaïdjo était, lors de ma visite, âgé d’environ soixante-dix ans; de taille moyenne, il avait une physionomie fort agréable, à l’expression presque européenne.
Vêtu fort simplement, il ne portait qu’une tunique bleu-clair et avait la tête entourée d’un châle blanc. Galaïdjo, fils de Hambodedjo, succéda à son père, qui était sans doute le chef qui reçut avec tant d’hospitalité Mungo Park en 1805-1806, Ce Hambodedjo était alors le chef le plus puissant du Massina ou Melle, qui avait été divisé en une quantité de petits royaumes, depuis la chute de l’empire Sonrhaï; or, l’avénement de Galaïdjo au pouvoir, coïncida précisément avec le commencement du grand mouvement politique et religieux des Foulbe du Gober, mouvement dirigé par le réformateur Othman. Excité par leur exemple et enflammé d’une ardeur religieuse, il s’éleva Parmi eux un apôtre qui s’en alla répandre l’islamisme dans sa forme nouvelle, parmi la subdivision des Foulbe établie sur les rives du Niger supérieur.
Cet apôtre était Mohammed ou Hamed Lebbo. Au commencement de l’an 1233 de l’hégire (1818), il arriva dans le Massina, à la tête d’une petite armée enthousiaste et conclut une alliance avec Galaïdjo, qui embrassa lui-même l’islamisme (car son père était resté fidèle aux superstitions païennes); ainsi unis, ils entreprirent en commun la conquête des contrées voisines ; mais lorsque Lebbo se fut ainsi puissamment établi, il prétendit soumettre à sa domination son allié, sous prétexte que c’était lui qui avait levé, au berceau même du mouvement, l’étendard de la réforme.
Galaïdjo, qui se souciait peu de renoncer à ses antiques domaines, entra en lutte avec Lebbo et se vit forcé, après trois ans d’une guerre acharnée, d’abandonner sa capitale, Konari, et d’aller se chercher, avec le reste de ses partisans, une nouvelle patrie dans les parties orientales du pays. Il fut reçu à bras ouverts par le sultan de Gando, qui lui donna le gouvernement de la contrée vaste mais peu fertile, qui s’étend à l’ouest du Niger; c’est là qu’il est maintenant établi depuis une trentaine d’années »
Le récit de Barth nous vient d’une personne qui a vu et causé avec Gelaajo, qui l’a reçu dans sa maison. La perspective qui y est, différe légèrement de celle des traditions et pourrait constituer celle de Gelaajo suur les évènements qui l’ont amené à quitter son pays. C’est en ça qu’il est intéressant, toutes précisions gardées.
Aminata Wane dans son ouvrage sur Gelaajo apporte une tradition de l’historien nigérien Boubou Hama, disant que Cheikhou Oumar Foutiyou [1797-1864] aurait été reçue par Gelaajo, au retour de son pèlerinage. Peut-être que Heinrichi Barth a suivi le même itinéraire que celui du marabout, de Sokoto au Macina, avec plus d’une décennie de différences. Un fis de Gelaajo, Ibrahim Gelaajo Hambodeejo, étaiit noté parmi les alliés de Tidiani Alfa Ahmadou Tall, neveu de Cheikhou Oumar, durant sa reconquête du Macina entre 1864 et 1870. Gelaajo serait mort dans le Jelgooji en 1862, après la bataille de Cayawal, et alors qu’il espérait retourner dans son pays. Son exil fut permanent et il ne reverra jamais son Kunaari natal
Écoutons son dammol une dernière fois.
Nan !
1 Ayya Buubu, Accaa Buubu, Amina Buubu !
Entends !
1 Ayya Boûbou, Attia Boûbou, Amina Boûbou !
2 Kunta Buubu, Kunta Nguuroori Galo Haawa !
2 Kounta Boûbou, Kounta Ngoûrôri Galo Hâwa !
3 Pullo am mo ñaamaani gacce segene ñeeno jontaaɗo !
3 Mon Peul qui ne manque pas de donner au plectre son dû !
4 ɓe mbiya mo Gelaajo Ham Boɗeejo Hammadi Ham Paate Yella
4 On l’appelle Guélâdio Ham Bodêdio Ham Pâté Yella,
5 E Ndooraari, Pullo moorotoongal balamiinaaji
5 Le Ndôrâri (mouton de Dori), le Peul dont les tresses sont des balaminâdji [arbustes ligneux]
6 Cañcortoongal kure kaŋŋe !
6 Et qui les défait avec des fléchettes en or !
7 Kanko wiyetee joom sahre !
7 C’est lui qu’on appelle le maître de la ville
8 ɓe mbiya mo kuɗal daande maayo
8 Lorsqu’on l’appelait « l’herbe au bord du fleuve »
9 Sukubee ñukubee, sumataa ñaayetaake
9 Soukoûbé Gnoukoubé, Qui n’est ni brûlée, ni broutée,
10 Mboɗeeri dono feelaa, jennga suɓee aawdi
10 Mil rouge, héritier du mil blanc, sélectionné le soir,
11 Sabboree ngatamaare
11 Dans l’attente des premières pluies,
12 O wiya: ‘’mi ɓennii ɗoon !’’
12 Guélâdio disait : « Ma renommée dépasse tout cela ! »
13 Ɓe mbiya mo Weyse Baaye Buubu, Weleende Baaye Buubu
13 On l’appelait Weysi Bâyé Boûbou, Wélêndé Bâyé Boûbou,
14 Pulal Baaye Buubu sukkiɗi korlal
14 Le grand Peul Bâyé Boûbou, celui qui a la jambe poilue,
15 Yaaji larongal, juuti saalifaaji daande
15 Celui qui a la peau épaisse, qui a les muscles du cou saillants,
16 Saliima waɗde bitti reedu
16 Qui a refusé d’avoir des plis au ventre
17 A hoɗii e tule, a haɓaama e tule a haɓetaake
17 Tu as habité dans des collines, tu t’es battu dans des collines, tu ne te bats point
18 Leydi Idiriisa Bookar Hammooy
18 Au pays d’Idrissa Bocar Hamôye,
19 Yah ɗo nguli alaa ceeɗu
19 Va au lieu où il ne fait pas chaud en période d’extrême chaleur,
20 Jaangol alaa dabbunde.
20 Ni froid en hiver !
Pour aller plus loin
Ba Amadou Hampaté et Jacques Daget. 1975. L’empire peul du Macina (1818-1853), tome 1. Paris. Les Nouvelles Editions Africaines.
