Cet article a été originellement publié le 22 octobre 2019
Ce poème fait partie du corpus de documents du Fonds Archinard de la Bibliothèque nationale de France (BNF). Ce fonds porte le nom du “pacificateur” du Soudan français (l’actuelle République du Mali) et est constitué en majorité des documents de la chancellerie de Ségou, prise par les Français en 1890. Ségou a été pendant 30 ans (entre 1860 et 1890) la capitale de ce que les auteurs ont appelé l’ “empire omarien” ou encore l’”empire toucouleur” suite au jihad du marabout foutanké Cheikh Oumar al-Fūti b. Sai’d (c.1797-12 février 1864). El Hadj Oumar Tall était à la fois un khalifa de la Tidjaniya dans le bilad as-Sūdan, un résistant anti-colonial à l’expansion française dans son Fouta natal, un conquérant et bâtisseur de royaumes dans le Sahel occidental (Mali actuel). De 1850 lorsqu’il défait le royaume de Tamba (Guinée actuelle) à sa “disparition” dans les falaises de Bandiagara face à la révolte des Macinankoobe, El Hadj Omar a taillé dans son sillage les prémisses d’un nouvel état sur les ruines du Kaarta Massasi, du Ségou fannga des Ngolossi, et de la Diina du Macina entre autres. Mais ce sera à son successeur désigné, Ahmad al-Madani Tall (21 juin 1836-15 décembre 1897) de consolider cet empire, ce qu’il fera à partir de sa capitale, Ségou. Une bonne partie des archives de ce projet politique (ainsi que de celui de la Diina du Macina; 1818-1862) fut saisie et rapatriée en France suite à la prise de la ville par le colonel Archinard le 6 avril 1890, ainsi que la conquête des autres places fortes omariennes dans le Mali actuel, comme Koniakary, Nioro du Sahel et Bandiagara.
Le poème ci-dessous répond à un contexte précis: celle de la “disparition” de Cheikh Oumar al-Fūti et des raids des Awlad Mūbarak (ou Awlad Mbarek) du Hodh sur Nioro qui était alors gouvernée par Mūstafa, un affranchi de Cheikh Oumar. Il est une traduction d’un extrait de After the Jihad: the Reign of Ahmad al-Kabir in Western Sudan (1991) par David Robinson et John Hanson. Cet ouvrage est une tentative de reconstitution du règne d’Ahmad al-Madani Tall, le successeur d’El Hadj Omar, à partir des documents du Fonds Archinard de la Bibliothèque Nationale de France.
Pour ces deux auteurs, l’auteur du poème pourrait être le cadi de Nioro de l’époque Fodé Bouyagui Kaba Diakhité ou un marabout proche de la tribu des Mashzūf. Le fait que l’auteur souhaite la bienvenue aux Mashzūf à Nioro renforce l’hypothèse qu’il soit de Nioro. Il commémore la victoire des Omariens de Nioro contre les révoltés et magnifie les actions de Samba Oumou Hani Sall, Moustapha et Ahmad Mahmūd ould Moktar, l’émir des Mashzūf. Samba Oumou Hani Sall (m.1878) a été Lam-Tooro (chef de la province du Fouta-Tooro) dans le Fouta sénégalais, soutenu en cela par l’Almaami Ahmadou Thierno Demba Ly (qui était en outre un muqaddam d’El Hadj Omar) et le jaggorgal (ministre-électeur) Abdoul Bokar Kane (m.1890).
La période entre 1857 et 1863 a été une période de conflits entre la colonie du Sénégal dirigée par Faidherbe (1818-1889) et le Fouta-Tooro en proie à de fortes dissensions internes. Le rival de Samba Oumou Hani au Tooro, Ciré Gelaajo Sall, était soutenu par Faidherbe, qui essayait de faire accepter l’annexion du Dimar et du Tooro, les deux provinces occidentales du Fouta-Tooro. L’Almaami Ahmadou fut élu en juin 1862 avec comme mission de recouvrir ces deux provinces. Un mois après (juillet 1862) eut lieu la première bataille de Dirmbodya (ou bataille de Thiew) entre Français et Fuutanké. En Janvier-Février 1863 le successeur de Faidherbe à la colonie du Sénégal, Jauréguiberry, mena une campagne de ravages contre les résistants foutanké comme l’Almaami Ahmadou et le jaggorgal Abdoul Bokar afin de les neutraliser. Cette campagne est restée dans la tradition sous le nom de Duppal Borom Ndar (“Le ravage du gouverneur de Saint-Louis”), eut peu d’impact sur la situation. Ciré Gelaajo Sall fut pris et exécuté par les Fuutanke qui subirent d’importants ravages avec la destruction de plusieurs villages (dont Diaba la résidence de l’Almaami) et champs. L’hégémonie française sur le Dimar et le Tooro se consolida avec l’exil de Samba Oumou Hani à Nioro; alors que la colonie subit d’importants coûts financiers suite à cette campagne sans pour autant neutraliser les résistants.
En aout 1863, le Lam Tooro Samba Oumou Hani (m.1878) s’exilera à la tête de 150 combattants et de leurs familles à Nioro du Sahel. Les positions omariennes étaient alors menacées depuis juin 1863 par une grande révolte dans le Macina, Ségou et dans le Kaarta, qui entravait les communications entre ces différentes places fortes. Nioro était dans l’insécurité puisque les raids des Awlad Mubarak menaçaient mêmes les murs de la ville. Ces raids ne prendront fin qu’avec leur défaite suite à des combats menés par Samba Oumou Hani et Ahmad Mahmūd en juillet 1865. Cette défaite marque aussi le déclin de l’influence des Awlad Mūbarak dans le Hodh, au profit des berbères Mashzūf d’Ahmad Mahmoud ould Moktar, qui devinrent la principale force tribale, sous l’allégeance de Moustapha, gouverneur du Kaarta et du successeur d’El Hadj Omar, Ahmad al-Madani al-Kabir (1836-1897) de Ségou. Le déclin des Awlad Mubarak est mentionné dans les Chroniques de Néma et de Oualata mais le rôle du gouverneur Mūstafa, de Samba Oumou Hani et d’Ahmad Mahmoud n’y apparait pas. Cependant cette victoire est notée par le commandant de Bakel dans sa correspondance au gouverneur de Saint-Louis sur la situation politique dans le Kaarta. Le déclin des Awlad Mubarak marqua aussi l’expansion commerciale de Nioro du Sahel et du comptoir français de Médine, dans le Khasso. Les caravanes de gomme arabique venant du Sahel étaient protégées par les Mashzūf jusqu’à Nioro puis par les Omariens jusqu’à Médine, assurant la prospérité de ces deux pôles. En outre, ce nouvel état de fait dans le Hodh aurait favorisé l’installation de lettrés maures à Nioro du Sahel, actifs dans ce commerce, à partir de cette date.
Voici le poème traduit:
« Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux. Oh Dieu, priez sur notre bien-aimé Prophète (PSL)
Ce poème vous informe sur les évènements concernant les Awlad Mubarak qui commirent des actes d’apostasie. La majorité de la population du Bakhounou, comme les Kagoro et les autres, se joignirent à eux, de même que les gens de Fata et de Shita. Parmi eux, certains devinrent apostats et s’agitèrent.
D’autres cachèrent leurs intentions tout en protégeant les licencieux et les infidèles, en attaquant les musulmans qu’ils firent prisonniers et dépouillèrent de leurs biens, qu’ils mangèrent et burent avec eux [les Awlad Mubarak], en prenant plaisir à causer du mal aux fidèles. Ces gens étaient les Diawara et d’autres groupes qui leur ressemblent. Leur but était de détruire la religion de Dieu.
Mais Dieu n’accorda pas grâce à leurs desseins et voulut que sa Lumière les éclaire, même si les infidèles détestaient cela. Dieu leur fit goûter à la honte par la main des musulmans. Les Musulmans se mirent en campagne quand le feu [de leurs actes] brûlait fort et que leur iniquité devint célèbre. Ils croyaient qu’ils pouvaient gouverner sur eux, de par leur propre pouvoir. À cause de cela, Dieu ruina leurs fortunes militaires ainsi que leurs stratagèmes.
Avec les musulmans [omariens], marchèrent les jeunes des Ould Muhaymid, branche seigneuriale de la tribu des Mashzūf. À ce moment, il [le chef des Mashzūf Ahmad Mahmoud ould Moktar] se dirigea à Nioro où il campa. Il prêta allégeance à Moustapha et à ces disciples qui étaient avec lui. Nous nous joignîmes à lui [Moustapha] pour les discussions et la planification de la campagne.
Dieu nous assista, par notre victoire et par Son appui. Nous sommes humbles et c’est Dieu l’Unique qui a vu son plan triompher.
J’ai composé ce poème sur ce qui est arrivé à cette armée, durant la campagne qui a pris fin avec la déroute de l’ennemi. Je commence par mentionner le Sultan des Mashzūf et je dis :
After the Jihad: the Reign of Ahmad al-Kabir in Western Sudan (1991) par David Robinson et John Hanson.