Barry, Ibrahim. 1993. Le royaume de Bandiagara, 1864-1993: le pouvoir, le commerce et le Coran dans le Soudan nigérian au 19e siècle (Thèse en histoire, EHESS: Paris).
Bradshaw, Joseph M. 2021. The Bandiagara Emirate: Warfare, Slavery and Colonization in the Middle Niger, 1863-2003. (Dissertation Thesis in History, Michigan State University)
Hama, Boubou. 1968. Contribution à la connaissance et à l’histoire des Peuls. Paris, Présence Africaine.
Le 16 mai 1862, le marabout foutanké Cheikh Oumar Tall pénétrait la silencieuse cité de Hamdallahi (“louange à Dieu’), capitale du royaume théocratique du Macina dans la boucle intérieure du Niger. Hamdallaye avait été fondée quelques décennies plus tôt, suite à la victoire du marabout Ahmad b. Muhammad Lobbo (v.1776-1845), plus connu sous le nom de Sékou Ahmadou, sur les arBe du Macina et sur leurs suzerains de Ségou. Hamdallaye reflétait l’ambition spirituelle de ceux qui l’ont fondé,et leur projet théocratique qui contrastait avec les états qui leur étaient contemporains, mais aussi avec la vision du rôle du “clerc” dans la gestion des affaires politiques. La réunion des rôles d’émir, de sultan et de Cheikh en la personne de Sékou Ahmadou tranchait avec les rapports reliant marabouts et souverains depuis la chute de l’empire de Gao en 1591. Le 16 mai 1862, Cheikh Oumar al-Fouti entrait dans une ville sans mur d’enceinte, abandonnée par ses habitants suite au désastre de Cayawal où la cavalerie macinanké céda le terrain aux fusils fuutanké. Son entrée marquait sa victoire sur le Macina après près d’une dizaine d’années de correspondances et de polémiques, d’accusations mutuelles et de combats isolés tels qu’à Kassakéri en 1856, où les prétentions macinanké sur le Bakhounou furent réglées à la suite d’une bataille. La campagne du Macina (1862-1864) est un épisode incontournable de l’épopée omarienne en grande partie à cause du conflit fratricide qui le caractérise:deux entités musulmanes et peules se sont affrontées sur le territoire de l’actuel Mali.
Cette campagne est caractérisée par la lourde défaite des Macinanké à Cayawal, bataille durant laquelle le roi Ahmadou mo Ahmadou (v.1830-1862) réussit à s’échapper avant d’être capturé et tué par Alfa Oumar BailaWane (m.1862). Les racines de ce conflit remontent à la déclaration du jihad faite par Cheikh Oumar sur des territoires jugés païens alors vassaux du Macina. Mais également d’une opposition dogmatique et de tensions entre Tijaniya et Qadiriya dans le delta intérieur du Niger, bien que décrit comme d’obédience qadirie, le pouvoir macinanké doit être vu comme un soufi, mais sans attachement direct avec une obédience. Le règne d’Ahmadou mo Ahmadou constituait aussi une transition générationnelle entre ceux qui ont connu Sékou Ahmadou et ont participé à son jihad et ceux qui sont nés et sont devenus adultes alors que le Macina était déjà un État consolidé. Une illustration de cette transition est la consolidation progressive du pouvoir de décision, qui était quelque peu partagé entre l’Émir et le Conseil des Quarante Marabouts [Batu Mawdo] qui siégeait au Jedidiwal [Salle aux 7 portes]. Le Grand Conseil était composé des marabouts qui s’étaient joints au jihad ou avaient rejoints la cause de Sékou Ahmadou Lobbo juste après Noukouma. Sous Sékou Ahmadou et son successeur Ahmadou Sékou (v.1800-1853; r.1845-1853), ce Conseil exerçait des fonctions législatives et exécutives, en validant toutes les nominations administratives de la Dina et en exerçant un droit de remontrance sur l’Émir. La démission de plusieurs de ses membres après 1853 et leur exil hors de Hamdallaye lui avait fait perdre son poids, perte facilitée par le caractère affirmé du nouvel émir, entouré de sa cour de jeunes guerriers et thuriféraires. La volonté du jeune émir Ahmadou mo Ahmadou [1833-1862 ; r.1853-1862] de contrôler les marabouts ainsi que et par les restrictions imposées par aux marabouts tijjanis, accusés de connivence avec El Hadj Oumar va créer un fossé au plus haut sommet de l’État, divisant les marabouts par rapport à l’action du marabout foutanké.. Cette volonté contrastait par exemple avec les écrits et le prosélytisme du Cheikh Sidi Mukhtar b. Yirkoy Talfi (v.1800-1864), disciple de Sékou Ahmadou et membre du Grand Conseil, devenu l’un des plus importants disciples de Cheikh Oumar au Macina. Cheikh Sidi Mukhtar b. Yirkoy Talfi s’est distingué par ses querelles avec le marabout qadri Sidi Ahmed Bekkay al-Kounti (v.1803-1865) sur la Tijaniyya. Les rapports entre l’émir du Macina avec le marabout kounti ont été froids voire hostiles au début de son règne, mais les deux figures vont se rapprocher face à l’avancée devant le Kaarta et Ségou, et aux prétentions de Cheikh Oumar al-Fouti.
Bien avant l’entrée de Cheikh Oumar à Hamdallaye, une querelle l’opposant à l’émir Ahmadou Ahmadou suite à sa conquête de cette région et du rôle joué par un dissident de Hamdallaye, l’ardo Sambouné Boly (m.1862), chef des Peuls Wolarbe. Cette querelle se poursuivra, portant soit sur la conversion supposée du faama de Ségou, Ali Diarra (r.1856-1861), ou sur des points de droit islamique. Elle trouvera un écho à Hamdallaye parmi les marabouts sensibles à l’érudition de Cheikh Oumar al-Fouti. En prélude à la bataille de Cayawal [1862] qui marquera la fin de l’empire peul du Macina, plusieurs marabouts membres du Batou Mawdo [Conseil des Quarante] du Macina dont Sidi Mukhtar ibn Yirkoy Talfi et Hammadi Sanfouldé firent défection et rejoignirent les Foutanké.
Suite à sa mort Ahmadou mo Ahmadou est devenue une figure étrange. Les historiens et hagiographes tendent à l’accabler pour tous les maux qui ont amené à la destruction de la Dina. Il est aussi défendu par ceux qui voient en El Hadj Oumar un conquérant, responsable de la destruction d’une autre théocratie et des troubles qui caractériseront le delta intérieur de Cayawal jusqu’à la colonisation française. Ahmadou mo Ahmadou est devenu émir un peu par effraction, suite à la mort prématurée de son père Ahmadou Sékou (v.1800-1853), le 27 février 1853, qui a amené des querelles de succession entre ses oncles Balobbo (v.1800-v.1880), le puissant amirou du Fakala et du Macina soutenu par ses troupes, et Abdoulaye Sékou Ahmadou (v.1810-v.1858), le gouverneur civil de Tombouctou soutenu par les marabouts. Ahmadou Hampaté Ba et Jacques Daget notent aussi la candidature de Muhammad Sékou Ahmadou, qui commandait le Hayré avec pour résidence Douentza; sa candidature a pu diviser les chances de son ainé Abdoulaye Sékou dont la science était reconnue.
C’est la candidature d’Ahmadou mo Ahmadou qui réconcilia ces parties, et en quelque sorte la famille émirale. Dans un souci de raffermir ces liens, il épousa très vite trois de ses cousines:
Aissata, fille de Balobbo;
Fanta, fille d’Abdoulaye Sékou
et Fanta, fille d’un autre oncle Mahmoud Sékou Ahmadou, qui mourra à Cayawal en 1862.
Selon Hiénin Ali Diakité, Ahmadou mo Ahmadou “a fait ses études auprès de son grand-père le fondateur de la Dīna Sékou Amadou. Il aurait suivi une partie de sa formation chez Alfa Souleyman al-Fūtī, qui sera l’un de ses conseillers. Parmi ses instructeurs on cite Alfa ‘Abd al-Raḥmān Dieta et Alfa Bokari Karabenta. Certainement Ahmadou Ahmadou avait les connaissances islamiques de base comme de la majorité des personnes de sa génération. Cela dit, son niveau d’instruction n’est pas connu. Il était plus passionné par l’exercice militaire que par la quête du savoir. À l’âge de 15 ans il suivait déjà son oncle, le lieutenant Ba Lobbo, dans ses expéditions militaires. Sa bravoure et son courage ne font aucun doute”.
Ahmadou mo Ahmadou n’a pas de biographe et les sources sur ces évènements tendent à émaner de sources proches du monde foutanké. On entend sa voie et sa vision un peu dans le “Bayyan ma waqa’a ma bayna Cheikh Oumar wa ila Amir Ahmad” (Voilà ce qui est arrivé entre le Cheikh Oumar et l’émir Ahmad) rédigé par Cheikh Oumar (ou sous sa direction) pour décrire sa querelle avec l’émir Ahmadou et justifier la guerre menée contre lui. L’histoire ne lui a pas toujours fait justice en ce sens. La plupart des érudits de l’époque militèrent pour la médiation entre les parties; l’enthousiasme suscité par les campagnes contre le Kaarta (1854) et Ségou (1859-60) fut absent cette fois-ci.
Toujours est-il que bien avant Cayawal, une longue correspondance a eu lieu entre ces deux figures et des tentatives de médiation.
La chronique du marabout Abdoulaye Ali décrit ainsi une mission macinanké à Sansanding un peu avant la campagne de Ségou (1859-1860).
“À Sansanding, le Cheikh [Cheikh Oumar] fut visité par des messagers qui avaient avec eu une lettre de la part d’Ahmadou Ahmadou. Le roi du Macina informa Cheikh Oumar qu’il n’avait pas le droit d’attaquer Ali Oïtala [roi de Ségou entre 1856 et 1860], son vassal. Le Cheikh répondit en retour que cette affirmation était fausse, car le roi de Ségou n’était en aucun cas sous l’autorité du roi du Macina. Il indiqua également qu’il continuerait de considérer ce prétendu vassal comme son ennemi, car il (le roi de Ségou) avait à plusieurs reprises envoyé des troupes pour l’attaquer au Kaarta. Il informa les messagers du Macina qu’il poursuivait ses troupes dans un but de vengeance personnelle, qu’il continuerait d’agir de la sorte, tout en affirmant que c’était l’unique raison de sa présence dans ce pays. “De plus, ajouta Cheikh Oumar, tu as toi-même, Ahmadou Ahmadou, montré une hostilité évidente envers ma personne par tes actes d’agressions. En effet, tu as envoyé Abdullahi Bori Hamsala [Abdoulaye Bokari Hammadoun Sala commandait l’armée macinanké battue dans le Bakhounou à Kassakéri en 1856. Il était l’un des principaux généraux du Macina] avec une armée contre moi dans le Bakhounou, Dieu seul a détruit son armée et l’a empêché de mener à bien sa mission.” Le Cheikh Oumar confia ce message à un disciple nommé Thierno Haimoutou qui parla en privé avec les messagers du roi du Macina. Thierno Haimoutou revint de sa mission sans pour autant rapporter de réponse claire de la part d’Ahmadou Ahmadou. Peu de temps après, le roi du Macina envoya son oncle Balobbo [v.1800-v.1880] à sa tête d’une armée à Diolume. Un homme nommé Nouhou qui accompagnait également cette armée apporta une lettre à Cheikh Oumar qu’il lui donna à Sansanding. Voici le contenu de cette lettre:
“Je te donne le choix entre te soumettre à moi, ce qui est la chose la plus appropriée que tu puisses faire, ou de retourner dans le pays d’où tu es venu. Je vous accorderai trois jours pour vous soumettre ou pour faire vos bagages, seller vos chevaux les plus rapides et préparer vos meilleurs guerriers, car j’enverrai une armée de jeunes hommes âgés de 20 à 25 ans pour vous combattre. C’est en faisant référence à des gens comme vous que le Prophète (le salut éternel de Dieu soit sur lui) a une fois ordonné de tuer tout le monde.”
Lorsqu’il a entendu cet ultimatum, Cheikh Oumar répondit: “Je peux à présent voir que tu es devenu un infidèle, car tu n’es pas si loin de calomnier le Prophète (Paix et Salut sur lui). Contrairement à ce que tu prétends, le Prophète a dit qu’il était licite de répandre le sang des calomniateurs comme vous dans des torrents. Dans son Idhata Dujina, l’auteur a écrit les versets suivants: “Quiconque nie les faits se ment à lui-même devient un infidèle.” “Quiconque affirme ce qui est interdit, comme si cela était permis, devient un infidèle, car les choses formellement interdites ne sont un mystère pour personne.”
Nouhou partit pour Ségou après cette réponse.