Ô cavalier au cheval distingué qui vient et part,
Celui qui est loué parmi ses gens
De la descendance de Muhaymid et dont le nom est Muhammad
Et dont la préséance est reconnue parmi ses gens.
Il est l’intime et l’ami de Moustapha,
L’allié et le fidèle à la religion
Comme un lion, il blesse son ennemi mais il soigne,
Par sa médecine qui apporte de la joie.
Il est venu à nous avec ses gens et sur ses chevaux
Pies, beaux, nobles et sveltes.
Bienvenue, bienvenue, salutations à notre bien-aimé,
Tu as combattu pour nous et nous avons triomphé, et la joie se répandit.
Avant cela, tu étais dans l’incertitude et la tristesse
Concernant nos rapport et notre sécurité [mutuelle] était fragile.
Mais aujourd’hui, tu es passé sur nos terres
Et tu as vu comment nos maisons et lieux étaient désertés [dûs aux raids des Awlad Mubarak]
Ta venue nous a été bénéfique, et ta présence parmi nous
Nous a renforcés, et notre ennemi a été défait.
Les Awlad Mubarak, les Kagoro et les gens de Fata,
Le jour de la bataille, il les a laissés morts et en déroute
Leurs femmes, enfants et esclaves,
Ont tous été faits prisonniers.
La religion abhorre ceux qui sont comme eux,
Répondre par une telle manière est la plus appropriée.
Avant que tu ne les réduises à la ruine, ô Moustapha,
Tu as dû subir leurs insultes et autres libertinages.
Vraiment leur conduite a été honteuse et disgracieuse,
Le jour de la Résurrection, ils seront rassemblés
Ils seront comptables de ce qu’ils ont faits et compté faire
Ils feront face au désastre et à la destruction, ce jour de Punition.
La religion, Dieu l’a renforcée par Sa victoire
Et par Ses hommes dont les péchés sont absous.
Leur commandant, Lam-Tooro Samba, à leur tête
Un brave lion, voyez-le à la bataille,
Béni par sa jeunesse, sa bonté et les mérites du jeune âge,
Il a une conduite digne, il n’est jamais injuste
Quand son armée s’approcha de celle de l’ennemi,
Il fit lever ses étendards et s’apprêta à l’envol,
Ils attaquèrent l’ennemi comme le faucon fond
Sur les poules qui rasent les murs.
Ils les rencontrèrent avec une attaque soudaine,
Et brisèrent leurs rangs, les firent fuir immédiatement.
Leur conclave se termina et leur cause s’effondra,
Ils détalèrent sans regarder derrière eux, toujours en avant
Sur leurs talons étaient nos jeunes hommes,
Et ils en firent tomber et prisonniers, et leur déroute augmenta.
Le feu et la peur léchaient leurs dos,
Ils abandonnèrent leurs familles et furent sans soutien.
Il satisfit sa soif de vengeance et les cœurs se purifièrent,
Le jour de la bataille, la joie et le bonheur furent notre
En vérité, la Victoire de Dieu et de Sa religion vinrent à nous,
Par Sa Faveur et Son Pouvoir. Il fait ce qu’Il veut.
Les gens des villages qui vous savez, voulaient tester le déterminé
Mais leurs plans faillirent, et leur iniquité fut contenue.
Les gens des villages, dans leur malice, voulurent se regrouper
Mais ils ne furent que quelques-uns, qu’on pouvait aisément compter.
L’ennemi a voulu éteindre la Lumière de Dieu [Nioro, Nouroullahi pour les omariens]
Mais Dieu les rejeta et La rendit encore plus vive.
D’autres comme eux, cachèrent leur apostasie,
Dans l’est et dans l’ouest, comme il était dit,
Mais Dieu renforça Sa religion et avec cela
Bénit cette armée dont la supériorité était fort reconnue
Désirant son temple, vous le voyez faiblement
Comme la poussière soulevée par le jouet d’un enfant
Son compagnon ressemble au
Faucon, parmi les oiseaux, lorsqu’il s’envole
Vous le voyez voler devant eux, en haut d’eux,
Et soudain, il est derrière eux, parmi eux
Il se déplace à travers, en avant et en arrière, planifiant, remplissant sa promesse
Et causant la fuite parmi ses ennemis le jour de la bataille.
Dieu soit Loué, Qui a mis en déroute ses ennemis et à genoux,
Louanges à Dieu, support de la religion
En décrivant cette armée, l’auteur
Et poète ne peut pas capturer parfaitement ce qui est arrivé
Paix et Salutations sur le prophète Muhammad comme
La pleine lune perce les ténèbres des nuits.”