Le lendemain matin de cette opposition El Hadj Oumar mit Ardo Ali [Ardo Aliou Ndiérébi] à la tête de ses troupes qui marchèrent contre les guerriers du Macina qui avaient unis leurs forces à celles de Ségou chaque section divisée en fonction de son origine. La bataille battu son plein jusqu’à la tombée de la nuit. El Hadj Oumar ordonna à ses soldats d’attendre de l’autre côté du fleuve jusqu’à la levée du jour. Le matin venu, les Foutanké poursuivirent les habitants de Ségou jusqu’à Kirango. Ils les combattirent dans la partie la plus chaude de la journée. Puis un messager du Cheikh nommé Ahmadou Tafsirou arriva et leur ordonna de retourner à Sansanding. Quand ils revirent à Sansanding, ils allaient traverser le fleuve lorsqu’un autre messager arriva de la part d’El Hadj Oumar muni de son fusil leur ordonnant de ne pas retraverser le fleuve. Ardo Ali a ensuite conduit les guerriers foutanké à Diolume, où l’armée du Macina s’était regroupée. Ils combattirent et vainquirent les soldats du Macina, tuant un grand nombre d’entre eux et prenant aussi grand nombre de captifs. Ardo Ali retourna ensuite Kirango chargé du butin. Dix jours après ce succès, Cheikh Oumar rejoint ses troupes à Kirango. Il y resta trois jours puis partit pour Mbebala, non loin de Ségou (5 à 6 kilomètres). Il y campa pour la nuit. Cette même nuit, Ali Oïtala (roi de Ségou) s’enfuit vers l’Ouest. Le lendemain matin, un samedi correspondant au 27e jour du mois de Sha’ban en l’an 1277 de l’Hégire [10 mars 1861]. El Hadj Oumar se rendit à cheval en direction de Ségou-Sikoro.
El Hadj Oumar les a poursuivis pendant trois jours complets. Ahmadou Yero Ba reçu ensuite le commandement des troupes. Il tomba sur Ali Oïtala à Toura où il attaqua le village en tuant de nombreux hommes et faisant un grand nombre de prisonniers, dont toutes les femmes et les enfants du village. Cependant, Ali Oïtala lui-même réussit à s’échapper. Il est dit que le butin était si grand qu’il fallut une semaine entière pour le distribuer aux Foutanké.
El Hadj Oumar donna ensuite le commandement des troupes à l’un de ses meilleurs disciples, nommé Muhammad Seydiyanke. Il traversa la rivière Bani à et se rendit à Diebe où Ali Oïtala s’était réfugié. Il attaqua le village, tua de nombreux habitants et prit beaucoup de captifs. Il saisit également une grande quantité de marchandises dont des pièces d’or et d’argent. Pourtant, Ali Oïtala réussit à se sauver une fois de plus. Le Cheikh envoya ce même disciple pour le retrouver, cette fois ci au village de Fofana qui fut également attaqué, et plusieurs de ses habitants tués ou asservis. Mais l’insaisissable Ali de Ségou s’échappa encore. Muhammad Seydiyanke le poursuivi avec ardeur pendant trois jours entiers, le suivant au-delà de Ségou jusqu’aux portes du Macina. Au cours de cette extraordinaire chasse à l’homme, Muhammad Seydiyanke saisit le cheval d’Ali Oïtala, ainsi que sa couronne royale ornée d’amulettes en or. En outre, il prit douze autres objets en or ou en argent. Il réussit également à prendre 2 000 bovins avant de retourner auprès d’El Hadj Oumar à Ségou-Sikoro.
Ahmadou Ahmadou ne pouvant plus tolérer ces attaques répétées sur les villages de Ségou et son vassal Ali Oïtala renvoya un de ses ambassadeurs auprès d’El Hadj Oumar pour lui proposer de conclure leur conflit dans des conditions mutuellement acceptables. El Hadj Oumar refusa son offre en ces termes: “Je ne pardonnerai jamais les attaques et les provocations multiples que j’ai subies de votre part, et je n’oublierai jamais le sang musulman qui a été versé à ces occasions. En la matière, je ne me soumettrai qu’à la décision souveraine du prophète. Lui seul peut juger entre nous et déterminer s’il est possible d’annuler vos nombreux délits contre moi. Lui seul peut décider lequel d’entre nous vivra et lequel d’entre nous mourra. Cette affaire doit donc être jugée par un tribunal qui nous jugera selon la loi du Prophète.” Cette réponse fut donnée à Thierno Khalidou qui accompagna les ambassadeurs d’Ahmadou Ahmadou”
Il semble probable qu’une autre médiation ait été essayée entre les parties avant la campagne du Macina. La sélection des ambassadeurs répondait à plusieurs critères: impressionner les guerriers d’Hamdallahi, montrer la force des Foutanké et séduire les marabouts macinankobé et les amener à militer pour la paix. En effet durant cette mission, plusieurs copies de la Safinatu-Saada, un poème écrit par Cheikh Oumar célébrant le Prophète fut distribué aux marabouts macinankoobe. La sélection des ambassadeurs est décrite d’une manière très imagée dans le Daarol de Kalidou Ba recueilli par Samba Dieng
747. Ali courut et se dirigea vers Hamdallahi.
748. Il y trouva Ahmadou Ahmadou,
749. Entouré par les griots musiciens jouant le “Seygalaré”,
750. Lui disant: Ahmadou Ahmadou!
751. A la paresse de fuir, à la paresse de se cacher.
752. Possesseur des boeufs et des flèches rouges.
753. A ce moment, Ali arriva.
754. Ali Woytêla dit: Peul
755. Ahmadou Ahmadou lui répondit: oui.
756. Il dit : « A Bori kana »
757. Il lui dit: qu’est-ce que tu racontes?
758. Il lui dit: “A bori kana “
759. Il lui dit : j’ai combattu un marabout, il m’a chassé, je viens me réfugier auprès de toi
760. Il dit: Peul?
761. Ahmadou Ahmadou lui dit: oui.
762. Il dit: Allah. C’est un ou deux?
763. Il dit: Allah. C’est deux ou un ?
764.Ahmadou Ahmadou lui dit: Allah, c’est un seul Dieu.
765. Il n’a point enfanté. Il n’est point enfanté.
766. Il n’a pas de petit frère. Il n’est pas le petit frère de quelqu’un.
767. Il lui dit: donc puisqu’Allah est unique.
768.Il lui dit: oui.
769. Il lui dit: Dieu seul sait celui que tu adores.
770. Mais c’est le marabout à la gourde qui est avec Allah.
771. Cela m’est évident.
772. Il dit: Ahmadou Ahmadou?
773. Ahmadou Ahmadou lui dit: oui.
774. Il dit: mais s’il y a deux Allah
775. Il lui dit: oui.
776. Il dit : vous vous courbez là en priant.
777. Mais vous n’adorez que le petit frère.
778. Le grand frère est avec le marabout toucouleur.
779. Ahmadou Ahmadou lui dit:
780. C’est ce petit habitant du Fouta qui t’a chassé.
781. Tu fuis comme une gazelle au milieu de la plaine, abandonnant ta
famille.
782. Par Allah, reste ici, je te protégerai contre Cheikh Omar.
783. S’il te dit un mot, je le renverrai jusqu’au Fouta-Toro.
784. C’est là que le cadet de Adama Aysé Elimane Ciré
785. Samba Demba Ali Moutar Saïdou Boubou Ndiagnou
786. Quand arriva la nuit, il leur dit: Ô gens du Fouta!.
787. Ils-lui–répondirent : « Oui »
788. Il dit: vous avez chassé un païen. il est entré à Hamdallahi.
789. A présent qu’avez-vous décidé?
790. Ils dirent: puisqu’il est entré à Hamdallahi, allons-y.
791. Le souverain de Hamdallahi va le convertir. sinon nous allons l’égorger.
792. Il leur dit: Ô Fouta
793. Ils lui répondirent: oui.
794. 11 leur dit: un Imam n’attaque pas son homologue sans l’avertir.
795. Le soleil se coucha. le cadet d’Adama Aysé Elimane
796. Ciré Samba Demba Ali Moutar organisa une séance de prédication.
797. Tout le Fouta s’y rassembla.
798. 11 dit : Ô Fouta ! Ô fils du Fouta !
799. Je recherche ici un preux hors pair,
800. Pour l’envoyer auprès de Ahmadou Ahmadou,
801. Qu’il parte pour mourir. qu’il ne parte pas pour vivre.
802. J’ai là une lettre, qu’il la porte pour moi à Ahmadou Ahmadou.
803. Mais si la personne se décide à partir,
804. Qu’elle parte pour mourir, qu’elle ne parte pas pour vivre.
805. Alpha Oumar Thierno Baïla [Wane] de Kanel se leva brusquement.
806. Il lui dit: Homonyme?
807. Cheikh Omar lui dit: oui!
808. Il lui dit: si tu rédiges une lettre pour l’au-delà et que tu me vois, tu as qui envoyer.
809. Il dit : le jour où je fis mes adieux à Kanel.
810. J’avais cent disciples à former.
811. J’avais cent personnes à nourrir.
812. Il dit: si tu me vois abandonner une telle maison pour te suivre.
c’est que je te suis par Allah; si je meurs j’entre au paradis.
813. Ecris mon nom. demain matin je verrai Ahmadou Ahmadou.
814. Il écrivit son nom et il s’assit.
815. Il dit: Ô Fouta ! Ô enfants du Fouta
816. Je recherche parmi vous un Torodo qui a mémorisé le Coran, pour
l’envoyer auprès d’Ahmadou Ahmadou?
817.Qu’il lise le Coran en sa présence et qu’il traduise ce qu’il a lu.
820. Qu’il ne troque pas la religion contre l’idolâtrie, le paganisme.
821. Mais que le candidat parte
822. En se disant qu’il va mourir,
823. Qu’il ne parte pas pour vivre.
824. Un Torodo appelé Ahmadou Almamy Alassane [Barro] se leva droit.
825. Il lui dit: oh Cheikh Omar ?
Cheikh lui dit: oui.
826. Il lui dit: tu es sûr et certain que d’entre tes trois cents marabouts
qui font la retraite spirituelle …
827. Il lui dit: oui.
828. Il lui dit nul ne me surpasse en Coran.
829. De grâce, écris mon nom. Demain matin, je verrai Ahmadou Ahmadou.
830.Parce que je ne t’ai suivi qu’à cause de la guerre sainte, si je meurs, j’entre au paradis.
831. Celui là aussi, il écrivit son nom.
832. Il leur dit: Ô Fouta ! Ô fils du Fouta !
833. Il dit: je cherche quelqu’un qui va pour mourir qui ne va pas pour vivre;
834. Capable de faire de la parade gymnique
835. Jeter son fusil en l’air, le reprendre avant qu’il ne tombe à terre.
836. Pour que je l’envoie auprès d’Ahmadou Ahmadou.
837. Pour que j’apprenne à Ahmadou Ahmadou que,
838. Ce n’est pas parce que je n’ai pas de combattants, que je ne lui ai pas livré bataille.
839. Qu’il n’échange pas la religion contre l’infidélité.
840. Bôtol Sawa Hako se leva bien droit.
841. Son coup de fusil tonna.
842. Il jeta son fusil en l’air.
Le bonhomme fit une parade, puis se posa à terre.
843. Le fusil vint, il l’attrapa au vol, du revers de la main.
844. Il dit: Ô Cheikh Omar
845. Cheikh lui dit : Oui Bôtol
846. Il dit : Mon Cheikh, tu veux simplement avoir une confirmation.
847. Mais si tu as quelqu’un de ma trempe, tu as qui envoyer.
848. Il dit: puisque la nuit que tu passas chez moi au Fouta, tu m’as trouvé avec quatre épouses peules,
849. Chacune d’entre elles étant plus belle que l’autre,
850. Recevait chaque fois plusieurs écuelles de lait dans sa case.
851. J’ai répudié toutes ces femmes.
852. J’ai offert à chacune sa dot.
853. C’est moi qui t’ai suivi à cause d’Allah.
854. Allah sait que celui qui a abandonné une telle maison
855. Est celui qui te suit [par Allah] sincèrement plus loyalement.
856. Par Allah écris mon nom.
857. Demain matin je verrai Ahmadou Ahmadou.
858. Il écrivit le nom de celui-là aussi.
859. Il leur dit: ô Fouta ! Ô enfants du Fouta !
860. Je cherche parmi vous un homme qui maîtrise le cheval,
861. Qui sait faire une belle démonstration sur son cheval.
862. Jetant son fusil en l’air, puis le rattrapant au vol,
863. Cheval au galop.
864. Jetant à la fois son pied gauche et son pied droit, les traînant.
tandis que son fusil ne tombe pas.
865. Montrant à Ahmadou Ahmadou
866. Que j’ai des combattants au sol,
867. Que j’ai des combattants à cheval.
868. Qu’il ne troque pas la religion contre l’infidélité.
869. Koly Mody Sy du Boundou se leva net.
870. Il lui dit: Ô Cheikh Omar !
871. Cheikh lui dit: oui.
872. Il lui dit : écris mon nom,
873. Demain, je verrai Ahmadou Ahmadou.
874. Il dit : quand tu vins au Boundou,
875. Tu trouvas que mon pére était roi.
876. Il attachait, emprisonnait, humiliait.
877. Tu sais, par conséquent, que celui qui a abandonné la royauté pour te suivre.
878. C’est celui qui t’a suivi loyalement par Allah.
879. Puisqu’il n’y a rien de plus délicieux que le pouvoir.
880. De grâce, écris mon nom.
881. Demain matin, en vérité.
Je verrai Ahmadou Ahmadou.
882. Il écrivit le nom de celui-là aussi.
883. Il dit: Ô Fouta ! Ô fils du Fouta !
884. Je cherche qui envoyer.
885. Qui va pour mourir.
886. Qui ne va pas pour vivre.
887. Qui ne regardera pas les lances rouges.
888. Qui traverse l’assemblée jusqu’à Ahmadou Ahmadou.
892. Si celui qui doit mourir tient celui qui doit vivre,
893. Celui qui doit mourir mourra, celui qui doit vivre vivra.
894. Qui est décidé à faire cela?
895. Alpha Oumar se leva, saisit violemment le col du boubou de Cheikh Omar.
896. Cheikh lui dit: Alpha, il ne s’agit pas de moi.
897. Il s’agit d’Ahmadou Ahmadou.
898. Il dit: mon Cheikh, quiconque te traite ainsi.
899. Ne craindra pas d’en user autant avec une autre créature.
900. Si quelqu’un craint Dieu, il ne saurait craindre la mort.
901. De grâce, écris mon nom.
902. Il écrivit le nom de celui-là aussi.
903. Il leur dit: je cherche quelqu’un qui sait bien parler.
904. Qui sait dire des choses agréables,
905. Pour qu’il suive ces fils du Fouta, volontaires.
906. Candidats à la mort pour demain matin,
907. Que l’orateur les exalte.
908. Car. même si un homme doit mourir, il est bon de le flatter
909. Qui peut exécuter une telle tâche?
910. Qui accepte de les exalter et d’affronter également la mort?
911. Farba se tut un bon moment.
912. Farba lui dit: dans ce cas, ton fils surpasse tout le Fouta en science
913. Envoie ton fils Ahmadou.
914. De tout le Fouta, ton fils est plus savant.
915. Car il est saint, fils de saint.
916. Il connaît tout ce qui est écrit
917. Il connaît tout ce qui n’est pas écrit.
918. Si tu recherches réellement quelqu’un, envoie-le.
919. C’est lui qui peut transmettre un tel message.
920. Cheikh Omar se tut.
921. Un bon moment après. Cheikh dit:
922. Ô Fouta ! Ô enfants du Fouta !
923. Je cherche quelqu’un qui sait bien parler,
924. Qui sait ce qu’il dit.
925. Qu’il suive ces enfants du Fouta volontaires;
926. Demain, qu’il les exalte afin que les poils de leur corps se lèvent,
927. Même si un homme doit mourir que ses poils se lèvent.
928. Je vais lui donner une mesure d’or.
929. Alors Farba Gouwa dit: écris mon nom.
930. Tu sais bien que je surpasse tout le Fouta en parole.
931. Tu sais bien que je parle mieux que tout le Fouta.
932. Ecris mon nom, demain matin je les verrai.
933. Il écrivit aussi le nom de celui-ci.
La mission fut un échec. La confrontation entre les deux parties fut inévitable comme le décrit Abdoulaye Ali,
“Le roi du Macina refusa de régler le conflit de cette manière. Alors El Hadj Oumar rassembla son armée, qui était alors composée de dix corps distincts et marcha en direction d’Ahmadou Ahmadou. Après dix-sept jours de marche, il tomba sur l’armée de Balobbo [Amirou du Fakala et du Macina, et oncle de l’émir Ahmadou du Macina] à Koningo. Il les mit en fuite et les poursuivis jusqu’à arriver dans un village nommé Poromani que Balobbo avait déjà quitté. Dans ce village, Ibrahim Ibn Hamma Maliki, qui était un autre des généraux d’Ahmadou Ahmadou, tenta également sans succès d’attaquer Cheikh Oumar qui passa deux nuits à Poromani.
Balobbo fut blessé lors du bref mais vif combat de Koningo [mercredi 7 mai 1862]. Après sa victoire, Cheikh Oumar marche à pas forcés, même durant la nuit, derrière la cavalerie macinanké afin d’occuper Hamdallahi. Ahmadou mo Ahmadou qui avait établi son camp à Djenné dépêcha son oncle Mahmoudou Sékou afin de stopper l’avancée sur Hamdallahi des Foutanké.
C’est dans un gorge boisée arrosée d’une mare issue de la dernière crue du Bani que les troupes de Mahmoudou Sékou trouvent les Foutanké ce vendredi 9 mai 1862. Selon Henri Gaden, Mahmoudou Sékou avait avec lui le Lam-Toro Hammé Ali Sall, qui s’était joint au jihad d’El Hadj Oumar avant de faire défection pour des raisons mystérieuses après la prise de Ségou. Les Foutanké se reposaient dans ce “Cayawal” arrosé après une marche de 40 kms mais lorsqu’ils furent reconnus, ils se mirent en ordre de bataille pour se préparer au combat.
C’est le matin du samedi 10 mai 1862 que le gros des troupes macinanké commandé par Ahmadou mo Ahmadou arriva en ce lieu. La bataille aura lieu peu après la prière de Zohr. Elle s’étalera sur plusieurs jours et fut coûteuse pour les deux parties. L’armée foutanké était composée de 30000 soldats alors que de Djenné, le Macina mobilisait près de 50000 soldats et fantassins pour contrer l’avancée foutanké, selon David Robinson. L’avantage des Foutanké est qu’il disposaient d’une armée aguerrie par dix ans de campagnes et disposant de fusils. Les Macinanké avaient une cavalerie de choc et une meilleure connaissance du terrain. Le combat commença le samedi 10 mai 1862, près du Bani, dans une dépression géographique ou “Cayawaal” en fulfuldé, nom qui servira à désigner la bataille pour la postérité. Elle fut marquée par les exploits de Kouroubatou “Batou” Dembelé, un sofa de l’armée toucouleur, qui mourut en duel au début de la bataille face à Yemgha du Macina. Les sofas perdirent beaucoup de leur membre en voulant récupérer son corps pour l’enterrer. Mais le héros de la bataille fut sans conteste Ahmadou mo Ahmadou aux furieuses attaques, qui couvrit le flanc ouest de son armée et qui faucha de sa main plusieurs soldats futanké. Pendant un moment, il fit pencher la bataille en sa faveur et par cela, le cours de l’histoire.
Selon Abdoulaye Ali,
[Cheikh Oumar] partit samedi en direction d’Hamdallahi. Ahmadou Ahmadou avait lui quitté Djenné pour rencontrer son adversaire au combat, se heurtant à lui vers deux heures de l’après-midi. Une terrible bataille s’ensuivit qui ne fut suspendue que par la tombée de la nuit. Du dimanche soir au lundi matin, Ahmadou Ahmadou envoya tous ses hommes avec des fusils dans le but d’essayer de surprendre les forces du Cheikh. Ils attaquèrent et causèrent la mort de beaucoup de Foutanké.
Lorsque les assaillants fuirent, El Hadj Oumar ordonna à Ardo Ali de se mettre à la tête des contingents du Tooro et de les attaquer. Le lendemain matin [dimanche 11 mai 1862], les deux camps se combattirent avec acharnement toute la journée avant de se séparer et de retourner à leurs camps respectifs.”
Après deux jours de bataille, les deux armées restèrent dans leurs camps pour lécher leurs blessures. Les Foutanké en manque de munitions, renforçaient leur camps et se pressaient de fabriquer des balles pour leurs fusils. Les Macinanké aussi éprouvés, léchaient leurs blessures; Ahmadou mo Ahmadou aurait fait appel à plus de renforts pour achever les Foutanké qu’il commençait à encercler dans leurs camps, en construisant une zériba autour d’eux. Ce fut une erreur stratégique. Selon Eugène Mage qui a parlé à des témoins de la bataille lors de son séjour à Ségou, les Foutanké manquaient de munitions et des attaques vigoureuses durant les journée du lundi 12 et mardi 13 mai, auraient pu faire pencher la balance. Le répit de trois jours leur fut bénéfique: le gros des troupes se reposa pendant que les forgerons construisaient des balles.
Selon Henri Gaden se basant sur les écrits de Muhammadu Aliou Thiam (v.1830-1911), un participant de la bataille, lors de l’assaut du 15 mai 1862, les Talibés avaient reçu l’ordre de tous se battre à pied, armés de leurs fusils, dans le but de mieux résister aux charges de la cavalerie macinanké. La tradition rapporte que seuls deux Talibés combattirent à cheval, refusant d’obéir: Ibra Bokar Thierno Mollé [Ly] de Thilogne et Koli Modi [Sy] du Boundou.
Eugène Mage rapporte qu’Ahmadou mo Ahmadou avait placé sa cavalerie derrière ses fantassins couchés en avant. Les Foutanké avancèrent sur ceux-ci jusqu’à cinquante pas avant de tirer une volée. L’infanterie macinanké peu habituée à faire face à des fusils fut vite culbutée alors qu’une bonne partie de la cavalerie lâchait prise. Les tentatives d’Ahmadou mo Ahmadou de rallier la cavalerie n’y firent rien: il fut blessé durant sa dernière charge avant de replier avec l’aide de ses rimaïbé (serviteurs). Son oncle et beau-père Mahmoudou Sékou voyant la défaite arriver et l’imminence de l’occupation de Hamdallaye, fonça devant l’ennemi pour y mourir.
La dernière phase de la bataille se déroula ainsi selon Abdoulaye Ali:
“El Hadj Oumar se reposa ensuite pendant trois jours et trois nuits. Le matin du quatrième jour, qui était un jeudi [15 mai 1862], il organisa son armée pour la bataille et continua sa marche vers Hamdallahi. L’armée peule du Macina battit en retraite devant lui, repoussée dans la même direction. Le Cheikh Oumar continua à avancer jusqu’à rencontrer l’ennemi macinanké. Au cours de ce combat, le roi Ahmadou Ahmadou fut blessé et placé dans une pirogue pour le transporter. Les Foutanké passèrent la nuit du jeudi au vendredi à Dio. Le lendemain matin, il entra à Hamdallahi. Les Nguenarbe (du Ngenar) marchèrent devant lui dans la ville. Vinrent ensuite les Yirlaabe, suivis de loin par les Tooroobe (gens du Tooro) puis les contingents de Murgula. Le Cheikh lui-même entra à la fin de la procession avec ses serviteurs personnels et diverses troupes. Il ne s’arrêta que lorsqu’il arriva à la maison d’Ahmadou Ahmadou où il logea. Cela se produit au cours de l’année 1278 de l’Hégire. Sans perdre de temps, El Hadj Oumar envoya un commando mené par Alfa Oumar Baila à la poursuite d’Ahmadou Ahmadou. Il était constitué de 1 600 cavaliers et fantassins. Alfa Oumar marcha toute la journée et la nuit sans s’arrêter. Il croisa le roi Ahmadou Ahmadou au village de Diré. Alfa Oumar le tua et a saisi tout ce qu’il avait avec lui, y compris son or et ses domestiques. Alfa Oumar revint sain et sauf, chargé de butin, louant et remerciant Dieu. Ce fut la soumission du Macina à El Hadj Oumar.”
Cayawal marque la fin de la Dina et le début de la gouvernance foutanké, qui ne fut jamais stable cependant. La mort d’Ahmadou mo Ahmadou en mai 1862 n’avait pas suscité de révoltes; au contraire, beaucoup de dignitaires macinanké dont Balobbo firent leur soumission au nouveau pouvoir publiquement à Hamdallaye peu après. Mais un an plus tard, lorsque Cheikh Oumar désignera son fils comme son successeur et montra sa volonté de ne pas restaurer les “Cissé” (nom maraboutique pris par la famille de Sékou Ahmadou) au pouvoir, une rébellion commença initiée par Balobbo (v.1800-v.1880) et Abdessalam (v.1820-1864) b. Sékou Ahmadou , oncles d’Ahmadou mo Ahmadou.
En effet en 1860 à Markoya et en 1862 à Hamdallahi, El Hadj Oumar désigne ensuite son fils ainé Ahmad al-Madani (v.1836-1897) ou Ahmadou Cheikhou comme son khalife et successeur et demande à tous ceux qui lui ont prêté allégeance de la renouveler auprès d’Ahmadou. Les habitants du Macina menés par le Cheikh de la voie soufie qadiriyya Ahmad el-Bekkay se révolteront contre El Hadj Oumar Tall le forçant à quitter Hamdallahi et de trouver refuge dans des falaises situées à l’est de la ville où il prophétisa néanmoins que le Macina sera gouverné par un homme lié à la Tijjaniya et non la Qadiriyya, et ce malgré leur rébellion. Il mourut à Deguembéré dans les falaises de Bandiagara en tentant de rejoindre son neveu Ahmed Tidiani Tall (1840-1888) qui levait une armée de secours pour mater la rébellion macinanke.
Les héritiers de Cheikh Oumar gouverneront le Macina jusqu’à la conquête de l’Empire omarien par Louis Archinard (1850-1932) lors de l’entreprise coloniale de “pacification” du Soudan occidental. L’héritage de la rejoint témoigne de ce conflit et en garde les marques, les relations entre Foutanké et Peuls et Kounta du Macina bien que relativement apaisées après un siècle de cohabitation n’étaient pas totalement cordiales entre les différents acteurs et clans.
“Les paroles du marabout Kounta m’avaient profondément remué. C’est à partir de ce jour que commença à se former vaguement en moi le souhait d’une réconciliation entre les trois grandes familles maraboutiques de mon pays, déchirées par trop de souvenirs de guerre, de massacres et de malédictions mutuelles : les Kounta de Tombouctou, les Peuls Cissé du Macina, et les Tall descendants d’El Hadj Omar. Cet espoir ne trouvera son accomplissement que cinquante-cinq ans plus tard dans la nuit du 20 au 21 juin 1977. En cette nuit mémorable, consacrée à la prière et à la lecture du Coran, les délégations représentatives des trois grandes familles maraboutiques, en présence de milliers de personnes et du chef de l’Etat lui-même, se rencontreront sur les ruines de la grande mosquée de Hamdallaye, l’ancienne capitale dévastée de l’empire peul du Macina, et s’y donneront la main en gage de réconciliation et de pardon solennel…”
Le témoignage d’Amadou Hampaté Ba (1901-1991), fils du Macina par son père biologique Hampaté Ba [apparenté à Allaye Bori Hamsala, un des généraux d’Ahmadou mo Ahmadou] et par sa grand-mère maternelle, mais également lié au Fouta Tooro par sa mère Kadidia Pullo, son grand-père maternel Paté Pullo Diallo et surtout par son beau-père et père adoptif, le toucouleur Tidjani Amadou Ali Thiam. Dans son livre “Oui mon commandant” est extrêmement enrichissant. Alors qu’il se trouvait à Mopti en 1920 en voyage pour prendre fonction à Ouagadougou, il fut demandé à Amadou Hampaté Ba de transporter à pirogue un marabout de la tribu des Kounta nommé Sidi Mohammed Lamine Kounta. Les Kounta, grande famille maraboutique de l’ethnie maure étaient sous la protection de Cheikh Ahmed el-Bekkay, seigneur de Tombouctou, que les Français ménageait. Après avoir transporté ce noble visiteur, ils campèrent dans un village non loin de là nommé Moura, où le Cheikh fut accueilli chaleureusement par les habitants. Sidi Mohammed invita ensuite Amadou Hampaté Ba ainsi que d’autres personnes du village à procéder avec lui à la visite d’un saint martyr (‘Abidine b. Ahmed el-Bekkay) enterré non loin de ce lieu. ‘Abidine b. Ahmed el-Bekkay (1848-1889) fut un farouche ennemi des Toucouleurs de Bandiagara auxquels Amadou était lié par le biais de son beau-père mais également de son Cheikh tijani Thierno Bokar Salif Tall (1875-1939) Sidi Mohammed s’adressa à lui en ces termes: “Bien que te sachant originaire de Bandiagara, j’ai accepté de prendre place dans ta pirogue. Certains membres de ma famille n’y auraient consenti pour rien au monde, mais je ne partage pas leur attitude. Pour moi, les différends qui nous opposent, et qui n’ont d’autre source que les conflits et convoitises de ce bas monde – conflits que l’on maquille, pour les justifier, aux couleurs de l’honneur ou de la piété religieuse – sont des erreurs regrettables qui ne devraient jamais opposer des croyants entre eux, Dieu a dit dans son saint Coran: “Les croyants sont des frères”. Pour moi, tu ne peux donc être un ennemi. Je te considère comme un ami, et cela d’autant plus que par ton père naturel Hampâté tu es du Fakala, dont les habitants sont traditionnellement amis et adeptes des Kounta.” Le jeune Amadou médita ces paroles pendant longtemps, pendant qu’ils se rendirent tout deux à Saré Dina où se trouvait la tombe du Cheikh Ahmed el-Bekkay, père de ‘Abidine. Sidi Mohammed resta quelques jours auprès de la tombe de son grand-père tandis qu’Amadou Hampaté Bâ et ses compagnons rentrèrent pour Mopti sans lui.
Cette rencontre marqua à jamais l’esprit d’Amadou Hampâté Ba, qui, soucieux de régler les différends du passé entre Toucouleurs, Peuls du Macina et Kounta décida d’oeuvrer en faveur de la réconciliation. Il s’exprime ensuite dans le livre en ces termes:
Pour aller plus loin
Amadou Hampaté Bâ et Jacques Daget. 1955. L’empire peul du Macina. (Les Nouvelles Éditions Africaines).
David Robinson. 1988. La guerre sainte d’al-hajj Umar. Paris: Karthala
Bintou Sanankoua. 1990. Un Empire peul au XIXe siècle : la Diina du Maasina. — Paris: Karthala et A.C.C.T.
Samba Dieng. 2018. “La Geste d’El Hadj Omar et l’Islamisation de l’épopée peule traditionnelle”. Thèse de doctorat d’état, Université Cheikh Anta Diop de Dakar).
Christopher Wise. 2017.”Archive of the Umarian Tijjaniyya” (Sahel Nomad Books).
Hiénin Ali Diakité. 2015. “Á propos d’une controverse inter-confrérique entre al-Mukhtār b. Yerkoy Talfi (1800-1864) et Aḥmad al-Bakkay (1800-1866).” Thèse de doctorat en histoire (École normale supérieure de Lyon).